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Le spectacle
1. L’histoire
Valet rusé, fourbe comme il en porte le sigle
sur son dos, Scapin décide d’aider de ses
stratagèmes deux jeunes amoureux, dont
les paternels font le projet d’un mariage loin
d’être à l’avantage de tous. Et cette union
semble à des années lumières de celle que
leur dicte leur amour passionné. Sur scène,
le sortant de sacs de transport, le comédien
et manipulateur virtuose Jean Sclavis fait
vivre l’ensemble du casting moliéresque
avec une force suggestive étonnante. Si ces
marionnettes, un temps suspendues à un
système de palans, sont de bois et vêtues
de magnifiques costumes d’époque, elles
s’imposent comme de bien authentiques
partenaires de jeu. De taille presque
humaine, elles donnent à cette farce chef-
d’œuvre de la commedia dell’arte des allures de comédie dramatique sociale et métaphysique avec le
côté fantoche des riches avaricieux. Et la part désespérément humaine de Scapin.
La scène se passe à Naples, sur le port. Pendant l'absence de leurs pères respectifs, Octave s'est marié
en secret avec Hyacinthe, une jeune fille pauvre au passé mystérieux et Léandre est tombé amoureux
de Zerbinette, une Egyptienne. Mais voici que les pères, Argante et Géronte, rentrent de voyage avec
des projets de mariage pour leurs enfants. Les fils se croient perdus et ne savent plus que faire. Scapin,
le valet de Léandre, se propose de tout arranger. Il prend le parti de la jeunesse et monte un subterfuge.
Il imagine de soutirer aux deux pères l'argent nécessaire pour faire triompher l'amour et la jeunesse.
Entreprise apparemment impossible, mais que Scapin arrivera à mener à bien, grâce à des
rebondissements inattendus.
Voix modulées des huit personnages, registres variés, chants fuselés : le comédien excelle
dans une version resserrée et judicieusement modernisée de l’un des plus grands succès
posthumes de Molière. Visages inspirés de figures de saints napolitains ou de santons des
crèches populaires, les marionnettes s’offrent comme autant de miroirs aux amertumes et
ressassements du valet le plus célèbre de l’histoire du théâtre. La partition musicale baroque,
elle, jouée sur le vif par un claveciniste lie les airs d’opéra les plus fameux du moment, attestant
que le remix est bien une invention du 17e siècle. Côté costumes, les redingotes entoilées
participent du mouvement de personnages et nous disent tout l’art de la manipulation que
Scapin, vaincu par les puissants, faillit payer de sa vie, si ce n’est par la plus haute des
solitudes. Son vrai drame ? Devoir servir bien moins futé, doué et intelligent que lui. Toute
ressemblance avec des situations de soumission volontaire face à une hiérarchie dans le
monde laborieux actuel ne saurait naturellement être que fortuite.