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UNIVERSITÉ LYON 2
Institut d'Etudes Politiques de Lyon
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET
POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT :
L’EXEMPLE DU MEXIQUE FACE À
L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE
L’ALENA
Lou TESSIER
Séminaire de « Droit international »
Sous la direction de Monsieur Filali Osman
date de soutenance : le 03 septembre 2007
Membres du jury : Messieurs Daniel Dufourt et Filali Osman
Table des matières
Introduction . .
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain . .
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Remerciements . .
Section I : L’ancienne politique de développement industriel : une place réduite pour
l’investissement étranger . .
I.1. Origines et fondements . .
I.2. L’industrialisation par substitution aux importations au Mexique : une stratégie
de développement orientée vers le marché intérieur . .
I.3. Crise économique, crise du système . .
Section II : La nouvelle politique de libéralisation : une place centrale pour l’investissement
étranger . .
II.1.Le contexte international comme facteur du changement . .
II.2. Réformes et nouvelle stratégie de développement centrée sur les IDE . .
II.3. L’ALENA : parachèvement de la politique de libéralisation . .
Conclusion de la première partie . .
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais
incomplet . .
Section I : Un outil de développement attractif pour les IDE . .
I.1. Le champ d’application du Chapitre 11 . .
I.2. Les garanties faites à l’investisseur . .
I.3. Les effets sur le comportement des firmes . .
Section II : Un outil de développement incomplet pour le Mexique . .
II.1. L’absence de prise en charge des facteurs non juridiques de l’attractivité . .
II.2. Les dangers de la notion d’expropriation indirecte pour les politiques de
développement . .
II.3. Perspectives de changement . .
Conclusion de la seconde partie . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages généraux . .
Mémoire de troisième cycle et thèses de doctorat . .
Articles de doctrine . .
Annexes . .
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Remerciements
Je remercie Monsieur Filali Osman pour sa disponibilité et ses nombreux conseils dans
l’encadrement de mon travail.
Je remercie le Professeur Hernandez-Duval, professeur à UCSD, pour son attention à l’égard
de mon travail.
Je remercie également toutes les personnes qui ont été présentes durant la réalisation de ce
travail.
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Introduction
Introduction
Depuis trois décennies, le processus de mondialisation de l’économie s’est accéléré. Les
échanges comme les flux de capitaux se sont accrus d’une manière inégalée auparavant
dans un laps de temps très court. Les échanges de biens et les investissements directs
étrangers (IDE) ont été les opérations économiques les plus marquées par ce changement.
Le droit économique, et en particulier le droit des échanges et des investissements, a
donc connu deux changements majeurs consécutifs à ces bouleversements économiques
à partir des années 1980. En premier lieu, son importance sur la scène internationale
comme pour les Etats s’est accrue, il est devenu un outil politique central pour agir
sur l’économie. En second lieu, il a connu un double processus de déréglementation
puis de re-réglementation à une autre échelle. En effet, les Etats ont renoncé à une
grande partie de leurs droits nationaux sur les opérations économiques. Le but de la
déréglementation était de s’adapter à une nouvelle configuration économique basée sur
la rapidité des activités et la mobilité du capital. L’absence ou la simplification des règles
qui régissaient autrefois chaque économie nationale était une adaptation au nouveau
système économique. Parallèlement, un processus de re-réglementation a eu lieu à l’échelle
internationale. Cette re-réglementation, à géométrie variable selon qu’elle est multilatérale,
bilatérale ou régionale, vise à assurer que les règles minimales du jeu économique soient
respectées, et que les possibilités de retour à l’ancien système soient limitées. Le droit dans
le domaine économique s’est internationalisé, et bénéficie aujourd’hui d’une effectivité que
le reste du droit international ne peut que lui envier.
Ce processus d’accroissement des échanges et des flux de capitaux, comme les
évolutions du droit qui lui correspondent, ne concernait au départ qu’un très petit nombre
de pays. Ainsi, les processus de régionalisation, comme la Communauté Economique
Européenne ou le traité de libre-échange entre les Etats-Unis et le Canada, ne touchaient
que les pays les plus développés, qui concentraient le plus d’échanges et d’investissements.
En marge de ces nouveaux espaces régionaux, la question du développement se posait
toujours pour la majorité des pays du globe. L’intégration progressive de ces pays à
la nouvelle configuration économique mondiale a été perçue comme la clé de leur
développement. Leur intégration devait se faire par le biais des IDE, puisqu’ils ne pouvaient
en être les émetteurs. On peut donner une première définition de ce qu’est l’IDE en termes
économiques. L’IDE représente « un type d’investissement qui permet à l’investisseur
d’avoir un droit de parole significatif sur la gestion d’une entreprise opérant à l’extérieur
de son propre pays ». Il peut être identifié à travers trois éléments : le total de l’avoir
des actionnaires (achat d’actions par l’investisseur), les bénéfices réinvestis (la part des
bénéfices de l’investisseur non distribués comme dividende) et les créances à court et à
long termes des entreprises non bancaires (c’est-à-dire les prêts intra-firme).
De cette manière, les IDE devaient permettre d’apporter des capitaux à ces pays qui
n’en disposaient pas. Ces capitaux étaient favorables au développement dans le sens où
ils s’inscrivaient a priori sur une période plus longue que les investissements de portefeuille
et qu’ils visaient directement la création de nouvelles activités à valeur ajoutée. Ces
IDE devaient donc en retour favoriser les échanges, en exportant leur production et en
dégageant ainsi des revenus pour importer de la technologie par exemple.
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Le droit est récemment venu favoriser ce processus. En effet, le droit économique
international qui régissait l’intégration régionale des pays développés s’est ouvert aux pays
en développement, visant ainsi à faciliter leur intégration économique à des pays plus riches.
En intégrant des pays en développement à ces unités régionales, ils bénéficieraient eux
aussi de l’importance de des flux d’IDE. Ce processus était vu comme un jeu économique à
somme positive : les pays en développement trouvaient ainsi une source pour briser le cercle
du sous-développement, et les pays développés de la région voyaient leurs firmes bénéficier
d’un marché plus grand et en expansion. L’Accord de Libre-Echange Nord Américain
(ALENA) constitue le premier accord de ce type, intégrant au sein d’un espace régional
la première puissance économique du monde et un pays en voie de développement, le
Mexique. Ainsi, « L’ALENA consacrait, à un niveau symbolique en tout cas, l’entrée d’un
pays en développement dans le premier monde ». D’autres processus similaires entreront
en vigueur par la suite, tel que l’intégration des pays de l’est à l’Union Européenne, ou
bien l’accord Euro-Méditerranéen. Ce processus a d’importantes implications en termes
d’histoire des relations internationales, puisqu’il a fait affirmer à certains auteurs que « cette
intégration juridique devait entraîner la caducité de l’ancienne trichotomie qui opposait les
trois mondes capitalistes, socialiste et le tiers-monde ».
On n’entend par le terme de pays en développement une situation économique
regroupant de nombreux pays ayant des caractéristiques différentes. Ce groupe n’est pas
homogène, bien au contraire, mais ils rencontrent des problèmes identiques dans certains
domaines tels que les performances économiques, y compris en termes d’innovation et de
technologie, les performances sociales en termes d’éducation, d’accès à la santé et aux
services minimums pour chaque individu, et parfois les performances en termes de droits
civils et politiques. Le développement est donc un processus global au sein duquel entrent
toutes les dimensions de la vie humaine. En conséquence, il est difficile de trouver un
indicateur qui serait exhaustif. Nous retenons l’indicateur de développement humain (IDH)
et l’indicateur de pauvreté humaine (IPH) du PNUD, pour affirmer que le Mexique est un
pays en développement. Bien que son PIB soit en progression, il rencontre toujours de
nombreuses difficultés dans les domaines que nous avons cités.
Après treize ans d’ALENA, il nous semble qu’un bilan est possible sur plusieurs
points. On pourrait se demander s’il existe une corrélation entre le processus d’intégration
économique régionale et celui d’intégration à l’économie mondiale pour les pays en
développement. Cependant, nous avons choisi de ne travailler qu’indirectement sur ce
problème sur ce problème, nous ne traiterons de la dynamique intégration régionale /
intégration mondiale qu’à travers l’étude des IDE, puisque c’est eux qui devaient être le
moteur du processus de développement du Mexique à travers la régionalisation. Nous
nous intéresserons aux résultats de l’adoption de l’ALENA, et en particulier de son chapitre
11 portant sur les investissements, dans une perspective mexicaine. C’est-à-dire que
nous essayerons de comprendre la dynamique interne du pays face à cette question.
Nous montrerons que « l’engagement du Mexique dans l’ALENA a amorcé un processus
d’intégration nord-américaine dont la dimension politique est loin d’être exclue ». Le but est
d’essayer de montrer la complémentarité entre les dynamiques internes et externes dans
le processus de changement politique, juridique et économique.
Pour le Mexique, la question du bilan de l’ALENA nous semble se poser principalement
en ce qui concerne les IDE. Il est très difficile de dire s’ils contribuent effectivement au
développement ou non, car les effets économiques de ceux-ci ne sont pas aisément
dissociables de ceux d’autres variables. Cependant, il nous semble intéressant de voir si le
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Introduction
texte lui-même est un facteur de développement pour le Mexique, par le biais de l’attraction
d’IDE.
Ainsi essayerons-nous de montrer à travers ce travail que le chapitre 11 de l’ALENA, qui
est un instrument principal du nouveau modèle de développement centré sur l’attraction des
IDE adopté par le Mexique, n’est pas un outil suffisant pour être le moteur du développement
durable du Mexique. Nous tenterons donc d’apporter des pistes de solution face à cette
insuffisance, en essayant de trouver ses origines dans le rapport qu’entretient le droit
international des investissements avec les droits humains. Cette analyse a selon nous
un intérêt qui dépasse le seul contexte de l’ALENA, car il questionne plus généralement
le modèle de développement défendu depuis les années 1980 par les organisations
internationales dont c’est le domaine de compétence.
Notre démonstration s’articulera en deux étapes principales. Nous montrerons d’abord
la place de l’ALENA dans ce nouveau modèle de développement (première partie), pour
pouvoir ensuite en mesurer l’adaptation en tant qu’outil de développement (seconde partie).
Connaître le modèle de développement qui prévalait avant les années 1980 au Mexique
doit nous permettre d’en comprendre les limites. Ces limites et les problèmes rencontrés
peuvent être endogènes ou exogènes, et expliquent le changement de modèle opéré
par le Mexique dans les années 1980. La compréhension des causes du changement
permet d’identifier les attentes des Mexicains dans l’adoption d’un nouveau modèle. Le
fonctionnement du nouveau modèle doit répondre à ces attentes, car c’est une réaction face
aux failles du modèle précédent. La structure du nouveau modèle et sa nouvelle logique
accordent une place centrale à l’ALENA puisque le bon fonctionnement de ce nouveau
modèle nécessite ce type d’accord régional. C’est le Mexique qui a proposé la conclusion
de cet accord aux Etats-Unis, ce qui signifie que cela répondait à des objectifs précis qui
s’inscrivaient dans sa stratégie de développement. La mise en lumière de ces buts dans une
première partie est nécessaire pour nous, car c’est à partir de ceux-ci que nous pourrons
essayer de voir si le texte du chapitre 11 de l’ALENA permet effectivement de réaliser ces
objectifs.
Une fois le chapitre 11 de l’ALENA situé dans le champ des objectifs de la
nouvelle stratégie de développement du Mexique, nous pourrons essayer d’en évaluer
la compatibilité avec ce dernier dans une deuxième partie. L’étude des dispositions du
chapitre 11 permet de déterminer si la nature et l’étendue de la protection accordée
à l’IDE correspond aux besoins du nouveau modèle de développement mexicain. La
confrontation de ces dispositions avec, cette fois, non plus les buts du Mexique, mais la
logique des investisseurs internationaux eux-mêmes, doit permettre de voir si le chapitre
11 de l’ALENA est un bon outil d’attraction des IDE recherchés par le Mexique. Face aux
limites potentielles ou avérées du texte que nous aurons mis en lumière, nous tenterons
d’apporter des pistes visant l’amélioration des dispositions actuelles dans un sens plus
favorable au développement du Mexique. Dans cette optique, il nous est apparu au cours
de cette recherche qu’un rééquilibrage entre le droit des investissements et les droits
humains serait la solution la plus efficace selon nous. En effet, il existe actuellement un
déséquilibre entre ces droits car les premiers sont incomparablement mieux respectés que
les seconds. L’intégration du respect des droits humains en tant que dimension du droit
des investissements permettrait la résolution de cette dissymétrie où réside, selon nous, les
limites majeures de l’ALENA en tant qu’outil de développement. Notre démarche n’est pas
de refuser le nouveau modèle de développement adopté par le Mexique, et par extension
l’ALENA qui en est un outil, mais bien de voir comment faire en sorte qu’il n’aboutisse pas à
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
la déception des attentes des Mexicains, comme cela a été le cas avec le précédent modèle,
dont les limites ne retirent rien aux accomplissements.
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
Première partie :Le chapitre 11 de
l’ALENA : un outil du nouveau modèle
de développement mexicain
Nous cherchons à démontrer dans cette première partie que l’entrée du Mexique dans
l’ALENA s’inscrit dans une stratégie de développement adoptée par le pays dans les
années 1980. Il nous semble nécessaire de connaître l’évolution économique et politique
du Mexique depuis le milieu du XXème siècle afin de comprendre les raisons de
son changement de stratégie. En effet, deux modèles de développement complètement
opposés se sont succédé au Mexique pendant cette période, et la conclusion de l’ALENA en
1994 n’est que le fruit de cette rupture. La conclusion de l’accord vient sceller le changement
de stratégie opéré dans les années 1980. Dans cette première partie, nous allons essayer de
démontrer que la conclusion de l’ALENA, et en particulier de son chapitre 11 portant sur les
investissements, répondait à des objectifs précis du gouvernement mexicain en termes de
politique économique interne. Le chapitre 11 sur les investissements est, dans cette optique,
un des outils privilégiés de la politique d’attractivité des investissements internationaux mise
en place par le gouvernement mexicain à partir de 1989.
Cette démonstration se fera en deux temps. Nous étudierons d’abord le modèle de
développement qui prévalait avant les années 1980 (section I) en essayant de comprendre
ses principes et le pourquoi de son abandon. Nous essayerons de montrer que les
investissements directs étrangers (IDE) avaient une place limitée dans cet ancien modèle
car celui-ci privilégiait un processus d’industrialisation par les ressources internes. Nous
montrerons également que les causes du changement de modèle procèdent à la fois d’effets
pervers et d’un contexte international propice au surendettement. Dans un second temps,
nous analyserons le tournant politique qu’à pris le Mexique en 1980 en adoptant un modèle
de développement totalement opposé au précédent. En effet, nous montrerons que ce
tournant procède là encore de facteurs endogènes et exogènes qui aboutiront à un modèle
de développement centré sur les IDE. Nous essayerons de comprendre en quoi l’ALENA,
et les dispositions de son onzième chapitre sur l’investissement en particulier, constitue
l’aboutissement de cette nouvelle stratégie (section II).
Section I : L’ancienne politique de développement
industriel : une place réduite pour l’investissement
étranger
La politique économique menée au Mexique entre 1945 et 1975 a été marquée par
une fermeture relative à l’extérieur. Le modèle de développement mis en place par les
gouvernements successifs, et en particulier la politique d’industrialisation par substitution
aux importations (ISI) lancée en 1955, étaient centrés sur le développement d’un marché
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
intérieur et la protection des industries dans l’enfance. Ce modèle a eu un impact capital
tant sur l’industrialisation et la structure du pays que sur l’idéologie économique et politique
de ses élites. Il est donc nécessaire que nous essayons d’en comprendre les origines et
les fondements théoriques (I.1), avant d’étudier la structure économique mise en place à
partir de ce modèle de développement (I.2). Enfin, nous verrons comment ce système s’est
effondré à la suite de plusieurs crises économiques successives, qui annonceront l’adoption
d’un nouveau modèle de développement (I.3).
I.1. Origines et fondements
Le Mexique adopte en 1955 une politique économique d’industrialisation par substitution
aux importations (ISI). Il n’y a pas de consensus en ce qui concerne l’origine de cette
politique économique nationaliste et tournée vers le marché intérieur. On attribue en général
l’adoption de cette politique aux recommandations de la Commission Economique des
Nations Unies pour l’Amérique Latine (CEPAL). Celle-ci était en effet porteuse à l’époque
de la théorie de la Dépendance. Cette théorie postulait que les origines des différences de
développement économique entre les pays trouvaient leur origine dans les principes d’un
système économique international fondé sur la dépendance des pays les plus pauvres aux
pays les plus riches (a). Cependant, des études récentes menées par différents économistes
tendent à montrer que l’adoption de ces politiques d’ISI ne serait que la conséquence d’un
processus endogène lié à l’histoire même de l’industrialisation du pays (b). Il nous semble
nécessaire d’expliciter ces deux approches que l’on a tendance à opposer afin de former
notre propre opinion sur les causes de la mise en place du modèle de développement qui
a prévalu au Mexique jusque dans les années 1980.
a) Théorie de la Dépendance…
La politique de substitution aux importations a été pensée à partir des théories et
recommandations développées notamment au sein de la Commission Economique des
Nations Unies pour l’Amérique Latine (CEPAL). L’adoption de politiques de substitution aux
importations en Amérique Latine est communément associée au Rapport Prebisch publié
lors de la première Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement
(CNUCED) et résumant la pensée des économistes du CEPAL, classé au sein de l’école
structuraliste. Ce courrant de la pensée économique regroupe des économistes travaillant
dur différents thèmes mais ayant en commun une approche holiste du système économique
international. L’étude de la structure dudit système permet de dégager les causes des
inégalités économiques entre les nations. On réfère depuis aux différentes recherches
exposées dans ce Rapport Prebish sous le nom de Théorie de la Dépendance. La théorie de
la Dépendance s’inscrit donc dans une approche holiste, elle postule que le développement
économique n’est pas le fait d’une seule nation mais du système économique international
dans son ensemble. Celui-ci serait divisé entre le Centre, produisant des biens industriels,
et la Périphérie, produisant des biens primaires (matières premières, produits agricoles). Au
sein de la Périphérie, il existe une collusion des élites avec les industriels du Centre, si bien
que les biens primaires leur sont cédés pour un prix très réduit. Les élites de la Périphérie
sacrifient ainsi le développement national à long terme pour leurs propres profits à le court
terme. En effet, le profit généré par la vente des produits primaires n’est pas réinvesti dans
l’économie de la Périphérie, il sert seulement à enrichir une très petite catégorie de la
population de la Périphérie. Les mécanismes gouvernant ce système économique binaire
débouchent donc sur un cercle vicieux pour les pays de la Périphérie qui n’ont jamais
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
accès à l’industrialisation dans la mesure où les ressources générées par le commerce
international ne font pas l’objet d’investissements productifs sur leur territoire.
Des gains de productivité au Centre se traduisent par des prix et des salaires plus
élevés alors qu’il y a un surplus de travailleurs en Périphérie qui maintient les prix et les
salaires bas. De plus, les produits primaires pâtissent d’élasticités négatives – c’est-à-dire
que la propension à consommer plus de produits primaires lorsque le revenu augmente
est négative. Ainsi, la demande de produit agricole augmente plus lentement que la
demande de produits industriels. Dans le temps, le prix des biens primaires tend donc à
baisser relativement à celui des biens industriels. C’est la théorie Prebisch-Singer sur la
détérioration des termes de l’échange. Au fur et à mesure que le temps passe, il faut que
la Périphérie vende de plus en plus de biens primaires pour obtenir la même quantité de
biens industriels. On a souvent reproché à cette théorie, basée sur des études chiffrées
et largement diffusée par le CEPAL auprès des Etats membres, de minimiser le rôle joué
par les élites locales (que nous avons pourtant souligné ci-dessus). On a estimé que la
théorie de la Dépendance était à l’origine de la politique de substitution aux importations au
Mexique, celle-ci, étant pilotée par l’Etat, visait explicitement la réduction de la dépendance
par l’industrialisation interne.
b) … Ou processus d’industrialisation endogène
Lorsque l’on s’intéresse à la littérature portant sur l’industrialisation du Mexique et de
l’Amérique Latine en général, il est généralement admis que les politiques de substitution
aux importations mises en œuvre à partir de la fin de la seconde guerre mondiale découlent
de la théorie de la Dépendance que nous venons d’expliciter. En effet, afin de briser ce cercle
de la dépendance économique, plusieurs solutions ont été proposées par les économistes
du courrant structuraliste. Il s’agissait à la fois de remédier au problème de détérioration
des termes de l’échange et à celui de manque de réinvestissement chronique des profits
générés par le commerce international dans un processus d’industrialisation. Cette absence
d’industrialisation conduisant irrémédiablement à la continuation d’une production exclusive
de biens primaires, lesquels étaient alors condamnés à pâtir d’une détérioration des termes
de l’échange, et ainsi de suite. Afin de briser ce cercle vicieux, les pays latino-américains
seraient alors passés d’une situation de « laisser faire, laisser passer » à une situation
d’économie protectionniste et stato-centrée.
