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LA CREATION DES FOURBERIES DE SCAPIN
UN INTERMEDE
Molière occupe le théâtre du Palais-Royal depuis déjà 11 ans lorsqu’il porte à la
scène, en mai 1671, Les Fourberies de Scapin. Sa carrière est au sommet, des pièces à grand
spectacle (George Dandin en 1668, Le Bourgeois gentilhomme en 1670) lui ont valu prestige
et succès, et il souhaite proposer au public du Palais-Royal une autre de ces populaires
comédies-ballets : Psyché. Or, il faut, pour cette pièce à machines lourde et imposante, un
espace et une intendance que la salle du Palais-Royal, alors en travaux, ne peut abriter.
Molière crée donc, en attendant Psyché, une comédie sans grand décor, sans prétention au
spectaculaire : Les Fourberies de Scapin.
On fera remarquer aux élèves qu’effectivement, hormis l’indication liminaire « La
scène est à Naples », aucune didascalie ne régit l’espace scénique. Le peu de moyens laisse
donc le plateau nu, et surtout l’imaginaire sans entraves : rien n’empêche dès lors la classe
de réfléchir à une scénographie, d’esquisser croquis et schémas (en ayant toutefois en tête
que l’intrigue prend place dans un lieu public, et non loin du « logis » dans lequel Géronte à
l’acte III retrouve Hyacinte).
DES INFLUENCES MULTIPLES
Les Fourberies de Scapin est une comédie d’intrigue qui emprunte sa matière à
diverses sources. Ce peut être l’occasion pour les élèves de constater :
- que le principe classique de l’innutrition est ici vérifié, puisque l’intrigue des
Fourberies doit beaucoup à la pièce du latin Térence Phormion, et que le Scapin
de l’acte I scène 2 n’est pas sans rappeler le Chrysale de la comédie de Plaute Les
Bacchis (on propose infra un extrait de la scène 4 de l’acte IV, traduction E.
Sommer, dans laquelle l’esclave se réjouit d’avoir réussi à extorquer au vieux
Nicobule l’argent nécessaire à l’entretien de la jeune prostituée que son maître
Mnésiloque aime) ;
CHRYSALE, sans voir Mnésiloque et Pistoclère. L’homme que je suis vaut son pesant
d’or, c’est une statue d’or qu’il mérite. Deux exploits dans un jour ! et deux fois l’ennemi
dépouillé par mes mains ! Comme j’ai joliment joué mon vieux maître ! l'ai-je assez
berné ! Ce malin barbon, à force de rouerie et de ruse, je l’ai amené, je l’ai forcé à me
croire. Quant à mon jeune maître, notre amoureux, avec qui je bois et mange et fais
l’amour, je l’ai fait riche comme un roi… de l’or à puiser dans la maison même ; rien à
chercher au dehors. Quelle misère que ces Parménons, ces Syrus, qui apportent à leurs
maîtres deux ou trois mines ! Rien de pire qu’un esclave sans imagination ! Parlez-moi
d’un de ces cerveaux féconds qui trouvent tout de suite l’expédient dont on a besoin. Un
sage est celui qui sait faire le bien et le mal, fourbe avec les fourbes, et avec les voleurs,
voleur autant qu’on peut l’être : un homme de sens et d’esprit sait changer de peau à tout
moment. Bon avec les bons, il est méchant avec les méchants et se plie aux circonstances.