Face à cette vision classique de l’histoire de l’industrialisation mexicaine, les résultats
de recherches récentes démontrent que la situation serait en réalité plus complexe et que
la fermeture des économies latino-américaines aurait plutôt été un processus progressif et
endogène. Stephen Haber estime ainsi que :
« The notion that Latin America embarked on a new ‘development strategy’ influenced
by Prebisch and ECLA in the 1950s is belied both by the fact that Latin America had been
protectionist since the 1890s and by the fact that the policies themselves –in the 1890s as
well as in the 1950s and 1960s—were implemented in what can only be described as an
ad hoc fashion ».
Il y a deux conclusions phares de l’étude menée par Stephen Haber qui intéressent
notre propos. En premier lieu, il montre que le processus d’industrialisation de l’Amérique
Latine commence dans les années 1890, et non après la seconde guerre mondiale.
On note ainsi qu’une première grande vague d’investissements directs eut lieu à cette
période au Mexique, ce qui poussa le pays à s’équiper en chemin de fer. Une classe
d’entrepreneurs commença alors à se constituer et, grâce à une protection implicite de
leur production par une dépréciation monétaire, passa d’une croissance tournée vers
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
les exportations à une prise des parts de marché intérieur. Ces protections implicites
face à la concurrence internationale étant temporaires, les industriels commencèrent à
pousser leur gouvernement à prendre des mesures protectionnistes en leur faveur afin
de ne pas avoir à faire les investissements coûteux leur permettant de faire face à cette
concurrence. En second lieu, le protectionnisme était de mise au Mexique avant la mise
en place de la politique de substitution aux importations. Dès 1891, le gouvernement
Mexicain modifia le système des préférences tarifaires en faveur de la protection des
industries manufacturières locales et de la maximisation des revenus de l’Etat (Haber,
page 16). On note que la protection de ces industries locales touchait également les
industries étant le fruit d’investissements directs à l’étranger. Ainsi, de nombreuses filiales
d’entreprises américaines et européennes vinrent s’établir au Mexique et bénéficièrent
largement du régime de protection (Haber, page 30). Haber montre que le Mexique répondit
aux différents chocs portés à son économie (fin de la première guerre mondiale, grande
dépression, réduction du commerce extérieur avec la seconde guerre mondiale) par des
mesures protectionnistes ad hoc. Après la seconde guerre mondiale, le Mexique a mesuré
sa dépendance économique face au commerce avec les pays occidentaux, ainsi que
le manque d’investissements privés sur son territoire. En réponse, et conformément à
l’accroissement général du rôle de l’Etat dans l’économie à la suite de la guerre, le
gouvernement Mexicain décida de s’impliquer plus dans l’économie en étant à la fois
régulateur et source d’investissements.
Il nous semble que les deux approches envisagées ci-dessus, bien que souvent
opposées par les économistes, contiennent des éléments explicatifs plus complémentaires
que concurrents concernant l’adoption de la politique économique de substitution aux
importations au Mexique. L’approche d’Haber nous offre la possibilité de comprendre
deux choses. Premièrement, l’industrialisation du Mexique est très liée, depuis son
commencement, aux investissements étrangers. Deuxièmement, la politique de substitution
aux importations est plus le fruit de politiques ad hoc répondant à différents groupes de
pression qu’une approche stratégique de développement excluant de manière idéologique
les investissements étrangers. Cependant, il ne faut pas selon nous négliger l’effet qu’a
eu l’affirmation par le gouvernement mexicain d’un alignement sur les recommandations
faites par le CEPAL. En effet, que le processus menant à l’adoption de cette nouvelle
politique ait été progressif ne change rien à l’impact de l’affirmation par l’Etat mexicain
de son adhésion à la théorie de la Dépendance. Les deux approches combinées nous
permettent de comprendre les différentes dynamiques à l’œuvre au sein de l’élite mexicaine
lorsqu’elle adopta ce nouveau modèle de développement. Les facteurs sont donc à la fois un
processus économique interne et une nouvelle vague de pensée économique qui influença
les politiques de toute l’Amérique Latine. Il est maintenant temps d’examiner le contenu de
cette politique mise en place au Mexique dans les années 1940.
I.2. L’industrialisation par substitution aux importations au Mexique :
une stratégie de développement orientée vers le marché intérieur
La politique de substitution aux importations a modelé l’économie mexicaine pendant
presque trente ans et ce pays en porte encore la marque dans certains domaines. Il n’est
pas possible de comprendre en quoi la politique de libéralisation qui lui succédera constitue
un tournant majeur sans avoir une image claire du fonctionnement du système économique
à cette période. Nous allons donc étudier le contenu de la politique de substitution aux
importations (a), et nous nous arrêterons plus spécifiquement sur la place accordée aux
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
investissements directs étrangers dans ce système (b), dans la mesure où c’est l’objet qui
nous intéresse.
a) La politique économique de substitution aux importations : principes de
fonctionnement
La politique d’industrialisation par substitution aux importations (ISI) recouvre différents
types de mesures prises par le gouvernement mexicain à la suite de la seconde
guerre mondiale. L’idée était qu’il fallait réduire la dépendance économique du pays
en l’industrialisant et en créant un marché intérieur pour les biens ainsi produits. Face
à la faiblesse de l’investissement privé, national ou étranger, et aux besoins énormes
d’investissement, l’Etat a été perçut comme le seul acteur à même de mener à bien ces
investissements. Les différents outils de cette politique tournent donc principalement autour
d’une politique industrielle active de l’Etat, du protectionnisme, d’une politique fiscale et
monétaire adaptée ainsi que du contrôle des prix. Nous allons essayer de comprendre le
fonctionnement du système à travers ces quatre outils afin de pouvoir déterminer la place
qui y est jouée par l’IDE.
Une politique industrielle active
Cette politique industrielle a été menée à travers des campagnes de développement
interne de la technologie et la création d’entreprises publiques ou mixtes. Le développement
interne de la technologie passait en premier lieu par la formation et la recherche. Après
la deuxième guerre mondiale, de nombreux investissements ont été faits en matière
d’éducation, et de nouveaux partenariats ont été créés entre le monde de la recherche et
les cadres des entreprises publiques.
Les entreprises publiques étaient donc un nouveau moyen pour l’Etat d’avoir un rôle
actif dans l’économie mexicaine. Il a ainsi pris la décision d’investir dans de nouveaux
domaines, en créant de nouvelles entreprises financées entièrement par l’Etat. Mais le
gouvernement mexicain a également choisi d’autres voies : il est entré dans le capital de
certaines compagnies afin d’avoir un contrôle direct sur leurs activités en tant qu’actionnaire.
L’Etat mexicain a également décidé de nationaliser certaines entreprises. En particulier,
le gouvernement de l’époque a estimé nécessaire de nationaliser les ressources
énergétiques (pétrole et gaz naturel) ainsi que leur exploitation. Ceci dans l’idée que
les Etats du Tiers Monde devaient se réapproprier la souveraineté sur leurs ressources
naturelles – notion présente dans une résolution des Nations Unies. Mais dans le cas
mexicain, cela relève également de la faiblesse passée du système de taxation et du
manque d’autorité du gouvernement face aux compagnies pétrolières américaines. En effet,
pour obtenir des ressources et orienter la production, le gouvernement aurait également
pu taxer les compagnies d’exploitation pétrolière au lieu de les nationaliser et mettre en
place des directives industrielles par le biais législatif –comme il l’a fait dans d’autres
secteurs contrôlés par des étrangers. Cependant, le sentiment dominant alors au sein du
gouvernement mexicain était que l’imposition de ces mesures aux compagnies pétrolières
américaines seraient impossible à mettre en œuvre du fait de leur puissance politique
et financière, et du fait de leur grande collusion avec les milieux politiques Américains.
Ces peurs n’étaient pas totalement déconnectées des réalités de la politique commerciale
extérieure des Etats-Unis dans le secteur pétrolier, comme on a pu le voir avec les difficultés
qu’a connues l’Arabie Saoudite pour retrouver sa souveraineté sur les ressources de son
sous-sol.
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Le gouvernement mexicain a pensé qu’une nationalisation des ressources avec une
indemnisation des compagnies ainsi privées de leur activité serait la meilleure solution, et
créa ainsi l’entreprise publique d’exploitation des ressources pétrolières PEMEX. Bien que
les compagnies en question aient reçu une compensation relativement importante, c’est
à partir de cette mesure que les économistes américains ont commencé à considérer le
Mexique comme un pays hostile aux investissements étrangers. L’origine de cette idée, en
dehors du contrôle effectif de l’Etat mexicain sur l’économie, se trouve dans la différence
de conception adoptée par les Etats-Unis et le Mexique sur la question de l’expropriation.
En effet, il est reconnu en droit international public le droit, pour un Etat, de nationaliser
une activité économique sur son territoire sous certaines conditions. Ces conditions ont
été définies par une jurisprudence importante en la matière, en particulier dans le domaine
pétrolier, surtout depuis les années 1970. Il se dégage de cette jurisprudence que l’Etat
peut nationaliser une activité économique sur son territoire si : aucune discrimination n’est
faite à travers cette mesure, il y a un but d’intérêt public, et le ressortissant étranger
ou l’organisation étrangère reçoit une juste compensation. Le Mexique estimait que la
nationalisation des compagnies pétrolières entrait dans cette catégorie, et acceptait le
principe de la compensation de l’investisseur lésé par la nationalisation. Cependant, le
Mexique considérait que la question du montant des compensations devait être solutionnée
en droit interne mexicain car le droit international ne comportait pas de disposition à cet
égard selon lui. Les Etats-Unis en revanche considéraient la doctrine Hull comme faisant
partie du droit international coutumier depuis 1938. Cette doctrine, développée par le
Secrétaire d’Etat Américain Cordell Hull, requiert que la compensation d’un investisseur
étranger lors d’une nationalisation se fasse de manière « prompte, adéquate et effective »,
et corresponde au standard établi par le droit international. Lors des expropriations
mexicaines, les Etats-Unis ont considéré que le Mexique n’avait pas respecté cette règle.
Un effet psychologique fort sur les investisseurs américains a alors eu lieu : le Mexique était
désormais considéré comme un pays hostile aux investisseurs étrangers. Les deux pays
ont campé sur leurs positions en matière de compensation jusqu’à la signature de l’ALENA
(et la loi de 1993 sur l’investissement, pour ce qui est du Mexique).
Dans les faits, la plupart des entreprises détenues par des investisseurs étrangers
sont restées au Mexique durant la politique de substitution aux importations et ont souvent
prospéré pendant les années de croissance. En effet, bien que devant supporter le poids
d’un contrôle étatique important sur leurs activités en matière d’orientation de la production,
ces firmes bénéficiaient également d’un système de taxes souvent avantageux, d’un droit
du travail peu appliqué, et d’un marché protégé. Ainsi, les investissements étrangers en
provenance des Etats-Unis ont été multipliés par cinq entre 1950 (556 millions de dollars)
et 1970 (2822 millions de dollars). On note donc déjà une pénétration très importante des
industries américaines au Mexique pendant l’aire de substitution aux importations.
Le protectionnisme
L’économie mexicaine était protégée de la concurrence extérieure de différentes
façons. D’abord, le taux de change était contrôlé par l’Etat et, par le biais de taux de change
différenciés, une forme de subvention à l’exportation était créée. C’est-à-dire que pour une
production destinée à l’export, par exemple, le taux de change pour l’achat de matières
premières en devise étrangère serait préférentiel. Dans la même logique, le gouvernement
créa de nombreuses incitations pour les industriels : subvention, absence d’impôts et taxes,
création de connections avec le milieu universitaire pour obtenir des cadres. L’ensemble
de ces mesures en faveur des entreprises locales faussait la concurrence avec l’extérieur
et heurtait les principes du libéralisme économique. L’Etat mexicain créa également des
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
licences d’importation, autorisant ainsi l’importation de certaines catégories de biens, non
produits au Mexique, dans une certaine limite. Ces licences octroyaient de fait une rente
de situation aux entrepreneurs locaux à qui elles étaient délivrées. Enfin, afin de réguler au
plus près les échanges commerciaux avec l’extérieur et de protéger les industries locales, le
Mexique renforça son système de quotas à l’importation et de barrières tarifaires à l’entrée.
Là encore, ces quotas et barrières tarifaires étaient souvent différenciés selon les secteurs
afin de promouvoir telle ou telle activité. Il en résulta que l’économie mexicaine était l’une
des plus protectionniste au monde, ce qui ne favorisait en aucun cas l’investissement dans
de nouvelles techniques productives par les entrepreneurs locaux, dans la mesure où ceuxci étaient protégés, et bénéficiaient d’une rente de situation.
La politique fiscale et monétaire
Comme nous l’avons vu précédemment, l’Etat mexicain se servait du taux de change
comme d’un outil de subvention aux importations pour certains secteurs de l’industrie. Le
taux de change n’était donc pas laissé à fluctuer, il s’éloignait souvent de la valeur qui
aurait du être la sienne, surtout du fait des taux de change différenciés. De plus, le système
de subventions à la production et d’exonération d’impôt se révéla sur le long terme un
pari fiscal risqué. En effet, si les dépenses augmentent et les revenus baissent, le budget
tend à devenir déficitaire. En outre, ces avantages constituaient souvent la source de
profit des firmes plutôt que leur productivité ou la qualité de leurs produits. Les banques
de développement nationales se sont également révélées être un outil de subvention
gouvernementale indirecte à travers les taux préférentiels qu’elles octroyaient à certaines
industries.
Le contrôle des prix
Afin de stimuler à la fois la production et la consommation locale, le gouvernement
mexicain avait mis en place un système de prix planchers pour les producteurs et de prix
plafonds pour les consommateurs. Ces prix étaient garantis par l’Etat, ce qui signifie que si
les prix réels dépassaient ou n’atteignaient pas ce qui était garanti, l’Etat devait compenser
en puisant dans ses propres ressources. Là encore, ce processus pose des problèmes de
déficit budgétaire sur le long terme. De plus, le système des prix constitue un indicateur
économique précieux sur la rareté des biens, le niveau de l’offre et de la demande, qui était
alors totalement annihilé par ce processus.
Nous essayons de montrer à travers cette description que le système économique sous
le modèle de développement suivant l’industrialisation par substitution aux importations
(ISI) prenait une forme très complexe au Mexique. En effet, nous avons vu que la
différenciation à l’extrême de toutes les mesures économiques selon le secteur concerné
alourdissait considérablement l’organisation de l’action de l’Etat. Cette organisation
labyrinthique, combinée avec une rémunération inégale du personnel administratif, a ouvert
de nombreuses opportunités de corruption. Cet effet pervers du système explique selon
nous largement le retournement de l’opinion publique mexicaine contre ledit système. Ce
retournement de l’opinion sera un facteur du changement de modèle de développement.
En outre, nous essayons de montrer comment la complexité de ce système sera un facteur
aggravant des crises économiques des années 1976-1988.
b) Petit rôle et forte régulation des IDE
La place des IDE dans le système ISI
Dans ce système, les IDE ont une place de second rang dans l’économie. De fait, le
premier investisseur est l’Etat. L’investissement privé en général est extrêmement régulé,
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
non pas dans le but de le supprimer ou de le dissuader, pas non plus par refus du capital
étranger, mais parce qu’il doit, au même titre que l’ensemble du secteur privé durant cette
période, répondre aux buts économiques de l’Etat mexicain avant de répondre aux siens
propres. L’article 27 de la Constitution mexicaine de 1917 est souvent cité à cet égard, car
il inscrit clairement la subordination des investissements et intérêts privés au bien commun.
Cet article a été considéré comme un argument majeur d’appui de la politique ISI. Dans
cette perspective, les IDE sont régulés par l’Etat, et ce principalement par le biais d’une
réglementation importante. L’attirail législatif vise principalement l’inscription de ces IDE
dans les objectifs économiques fixés par le gouvernement.
La réglementation des IDE
L’activité des investisseurs étrangers, et des investisseurs en général, était globalement
fortement réglementés. De plus, le Mexique adhérait à cette époque à la doctrine
développée par Carlos Calvo, qui postule qu’un investisseur étranger ne peut jamais obtenir
un traitement plus favorable que celui accordé aux investisseurs nationaux. Ainsi, les
investisseurs étrangers n’avaient-ils alors aucun traitement de faveur face aux investisseurs
privés locaux (sauf pour le cas particulier des Maquiladoras, sur lequel nous reviendrons).
Comme nous l’avons vu précédemment, le gouvernement mexicain usait de différents
moyens d’incitation ou au contraire de non incitation, afin de favoriser l’activité dans
certains secteurs économiques. Il le faisait avec les outils monétaires et fiscaux, mais il
le faisait également avec la législation en termes d’investissements. Les IDE, selon le
secteur d’activité, étaient alors soumis à différentes obligations. Celles-ci, bien que variant
sensiblement selon le secteur, peuvent être regroupées en différentes catégories.
-La sélection
Le gouvernement mexicain pouvait mettre en place une commission pour l’examen des
projets d’investissements étrangers sur son territoire. L’investisseur devait alors soumettre
son projet à une commission qui autorisait ou non la réalisation de l’investissement
en question. L’Etat mexicain avait donc mis en place un mécanisme de sélection
des investissements étrangers, afin que ceux-ci soient toujours en accord avec ses
objectifs de développement industriel. Les critères de sélection pouvaient donc varier,
mais ils comportaient en général : le degré de conformité à la stratégie mexicaine de
développement, la valeur ajoutée locale, l’utilisation de ressources naturelles, la substitution
des importations, un investissement minimum, les conditions de financement ou encore la
création d’un nombre minimum d’emploi. Ces critères de sélection donnaient également
lieu à des obligations de résultats pour les investisseurs. C’est-à-dire que ceux-ci devaient
respecter les engagements pris en matière de valeur ajoutée locale, de nombre d’emplois
créés, de formation de la main d’œuvre, de pourcentage de dirigeants locaux. Le Mexique
se distingue tout particulièrement car il ajoutait une obligation de respecter les valeurs
nationales et sociales de l’Etat dans leur implantation sur son territoire. Le respect de
l’ensemble de ces engagements était également une condition de l’octroi de certains
avantages fiscaux ou autre prévus pour inciter l’investissement dans certains domaines.
-Les secteurs limités et réservés
Tous les secteurs de l’économie n’étaient pas ouverts (et ne le sont toujours pas) aux
investisseurs étrangers. En général ces domaines sont des domaines stratégiques et/ou qui
ont fait l’objet d’un processus de nationalisation. C’est le cas du secteur énergétique jusqu’à
aujourd’hui au Mexique –mais également en Chine, en Russie, au Etats-Unis ou au Canada
par exemple. De nombreux secteurs étaient également non pas interdits mais restreints,
c’est-à-dire que l’investisseur étranger ne devait pas posséder plus d’un certain pourcentage
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
de l’activité. Cette dernière mesure était aussi parfois formulée par une obligation d’avoir
une co-entreprise ou des partenaires locaux. Cette obligation d’entreprise mixte était
très répandue dans les différents codes d’investissement des pays en développement à
l’époque.
-Le règlement des opérations financières
Le Mexique, comme la plupart des Etats en développement, accordait une importance
toute particulière à la réglementation des transferts financiers. En effet, lorsqu’un
investissement étranger est réalisé il donne souvent lieu à plusieurs transferts d’argent.
Il y a d’abord le flux d’IDE lors de la réalisation de l’investissement qui va du pays de
départ vers le pays d’accueil, en l’occurrence le Mexique. Il y a ensuite éventuellement,
selon les fruits portés par l’investissement, une volonté de rapatrier des capitaux ou des
bénéfices du pays d’accueil vers son pays de départ de la part de l’investisseur étranger. Il
existait donc des règles pour opérer ces transferts pour deux raisons. D’abord, concernant
le rapatriement des capitaux, un problème de contrôle du taux de change pouvait survenir
si les investisseurs étrangers désiraient rapatrier un grand nombre de capitaux en même
temps. Ensuite, pour ce qui est du rapatriement des bénéfices, celui-ci s’inscrivait en théorie
contre le principe de la politique d’ISI, qui prônait un réinvestissement des bénéfices réalisés
localement dans l’économie locale afin de financer un processus d’industrialisation interne.
Les exceptions à la législation sur les investissements
Les Maquiladoras sont l’exception notable du régime de traitement des
investissements, et en particulier des investissements directs étrangers, au Mexique
pendant l’aire de la politique de substitution aux importations. En effet, dans les années
1960, des entrepreneurs Américains des Etats frontaliers et des propriétaires terriens
Mexicains des Etats du Nord du Mexique commencèrent à contracter des accords
pour la construction de parcs industriels. Le programme de Maquiladoras commença
officiellement en 1965 comme faisant partie du Programme d’Industrialisation de la
Frontière Mexicaine qui visait à résoudre les problèmes de chômage dans les Etats
frontaliers. Ce programme permettait l’établissement de compagnies possédées à 100%
par des investisseurs étrangers dans les zones autorisées, ces compagnies pouvaient
importer sans taxes douanières l’ensemble des machines outils, équipements, matières
premières et composants nécessaires à leur production, dans la mesure où celle-ci était
destinée exclusivement à l’export. L’approche est donc inverse à l’approche théorique de
l’industrialisation par substitution aux importations. En effet, ici il ne s’agit plus de fabriquer
sur place les choses consommées par le marché local afin de ne plus devoir les importer. Il
s’agit au contraire d’exporter intégralement la valeur ajoutée mexicaine. Il est généralement
admis dans la littérature sur le sujet que le droit du travail était particulièrement peu
appliqué au sein des Maquiladoras. Il s’agit également d’une entorse au droit général sur les
investissements alors en vigueur. Le gouvernement Mexicain de l’époque devait considérer
cette mesure comme temporaire et minime lui permettant de régler le problème du chômage
dans le Nord. Cependant, nous pouvons affirmer que cela marquait aussi le début d’un
système économique dual, qui perdure jusqu’aujourd’hui.
Nous avons donc montré que l’investisseur étranger était obligé de se conformer à de
nombreuses règles afin de mener à bien son projet d’investissement au Mexique. Que ce
soit dans le régime général, ou même au sein des Maquiladoras, dans la mesure où cellesci interdisent l’accès au marché local. Cependant, il nous semble que c’est l’interdiction
ou la limitation qui pesait sur la majorité des secteurs économiques qui limitait le flux des
IDE plus que les obligations faites à l’investisseur, qui étaient alors presque les mêmes
partout dans le monde en développement. Comme on l’a noté plus haut, il y avait tout de
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
même une part importante d’investissements étrangers au Mexique, que nous attribuons
aux avantages que conférait ISI aux entreprises locales, même détenues par des étrangers,
mais aussi principalement à la croissance économique du pays. En effet, le Mexique
jouit d’une croissance économique forte et soutenue pendant toute la période, le taux
de croissance moyen annuel est de 3,41% entre 1955 et 1970. Cependant, nous avons
également souligné la lourdeur du système économique organisé par la politique d’ISI ainsi
que sa déconnection du système économique et monétaire international. Les limites du
système se font bientôt sentir, d’abord sur le plan interne, puisque les mexicains connaissent
eux-mêmes une désillusion progressive face aux promesses du système, mais aussi sur
le plan externe avec l’absence de résistance du système financier mexicain aux chocs qui
frappent le système économique international à partir des années 1970, comme nous allons
le voir.
I.3. Crise économique, crise du système
Dans les années 1970-1980, la période de croissance soutenue dont nous avons parlé
précédemment est succédée par une période de crise économique et financière prolongée
qui aura raison de la politique de substitution aux importations. Les conséquences de
cette crise seront donc colossales dans la mesure où elles ouvriront une nouvelle page
dans la stratégie mexicaine de développement. En conséquence, il nous paraît nécessaire
d’analyser les facteurs ayant conduit à cette situation de crise.
Les facteurs de la crise mexicaine peuvent être divisés en trois catégories. D’abord il
y a les promesses de la politique d’ISI qui ne se sont pas réalisées, et le mécontentement
social qui en ai résulté. Ensuite, il y a les mesures que les gouvernements des présidents
Diaz Ordaz puis Luis Echeverria Alvarez ont pris pour acheter la paix sociale, et qui se sont
révélées désastreuses pour l’équilibre économique et financier du pays. Enfin, le contexte
international de boom des prix du pétrole pendant toute la période s’est avéré être un facteur
important dans l’aggravation de la crise.
a) Les promesses déçues de la politique de substitution aux importations
La politique dite de substitution aux importations, mise en place à partir de la seconde
guerre mondiale, s’essouffle à partir de la fin des années 1960. En effet, malgré un taux
de croissance important, les promesses qui avaient été faites lors du lancement de cette
politique économique n’ont pas été tenues. La dépendance envers les pays industrialisés,
au lieu de se réduire, s’est uniquement transformée. Les industries créées au Mexique
sont dépendantes des pays industrialisés pour leurs machines outils, et certaines le sont
même pour des composants ou matières premières. De plus, la détérioration des termes
de l’échange n’a pas été résolue, de plus en plus de matières premières agricoles ou
minérales étaient requises pour obtenir suffisamment de liquidité pour acheter tracteurs
et machines outils. La création d’emploi avait elle aussi été relativement limitée dans la
mesure où beaucoup des industries ainsi créées étaient plus intensives en capital qu’en
travail. De plus, les protections diverses accordées aux entreprises locales (en particulier
la non exposition à la concurrence) avait des conséquences importantes sur le prix et
la qualité des biens produits. Les producteurs bénéficiaient d’un transfert de revenu en
provenance du consommateur, les biens étant chers et de relativement mauvaise qualité.
Enfin, la réglementation et les différents outils de régulation de l’économie étant nombreux,
des opportunités de corruption avaient vu le jour. Ainsi les fonctionnaires et administratifs
peu scrupuleux et souvent mal rémunérés (on a vu ci-dessus que les droits des travailleurs
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
étaient alors très peu respectés du fait de la collusion entre l’Etat et les syndicats officiels)
étaient bien souvent corrompus.
b) La réponse du gouvernement mexicain aux tensions sociales
Face à ce constat, le mécontentement social monte, et une crise de confiance s’amorce
entre la population et les pouvoirs publics. La tension atteint son comble dans l’été 1968,
avec en particulier les manifestations étudiantes – on en décomptait près de 47 entre le
23 juillet et le 10 août. Le 2 octobre 1968, les forces de police firent feu sur les étudiants,
travailleurs et mères de famille venus protester, le gouvernement voulant faire cesser le
conflit avant les jeux Olympique de Mexico. Le massacre de Tlatelolco sonna le glas de la
carrière présidentielle de Diaz Ordaz qui délégua de plus en plus de pouvoir à Echeverria
Alvarez. Ce dernier mit en place une politique économique d’achat de la paix sociale au
lieu de réformer, à partir de 1968 puis lors de son mandat présidentiel à partir de 1970. Il
étendit ainsi l’activité économique de l’Etat mexicain dans le but de relancer la croissance
et l’emploi. Le déficit public, qui s’était déjà creusé du fait des mesures de subvention
et des avantages fiscaux durant les décennies précédentes, explosa. Les dépenses de
l’Etat, qui s’élevaient à 13,1% du PIB en 1970, montèrent jusqu’à 39,6 % du PIB en 1976.
En plus de cet interventionnisme, l’Etat maintenait un taux de change surévalué, afin de
contenter les consommateurs (les prix des bien importés ou des biens incorporant des
composants importés n’augmentant pas) en compensant lui-même la différence entre les
deux taux (réel et fixe). Ces mesures se sont accompagnées d’un nationalisme économique
virulent développé dans les discours présidentiels. Echeverria renforça les obligations faites
aux investisseurs étrangers dans une loi promulguée le 28 décembre 1973. Il affirmait
par ailleurs ouvertement son hostilité envers l’entrée d’IDE au Mexique. Le contexte
international favorisait par ailleurs largement cette conduite en permettant à l’Etat mexicain
de se financer.
c) La crise de la dette et ses conséquences
Suite au soutien apporté par les Etats européens et américain à Israël lors de la seconde
guerre israélo-arabe, les pays arabes exportateurs de pétrole décidèrent d’augmenter
unilatéralement le prix du baril. Ce choc pétrolier de 1973 bouleversa le système financier
international. D’énormes sommes étaient déposées dans les banques européennes et
américaines par les pays de l’OPAEP – les pétro-dollars – et celles-ci devaient alors les
prêter afin de pouvoir payer les intérêts des dépositaires. Ainsi, l’incitation à l’emprunt auprès
des pays en voie de développement était très forte, en particulier pour le Mexique qui
affichait une croissance soutenue et des ressources en hydrocarbures. Ces opportunités
d’endettement extérieur expliquent que le gouvernement mexicain est pu continuer à
accroître ses dépenses sans augmenter ses recettes pendant le mandat d’Echeverria
Alvarez. Le déficit fiscal de l’Etat s’élevait ainsi à 10% du PIB en 1975. Entre 1970 et 1975
la dette extérieure passa de 6,7 milliards à 15,7 milliards. Il est important de préciser que
cette dette est contractée en dollars et non pas en pesos, ce qui explique le rôle central
du taux de change. Or, comme on l’a vu, le taux de change fixé par l’Etat mexicain était
largement surévalué. En 1976, les réserves en devises de la banque centrale s’épuisent
et le pays perd la confiance des investisseurs qui retirent leurs capitaux. Le peso doit
alors être laissé à flotter, et perd ainsi 40% de sa valeur. Mais cette première crise ne
dure pas, du fait de la découverte de nouveaux champs pétrolifères. Les prix du pétrole
restent élevés pendant plusieurs années (avec notamment le second choc pétrolier en 1979
puis la sous-production pendant la guerre irako-iranienne). Le Mexique ne résout donc pas
les problèmes posés par l’attitude de l’Etat. Celui-ci continue de s’endetter à court terme
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
pour lancer des investissements de long terme, remboursant alors ses échéances avec les
recettes pétrolières. De plus, l’économie mexicaine souffre d’un des aspects du syndrome
hollandais dans la mesure où ses exportations pétrolières maintiennent un taux de change
artificiellement élevé qui nuit au reste des exportations. Le secteur pétrolier devient donc
le seul bénéficiaire du système. En 1981, le prix du pétrole commence à s’effondrer, et le
système économique mexicain n’y survit pas. Le peso subit plusieurs dévaluations en 1982
et perd 72% de sa valeur entre janvier et mars 1982. Il s’en suivit une réduction drastique
de la production du pays et une fuite majeure des capitaux. L’Etat mexicain se trouve dans
une situation impossible à gérer face à sa dette extérieure. En effet, les taux d’intérêt ont
augmenté avec l’arrivée de Volker à la tête de la Banque Fédérale Américaine alors que
la valeur du peso a chuté face au dollar, monnaie dans laquelle les prêts doivent être
remboursés. En conséquence, le Mexique déclare qu’il suspend le paiement des intérêts
de la dette et on sait qu’il s’en suivra une réaction similaire de la part de nombre de pays
en développement.
A partir de 1982, l’Etat mexicain devient incapable de faire face à ses obligations
financières du fait d’un système économique qui, comme on l’a vu, n’avait pas réformé
ses effets pervers, conduisant à un endettement chronique de l’Etat. Bien que la politique
d’industrialisation est eu des effets réels en termes de développement, l’opinion publique
est déçue et ne fait plus confiance à la machine étatique. Avec les années de crise,
les problèmes de gestion publique de l’économie sont mis en lumière. La corruption est
dénoncée comme élément désormais constitutif du système, mais surtout la question de
l’inefficience des entreprises publiques se pose. En effet, maintenant que l’Etat n’a plus
les moyens de financer ses dépenses courantes, la société civile et l’opposition politique
commencent à dénoncer le manque de productivité dans le secteur public ainsi que les
investissements sans retour ou avec des retours très faibles réalisés par l’Etat. Selon nous,
c’est là que la nécessité d’un changement de politique se fait alors sentir.
Ces critiques internes vont très rapidement trouver un écho dans l’environnement
international qui caractérise les années 1980. En effet, un Etat ne peut sans conséquence
suspendre ses obligations financières, et le Mexique doit bientôt se tourner vers la Banque
Mondiale et le Fonds Monétaire International afin de sortir de la crise financière. Selon nous,
ces institutions vont être porteuses elles aussi d’un nouveau modèle de développement qui
sera relayé par une élite mexicaine renouvelée.
Section II : La nouvelle politique de libéralisation : une
place centrale pour l’investissement étranger
En 1982 la crise économique qui touche le Mexique le pousse à remettre en question
un modèle de développement qui ne résiste pas à cette crise. Le pays va adopter un
nouveau modèle de développement qui change du tout au tout par rapport au précédent.
Parallèlement à cette crise, le contexte international a changé, et les nouvelles élites
mexicaines en prennent conscience. Le nouveau modèle de développement initié par une
élite mexicaine renouvelée va donc porter l’influence de ce nouveau contexte international.
La politique de libéralisation ainsi adoptée vise à la fois une réforme du système économique
mexicain et la recherche de nouvelles sources de croissance. Dans cette recherche, la
conclusion de l’ALENA est venue s’imposer comme l’élément clé d’une nouvelle politique
d’attractivité du territoire mexicain au regard des investissements internationaux. Il nous
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Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
semble donc nécessaire d’examiner les éléments qui ont influencé le changement de
politique économique au Mexique (II.1) pour mieux comprendre le fonctionnement du
nouveau modèle de développement adopté dans les années 1980 (II.2) qui a par la suite
conduit à l’entrée du Mexique dans l’ALENA (II.3). La compréhension de ces éléments nous
permettra de définir les objectifs du Mexique lors de son entrée dans l’ALENA, que nous
pourrons ensuite confronter à la réalité actuelle dans la seconde partie de ce travail.
II.1.Le contexte international comme facteur du changement
Le contexte international joue un rôle important dans le changement total de politique
économique réalisé par le Mexique dans les années 1980. Ce contexte a deux
composantes. D’abord, on assiste à un changement de structure de l’économie mondiale
et, en conséquence, des déterminants de l’activité de ses acteurs (a). Le Mexique se
trouve donc face au problème de l’adaptation nécessaire à ce nouveau comportement
économique. Ensuite, l’Etat mexicain se trouve dans l’obligation, compte tenu de l’état
de ses finances, de se tourner vers les organismes internationaux que sont le FMI et la
Banque Mondiale. Il devra là encore composer avec les exigences et à la manière de penser
véhiculée par ces organisations (b).
a) Mondialisation et changement de structure économique internationale
Pour Charles-Albert Michalet, la mondialisation entre dans une nouvelle phase de son
évolution dans les années 1980. On passe alors d’une configuration qu’il appelle multinationale à une configuration globale. La première se caractérisait, pour ce qui concerne
notre objet, par la collusion Etat / entreprise multinationale. En effet, les multinationales
concourraient entre elles pour obtenir le droit d’investir, et donc d’avoir accès aux protections
que nous avons étudiées précédemment, et d’avoir accès à un marché national, sur lequel
elles bénéficiaient d’un quasi-monopole. La configuration globale, en revanche, est basée à
la fois sur la compétition entre les Etats pour attirer les IDE sur leur territoire et l’exacerbation
de la concurrence entre les entreprises multinationales au niveau global.
Ce revirement de situation s’explique à la fois par un processus de libéralisation des
échanges à l’échelle mondiale, mais aussi par une nouvelle stratégie adoptée par les
firmes multinationales. Celles-ci ne se concentrent plus sur l’accès aux marchés nationaux,
mais sur l’accès au marché mondial, l’accès à un marché de plus en plus grand étant
nécessaire afin de continuer à augmenter leur rentabilité. L’augmentation de la rentabilité
des firmes, au-delà du fait que c’est un but en soit de l’entreprise économique en économie
de marché, a été largement favorisée par une augmentation de la concurrence au niveau
mondial. Comme l’exprime Charles-Albert Michalet « la compétitivité [devient] une condition
de survie » (« Qu’est-ce que la mondialisation ? », page 117). Dans cette nouvelle stratégie,
le but est de s’assurer l’accès aux marchés des pays riches (les pays de la Triade) tout
en minimisant ses coûts de production, en délocalisant cette production par exemple. Le
processus de relocalisation de la production se fait sur un territoire suivant les avantages
que celui-ci offre comparativement à d’autres.
Dans la mesure où la direction de l’investissement n’est plus le marché local,
le but de la firme n’est plus d’accéder à une situation de rente dans un maximum
de systèmes nationaux. Pour les Etats en développement, cela signifie qu’attirer les
investissements internationaux va supposer un changement de réglementation. En effet,
sous la configuration inter-nationale, les Etats régulaient fortement les investissements, en
l’échange de quoi il procurait à l’investisseur une situation de rente en le protégeant de la
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
concurrence, en le subventionnant, en lui accordant des exonérations fiscales etc… Mais
les investisseurs ne sont plus désormais intéressés par ces garanties. Le monopole local
ne les intéresse pas, ils lui préfèrent la réduction des coûts de production par la baisse du
prix des facteurs de production et non par la production subventionnée.
Dans ce nouveau comportement des firmes, la donnée temporelle est essentielle. En
effet, l’auteur explique que la vitesse gouverne désormais le système économique. Pour
lui : « cette obsession de la vitesse est le produit de l’exacerbation de la concurrence
entre un nombre limité mais croissant de concurrents sur des marchés qui se réduisent
pour l’essentiel à ceux de la Triade et d’une poignée d’économies émergentes » (CharlesAlbert Michalet, « Qu’est-ce que la mondialisation ? », page 126). En conséquence, les
investisseurs n’ont pas le temps d’attendre l’examen de leur demande d’investissement. Ils
ne peuvent non plus s’engager sur le long terme à rester sur un territoire. Les contraintes
de formation et autres performances requises ne sont donc plus adaptées à cette nouvelle
stratégie des firmes.
En outre, la concurrence est grande entre les pays en développement. En effet, ils
sont très nombreux comparés aux marchés de consommation visés par les firmes qui
se résument à quelque pays. De plus, les pays en développement sont plongés, à cette
époque, dans la crise de la dette, et sont donc dépendants des investissements étrangers et
privés pour maintenir le flux d’investissement dont l’Etat se chargeait avant. Ainsi, ces Etats
vont devoir se faire concurrence, et offrir le plus d’avantages possibles aux investisseurs
afin de les attirer sur leurs territoires. Les Etats en développement se lancent, à partir des
années 1980, dans la course à l’attractivité.
Le but n’est plus de soumettre l’investisseur aux exigences nationales de
développement, mais de s’adapter au mieux à ses besoins afin qu’il vienne s’implanter sur
le territoire national plutôt que dans une autre Etat. Pour autant, le but de développement
est toujours là, affirmé à la fois par la nouvelle administration mexicaine et par les organes
financiers internationaux et certains économistes. Comme nous allons le voir, les IDE
sont au cœur de cette nouvelle mouvance de la théorie économique. Le développement
par le financement extérieur n’est pas une théorie nouvelle, en 1966 H. Chenery et A.
Strout développaient ainsi le modèle des deux déficits. Ce modèle montrait comment le
financement extérieur par le biais notamment de l’investissement pouvait venir combler à
la fois le déficit d’épargne interne (empêchant l’investissement interne) et le déficit extérieur
(par l’apport de devises, manquantes du fait des faibles exportations). Dans les théories
économiques en vogue dans les années 1980, les IDE prenaient une place nouvelle et
centrale, devenant les outils privilégiés de financement de l’activité économique des pays
en développement, ce qui était censé assurer, outre le financement, l’assainissement de
ces économies.
b) Consensus de Washington et pressions sur les gouvernements des pays
en développement
De la crise rencontrée par les pays occidentaux dans la fin des années 1970 est né
le triomphe du discours néolibéral. En effet, ces pays avaient essayé de remédier à la
crise avec les outils économiques associés à une démarche keynésienne, cela n’ayant
pas fonctionné, l’école néolibérale s’est vu accorder une nouvelle place de choix dans
les gouvernements et les institutions financières internationales. Cette école souligne les
effets négatifs de l’intervention de l’Etat dans l’économie, et prescrit donc sa proscription.
L’adhésion à cette conception à la fois de la part des gouvernements des Etats de la triade et
des institutions financières internationales –et par extension, des Etats en développement
22
Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
—a été baptisée « consensus de Washington » par l’économiste John Williamson. Ce
consensus s’est peu à peu étendu à l’ensemble du monde.
Un des facteurs majeurs de cette extension est l’existence de conditionnalités à l’aide
apportée par les institutions financières internationales aux pays en voie de développement.
En effet, lors de la crise de la dette, les pays en crise se sont tournés vers le FMI et la Banque
Mondiale pour obtenir des rééchelonnements de remboursement et une aide financière
temporaire le temps de se remettre à flot. Les institutions financières internationales ont
accepté sous conditions d’un engagement de la part des Etats en question de mettre en
place des réformes visant la restructuration de leurs finances afin qu’ils puissent rembourser
dans le moyen terme. Ces conditionnalités étaient largement inspirées de la doctrine
économique néolibérales, et ont ainsi contribué à l’extension du consensus de Washington à
presque l’ensemble des pays en développement sous la bannière de l’ajustement structurel
de leurs économies. Pour le cas du Mexique, la mise en lace de ce processus s’est faite
à travers le Plan Brady.
John Williamson distingue dix instruments de politique économique sur lesquels
les conditionnalités du FMI et de la Banque Mondiale agissent. Les politiques prônées
accordent une place très importante à la discipline fiscale dans le but de rééquilibrer le
budget de l’Etat. Il existe différentes approches dans la définition du rééquilibrage du budget,
certains pensent que le budget doit être strictement équilibré alors que d’autres considèrent
qu’un déficit budgétaire sur le court terme est tolérable s’il est équilibré sur le long terme.
Le déséquilibrage soutenu du budget est vu comme la source principale de la dislocation
macroéconomique qui prend la forme d’inflation, de déficit de la balance des paiements et
de fuite des capitaux (Williamson, page 10). Dans cette optique d’équilibrage du budget,
les dépenses publiques doivent être contrôlées et se faire selon des priorités. Les priorités
sont généralement admises comme étant les dépenses en matière d’éducation, de santé et
de réduction de la pauvreté. Les dépenses à proscrire sont les subventions économiques
quelles qu’elles soient. Toujours dans cette optique de budget équilibré, la mise en place
d’un système performant d’imposition est nécessaire. Celui-ci est défini comme étant à
base étendue et à taux modéré. Les exemptions fiscales doivent donc être stoppées. Pour
ce qui est de la régulation financière, les institutions internationales conseillent de laisser
les taux d’intérêt être déterminés par le marché, et que ceux-ci devraient être positifs afin
d’encourager l’épargne et l’investissement ; on note que le problème de la compatibilité de
ces éléments est parfois posée. La détermination du taux de change quant à elle peut être
laissée au marché ou bien à l’Etat, du moment qu’il reste « compétitif » (c’est-à-dire qu’il ne
s’éloigne pas trop des réalités productives et des échanges du pays).
Les institutions internationales préconisent également une politique d’ouverture. Les
importations et les exportations ne doivent pas faire l’objet de restrictions ou de taxes
trop fortes, porteuses de corruption et d’un accès amoindri aux matières nécessaires
à la production. Cette politique d’ouverture s’applique aussi aux investissements directs
étrangers qui sont vu comme la source majeure de capital, de qualification et de savoirfaire pour les pays en développement. Les privatisations sont vues à cet égard comme
un des moyens d’ouvrir de nouveaux domaines économiques aux investisseurs étrangers,
tout en réduisant de manière considérable la charge des dépenses de l’Etat. Enfin, une
dérégulation de l’économie, et en particulier une déréglementation, apparaissent comme
l’élément central de l’établissement d’un climat de concurrence censé apporter rentabilité
économique et progrès technique, tout en évitant les opportunités de corruption.
Ces conditionnalités, mais également l’impact intellectuel des économistes néolibéraux
sur les nouvelles élites des pays en développement et en particulier du Mexique, ont eu un
23
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
impact majeur sur la politique de libéralisation et de réforme mise en place au Mexique à
partir des années qui suivirent la crise de 1982.
II.2. Réformes et nouvelle stratégie de développement centrée sur les
IDE
Poussée par un climat international nouveau, l’élite mexicaine se renouvelle dans les
années 1980. Miguel de la Madrid succède à Lopez Portillo à la présidence de la République
et amorce un tournant politique majeur dans la vie de son pays. Miguel de la Madrid fait
entrer le Mexique dans une nouvelle phase de libéralisation. Il représente une nouvelle élite
qui émerge, constituée d’intellectuels qui ont été à l’étranger pour tout ou partie de leur
formation supérieure, souvent aux Etats-Unis. Cette élite a pris conscience à la fois de la
nouvelle configuration de l’économie mondiale et des effets pervers du système soutenu
par les présidents Echeverria et Portillo. Conscient des effets des dévaluations successives
sur le pouvoir d’achat des Mexicains, de la Madrid fixe comme objectifs officiels stabilisation
et réformes structurelles (a). Son successeur suivra sa voie en y ajoutant expressément
des nouvelles options de croissance à travers notamment la libéralisation du commerce et
la promotion des IDE (b).
a) Changement de politique économique
La nouvelle administration mexicaine entreprend, à partir de 1983, des réformes centrales
qui constituent une rupture par rapport à la politique économique en vigueur auparavant.
Suivant la majorité des recommandations des institutions financières internationales, les
gouvernements successifs restructurent totalement l’économie du pays entre 1983 et
l’entrée en vigueur de l’ALENA. Cette restructuration tourne autour de trois pôles : un retour
à l’équilibre, un désengagement de l’Etat et une ouverture vers de nouvelles sources de
croissance.
Le retour à l’équilibre monétaire et financier était nécessaire après les crises
successives de 1976 et 1982. Mais cela sera un processus long et chaotique, puisque le
pays est à nouveau face à la crise en 1988 puis subit une crise financière en 1994 largement
aggravée par un secteur financier devenu totalement incontrôlé par l’Etat. Le Mexique se
lance donc dans une politique d’ajustement qui inclut une réduction des dépenses de l’Etat,
une réforme fiscale, une réforme du système de contrôle des prix (dans le but de stopper
l’inflation) et une politique monétaire plus stricte.
La réduction des dépenses publiques s’est traduite par un désengagement de l’Etat de
l’économie. Le gouvernement mexicain a ainsi lancé une grande vague de privatisations
afin de transférer au secteur privé le centre de l’activité économique du pays. Le secteur
financier a été totalement réformé et privatisé, devenant ainsi beaucoup plus flexible (ce qui
s’avèrera être un problème dans la première moitié de la décennie 1990).
Enfin, face à ces nombreuses mesures d’austérité et à une demande interne affaiblie
par les dévaluations successives, le gouvernement recherche de nouvelles sources de
croissance économique. Le recul de l’Etat dans le secteur économique laisse un vide dans
la stratégie de développement qui prévalait auparavant. L’Etat était alors le pilier central de
l’investissement stratégique et de l’orientation industrielle du pays. Avec les réformes que
nous avons étudiées, ce rôle ne peut plus être assuré par lui, les sources de la croissance
doivent donc être recherchées ailleurs. Les élites mexicaines se tournent donc vers un
24
Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
modèle de croissance « outward oriented », c’est-à-dire au sein duquel l’ouverture du pays
aux investissements et aux échanges avec l’étranger doit venir combler ce vide.
Ce revirement à 180° dans l’idéologie politique mexicaine s’est opéré sans contestation
massive et de manière très rapide car le président Salinas de Gortari, notamment, a su
transformer la nature du nationalisme économique mexicain en la faveur de la politique de
libéralisation. Comme Van R. Whiting Junior le formule :
« The key to this alchemy (…) was to transform the definition of nationalism from
maximizing the local production for the local market into maximizing the nation’s
share of the global market. »
Ainsi, nous estimons que le rejet de l’investisseur étranger pour des raisons de nationalisme
économique est un discours alors totalement dépassé par les dirigeants mexicains. Le but
est désormais au contraire de les attirer afin de : compenser le manque de financement
interne, de bénéficier de transferts technologiques et de créations d’emploi. Le tout dans
l’optique d’aboutir à un taux de croissance qui fasse sortir le Mexique de sa situation de pays
en développement. La nouvelle stratégie de développement de la politique de libéralisation
était née et les IDE y occupent une place centrale.
b) La politique d’attraction des IDE
Dans la mesure où les IDE occupent une place de choix dans la nouvelle stratégie de
développement adoptée par le Mexique, de nombreuses mesures ont été mises en place
depuis le début de la politique de libéralisation afin de leur rendre le territoire mexicain
attractif. Trois volets principaux ont eu comme but d’ouvrir le pays aux investisseurs
étrangers : la vague de privatisation, la nouvelle législation économique et la libéralisation
des échanges.
Entre 1976 et 1982 il y avait 1155 entreprises publiques au Mexique, ce nombre
est passé à 258 entre 1983 et 1993. La vague de privatisation a été massive car
le gouvernement mexicain lui accordait alors trois avantages supposés. Sur le court
terme, cela réduisait la pression budgétaire de l’Etat par l’argent de la vente ; à long
terme, les dépenses publiques déclinaient (puisque l’Etat n’injecte plus d’argent dans une
entreprise privatisée). Enfin, la privatisation était vue comme un moyen d’ouvrir de nouvelles
possibilités aux investisseurs étrangers sur le territoire, car ceux-ci devaient supposément
apporter efficience et progrès technique aux dites entreprises. Les privatisations sont
vues comme des mesures à destination principalement des investisseurs étrangers car
les investisseurs locaux sont alors dans de grandes difficultés financières dues à la crise
économique. Ainsi, parmi les outils de renégociation de la dette extérieure mexicaine on
découvre un outil spécialement adapté aux entreprises étrangères désirant investir au
Mexique : le rachat de la dette en équité (debt-equity swap). Dans les faits, certains secteurs
économiques changent de main, comme le secteur bancaire.
Le gouvernement mexicain change également la réglementation dans divers secteurs
qui intéressent les investisseurs étrangers. En premier lieu, le gouvernement met en
place une nouvelle législation sur les investissements étrangers à plusieurs reprises.
D’abord, le président de la Madrid fut à l’origine d’une nouvelle loi de régulation des
investissements promulguée le 16 mai 1989 qui venait remplacer la loi restrictive de
1973 en ouvrant la possibilité de créer des entreprises dont le capital était entièrement
étranger, en limitant celui-ci seulement dans certains domaines, à la grande satisfaction
du FMI. Dans la continuité de cette loi, qui annonçait déjà la fin progressive des domaines
économiques excluant l’investissement étranger, une nouvelle loi régissant l’investissement
25
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
étranger fut promulguée le 28 décembre 1993. Cette dernière apporte cinq innovations
en matière de réglementation des investissements étrangers. D’abord, l’approbation de
la Commission Nationale pour les Investissements Etrangers n’est plus requise pour les
investissements étrangers jusqu’à 85 millions de pesos mexicains. Ensuite, les limites dans
la participation des étrangers au capital d’une entreprise mexicaine sont réduites, voire
annulées dans certains domaines comme les transports ou la construction automobile. De
plus, seules certaines activités stratégiques sont réservées à l’Etat comme l’énergie ou les
télécommunications. L’accès à la propriété immobilière est également facilité. Enfin, et dans
le but de rendre cette nouvelle politique d’attractivité difficilement réversible, cette nouvelle
loi doit passer par un processus d’amendement par le Congrès pour être modifiée.
Plus généralement, le gouvernement mexicain a beaucoup changé sa législation en
matière économique dans les deux années 1990-1991, ce qui a eu un impact sur les
conditions d’attractivité des IDE. En effet, le Mexique s’est doté d’un attirail législatif sur la
protection de la propriété intellectuelle particulièrement adapté aux soucis des investisseurs
étrangers dans leurs transferts de technologie. De nombreux règlements et lois portant
sur la restructuration industrielle ont également contribué à ouvrir un plus large pan de
l’économie mexicaine aux investisseurs étrangers, et dans un climat plus sécurisant pour
eux qu’auparavant.
Enfin, la politique de libéralisation commerciale, dont l’ALENA sera un des
achèvements, visait également à jouer en faveur des investisseurs étrangers. En effet, la
libre circulation des biens permet à la fois de s’approvisionner en matières premières et
composants librement et sans frais de douane trop conséquents, en ayant l’assurance de
pouvoir exporter le produit fini dans les mêmes conditions. Ainsi, le Mexique commença
unilatéralement à baisser ses barrières tarifaires et non-tarifaires en 1983 puis à signer des
accords de libre-échange avec des partenaires commerciaux de choix. Ainsi, le président
de la Madrid signa un accord bilatéral portant sur les subventions avec les Etats-Unis en
1985, puis un accord bilatéral sur le commerce et l’investissement en novembre 1987 puis
en 1989. Entre temps, le Mexique avait intégré les accords du GATT le 24 août 1986. Le
pays tenta également de signer de nombreux accords bilatéraux avec différents pays afin
de diversifier ses échanges, mais le manque de succès de ces initiatives expliquerait en
partie la proposition du Mexique aux Etats-Unis de négocier un accord de libre-échange au
début de la décennie 1990 :
« Ce dernier volet s’est justement concrétisé par l’adhésion au GATT en 1986
et par la participation à plusieurs traités et accords commerciaux avec d’autres
pays d’Amérique Latine, d’Asie (le Japon en particulier) et avec la Communauté
Européenne dans un premier but de contrebalancer le rôle prépondérant des
Etats-Unis dans son économie. Ces ouvertures n’ayant pas produit les effets
escomptés en matière d’investissements directs étrangers et d’apports de
capitaux en général, le Mexique s’est davantage tourné vers son voisin du nord. »
II.3. L’ALENA : parachèvement de la politique de libéralisation
Comme on l’a vu précédemment, l’ALENA s’inscrit en droite ligne dans l’évolution de
la politique de libéralisation mexicaine lancée dans les années 1980. L’attraction des
investissements étrangers semble à première vue en être un des principaux moteurs. Il est
nécessaire que nous analysions les objectifs qui ont motivé le gouvernement mexicain à
proposer un accord de libre-échange à la première puissance économique mondiale, ainsi
26
Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
que les raisons qui ont poussées celle-ci à l’accepter, afin de comprendre le contenu de ce
qui a été négocié concernant les investissements.
a) Les buts : une place centrale accordée à l’attractivité
Le processus de libéralisation commerciale s’inscrit dans la continuité de la politique de
stabilisation entreprise par le Mexique depuis les années 1980. L’ouverture à la concurrence
internationale induit effectivement une discipline des prix aux producteurs locaux, réduisant
ainsi les tensions inflationnistes. Au-delà de cette politique générale d’ouverture à la
concurrence internationale par la libéralisation des échanges, deux objectifs centraux se
dégagent selon nous de l’analyse du pourquoi de la proposition mexicaine de créer un
accord de libre-échange nord américain. En effet, comme nous allons l’étudier, il s’agissait
pour le gouvernement mexicain de garantir à la fois l’accès de son pays au marché nord
américain et la faible réversibilité du processus de libéralisation.
Une étape supplémentaire de la politique de libéralisation
Comme nous l’avons vu précédemment, le Mexique a changé de modèle de
développement économique dans les années 1980. Il est passé d’un modèle protectionniste
à un modèle exportateur. Ainsi, pour que ce nouveau modèle fonctionne, il était impératif que
la demande pour les exportations mexicaines se maintienne. Or, cette nécessité impérative
ne peut pas être directement contrôlée par le gouvernement mexicain. En effet, ce dernier
n’a de contrôle ni sur la demande extérieure, ni sur les barrières protectionnistes que
dressent les autres Etats.
Ce dernier point s’est avéré être, dans les premières années de la politique de
libéralisation, un handicap majeur pour le modèle exportateur. Ainsi, « avec la finalité
d’empêcher l’accès aux marchés mondiaux, certains produits provenant du Mexique comme
le fer, le ciment et d’autres produits de l’industrie agricole ont subi des restrictions à leur
entrée ». On sait que ces politiques protectionnistes émanaient notamment des EtatsUnis afin de protéger leur propre production. Les conséquences pour le Mexique étaient
importantes car il « avait altéré sa structure de développement mais malheureusement il se
trouvait face à un grand obstacle sur lequel il n’avait aucun contrôle ». A notre sens, c’est
dans le but de régler ce problème, en s’assurant l’accès aux marchés des pays industrialisés
pour ses exportations, que le Mexique s’est tourné vers la conclusion d’accords de libreéchange en dehors ou en plus du GATT. De fait, le Mexique signa de nombreux accords
commerciaux avec notamment le Japon et l’Union Européenne. Cette question de l’accès
au marché était même alors affirmée comme l’un des objectifs principaux de la proposition
par le Mexique de créer un accord de libre-échange nord américain.
Une garantie de la pérennité des réformes entreprises
Comme nous l’avons expliqué précédemment, le Mexique a tenté dans un premier
temps de signer des accords bilatéraux de commerce. Des effets ont été notés dans la
progression des exportations mexicaine consécutivement à la conclusion de ces accords.
Cependant, ces accords n’ont pas été satisfaisants en termes de flux d’investissements
étrangers. Pour le gouvernement mexicain, la cause principale était le manque de confiance
des investisseurs qui perdurait, du fait du mauvais management économique du pays entre
1970 et 1982, et des crises successives subies par le pays. Or, « la principale tâche
des économistes et des politiciens mexicains dans les années 1990 a été de promouvoir
l’investissement direct étranger au Mexique et le rapatriement des capitaux pour aider
à financer la restructuration et la croissance de l’économie mexicaine ». Le flux d’IDE
est en effet, dans le nouveau modèle de développement adopté par le Mexique, l’acteur
27
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
principal du financement et de la modernisation de l’économie à partir des années 1980.
Bien que ses membres aient montré un engagement ouvert dans la promotion des IDE, « le
gouvernement du Mexique était désormais obligé de garantir que les réformes économiques
allaient continuer » à la fin de son mandat.
Afin de donner cette garantie aux investisseurs étrangers de la pérennité de la
politique de libéralisation, le gouvernement du Mexique a proposé à son premier partenaire
commercial de conclure un accord de libre-échange. Selon nous, la conclusion d’un tel
accord permet de délivrer un message clair aux investisseurs étrangers et de créer un
climat de confiance dans la mesure où il est peu réversible. En effet, la conclusion d’un
traité international atteste de l’abandon volontaire par l’Etat de la possibilité de changer
radicalement sa politique commerciale. De plus, il nous semble que signer cet accord
avec la première puissance mondiale –et accessoirement un ennemi historique-- constituait
là encore un geste fort attestant de la non-réversibilité du tournant libéral pris dans les
années 1980. Nous pensons donc que la conclusion de l’ALENA portait en fait avant
tout sur l’attraction des investissements étrangers, et que sa portée allait au-delà de
l’IDE proprement américain. C’est avec cet objectif majeur en tête que les négociateurs
mexicains, peu habitués aux négociations commerciales, ont commencé les négociations
du traité avec leurs partenaires américains et canadiens le 12 juin 1991 à Toronto.
b) Négociation du chapitre 11
L’accord de libre-échange nord américain (ALENA) n’est pas un accord bilatéral
d’investissement, sa portée est donc beaucoup plus large que la question des flux de
capitaux. Lors des négociations, de très nombreux sujets ont été abordés pour arriver
à ce traité de vingt chapitres. Le chapitre 11 portant sur l’investissement n’a donc été
qu’un thème parmi d’autres qui soulevaient parfois de nombreux problèmes et des débats
importants dans les trois pays. Nous allons tenter de voir si le thème de l’investissement
était aussi central dans les objectifs des autres Parties à l’accord que pour les Mexicains,
avant d’étudier les débats ayant eu lieu lors de la négociation du chapitre 11.
Les buts des autres Parties
Les Etats-Unis et le Canada avaient eux-mêmes des buts assez différents dans la
conclusion de cet accord de libre-échange. Pour les Etats-Unis, le but était triple. D’abord,
cet accord leur permettait d’étendre leur logique classique de « protection contre la
protection » aux marchés émergents. Rappelons en effet que les négociations au GATT
n’avaient pas apporté satisfaction aux Etats-Unis et semblaient bloquées. L’acceptation
de la proposition mexicaine amorçait l’ouverture américaine aux marchés émergents,
en particulier latino-américains –puisque l’ALENA a aujourd’hui vocation à s’étendre
à l’ensemble du continent à travers la négociation d’une Zone de Libre-Echange des
Amériques (ZLEA). Ensuite, les Etats-Unis voient le développement de leur voisin comme
le seul facteur important de canalisation des flux migratoires en direction de son territoire,
dont on rappelle que cela est devenu une question politique de premier rang aux Etats-Unis
dans le courrant des années 1990. Enfin, les Etats-Unis cherchaient également à protéger
leurs investissements directs au Mexique, et de les étendre. En effet, les IDE américains au
Mexique étaient déjà non négligeables (les Etats-Unis sont alors déjà le premier pourvoyeur
d’IDE au Mexique) avec le programme des Maquiladoras. De plus, le coût de la main
d’œuvre peu élevé et la proximité géographique étaient des facteurs d’implantation que
seul le manque de protection pouvait freiner à leurs yeux. On rappelle en effet que la main
d’œuvre était alors six fois moindre au Mexique qu’aux Etats-Unis, et onze fois moindre
dans les Maquiladoras. La question de savoir si les deux derniers objectifs sont compatibles
28
Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
se pose, mais elle n’est pas notre propos ici, et les négociateurs américains avaient dans
l’idée qu’ils l’étaient.
Les Canadiens quant à eux avaient des objectifs assez différents dans la conclusion de
cet accord. D’une part, ils bénéficiaient déjà d’un accord de libre-échange avec les EtatsUnis et d’autre part, leurs échanges avec le Mexique étaient alors négligeables. Cependant,
le Canada a tenu à se joindre au processus de l’ALENA afin de ne pas se faire évincer à la
fois de l’accès au marché américain et du processus d’ouverture aux marchés émergents,
plus ou moins amorcé par l’ensemble des pays industrialisés à l’époque. Il n’y a pas ou
peu pour le Canada de pression de la part des milieux de l’entreprise pour s’assurer un
débouché en toute sécurité de leurs investissements au Mexique.
Nous estimons donc que les trois groupes de négociateurs arrivaient déjà avec des
buts qui, s’ils ne s’opposaient pas forcément, divergeaient. Nous voyons également que
les investissements apparaissaient dès avant les négociations comme un thème majeur de
l’accord, cependant cela ne signifie pas que les négociations devaient être difficiles dans
la mesure où les buts des Etats-Unis et du Mexique n’étaient pas incompatibles en cette
matière.
Le déroulement des négociations concernant le chapitre 11
Lorsque l’on s’intéresse au processus de négociation du chapitre 11 de l’ALENA, on
est frappé par une chose étonnante. Les questions sur lesquelles la négociation a été
le plus tendues entre les trois pays ne sont pas les questions qui ont fait le plus débat
dans la presse. En effet, la stratégie mexicaine s’est basée sur l’obtention d’exclusions
ou d’avantages séparés par rapport au régime général de protection des investissements
pour certains secteurs d’activité qu’il jugeait stratégiques ou sensibles. Cette stratégie s’est
heurtée à la stratégie américaine visant l’ouverture maximale de l’économie mexicaine aux
investisseurs américains. Les deux groupes de négociateurs se sont donc principalement
affrontés sur le champ des domaines économiques à exclure du régime de protection. En
revanche, les oppositions ont été largement moindres concernant la procédure de règlement
des différends entre Etat et investisseurs étrangers lors des négociations. Pourtant, c’est
une des questions qui a été débattue avec le plus de passion dans la presse des trois pays
et même au niveau international. Les partisans du traité en ont fait l’avant-garde d’un droit
des investissements répondant aux exigences des investisseurs qui avait été abandonné
suite à l’échec de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI). Les opposants au traité y
voyaient au contraire l’avènement de la perte totale de souveraineté des Etats. Aux EtatsUnis, les syndicats de travailleurs et les ONG environnementales ont beaucoup critiqués
les conséquences possibles de la procédure. Au Canada, ce sont également du côté des
ONG environnementales et de protection des droits humains que les critiques fusent, mais
également au sein des milieux universitaires. Au Mexique, ce sont d’une part le même type
d’ONG, et d’autre part les tenant du nationalisme mexicain et de la doctrine développée par
Calvo qui se sont opposés violemment à la mise en place de cette procédure de règlement
des différends dans la presse.
Ce décalage entre les questions sur lesquelles se sont cristallisés les débats au sein
des négociateurs d’une part et au sein de la société civile d’autre part, explique que la
littérature provenant des négociateurs eux-mêmes se centre surtout sur la question des
annexes 1, 2 et 3 au chapitre 11, contenant les limitations et exclusions. Concernant le
Mexique, elles sont de deux types : il y a les industries jugées sensibles pour lesquelles
le Mexique a obtenu une période transition pendant laquelle les investissements directs
sont toujours interdits ou limités jusqu’à une date donnée, et il y a les secteurs jugés
stratégiques pour lesquels le Mexique a obtenu une exclusion totale de la participation
29
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
étrangère. Ces secteurs stratégiques sont les mêmes que ceux inclus dans la lois de
régulation des investissements de 1993, ils comprennent le secteur pétrolier, l’électricité, les
secteurs ayant trait à la communication, il n’est pas prévu de transition, ces domaines sont
réservés à l’Etat mexicain par la Constitution de 1917. La plupart des périodes de transitions
sont aujourd’hui terminées, dans la mesure où elles s’étendaient généralement sur dix ans.
En dehors de ces réserves, qui sont tout de même importantes, à notre sens les
négociateurs mexicains n’ont fait que très peu d’opposition au régime de protection des
investissements étrangers très avantageux proposé principalement par les Etats-Unis, qui
y ont inclus (d’après nous) la majorité des avancées qu’ils désiraient inclure au sein de
l’AMI. Ainsi, pour les Mexicains, le but était d’attirer au maximum les investisseurs étrangers,
dont le flux principal provient des Etats-Unis, en leur attribuant un régime de protection très
avantageux. Le gouvernement ne se sentait pas menacé par ce régime dans la mesure
où il en avait exclu les secteurs stratégiques, et que cela correspondait à sa stratégie de
développement.
Durant toutes les négociations, les négociateurs mexicains ont eu une méthode qui
consistait à en démontrer l’asymétrie. En effet, le but était de faire accepter aux deux
autres groupes l’asymétrie dans la position du Mexique par rapport à eux, dans la mesure
où le Mexique est un pays en développement. Si l’on analyse de manière globale les
négociations, on peut considérer que cette méthode a plutôt bien fonctionné. Cependant,
on peut aussi voir que le Mexique l’a peu utilisé pour ce qui concerne le chapitre sur les
investissements, et que s’il l’a fait c’était pour obtenir une période de transition pour ses
industries sensibles uniquement. Le Mexique a abandonné une pratique courante des pays
en développement durant la période 1945-1970 qui consistait à ne soumettre les litiges
concernant les investissements qu’aux juridictions de leur Etat (doctrine dite de Calvo,
expliquée dans la section A). Cette pratique découlait de l’idée selon laquelle un pays
en développement sera toujours défavorisé par un tribunal étranger ou international qui
défend les intérêts des pays industrialisés, et donc de l’investisseur. Cet argument n’a même
pas été soulevé par les négociateurs mexicains. Selon nous, c’est certainement parce
que les négociateurs ne percevaient pas les dangers potentiels d’une telle procédure. Ils
devaient penser qu’ayant exclu explicitement les domaines réservés contrôlés par l’Etat, ce
dernier n’interfèrerait pas avec les autres domaines, et que par conséquent, les risques de
poursuites contre lui par des investisseurs étrangers étaient minimes.
Il nous semble donc que, tant à travers les buts du gouvernement mexicain lors de sa
proposition de création d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, qu’à travers les
objectifs affirmés des négociateurs, que l’attraction des investissements est un des éléments
majeurs de cet accord pour le Mexique. Elle constitue une nécessité afin que le nouveau
modèle de développement mis en place dans les années 1980 fonctionne. Aussi cet accord
scelle t-il, par la protection importante qu’il accorde à l’investisseur et que nous étudierons
par la suite, la politique de libéralisation.
Conclusion de la première partie
Nous avons montré comment le Mexique était passé en l’espace de deux décennies d’un
modèle de développement à un autre. Autre fois centré sur le marché intérieur, l’ancien
modèle n’a pas résisté à la crise qui frappe le Mexique à partir du milieu des années 1970 et
a dû laisser la place à un nouveau modèle, centré sur l’insertion sur le marché mondial. Ce
30
Première partie :Le chapitre 11 de l’ALENA : un outil du nouveau modèle de développement
mexicain
changement total de modèle a procédé d’un tournant politique opéré à partir de l’arrivée au
pouvoir du président de la Madrid, qui aura une portée bien plus large pour le pays que sa
dimension économique. Ce tournant politique des années 1980 procède selon nous d’une
double cause : la crise interne et le contexte international. Il en résulte un processus de
changement à la fois exogène, puisque allant dans le sens des volontés des institutions
internationales et des pays de la triade, et endogène, puisque correspondant à une nouvelle
idéologie développée par une élite mexicaine renouvelée.
Le gouvernement mexicain se rend rapidement compte que ce nouveau modèle de
développement suppose une interdépendance forte avec les pays industrialisés tant au
regard des débouchés que du financement de la croissance. En effet, ils sont à la fois les
principaux demandeurs des produits exportés par le Mexique, et la source majeure des
investissements directs sur son territoire. Le nouveau modèle basé sur la croissance par
les exportations et la compétitivité apportée par les investissements directs ne peut assurer
croissance et stabilité au Mexique que dans la mesure où celui-ci s’assure la pérennité des
flux de sortie des biens et d’entrée des capitaux. A notre sens, c’est dans ce but qu’il lui
fallait à la fois sceller des accords commerciaux avec les grands marchés de consommation
pour garantir la stabilité de la demande pour les biens qu’il produit, et instaurer un climat de
confiance pour attirer les investisseurs étrangers.
Les nouvelles exigences du modèle exportateur ont donc poussé, selon nous, le
gouvernement mexicain à proposer aux Etats-Unis la conclusion d’un accord de libreéchange. C’était à la fois un moyen de garantir l’accès au marché et d’assurer aux
investisseurs que la politique de libéralisation engagée dans les années 1980 ne serait pas
réversible. Les négociateurs mexicains, bien que peu expérimentés, arrivèrent à atteindre
ces deux objectifs dans la rédaction du traité. La question que nous posons aujourd’hui,
après plus de dix ans d’ALENA, est de savoir si ce texte, et plus particulièrement le chapitre
11 qui porte sur les investissements, a effectivement servi la politique d’attractivité lancée
par le gouvernement mexicain dont il était l’instrument principal.
31
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de
l’ALENA : un outil de développement
attractif mais incomplet
Nous avons montré dans la première partie que la libéralisation économique et l’ouverture
internationale du Mexique depuis les années 1980 procède d’une nouvelle stratégie de
développement. Après plus de dix ans d’ALENA –l’une des dernières étapes de la mise en
place du nouveau cadre économique-- il nous semble nécessaire de confronter les résultats
de cette stratégie avec les buts de départ que nous avons dégagé dans la première partie.
Nous allons donc essayer de voir dans cette seconde partie en quoi le chapitre 11 de
l’ALENA est effectivement un facteur de l’amélioration de l’attractivité du territoire mexicain
(section I). Il est nécessaire d’examiner le contenu dudit chapitre afin de voir à qui il
s’applique et la nature de la protection qu’il offre. Ces éléments nous permettrons d’affirmer
que le chapitre 11 nous semble être un bon outil d’attraction juridique des IDE, affirmation
que nous essayerons d’illustrer par des données chiffrées.
Nous tenterons ensuite de voir si le fait que l’ALENA puisse être un facteur d’attractivité
pour le territoire mexicain suffit à en faire un outil de développement complet (section II). La
question qui se pose est d’abord de savoir si l’attractivité juridique apportée par le texte est
adaptée aux besoins des investisseurs et suffisante pour les faire s’implanter sur le territoire
mexicain. Ensuite, nous nous demanderons si l’ensemble des dispositions du texte va bien
dans le sens d’un accroissement de l’attractivité, pour finalement essayer de voir quelles
sont les possibilités d’amélioration du cadre juridique actuel.
Section I : Un outil de développement attractif pour les
IDE
L’Etat mexicain avait pour but premier l’attraction des IDE américains lors de l’adoption de
l’ALENA, comme nous l’avons démontré dans la première partie. L’accord, et en particulier
le chapitre 11 portant sur l’investissement, a donc été négocié dans cette perspective.
Nous allons voir par quels mécanismes juridiques le traité offre selon nous une protection
étendue et une liberté nouvelle aux investisseurs de la région, qui a des effets positifs
sur le flux d’IDE en direction du Mexique. Il nous semble nécessaire d’étudier le champ
d’application dudit chapitre 11, afin de distinguer les acteurs dont il vise la protection (I.1).
Nous expliquerons ensuite l’étendue de la protection que le texte offre à ces mêmes
acteurs (I.2), pour finalement essayer de voir si ces garanties ont produit l’effet souhaité sur
l’économie mexicaine (I.3).
I.1. Le champ d’application du Chapitre 11
32
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
Le chapitre 11 de l’ALENA accorde selon nous une protection maximale aux investisseurs,
dans la mesure où son champ d’application est très étendu. Les définitions qu’il donne des
termes « investisseur » et « investissement » nous apparaissent très larges. La question de
la définition de ces termes dans le traité est très importante puisque c’est elle qui conditionne
l’étendu de la protection. Nous allons donc étudier successivement ces deux définitions.
a) Le champ d’application rationae personae
Le champ d’application rationae personae repose sur la définition donnée à l’article 1139
de la notion d’investisseur. Plus précisément, le texte donne la définition suivante :
« Investisseur d’une Partie désigne une Partie ou une entreprise d’Etat de cette Partie,
ou un ressortissant ou une entreprise de cette Partie, qui cherche à effectuer, effectue ou
a effectué un investissement ».
La définition comprend donc aussi bien les personnes morales que les personnes
physiques. Les personnes comme les entreprises peuvent se prévaloir de cette protection.
De nombreux auteurs ont noté le fait que l’ALENA allait plus loin que les traités précédents
dans la définition qu’il donnait de l’investisseur. En effet, on note que cette disposition du
texte a pour originalité d’ouvrir la protection « non seulement aux sociétés incorporées ou
domiciliées dans les pays de la zone de libre-échange mais aussi aux sociétés étrangères
dont les propriétaires sont citoyens des Etats membres de l’ALENA ». Symétriquement, des
ressortissants étrangers aux Etats Parties à l’accord mais ayant une entreprise établie sur
le territoire d’un de ces Etat bénéficie également de la protection accordée par le chapitre 11
s’ils veulent investir dans une autre Partie. Selon nous, le texte vise là encore la protection
la plus large possible des intérêts privés dans les pays membres. Cela devait permettre un
effet maximal de l’accord sur les flux d’investissements étrangers au Mexique, y compris
d’IDE en provenance de pays étrangers à l’accord. En effet, les étrangers seraient amenés
à établir des entreprises sur le territoire d’un des Etats Partie afin de bénéficier de ladite
protection.
L’approche est également très novatrice du fait de l’ouverture de la protection aux
investisseurs potentiels – « qui cherchent à effectuer (…) un investissement ». L’Etat
d’accueil a donc des obligations envers l’ensemble des investisseurs potentiels, de ceux
qui souhaiteraient investir sur son territoire. L’investisseur n’a donc pas besoin d’effectuer
l’investissement, il est protégé dès le moment où il « cherche » à l’effectuer.
Selon nous, le traité vise la protection la plus étendue possible des investisseurs, en
adoptant une définition large qui accorde la protection du traité à des personnes dans
des situations extrêmement diverses. En revanche, la protection n’est pas étendue aux
nationaux de l’Etat hôte de l’investissement. Bien que courante dans ce type d’accord,
cette dernière pratique est une de celle qui nous fait dire que le Mexique a définitivement
renoncé à la doctrine de Calvo. Cela atteste, selon nous, du fait que le nouveau modèle de
développement est entièrement tourné vers les IDE, au détriment de l’investissement local
dans le sens où l’Etat mexicain n’entend pas particulièrement le promouvoir.
Hormis les investisseurs locaux, presque toutes les opérations de participation à
l’activité financière ou productive du Mexique de la part d’une personne ou d’une société
d’une autre Partie constituent un investissement. Nous émettons des doutes sur la nécessité
d’adopter une définition aussi large d’ « investisseur ». En effet, il nous semble qu’une
définition plus restrictive n’aurait pas porté atteinte aux IDE que les Mexique souhaite attirer
afin de promouvoir son développement. Nous allons voir à présent l’étendue des garanties
offertes à ces nombreuses catégories d’investisseurs par le traité.
33
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
b) Le champ d’application rationae materiae
Le champ d’application rationae materiae du chapitre 11 de l’ALENA recouvre un très grand
nombre de situations car la définition qu’il donne de la notion d’investissement est très
large. C’est une des dispositions du traité à laquelle la communauté internationale a accordé
beaucoup d’intérêt. En effet, c’est une question importante en droit international car la notion
d’investissement n’est pas facile à saisir puisqu’elle ne connaît pas de définition unique.
La notion d’investissement est floue et fluctuante selon les différentes sources juridiques
auxquelles on s’intéresse. Cela s’explique par le fait qu’elle soit récente et qu’elle tente
de recouvrir de façon juridique une notion économique en mutation constante du fait à
la fois de l’évolution du progrès technique et de l’adaptation de la stratégie des firmes à
ces transformations. Il existe donc plusieurs définitions de l’investissement, que l’on peut
regrouper en quatre catégories selon la classification de Sébastien Manciaux, la définition
peut ainsi être énuméraire, synthétique, indirecte ou partielle. La définition choisie dans
l’article 1139 du chapitre 11 de l’ALENA est de type énuméraire –la plus courante :
« Investissement désigne :
a) une entreprise ;
b) un titre de participation d’une entreprise ;
c) un titre de créance d’une entreprise (i) lorsque l’entreprise est une société affiliée de
l’investisseur, ou (ii) lorsque l’échéance originelle du titre de créance est d’au moins trois
ans, mais n’englobe pas un titre de créance, quelle que soit l’échéance originelle, d’une
entreprise d’Etat ;
d) d’un prêt à une entreprise (i) lorsque l’entreprise est une société affiliée à
l’investisseur, ou (ii) lorsque l’échéance originelle du prêt est d’au moins trois ans, mais
n’englobe pas un prêt, quelle que soit l’échéance originelle, d’une entreprise d’Etat ;
e) un avoir dans une entreprise qui donne au titulaire le droit de participer aux revenus
ou aux bénéfices de l’entreprise ;
f) un avoir dans une entreprise qui donne au titulaire le droit de recevoir une part des
actifs de cette entreprise au moment de la dissolution, autre qu’un titre de créance ou qu’un
prêt exclu de l’alinéa c) ou d) ;
g) les biens immobiliers ou autres biens corporels et incorporels acquis ou utilisés dans
le dessein de réaliser un bénéfice économique ou à d’autres fins commerciales ;
h) les intérêts découlant de l’engagement de capitaux ou d’autres ressources sur le
territoire d’une Partie pour une activité économique exercée sur ce territoire, par exemple
en raison : (i) de contrats qui supposent la présence de biens de l’investisseurs sur le
territoire de la Partie, notamment des contrats clé en main, des contrats de construction
ou de concession, ou (ii) de contrats dont la rémunération dépend en grande partie de la
production, du chiffre d’affaire ou des bénéfices d’une entreprise ;
mais ne désigne pas :
i) les créances découlant uniquement : (i) de contrats commerciaux pour la vente de
produits ou de services par un ressortissant ou une entreprise sur le territoire d’une Partie
à une entreprise située sur le territoire d’une autre Partie, ou (ii) de l’octroi de crédits pour
une opération commerciale, telle que le financement commercial, autre qu’un prêt visé à
l’alinéa d) ; ou
34
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
j) toute autre créance, qui ne suppose pas le versement des intérêts visés aux alinéas
a) à h) ».
Comme l’explique Sébastien Manciaux, cette définition « se présente sous la forme
d’une liste non-exhaustive » (page 54) plus que d’une définition, ce qui la rapprocherait plus
de la protection des biens que de celle des investissements. Mais cela a été évité car « les
biens meubles et immeubles ne sont pris en compte que s’ils ont une finalité économique ou
commerciale » et « un certain nombre de créances sont exclues » (page 56). Il s’agit donc
bien de protection des investissements et non des biens étrangers. Cependant, il n’en reste
pas moins que nous n’obtenons pas à proprement parler une définition de l’investissement
mais plutôt une énumération des formes qu’il peut prendre. On distingue cependant les
éléments d’identification classiques et communs à nombre de traités : il est nécessaire
qu’il y ait un apport (en capital, en bien ou en industrie pour le cas de l’ALENA), dont la
finalité soit d’ordre économique et qui donne lieu à la création d’un lien durable (puisque,
comme on l’a vu, les créances à court terme sont exclues de la définition). On note que
la définition n’intègre pas le critère de l’influence réelle sur la gestion de l’entreprise ainsi
investie, ce qui signifie que tous les investissements sont protégés, et pas seulement les
investissements directs qui étaient ceux visés par le gouvernement mexicain lors de la
signature de l’accord. Cette définition se rapproche de celles employées dans les Traités
Bilatéraux d’Investissement (TBI) signés par les pays d’Amérique du Nord et d’Europe de
l’Ouest . Cependant, la non intégration du critère de l’influence réelle sur la gestion de
l’entreprise le distingue des modèles de TBI diffusés par la France ou le Japon qui requièrent
cette dimension pour être considéré comme un investisseur. Cette définition extensive se
rapproche en revanche beaucoup de celle qui était envisagée dans le projet d’AMI.
Il ressort donc de notre analyse que le champ d’application du chapitre 11 est très large
tant par les personnes que par les situations pour lesquels il entend offrir une protection. Le
fait que la portée du texte aille largement au-delà de la protection des simples IDE témoigne
selon nous de la domination des Etats-Unis sur cette question. A notre sens, le Mexique
s’est focalisé sur l’obtention de délais de réduction des barrières tarifaires et de domaines
exclus du traité, mais n’a peut être pas mesuré l’étendue du chapitre 11. Les négociateurs
mexicains ont dû être amenés à faire des concessions dans la détermination de la portée
du chapitre 11 afin de pouvoir obtenir les avantages précités par ailleurs. Cela explique que
le texte aille au-delà des besoins du Mexique en termes d’attraction des IDE. Nous allons
étudier dans la seconde sous-partie la nature exacte de cette protection qui s’applique de
façon si large.
I.2. Les garanties faites à l’investisseur
Les garanties faites à l’investisseur sont nombreuses. Elles incluent des dispositions
standards, concrétisées auparavant dans de nombreux traités bilatéraux d’investissements,
ou même, pour ce qui nous concerne, dans la loi mexicaine sur les investissements
internationaux de 1993. Mais elles incluent également des dispositions relativement
novatrices par rapport au droit des investissements précédant cet accord, ce qui devait jouer
en la faveur du Mexique pour attirer les investisseurs étrangers. Ainsi, dans sa partie A,
le chapitre 11 définit les obligations de l’Etat ayant trait au traitement de l’investisseur (a),
avant d’exposer dans sa partie B les recours en cas de litige entre l’investisseur et l’Etat
d’accueil de l’investissement (b).
a) Les obligations de l’Etat quant au traitement de l’investisseur
35
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Le chapitre 11 de l’ALENA est assez original dans la mesure où il contient des dispositions
sur les obligations positives de l’Etat d’accueil envers l’investisseur, mais créé également
des obligations négatives pour celui-ci.
Les articles 1102, 1103, 1105 et 1109 définissent les obligations positives de l’Etat
d’accueil envers les investisseurs. L’article 1102 accorde à l’investisseur étranger le
traitement national, c’est-à-dire que l’Etat d’accueil doit lui accorder un traitement au moins
égal à celui qu’il accorde à ses propres investisseurs et à leurs investissements dans
des conditions similaires. Le débat traditionnel entre Nord et Sud sur les modalités de
l’application de ce principe suivant la situation d’inégalité de fait entre ces deux types
d’investisseurs n’a plus lieu d’être ici. L’article se comprend comme assurant les mêmes
avantages et la même protection juridique aux investisseurs nationaux et étrangers sans
considération pour leurs inégalités de fait, ce qui là encore constitue selon nous un signe fort
de changement d’attitude envoyé aux investisseurs de la part du Mexique. Par cet article,
le Mexique abandonne définitivement la possibilité d’engager une politique économique
basée sur l’argument de l’industrie dans l’enfance devant se développer dans une structure
protégée, bénéficiant ainsi d’avantages visant à compenser les inégalités de fait avec les
entreprises émanant de la compétition internationale. Le but est d’arriver à l’égalisation
formelle des conditions de concurrence, ce qui est une véritable rupture avec le régime qui
prévalait précédemment. Le traitement national concerne un grand nombre d’opérations et
d’activités économiques : « l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la gestion, la direction,
l’exploitation et la vente ou autre aliénation d’investissement ». Certaines de ces opérations
n’ont une définition juridique que très vague et qui nous semble extensible.
A notre sens, une grande marge d’interprétation est laissée à l’arbitre, à la fois par cette
clause mais aussi par les articles que nous allons expliquer par la suite. Ainsi, dans l’affaire
Marvin Roy Felman Karpa c. Mexique, la violation de l’article 1102 de l’ALENA a été retenu.
Dans cette affaire, le plaignant possédait une compagnie de distribution de cigarettes et
demandait à bénéficier d’une réduction frauduleuse d’impôts dont bénéficiaient trois de ses
concurrents mexicains. Aucune des quatre entreprises ne remplissait les conditions pour
une telle exemption fiscale, mais Marvin Roy estimait que c’était une violation du traitement
national. Les arbitres se sont prononcés en sa faveur, et le gouvernement mexicain a dû lui
payer une compensation égale à l’exemption fiscale à laquelle il n’avait pas droit. On peut
considérer que cet arrêt est juste car il favorise finalement l’assainissement des pratiques de
l’Etat et décourage la corruption. Cependant, nous nous permettons de noter que dans ce
cas, aucune réparation n’a dû être réalisée par les auteurs de cette exemption frauduleuse
d’impôts. C’est même le contraire, ce qui a beaucoup choqué l’opinion mexicaine. Car en fin
de compte, c’est la population mexicaine qui paye, et les coupables restent impunis. Nous
voyons bien ici les enjeux spécifiques pour un pays en développement dont les ressources
fiscales sont déjà très limitées. La portée de cet article 1102 n’est limitée que par les réserves
faites par le Mexique en annexe de ce chapitre, comme nous l’avons vu précédemment
dans la première partie.
L’article 1103 porte sur la clause de la nation la plus favorisée. De cette façon,
les Etats s’engagent à bénéficier mutuellement de tout avantage supplémentaire qu’ils
viendraient à octroyer ultérieurement à des pays tiers. Autrement dit, si le Mexique signe
un autre traité incluant des dispositions concernant l’investissement plus favorables que
celles inclues au chapitre 11 de l’ALENA, il devra en faire bénéficier également les
investisseurs ressortissants des pays membres de l’ALENA. Cette clause s’applique de
manière inconditionnelle, et porte sur des avantages provenant de sources conventionnelles
36
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
ou non, sans distinction. C’est une clause désormais extrêmement répandue dans les
accords sur les investissements ou sur les tarifs douaniers.
L’article 1105 garantit un traitement juste et équitable à l’investisseur ainsi que la pleine
et entière sécurité. Le traitement juste et équitable est une référence au droit international, il
définirait un standard international minimum de traitement qui viendrait corriger le traitement
national. C’est-à-dire que le traitement national accordé à l’investisseur étranger ne peut
être en-deça du principe de justice défini dans les diverses sources du droit international
qui est tempéré par le principe d’équité entre les intérêts des différents acteurs en cause.
La protection accordée à l’investisseur doit être conforme au droit international, mais n’est
a priori pas supérieure à celle accordée par le droit international coutumier. La pleine
et entière sécurité postule que les décisions et mesures prises par l’Etat qui porteraient
atteinte à l’investissement étranger ne doivent être « ni discriminatoires ni confiscatoires »,
il s’agit donc plus d’une « obligation de moyens » pour que la protection s’applique en droit
mais aussi en fait. Cela signifie que « la licéité conventionnelle des mesures concernant
l’investissement s’apprécie en fonction de leur conformité au principe du traitement juste
et équitable, et non en fonction de leur conformité au principe du traitement national ».
Cela constitue selon nous un changement majeur dans l’attitude du Mexique face aux
investisseurs internationaux qui devrait avoir des conséquences sur l’attraction des IDE,
comme nous le verrons par la suite. C’est dans ce sens que nous avons affirmé plus haut
que le Mexique avait renoncé implicitement à son adhésion à la doctrine de Calvo qui
postule que les investisseurs étrangers ne peuvent pas obtenir un traitement plus favorable
que celui accordé aux investisseurs nationaux. Cela est désormais possible, puisque la
protection accordée par le droit international peut être supérieure au traitement national.
L’adhésion du Mexique à cette nouvelle conception, qui correspond plutôt à une tradition
juridique anglo-saxonne, s’explique largement selon nous par le fait que les investisseurs
nationaux représentent un volume et un potentiel d’investissement bien plus faible que
les investisseurs internationaux. Là encore, nous estimons que l’étendue de la protection
témoigne bien d’une politique de développement tournée entièrement vers l’investissement
extérieur, l’article 1109 en est d’ailleurs une autre preuve.
L’article 1109 porte sur les transferts et fait naître pour l’Etat hôte l’obligation de
faire en sorte que tout transfert puisse être effectué par un investisseur « librement et
sans retard ». Nous avons vu dans la première partie que les transferts internationaux
concernant les investissements étaient parfois limités par les Etats en développement, pour
des questions d’équilibre monétaire ou pour essayer de favoriser le réinvestissement local.
Ces mesures sont désormais proscrites par l’article 1109 de l’ALENA. Les investisseurs
sont libres de rapatrier intégralement leurs bénéfices. A notre sens, cela comporte des
effets potentiellement négatifs pour le développement (nous avons vu dans la première
partie les risques et le manque à gagner pour l’économie locale, puisque c’est une sorte
de fuite de la valeur ajoutée). Cependant, cet article peut également jouer comme étant un
facteur d’attractivité pour les investisseurs étrangers, ce qui pourrait compenser ses effets
négatifs potentiels. De plus, si la stratégie mise en place par le Mexique fonctionne bien, les
investisseurs pourraient décider de réinvestir leurs bénéfices sur le territoire, même s’ils n’y
sont pas obligés. Selon nous, les effets de cet article peuvent donc être doubles, et seule
la pratique sur le long terme pourra déterminer si le positif l’emporte sur le négatif dans le
cas du Mexique.
Le chapitre 11 de l’ALENA contient également des obligations négatives pour les Etats
d’accueil dans ses articles 1106 et 1110. L’article 1106 prohibe explicitement les obligations
de résultats imposés aux investisseurs. L’insertion de cet article vise principalement le
37
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Mexique qui faisait usage de ces obligations auxquelles il subordonnait soit l’autorisation
d’investir soit l’attribution de certains avantages aux investisseurs. Cette obligation négative,
rédigée de façon particulièrement détaillée, va plus loin que les règles de l’OMC en la
matière. Pour nous, il constitue à la fois un message clair de changement de politique du
Gouvernement mexicain vers des investisseurs internationaux qui seraient encore hésitants
à investir, mais également une limite importante dans les moyens dont dispose l’Etat pour
obtenir des engagements définis de la part d’un investisseur. Des questions d’interprétation
se posent de nouveau avec cet article dont les termes sont encore assez vagues à notre
sens. La question est de savoir si seules les obligations de résultat affirmées en tant que
telles par l’Etat sont incluses, ou bien également toute mesure qui serait assimilable de facto
à une telle obligation de par ses effets. La jurisprudence en la matière ne nous permet pas
encore de trancher cette question.
L’article 1110 porte sur l’expropriation, et stipule qu’il est interdit à l’Etat d’accueil
d’exproprier directement ou indirectement l’investisseur international sans compensation. Il
lui est possible d’exproprier légalement, à condition que ce soit pour une raison d’intérêt
public, sur une base non-discriminatoire et en respectant les principes de l’article 1105.
Cependant, même si l’expropriation est légale, l’indemnisation de l’investisseur doit se faire
sans délais et « équivaloir à la juste valeur marchande de l’investissement exproprié ». Nous
estimons que là encore les dispositions laissent un large champ à l’interprétation arbitrale.
En particulier, la notion d’expropriation indirecte et la détermination de la « juste valeur
marchande » de l’investissement effectué sont floues. L’ALENA n’est pas le premier accord
commercial à mentionner l’expropriation indirecte, un certain nombre de traités bilatéraux
d’investissement le font. L’article 1110 mentionne les « mesures d’effet équivalent » à une
expropriation, mais n’en donne pas de définition. C’est au tribunal arbitral d’interpréter
cette disposition. Il peut en donner une interprétation restrictive ou extensive. Dans ce
dernier cas, la qualification d’expropriation pourrait être donnée à toute mesure qui interfère
de manière substantielle avec l’usage de sa propriété par l’investisseur. Même dans une
interprétation minimale de l’article, la protection accordée à l’investisseur reste, selon nous,
assez étendue ; en tous les cas, suffisamment étendue pour permettre de réduire de
beaucoup le risque lié à l’investissement –dans la mesure où, même si l’expropriation
est légale ou indirecte, l’investisseur est dédommagé. Nous étudierons plus longuement
l’interprétation de cet article par les arbitres, ainsi que ses conséquences possibles pour le
Mexique, dans la section B. Nous retenons déjà cependant que la protection, quelle que
soit son interprétation, nous semble déjà en mesure d’attirer les investisseurs.
Les investisseurs, eux, ont pour devoir de respecter le droit de l’Etat d’accueil. L’ALENA
comporte également deux accords complémentaires sur l’environnement et sur la protection
des travailleurs, qui pourtant ne constituent pas réellement un corps de règles que les
investisseurs devraient respecter. En effet, la portée de ces accords est restreinte à la fois
par la faible étendue de la protection qu’ils assurent et par le manque de pouvoir accordé
aux institutions censées garantir leur application. Nous reviendrons sur ce thème, mais il
nous semble, et de nombreux travaux sur le sujet viennent corroborer cette conception,
que ces deux accords reflètent là encore le déséquilibre entre droit des investissements et
droits humains.
Il nous semble donc, après examen de la partie A du chapitre 11, que les investisseurs
bénéficient d’une protection très large dans l’ensemble de leurs actions. Il nous semble
également que cette protection va plus loin que ce qui était strictement nécessaire pour
attirer les IDE au Mexique, dans la mesure où elle couvre également d’autres types
d’investissements. En outre, nous notons le flou qui entoure la plupart des articles, laissant
38
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
ainsi une place centrale à leur interprétation par les arbitres. En cas de non-respect par l’Etat
d’accueil de l’une ou plusieurs des obligations ci-dessus, l’investisseur peut avoir recours à
une procédure d’arbitrage décrite dans la partie B du chapitre 11.
b) Les recours en cas de litiges avec l’Etat d’accueil
La seconde partie du chapitre 11 de l’ALENA est consacrée à la description de la procédure
de règlement des différends qui pourraient surgir entre Etat et investisseurs étrangers
protégés par le traité. Les litiges opposant un Etat à un investisseur peuvent donc être
soumis à l’arbitrage soit du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs
aux Investissements (CIRDI) soit selon les Règles d’arbitrage établies par la Commission
des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Le Mexique n’étant
pas signataire de la Convention de Washington du 18 mars 1965 instituant le CIRDI, les
différends qui impliquent l’Etat mexicain et un ressortissant américain peuvent être soumis
au mécanisme additionnel du CRIDI seulement (seuls les Etats-Unis sont Partie à cette
convention). Le CIRDI est un tribunal arbitral affilié à la Banque Mondiale et spécialisé dans
le règlement des différends entre Etat et investisseur ressortissant d’un autre Etat. Pour
bénéficier de l’arbitrage du CIRDI il faut soit être signataire de la Convention de Washington
de 1965, soit être ressortissant d’un Etat signataire (et dans ce cas, c’est le mécanisme
supplémentaire qui prend en charge l’arbitrage).
En acceptant cette clause, les Etats signataires de l’ALENA acceptent de se soumettre
au jugement des arbitres internationaux et d’abandonner le règlement des différends par
une procédure interne. En effet, l’investisseur qui s’estime lésé peut saisir le tribunal arbitral
directement, l’épuisement des recours internes n’est pas exigé, contrairement au système
qui prévalait au Mexique auparavant. Le but de cette disposition est de rééquilibrer le rapport
de force en faveur de l’investisseur. L’Etat dispose effectivement du pouvoir normatif sur son
territoire. Dans le cas d’un litige où l’investisseur doit saisir le juge interne, l’Etat se trouve
à la fois juge et partie. C’est pour assurer l’impartialité du règlement du différend que les
procédures d’arbitrage international ont été crées. Au départ, les pays en développement,
et le Mexique au premier rang, refusaient de se soumettre à l’arbitrage international car ils
estimaient qu’il représentait en fait les intérêts des pays occidentaux. Avec la concurrence
internationale entre Etat pour l’attraction des IDE, cette attitude a changé. Là encore, il s’agit
selon nous pour le Mexique d’un geste fort à l’intention des investisseurs et un renoncement
implicite à la doctrine de Calvo, puisque les investisseurs étrangers bénéficient ainsi d’une
procédure de règlement des différends qui n’est pas offerte aux investisseurs nationaux.
Ainsi, le choix de la procédure en cas de survenance d’un litige est scellé par le
traité de l’ALENA lui-même, et il en est de même du droit applicable au fond du litige. En
effet, le texte stipule que le seul droit applicable aux conflits entre Etats et investisseurs
étrangers est le droit international au sein de son article 1131. La solution au litige doit
être tranchée selon les dispositions du traité de l’ALENA conformément aux règles du
droit international en la matière. Le droit interne des Etats membres est ainsi écarté de la
procédure de règlement des différends. La seule limite que l’on peut noter est la possibilité
pour l’Etat d’accueil d’écarter la procédure en se référant aux domaines auxquels le traité
ne s’applique pas figurant dans les annexes. Cette référence unique au droit international
est, pour nous, source d’un déséquilibre profond, dont nous traiterons à la fin de ce travail.
En effet, les investisseurs bénéficient ainsi d’une protection par le droit international, qui
leur est largement favorable, alors que les facteurs de production sur lesquels ils agissent
(les ressources naturelles, la main d’œuvre…) doivent, eux, avoir recours prioritairement
39
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
au droit interne, qui leur est moins favorable que le droit international. Nous ne faisons que
noter ce déséquilibre pour l’instant.
La compétence rationae personae et materiae du tribunal arbitral est délimitée par les
notions d’investisseur et d’investissement que nous avons vues plus haut. Comme nous
l’avons noté, les termes employés dans ces définitions ont une signification juridique pour le
moins vague et, s’ils apparaissent occuper un champ très large, c’est aux arbitres d’apporter
des précisions quant à leurs limites. Le chapitre 11 de l’ALENA précise également le champ
rationae tempori de son application dans ses articles 1119 et 1120. En effet, il faut que
l’investisseur respecte certains délais. Quatre-vingt-dix jours au moins avant le dépôt de
sa plainte, l’investisseur doit notifier son intention de la déposer à l’Etat, ce qui est censé
favoriser une éventuelle situation alternative. Afin d’éviter le dépôt de plainte inconsidéré,
l’investisseur doit ensuite attendre six mois à partir de cette notification pour soumettre sa
plainte à l’arbitrage. Une prescription de trois ans depuis la date de la violation subie existe
également, au-delà de ce délais la plainte de l’investisseur ne sera pas recevable.
Pour engager une telle procédure l’investisseur doit remplir les conditions définies au
sein de l’article 1139. La plainte doit porter sur une violation d’une ou plusieurs dispositions
de la partie A du chapitre 11, et doit avoir engendré une perte ou un dommage pour
l’investisseur étranger. D’autre part, l’article 1118 stipule que « les parties devraient d’abord
s’efforcer de régler une plainte par la consultation et la négociation ». Les auteurs divergent
pour savoir si cela doit être compris comme une obligation de moyens ou bien comme
une simple recommandation. La jurisprudence en la matière nous apprend que les arbitres
ont appliqué cette disposition avec souplesse. Ainsi, le tribunal s’assure qu’une tentative
d’approche a été amorcée par l’investisseur, mais il y accorde peu d’importance.
Ainsi, nous estimons que si le champ d’application du chapitre 11 de l’ALENA est
étendu, la protection garantie aux investisseurs étrangers l’est également. Les notions
utilisées, tant dans la définition du champ d’application que dans la protection des
investisseurs, nous semblent souvent être des termes économiques au sens juridique
vague. Les différents arbitrages qui ont eu lieu jusqu’aujourd’hui ne permettent pas toujours
d’éclaircir ces définitions. La protection accordée aux investisseurs est donc très large,
une des plus large et des plus novatrice du monde à l’époque de sa signature, dans la
mesure où le chapitre 11 intégrait de nombreuses propositions américaines faites dans
le cadre du projet d’A.M.I.. Pour le Mexique, ces dispositions entérinent le processus de
changement de modèle de développement amorcé dans les années 1980. Nous estimons
que, même indirectement, le Mexique rompt avec certains principes fondateurs de son
système juridique (plusieurs amendements à la Constitution de 1917 ont dû être faits pour
l’adoption de l’ALENA). La protection ainsi accordée est plus large que celle incluse dans
la loi de 1993, et sa dimension internationale due au rayonnement médiatique du traité lui
donne un tout autre impact sur les investisseurs étrangers.
Nous déduisons de cette étude des garanties faites à l’investisseur dans le chapitre 11
de l’ALENA que le risque lié à l’investissement au Mexique s’est largement réduit. Il nous
semble que les risques en termes d’actions agressives de l’Etat ou de concurrence déloyale
sont quasiment supprimés, dans la mesure où le texte et les recours qu’il prévoit en cas de
non-respect de ses dispositions sont largement favorables à l’investisseur. En conséquence,
il nous semble que, le risque étant diminué, les investisseurs devraient être plus nombreux
à choisir le Mexique comme lieu d’implantation. Nous allons donc essayer de vérifier si cette
affirmation est juste en étudiant les effets qu’a eu l’adoption de l’ALENA, et de son chapitre
11 en particulier, sur le comportement des firmes et dans leur décision d’investir.
40
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
I.3. Les effets sur le comportement des firmes
Avant toute autre remarque nous tenons à souligner la difficulté qui consiste à mesurer
les effets d’une intégration régionale, et a fortiori les effets d’une de ses dispositions. Nous
montrons ici des tendances qui, à notre sens, sont corrélées avec l’adoption de la nouvelle
politique de développement mexicaine, et plus particulièrement avec l’entrée en vigueur
de l’ALENA. La protection juridique offerte aux investisseurs des Etats Parties à l’ALENA
est très large, comme on l’a vu, ce qui devait permettre aux investisseur de bénéficier
des effets positifs des autres dispositions de l’accord de libre-échange en toute sécurité.
L’effet produit par l’ALENA sur l’investissement direct au Mexique est donc d’abord un effet
régional, comme nous allons le voir, du fait de la nature même du traité et de son champ
d’application. Cependant, la régionalisation des espaces économiques a également des
conséquences plus larges, et nous allons étudier comment le chapitre 11 de l’ALENA a pu
contribuer à l’attraction d’investissements directs en provenance du reste du monde, et qui
ne sont donc pas couverts par les dispositions dudit chapitre.
a) L’effet régional : le comportement des firmes américaines
Il existe plusieurs types d’accords économiques régionaux : il y a la zone de libreéchange, l’union douanière et le marché commun. Chaque type d’accord implique un niveau
d’intégration politique différent. L’ALENA est une zone de libre-échange, ce qui signifie
que ses membres réduisent les barrières à l’entrée des biens, services et capitaux en
provenance des autres membres sur leurs marchés respectifs. Contrairement aux autres
accords, la coopération économique ou même la mise en place de tarifs douaniers communs
ne sont pas prévus. La zone de libre-échange est l’accord commercial avec le niveau
d’intégration le plus bas. L’ALENA agit donc sur l’investissement par trois mesures : la
libéralisation des investissements, comme nous l’avons vu, la libéralisation des échanges
et l’élargissement de la taille du marché.
Ces trois mesures touchent les trois pays, mais nous nous concentrerons ici sur la
stratégie des investisseurs américains, car les Etats-Unis restent le partenaire commercial
principal du Mexique, totalisant 84,74% des exportations du pays – contre 2,07% pour le
Canada. Ces trois mesures modifient les conditions de l’offre et de la demande dans la
région. L’accès à un plus grand marché et la perspective de réduction des coûts (avec
la suppression des frais de douane) sont des stimulus importants pour l’IDE. Mais ces
mesures ont également pour conséquence une exacerbation de la concurrence au niveau
régional, qui pousse les entreprises à rechercher les économies d’échelle pour accroître
leur compétitivité.
Dans ce processus de régionalisation, il se met en place une rationalisation des
activités dans l’espace régional. C’est-à-dire que, l’ouverture ayant donné accès à un
plus grand marché tout en augmentant la concurrence entre les firmes, leur besoin de
compétitivité et d’efficience prévaut désormais sur celui de débouché. Le processus de
régionalisation correspond donc bien à l’abandon par les firmes de stratégies d’implantation
visant uniquement l’accès au marché. En effet, comme on l’a vu dans la première partie,
les firmes multinationales décidaient de s’implanter dans un pays, de réaliser des IDE par
le biais de création d’une filiale par exemple, dans le but d’accéder au marché du pays
d’implantation, autrefois protégé par des barrières tarifaires et non-tarifaires. Cette stratégie
dite « horizontale » d’accès au marché s’oppose à une stratégie dite « verticale » qui,
elle, vise la réduction des coûts de production. Dans l’ALENA, les conditions sont donc
requises pour favoriser les entreprises adoptant une stratégie « verticale ». En effet, on a vu
41
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
dans la première partie que le Mexique était largement doté en facteur travail peu onéreux
comparé aux deux autres pays. Dans l’ALENA, les investisseurs bénéficient d’un accès libre
au marché américain, le plus gros marché de consommation du monde. Cet accès assuré,
ils peuvent produire à moindre coût au Mexique et exporter la production vers les EtatsUnis. Il devient économiquement plus rationnel de produire là où les coûts de production
sont les plus faibles, pour ensuite distribuer sur les marchés les plus larges au sein de
l’espace régional.
Il semble bien que les entreprises américaines aient adopté cette stratégie verticale
au Mexique, déjà amorcée avec le programme Maquiladoras, depuis l’entrée en vigueur
de l’ALENA. En effet, des études récentes montrent que les IDE américains et canadiens
(dans une mesure incomparablement moindre) ont augmenté très rapidement au Mexique
depuis 1994, et en particulier les « Greenfield Investments ». Ce sont les investissements
qui consistent en la création de nouvelles unités de production, par opposition aux fusions
et acquisitions, qui sont des rachats d’entreprises existantes. Cette augmentation des
« Greenfield investment » va donc plutôt dans le sens d’une stratégie verticale puisqu’il
s’agit pour les firmes américaines de délocaliser une production qui est ensuite dirigée vers
le marché américain.
Comme on le voit sur le Graphique 1, le stock d’investissements directs américains au
Mexique est en augmentation constante depuis 1986, et a dépassé la barre des 10 milliards
de dollars américains en 1990 – le ralentissement observé en 1995 correspond à la période
de récupération de la crise financière qui frappe le Mexique en 1994. Cela correspond tout
à fait au rapprochement entre les deux pays consécutif au changement de politique de
développement au Mexique. On note que, malgré la crise financière qui a lieu au Mexique
en 1994, c’est-à-dire l’année même de l’entrée en vigueur de l’ALENA, l’engouement des
investisseurs n’est que très peu ralenti, contrairement à la situation qui avait prévalu lors
des crises de 1976 et 1982.
Bien qu’il soit très difficile de distinguer un impact chiffré du processus d’intégration et
de l’adoption du chapitre 11 de l’ALENA sur les investissements directs, il semble ici évident
que l’entrée dans l’ALENA, et plus généralement le nouveau modèle de développement mis
en place à partir des années 1980, ont été un des facteurs majeurs de cette attraction des
investissements directs sur le territoire mexicain. Un des objectifs des politiques mexicaines
dans la mise en place du nouveau modèle de développement a donc été rempli : le territoire
Mexicain attire plus d’IDE américains qu’auparavant et leur place dans l’économie nationale
est croissante. En effet, l’IDE américain représentait seulement 3,8% du PIB du pays en
1993 et en représentait en 2000 6,1%. La place des IDE américains dans l’emploi est
également centrale. C’était une des retombée attendues par le gouvernement mexicain qui
souhaitait avant tout trouver une demande de travail pour son abondante main d’œuvre.
Comme l’expansion du nombre de filiales américaines au Mexique est très importante – 442
filiales en 1993 contre 762 en 1998 – et que ces filiales sont beaucoup concentrés dans des
secteurs nécessitant de la main d’œuvre, le Mexique était le seul pays dont la part dans
l’emploi total des filiales américaines à l’étranger était en hausse entre 1985 et 1998. Les
filiales américaines implantées au Mexique employaient 668 900 travailleurs mexicains en
1998 contre seulement 408 600 en 1993. Ces filiales produisent beaucoup pour l’export.
Les ventes effectuées par ces filiales étaient à plus de 32% en direction des Etats-Unis en
1998, tous secteurs d’activité confondus – la moyenne des ventes vers les Etats-Unis des
filiales américaines dans le monde est de 10% des ventes totales. Les échanges intra-firmes
augmentent également, et sont en progression constante, ce qui indique bien une stratégie
de rationalisation de la production au niveau régional de la part des entreprises américaines.
42
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
Source : US department of commerce, graphique de l’auteur.
Avec l’adoption de cette nouvelle stratégie verticale, le Mexique est devenu une
économie exportatrice (seconde partie du graphique 2). La libéralisation des échanges a,
dans ce sens, apportée les effets anticipés par les dirigeants mexicains lors de la décision
de proposer un accord commercial aux Etats-Unis. Les investisseurs se sont adaptés aux
nouvelles conditions régionales –plus précisément, ils ont participé de leur création—et se
sont orientés vers des activités d’exportation dans leur implantation au Mexique. Comme on
peut le voir sur le graphique 2, l’effet de l’entrée en vigueur de l’ALENA sur les exportations
est beaucoup plus évident que celui sur les investissements directs, puisque ceux-ci sont
des opérations économiques de long terme sur lesquels les effets sont moins mécaniques.
Cependant, la production dans son entier n’est pas concentrée uniquement au Mexique,
ce qui explique pourquoi les importations intra-firmes par exemple, restent élevés. En effet,
les industries installées au Mexique sont pour beaucoup des industries de transformation
dans l’assemblage ou la confection. Les matières premières sont donc importées puis
transformées au Mexique pour être ensuite partagées entre la vente locale, régionale et
internationale.
On note que, si les activités implantées au Mexique restent riches en main d’œuvre
(relativement aux pays développés), les industries manufacturières ne sont plus les seules
bénéficiaires des IDE. En effet, en volume, les IDE dans le secteur manufacturier ont
beaucoup augmentés depuis l’entre dans l’ALENA. Cependant, en proportion, les industries
manufacturières sont en recul dans l’IDE américain au Mexique. Ainsi, les IDE américains se
concentraient à 77,1% dans les industries manufacturières en 1985, et ne s’y concentraient
plus qu’à 55,1% en 1998. D’autres industries de transformation comme la confection par
exemple sont de nouveaux secteurs où l’IDE prend une place importante, mais aussi les
services financiers, le secteur des assurances et de l’immobilier. Pour nous, cela atteste de
la diversification de l’économie mexicaine, qui était recherchée par le gouvernement dans
la conclusion de l’ALENA.
Graphique 2 :
Exportations autres que pétrolières entre 1990 et 2000
Part du commerce international dans le PIB mexicain entre 1990 et 2000
/!\ Documents non communiqués par l'auteur /!\
L’action d’investir au Mexique, qui a été largement simplifiée et totalement sécurisée
avec le chapitre 11 de l’ALENA, fait donc maintenant partie d’une stratégie de production
régionale pour les firmes américaines. A notre sens, on peut d’ores et déjà distinguer dans
les effets de cette nouvelle organisation l’accomplissement de plusieurs des buts qui avaient
été affirmés par le gouvernement mexicain dans l’adoption de son nouveau modèle de
développement. En premier lieu, l’économie mexicaine accueille plus d’IDE qu’avant la
politique de libéralisation, et encore plus depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA. En second
lieu, ces IDE ont pris une place centrale dans l’économie du pays tant à travers leur poids
économique que leur création d’emploi. Enfin, le Mexique est désormais intégré dans un
espace régional au sein duquel le processus de production a été rationalisé, et où il joue le
rôle du territoire propice aux industries de transformation à vocation exportatrice.
On comprend donc bien la rationalité économique derrière la stratégie des investisseurs
américains et canadiens. Cette stratégie, dont le développement à grande échelle a été
permis par les dispositions de l’ALENA, les a conduits à investir au Mexique de manière
croissante. La mise en place et l’extension de cette stratégie verticale ont bien été permises
par l’accès à une zone de libre-échange régionale en toute sécurité, sécurité garantie par le
43
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
chapitre 11 de l’ALENA. Cependant, il semble que le texte ne se soit pas limité à une portée
régionale, pour toucher également les investisseurs mondiaux.
b) L’effet international : la création d’un climat de confiance
Il semble normal que les investissements directs américains et canadiens aient augmenté
au Mexique à la suite de l’adoption de l’ALENA, dans la mesure où les investisseurs de ces
pays sont protégés. Mais l’on constate sur le graphique 3 que les flux d’IDE provenant du
reste du monde ont également augmenté après 1994, biens qu’ils ne soient pas protégés
par le chapitre 11 de l’ALENA. En effet, on voit que la proportion des IDE non-américains
au Mexique est grandissante depuis 1996 (les années 1994 et 1995 ont pâties de la crise
financière mexicaine qui a fait baissé la confiance des investisseurs pendant un moment,
même si la reprise de la confiance a été ensuite rapide, notamment du fait de l’ALENA). Les
flux d’IDE en provenance de l’Union Européenne sont donc passés d’à peine 2 milliards de
dollars en 1996 à plus de 5 milliards en 2004 et a augmenté de 90% de l’entrée en vigueur
de l’ALENA à décembre 2006 (selon le Bureau de Coopération EuropAid au Mexique).
Graphique 3 : flux d’IDE au Mexique, 1994-2004
/!\ Documents non communiqués par l'auteur /!\
Selon nous, cet engouement des investisseurs non protégés par le chapitre 11 de
l’ALENA trouve deux principaux facteurs. En premier lieu, les investisseurs étrangers
peuvent désirer tirer avantage de l’accord de libre-échange en s’implantant au Mexique.
Cette implantation leur garantit l’accès au marché américain ainsi que la protection du
chapitre 11 dans le cas où ils souhaiteraient investir dans un des deux autres pays de la
zone par la suite, depuis le Mexique. Dans cette optique, l’ALENA lui-même aurait eu un
impact supérieur sur les IDE en provenance de l’extérieur de la zone que la politique de
libéralisation menée depuis le début des années 1980, et même plus que la loi sur les IDE
de 1993. En second lieu, cet engouement des investisseurs pour le Mexique de plus en plus
prononcé peut également être imputé à l’effet psychologique qu’à eu l’adoption de l’ALENA
par le Mexique sur les investisseurs en général. En effet, on a montré dans la première partie
de ce travail de recherche que l’entrée dans l’ALENA, et plus spécifiquement l’adoption de
son chapitre 11, était un message fort du gouvernement mexicain vers les investisseurs
étrangers.
Ce message était celui de la non réversibilité de l’adoption du nouveau modèle de
développement mexicain dans les années 1980 qui est largement favorable aux IDE. Cette
non réversibilité est un facteur de confiance pour l’ensemble des investisseurs, y compris
ceux qui ne sont pas protégés par le chapitre 11. Avec l’abandon implicite de la doctrine de
Calvo, le Mexique est devenu officiellement un pays favorable aux investisseurs. C’est ainsi
que le pays est souvent félicité par les rapports de la banque mondiale, et en particulier
les rapports Doing Business, pour son élan réformateur et sa volonté de protéger les
investisseurs. L’adoption de la loi de 1993 puis du chapitre 11 de l’ALENA a ainsi changé
la perception que les entreprises et les institutions financières internationales avaient du
Mexique. Or, le facteur psychologique dans la décision d’investir est central. On voit bien
que, jusque récemment, cette image crée par le Mexique perdure. Dans le rapport Doing
ème
ème
Business 2007, le Mexique est classé 43
au classement général, contre 62
en
ème
2006. Le pays est aujourd’hui classé 33
par ce même rapport pour ce qui est de
la protection accordée aux investisseurs. Ces classements correspondent aux flux d’IDE
récents dans le pays, comme on peut le voir sur le graphique 4.
44
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
Source : « World Investment Report 2006 », PNUD.
L’adoption du chapitre 11 de l’ALENA a donc largement contribué à créer un climat
de confiance durable chez les investisseurs. La confiance dans les gouvernements qui ont
adopté le nouveau modèle de développement était certainement là, mais les gouvernements
changent et la signature de l’accord, qui donnait une protection inégalée à l’époque aux
investisseurs, était un élément clé de la pérennité de cette confiance. La stabilité est en
effet un élément majeur pour l’IDE, qui on le rappelle est une action économique qui s’inscrit
dans le long terme.
Le chapitre 11 de l’ALENA a permis un accroissement réel de l’attractivité du territoire
mexicain. D’abord, son champ d’application est très large, même plus large que le seul
champ de la protection des IDE. Ensuite, les dispositions du chapitre 11 apportent de
nombreuses garanties à l’investisseur et lui assure un règlement des différends impartial
face à l’Etat d’accueil. Ces garanties et cette définition large de la notion d’investissement
étant des revendications de longues dates des acteurs économiques, l’effet psychologique
de l’accord n’en a été que plus important. En effet, cela constitue un retournement sans
retour de la politique mexicaine vis-à-vis des IDE, par rapport à son ancien modèle de
développement. Tant la protection en elle-même que sa signification politique ont contribué
à créer un climat de confiance propice au développement des stratégies régionales ou
internationales des firmes.
Cependant, nous nous interrogeons, dans une perspective de long terme, sur la
stratégie mexicaine, et celle qui prévaut dans l’ALENA, d’attraction des investissements
par le biais du droit uniquement. En effet, on peut se demander si les effets observés sont
durables et surtout suffisants pour assurer le rôle que le gouvernement mexicain voulait faire
jouer aux IDE. Certains auteurs démontrent clairement les limites de l’attractivité juridique.
Les classements des rapports Doing Business ne font ainsi l’objet de critiques sur le fond
de la notion d’attractivité. Ainsi, la décision d’investir ne semble pas limitée à sa seule
possibilité. Nous affirmons que le droit n’est pas le seul facteur d’attractivité d’un territoire,
et que climat de confiance et liberté d’investir ne suffisent pas à attirer durablement les
investisseurs. Or, le nouveau modèle de développement mexicain est basé sur la durabilité
et même l’expansion des IDE. Il nous semble donc nécessaire d’adopter une approche plus
globale de la décision d’investir, afin de déterminer si l’ALENA est réellement un outil de
développement adapté aux buts mexicains de départ.
Section II : Un outil de développement incomplet pour
le Mexique
L’entrée du Mexique dans l’ALENA a été, on l’a montré, l’apogée du changement de
modèle de développement opéré par le Mexique dans les années 1980. En tant que telle,
cette entrée était surtout liée à une volonté d’attirer plus d’IDE sur le territoire mexicain,
afin d’alimenter le nouveau système économique du pays où l’Etat avait cessé d’être la
source majeure d’investissements. L’ALENA comprend donc un chapitre entier consacré
à l’investissement, le chapitre 11, dans le but de faciliter la liberté d’investir sur les trois
territoires des pays membres. Cependant, le texte ne fait que détruire les barrières qui
existaient avant à l’établissement des investisseurs étrangers et leur garantir un règlement
45
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
des différends par l’arbitre international. La question se pose donc de savoir si laisser libre
les investisseurs suffit à les attirer.
On pourrait penser que la réforme juridique n’est qu’un des éléments d’une politique
d’attractivité pour un pays ou une région. Et, comme nous allons l’étudier en premier
lieu, il existe d’autres facteurs attractifs qu’il semble nécessaire d’avoir pour assurer la
pérennité des flux d’IDE et leur direction vers le développement du pays (II.1). En second
lieu, il nous semble intéressant de nous interroger sur la possibilité pour l’Etat mexicain
d’envisager une politique d’attractivité des IDE dirigée dans le sens de son développement
économique. En effet, le texte apporte beaucoup de protection à l’investisseur, mais les
politiques nécessaires à une attractivité plus ciblée sur le développement du pays pourraient
entrer en conflit avec cette protection (II.2). Nous essayerons donc finalement de voir
quelles peuvent être les mesures à prendre afin d’éviter ce conflit d’intérêt pour qu’il ne se
transforme pas en contradiction interne de la nouvelle politique de développement. Dans
cette optique, nous reviendrons sur la question du déséquilibre entre droit de l’investisseur
et droits humains abordé dans la section A. Nous essayerons de recherche dans son
rééquilibrage la résolution de certains problèmes posés par le chapitre 11 de l’ALENA en
termes de développement du Mexique (II.3).
II.1. L’absence de prise en charge des facteurs non juridiques de
l’attractivité
Le chapitre 11 de l’ALENA apporte selon nous une protection très étendue à l’investisseur
étranger. La partie juridique de l’attractivité est donc tout à fait remplie au Mexique
aujourd’hui. Dans l’optique d’une stratégie verticale d’implantation des firmes américaines,
où l’attractivité ne dépend que de la libre circulation et des dotations en facteurs de
production, cette attractivité juridique semble suffire à assurer au territoire mexicain un
flux d’IDE durable en provenance de son voisin. Cependant, comme nous l’avons noté
précédemment, certains auteurs remettent largement en cause les stratégies d’attractivité
basées sur le droit. Dans cette optique, nous allons essayer de voir une autre analyse du
comportement des firmes, qui nous offrirait une vision plus globale des déterminants de
l’investissement direct à l’étranger.
a) La stratégie des firmes multinationales
Dans son ouvrage, « La séduction des Nations », Charles-Albert Michalet nous semble
apporter des éléments d’analyse du comportement des firmes multinationales très
intéressant pour notre réflexion. En effet, il semble invalider l’idée d’un choix des
multinationales entre une stratégie verticale et une stratégie horizontale dans leur décision
d’investir. Il montre que les firmes multinationales combinent en réalité les deux stratégies.
Les firmes recherchent de nouvelles régions en expansion afin de combler à la fois
la croissance faible, les coûts de production importants, et la saturation de la demande
dans leur pays d’origine. Dans cette optique, il existe pour ces firmes plusieurs cercles
d’attractivité. Le premier cercle est composé des pays de la triade, les pays d’origine de
ces firmes, où les investissements croisés sont importants et qui drainent la majorité des
flux d’IDE mondiaux. Le second cercle est celui des pays de la « nouvelle frontière », ceux
où les firmes jugent qu’il est opportun d’investir car ils offrent la possibilité d’améliorer leur
compétitivité dans une vision à moyen ou long terme. Le troisième cercle est composé
de « pays potentiels », c’est-à-dire des pays dans lesquels il y a des investissements
46
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
d’effectués, mais en faible croissance car les investisseurs ne les voient pas comme
remplissant toutes les conditions qui leur permettrait d’accroître leur propre compétitivité,
même si l’opportunité de rentabilité est parfois présente. Enfin, les « pays périphériques »
composent le quatrième cercle et n’intéressent que peu de firmes. Les investissements qui y
sont effectués sont généralement liés aux matières premières. Ces pays risquent l’exclusion
économique car ils ne sont généralement pas inclus dans des régions dynamiques.
Ce qu’il appelle les pays de cette « nouvelle frontière » sont idéalement situés dans un
contexte régional qui favorise l’organisation rationalisée du travail. La gestion de l’ensemble
du processus de production est plus aisée à l’échelle régionale qu’à l’échelle mondiale, en
particulier au sein d’un processus de production toyotiste, c’est-à-dire à « flux tendus » qui
favorise l’adaptabilité de la production aux conditions de la demande – cela signifie que
tout est produit à la demande, en un temps record, afin d’éviter les stocks. Pour ce type de
production, l’aspect régional est un avantage certain. Les pays de la « nouvelle frontière »
comme ceux du troisième cercle peuvent être inclus dans des accords commerciaux
régionaux qui leur permettent en général de ne pas revenir au quatrième cercle. Cependant,
un accord régional ne suffit pas à faire partie de la « nouvelle frontière ». Ce qui nous semble
particulièrement intéressant pour le cas du Mexique, c’est que les pays peuvent évoluer
d’un cercle à l’autre, et qu’une politique d’attractivité doit permettre aux « pays potentiels »
de rejoindre la « short list » des investisseurs –c’est-à-dire la liste des pays jugés les plus
dynamiques par les investisseurs des pays de la triade.
Le Mexique possède une dimension régionale, des potentialités en terme à la fois
de ressources et de facteurs de production, et un taux de croissance relativement élevé
– du moins plus dynamique que ceux des pays d’origine des IDE. Le but mexicain de
l’entrée dans l’ALENA était justement l’optimisation de ces potentialités dans le but de
s’intégrer rapidement à l’économie nord américaine, puis mondiale. Il ne nous semble pas
pourtant que le Mexique réunisse encore toutes les conditions de la « short list » des pays
dynamiques, et encore moins toutes celles des pays de la triade. En effet, si les IDE en
général ont connus une augmentation très forte au Mexique, cette évolution va de paire
avec une augmentation globale des IDE à destination des pays émergents. Ainsi, la part
des IDE à destination du Mexique dans le total des IDE américains est restée constante sur
la période 1975-1998 et était de 2,6% seulement en 1998. Dans la mesure où son nouveau
modèle de développement est basé sur cette intégration par les IDE et les échanges, il nous
semble nécessaire de comprendre les éléments qui permettent de se placer en tête de liste,
afin de voir dans quelle mesure ces déterminants sont pris en compte dans l’ALENA.
b) Les déterminants de l’attractivité
Charles-Albert Michalet distingue deux séries de déterminants à la décision d’investir des
firmes multinationales. D’une part, il y a des pré-conditions sans lesquels le territoire n’est
pas envisagé pour l’implantation. D’autre part, il y a ensuite les conditions nécessaires
à l’attractivité d’un territoire qui s’ajoutent si les pré-conditions sont remplies. Nous nous
proposons de passer en revue ces pré-conditions et ces conditions et d’en d’analyser
pour chacune la place du Mexique et les dispositions de l’ALENA produisant un effet.
Le but est d’évaluer où en est le Mexique dans sa politique d’attractivité et de voir si
l’ALENA, et en particulier son chapitre 11, est adapté. L’analyse proposée par CharlesAlbert Michalet nous semble tout à fait adaptée au Mexique dans le sens où il ne définit
les éléments d’attractivité que pour les investissements sérieux qui découlent d’une volonté
d’établissement durable dans le pays d’accueil et de contribution à son activité économique,
et non pas aux IDE qui viseraient à « faire un coup », selon son expression. Dans la mesure
47
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
où la politique d’attractivité du Mexique a pour but affirmé son développement durable et non
pas l’enrichissement à court terme de son élite, la perspective de cet auteur nous semble
la mieux adaptée.
Il y aurait ainsi trois pré-conditions à l’attractivité d’un territoire. La première est la
stabilité du régime politique et sa perception par les pays d’origine des investisseurs.
Le Mexique nous semble remplir cette condition de façon croissante. Le pays connaît
désormais l’alternance politique depuis l’élection du Président Vicente Fox en 2000, et bien
que des problèmes persistent, comme en témoignent les dernières élections, le processus
de démocratisation et de stabilisation semble être en bonne voie, seules les inégalités
régionales fortes et le trafic de drogue semblent être des menaces à cette stabilité. La
signature de l’ALENA a grandement amélioré l’image que les pays de la triade ont du
Mexique dans la mesure où l’accord symbolise pour beaucoup la réconciliation et l’entente
amicale sur le long terme qui s’installe entre les deux anciens ennemis. La seconde précondition est la stabilité économique, qui se compose à la fois du climat macroéconomique
et du climat d’investissement. Le climat macroéconomique se mesure grâce aux variables
telles que l’équilibre budgétaire, le taux d’endettement extérieur, la stabilité des taux de
change et d’inflation. Dans cette perspective, le Mexique nous semble également bien placé
puisque les politiques d’assainissement du budget et de stabilité économique sont menées
depuis 1975-1980 sous les auspices du FMI.
Cependant, il nous semble également que cette appréciation doive être nuancée par la
mémoire économique des acteurs, dans la mesure où le Mexique a connu de nombreuses
crises budgétaires puis financières jusqu’en 1994. Des mesures ont été mises en place pour
endiguer ces crises, mais les investisseurs s’en souviennent certainement. Le climat des
investissements se compose de plusieurs éléments, et notamment : la liberté des transferts,
le droit des investissements, les droits de douane, l’attitude amicale du gouvernement,
l’efficacité du système judiciaire dans les cas de litiges, les procédures administratives, la
fiscalité, la législation sociale et la sécurité et le cadre de vie pour les expatriés. Les cinq
premiers éléments sont traités par l’ALENA, et par la loi de 1993 et les règles de l’OMC
pour les investisseurs non protégés par l’ALENA. L’amicalité du gouvernement est forte
dans la mesure où c’est lui qui a mis l’IDE au centre de sa politique économique. Pour
ce qui est des procédures administratives et de la fiscalité, de nombreuses réformes ont
été faites, et sont jugées très satisfaisantes pour les investisseurs d’après le rapport Doing
Business 2006. La corruption a beaucoup diminuée au Mexique depuis l’abandon de la
politique de substitution aux importations, qui avait créé, comme on l’a vu, des opportunités
nombreuses de corruption. La législation sociale est certainement plutôt avantageuse pour
les investisseurs, surtout dans la mesure où elle est toujours peu appliquée. Enfin, le cadre
de vie au Mexique nous semble de qualité mais entaché par les problèmes de cartels
de la drogue, surtout dans les Etats frontaliers. Ce problème est devenu central dans
la vie politique mexicaine car la population en pâtie beaucoup, comme en témoignent
la presse écrite ou télévisée mexicaine, où des actes violents liés à ces cartels sont
relatés tous les jours. Enfin, la troisième pré-condition est l’état de droit, qui selon Michalet
représente une dimension aussi importante que les deux autres pour l’investisseur. Le
système judiciaire mexicain reste encore à être amélioré, mais l’ALENA comme nombre
d’accords commerciaux signés par le Mexique avec les pays d’origine des investisseurs
solutionnent cette question pour ce qui est du règlement des litiges entre Etat et investisseur
en ayant recours à l’arbitrage international, étant ainsi le système interne. De plus, la partie
B du chapitre 11 de l’accord a montré aux investisseurs que le Mexique avait renoncé à son
attitude critique face à la légitimité de l’investisseur étranger à se plaindre d’une situations
illégitime ou illégale sur son territoire.
48
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
Le Mexique nous semble globalement réunir les pré-conditions à l’attractivité décrites
par Michalet. Il est évident que face aux pays de la triade, le Mexique a encore beaucoup
de points à améliorer, mais le pays a la plupart de ces éléments bien ancrés comparé aux
autres pays en développement. De plus, les éléments décrits ci-dessus ne sont pas tous
parfaitement réalisés dans tous les pays de la triade. Il nous semble donc intéressant de
nous pencher sur les conditions nécessaires à l’attractivité, l’auteur en distingue quatre.
La première condition nécessaire est un marché de grande taille accompagné d’un taux
de croissance élevé. Le marché peut être le marché régional, et la production pourra ainsi
être divisée entre marché local et régional. Le marché en question doit également être en
expansion rapide afin d’assurer la rentabilité à long terme sur le territoire d’implantation. Le
Mexique combine accès à un grand marché, à travers l’ALENA, et rentabilité, du fait de sa
dotation en facteurs de production à faible coût et de la réduction des barrières tarifaires.
Cependant, bien que le Mexique soit un pays peuplé et doté une population relativement
jeune, le marché interne n’est pas exactement aussi dynamique qu’il pourrait l’être. Des
salaires peu élevés et en faible progression pour les couches de travailleurs les moins
qualifiés –mais aussi majoritaires—et des inégalités régionales fortes bloquent l’expansion
d’un marché interne aux potentialités importantes. La moitié de la population mexicaine vit
dans la pauvreté, il lui est donc pour l’instant impossible de constituer un débouché pour
la production des investisseurs sur le territoire, et l’ALENA ne nous semble pas remédier
directement ou indirectement à ce problème.
La seconde condition nécessaire est l’existence d’un réseau de communication –
télécommunications comme transports terrestre, aérien ou maritime-- efficace et peu cher
avec le reste du monde. Dans le contexte de mondialisation ou de régionalisation de
la production, cet élément est central. L’accès à l’information et les contacts avec la
maison mère pour les filiales par exemple nécessitent de manière inconditionnelle des
télécommunications performantes. Nous estimons pour notre part qu’il faut distinguer dans
le cas du Mexique les réseaux de communication et leur coût. Les réseaux en euxmêmes sont plutôt bons et en expansion depuis les privatisations du réseau téléphonique
et du réseau ferroviaire. Des améliorations restent encore à être faites, surtout en matière
d’investissement dans l’expansion des réseaux ferroviaires et routiers, mais la qualité est
bonne comparée à nombre de pays ayant les mêmes caractéristiques par ailleurs. En ce
qui concerne le coût, notre approche est plus nuancée. En effet, nous constatons deux
problèmes. En premier lieu, il semble que les privatisations, si elles ont eu pour effet une
extension des réseaux, n’ont pas toujours résulté dans une baisse des coûts pour les
consommateurs, ainsi le prix du téléphone par exemple reste élevé. En second lieu, la
lecture de la presse dans les villes frontalières des deux côtés de la frontière avec les
Etats-Unis nous porte à constater un problème majeur concernant la mobilité du transport
routier. Bien que l’ALENA contienne des dispositions concernant le secteur des transports
routiers et ferroviaires et que les droits de douane soient abandonnés, les coûts de transport
transfrontalier avec les Etats-Unis restent élevés. La raison en est l’absence totale de
coopération et de dialogue entre les deux gouvernements. Le gouvernement américain,
répondant certainement à des pressions de lobbys internes, refuse que les poids lourds et
conteneurs ferroviaires ne passent la frontière car il les accuse de favoriser les migrations
illégales vers les Etats-Unis et les trafics divers. En retour, le Mexique impose les mêmes
restrictions. Il en résulte des coûts de transport élevés, puisque le déchargement puis le
rechargement dans un autre poids lourd ou un autre train sont nécessaires à chaque passe
de la frontière terrestre. Nous insistons sur ce problème car nous pensons qu’il peut avoir
des conséquences importantes sur le manque d’attractivité du Mexique. Nous estimons
également qu’il démontre un manque de coopération régionale au sein de l’ALENA qui met
49
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
en péril les effets positifs des autres dispositions du traité, comme nous le discuterons plus
loin.
La troisième condition nécessaire est la présence d’une main d’œuvre à la fois qualifiée
et bon marché. Si les firmes veulent se lancer dans des activités à valeur ajoutée élevée, il
leur faut utiliser une technologie de plus en plus sophistiquée qui nécessite d’employer une
main d’œuvre qualifiée en mesure de la maîtriser. Nous estimons que le Mexique, même s’il
a un niveau relativement élevé d’alphabétisation face à d’autres pays en développement,
a de nombreux progrès à faire dans ce domaine. Bien que de nombreux investissements
aient été réalisés dans l’éducation durant la période de substitution aux importations et
que le gouvernement mexicain ait mis en place un programme de réduction de la pauvreté
lié à la scolarisation, l’abandon des études à l’adolescence reste très élevé, et très inégal
selon les régions. Ce problème recoupe la question de la pauvreté, mais également celle du
traitement des populations indigènes du pays (question également très liée à la pauvreté).
Cela reste une question sensible, bien que la population mexicaine dans son ensemble
souhaite la promotion d’un meilleur accès à l’éducation secondaire et surtout supérieure.
Le modèle développé dans les Maquiladoras dans les années 1960-1970 n’est plus aussi
porteur, et de nombreux efforts restent à faire dans le domaine éducatif pour que le Mexique
continue à attirer les IDE, et surtout les attire de façon plus uniforme sur son territoire.
La quatrième condition nécessaire est l’existence d’un tissu industriel local performant.
Celui-ci est censé constituer à la fois un canal pour les investissements directs (par le
biais de F&A ou de privatisations par exemple) et un vivier de fournisseurs locaux (au
rôle central dans la gestion à la japonaise décrite précédemment). Dans cette optique, il
nous semble que le Mexique est un pays au réseau industriel important, développé depuis
plus d’un siècle, et privatisé depuis les années 1980. Pour ce qui est de l’existence de
fournisseurs locaux, il nous semble cependant que deux problèmes persistent. En premier
lieu, la productivité reste peu élevée au Mexique. En second lieu, une très grande partie de
l’activité économique est souterraine, ce qui laisse peu de possibilité d’évaluer le potentiel
du Mexique en cette manière, mais également d’agir pour le gouvernement et de promouvoir
ces entreprises qui sont des sous-traitants potentiels.
Charles-Albert Michalet ne fait pas mention de certains facteurs qui nous semblent
également jouer un rôle indirect sur l’attractivité d’un territoire. En effet, nous pensons
que le respect des droits humains et de l’environnement sont des éléments nécessaires à
l’attraction d’investissements durables et profitables au développement –ceux que, selon
nous, les mexicains doivent viser en priorité. Le respect des droits de l’homme conditionne
différents déterminants de l’attractivité. Le respect des droits civils et politiques garantit la
stabilité et surtout la durabilité du régime politique, ainsi que la réduction des tensions au
niveau national qui peuvent conduire à la violence et à la destruction, corrélée négativement
avec l’attractivité. Le respect des droits économiques et sociaux garantit lui aussi une
réduction des tensions internes à un pays, et est le corollaire de la constitution d’un
marché de l’emploi qualifié ainsi que d’un marché de consommation local à fort potentiel.
Enfin, le respect de l’environnement semble être a priori négatif pour l’attraction des IDE.
Cependant, les choses changent très vite en ce domaine, la société internationale prend
conscience de la situation et de la nécessité de prendre des mesures à court terme. Il
ne nous semble pas possible aujourd’hui d’avoir une stratégie de développement durable
sans prendre en compte le facteur environnemental, et ce pour deux raisons. D’abord,
la destruction de l’environnement est négative pour l’activité économique, et l’activité
humaine en général, sur le long terme. Ensuite, la société internationale est de plus en
plus consciente de l’épuisement des ressources et des problèmes environnementaux, et
50
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
évolue en conséquence. Comme cette société est dominée par les pays de la triade, et
que ceux-ci ont les moyens de développer une technologie adaptée à l’environnement, les
pays en développement risquent encore une fois de se retrouver mis à l’écart du système
économique s’ils n’anticipent pas un minimum cette évolution. Le Mexique, comme tant de
pays en développement, a encore de nombreux efforts à faire dans ces deux domaines. Les
droits civils et politiques sont en bonne voie d’achèvement, mais les droits économiques
et sociaux sont encore loin d’être respectés. Selon nous, ces derniers, comme le respect
de l’environnement, rencontrent plus un problème d’application des lois que d’existence de
celles-ci.
Il nous apparaît donc que le Mexique a des efforts à faire pour réunir les conditions
nécessaires à l’attractivité. Le chapitre 11 de l’ALENA, et l’accord en général, semblent
régler des problèmes principalement pour ce qui est des pré-conditions. Les conditions
nécessaires en revanche sont peu touchées par les dispositions de l’ALENA. L’accord
ne semble mettre aucun dispositif en place pour combler les manques d’attractivité non
juridique. Nous allons même aller plus loin que cela dans la partie qui va suivre, en affirmant
que certaines des dispositions du chapitre 11 sont en mesure de prévenir l’action de l’Etat
mexicain dans le sens de la réunion des conditions nécessaires à l’attractivité.
II.2. Les dangers de la notion d’expropriation indirecte pour les
politiques de développement
On a montré que le Mexique devait améliorer ses performances dans de nombreux
domaines s’il veut attirer durablement les IDE qui sont la clé de voûte de son nouveau
modèle de développement. Or, nous estimons que l’ALENA n’apporte pas les outils
nécessaires à ces améliorations, c’est donc au gouvernement mexicain que reste la tâche
de prendre des mesures. Or, au-delà de la question de la volonté politique de ce dernier,
il nous semble que certaines dispositions du chapitre 11 de l’ALENA aient pour effet de
dissuader certaines mesures. Nous faisons tout particulièrement référence à la notion
d’expropriation indirecte mentionnée dans l’article 1110. Nous allons tenter d’examiner
le débat que cette disposition a pu susciter dans le domaine juridique, pour ensuite le
confronter aux enjeux spécifiques du développement mexicain.
a) La notion d’expropriation indirecte : une menace pour la souveraineté de
l’Etat
Nous avons exprimé dans la section A notre sentiment face à l’absence de délimitation
claire de la portée de certains termes employés dans la première partie du chapitre 11. Il
nous semblait effectivement que certains termes avaient des définitions juridiques floues et
que l’arbitre aurait un travail d’éclaircissement à faire sur la portée des garanties faites à
l’investisseur. Nous avons également exprimé notre inquiétude en ce qui concerne la portée
de l’article 1110 concernant l’expropriation, et en particulier sur la notion de « mesures d’effet
équivalent » à une expropriation. Cette notion a soulevé des questions d’interprétation pour
les juristes face aux différents textes où elle est présente –sous diverses formes. Nous allons
essayer d’approfondir les problèmes d’interprétation de cette notion avant de voir comment
elle pourrait être un facteur de blocage de la politique de développement mexicaine.
Une « mesure d’effet équivalent à une expropriation » mérite d’être défini. D’après le
travail mené par Sébastien Manciaux sur la jurisprudence du CIRDI, on peut déterminer
deux éléments constitutifs de la définition de cette notion. En premier lieu, une mesure
51
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
équivalente à une expropriation suppose qu’elle restreigne l’usage que l’investisseur
prétendait faire de sa propriété ou bien diminue le profit qu’il évaluait devoir en tirer. La
mesure est équivalente par ses effets par opposition à son intention. « Des lors, pour
qualifier une mesure équivalente à une expropriation, il n’est plus besoin d’établir qu’elle
a eu pour effet de violer un droit de l’investisseur, le constat d’un préjudice souffert par
l’investisseur résultant du moindre usage qui pourra être tiré de l’investissement permettant
cette qualification » (Manciaux, page 468). En second lieu, il faut que l’investisseur prouve
que le préjudice en question est la conséquence d’une « mesure » prise par l’Etat d’accueil.
L’auteur note que dans cette expression, une mesure n’a pas de définition juridique précise,
et qu’elle peut ainsi englober « toute action tendant à obtenir un résultat » (Manciaux,
page 469). Comme l’exprime l’auteur, il semble que même l’article 201 du traité tentant de
définir « mesure » par « toute législation, règlement, procédure, prescription ou pratique »
est bien loin de réduire le champ de qualification des actes pouvant être équivalent à une
expropriation.
La portée de cette définition est étendue, et les conséquences possibles sur la réduction
des marges de manœuvre de l’Etat sont importantes selon nous. Les auteurs s’affrontent
sur cette question. Pour certains, cette notion d’expropriation indirecte n’est que l’expression
de la domination du droit anglo-saxon et réduit considérablement la souveraineté de
l’Etat qui l’accepte. Celui-ci se trouve dans une situation où il est susceptible d’exproprier
indirectement par toutes ses actions, et dans tous ses domaines de compétence, alors
même que ce n’est pas du tout son intention. De plus, l’Etat se verrait imputer la
responsabilité d’actes sur lesquels il a peu (sub-divisions régionales) ou pas (sentences
émanant de son système judiciaire) de contrôle. Pour ces auteurs, l’adoption d’une telle
notion conduit à la perte de souveraineté étatique et semble ne pas correspondre à la notion
de responsabilité qui est normalement liée à l’intention. Cependant, d’autres considèrent
que cette notion reste la condition nécessaire à une protection efficace de l’investisseur.
Cette dernière ne serait qu’illusoire si la finalité de la mesure prise par l’Etat était prise en
compte (Manciaux, page 472).
b) La notion d’expropriation indirecte : un vrais risque pour le
développement du Mexique
Face à ce débat, il nous semble nécessaire d’intégrer des nuances que les auteurs n’ont
visiblement pas prises en compte. Pour nous, une différenciation doit être faite sur ce
problème entre la situation des pays développés et celle des pays en développement.
Cette distinction a été faite après les indépendances, puis a été abandonnée dans les
années 1980. Le fait de distinguer les problèmes des pays en développement face au
droit international économique est devenu dans certaines sphères du pouvoir politiquement
incorrect. Il nous semble cependant que cette approche soit dogmatique et manque de
pragmatisme. Si notre but commun est de réaliser le développement durable de l’ensemble
de la planète, il nous semble nécessaire de regarder en face les problèmes qui se posent,
et nous en voyons deux qui distinguent les pays en développement des pays développés.
En premier lieu, les Etats en développement comme le Mexique ne sont pas dans
la même position que les Etats développés face à l’image qu’ils véhiculent auprès des
investisseurs. Le but du droit de l’investissement est bien d’apporter un équilibre entre
le besoin de sécurité de l’investisseur et le besoin réglementaire de l’Etat. Face à cette
nécessité d’équilibre, il nous semble que les Etats ne soient pas tous égaux. En effet,
il nous faut nous interroger sur la portée économique qu’aurait une décision en faveur
de l’Etat concernant une expropriation. Si un Etat prenait une mesure de protection
52
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
environnementale qui avait pour effet d’exproprier indirectement un investisseur étranger,
et que la cour tranche en faveur de l’Etat dans la mesure où le motif est légitime, les autres
investisseurs commenceraient à considérer que cet Etat n’est pas favorable aux IDE. Les
déterminants de l’investissement, on l’a vu, sont nombreux. Pour un Etat qui possède déjà
la majorité des facteurs d’attractivité des investissements, les conséquences d’une telle
sentence ne seraient certainement pas très importantes, et ne détruiraient pas l’image de
l’Etat auprès des investisseurs. Cependant, pour un Etat qui, lui, aurait basé sa politique
d’attractivité sur le droit, les conséquences pourraient être extrêmement dommageables.
Nous essayons de montrer ici que les Etats qui ne font pas partie du premier cercle
d’attractivité décrit par Michalet, n’ont pas intérêt à faire fuir les investisseurs. Un Etat comme
le Mexique a basé tout son nouveau modèle de développement sur la présence durable des
IDE sur son territoire. Son intérêt n’est en aucun cas de porter atteinte aux investisseurs car
cela pourrait détériorer son image auprès des investisseurs. On rappelle qu’il y a très peu
de pays dans le premier cercle d’attractivité alors qu’il y en a beaucoup dans les autres, les
alternatives possibles pour les investisseurs sont donc beaucoup plus nombreuses dans
le second cas. Selon nous, la mise en place d’une notion aussi large d’expropriation dans
l’ALENA n’était pas nécessaire car le Mexique n’avait déjà aucune intention et aucun intérêt
à dissuader les investisseurs. Nous pensons qu’au contraire, cette notion dissuade l’Etat
d’intervenir dans des domaines où il est déjà peu enclin à le faire, ce qui a des conséquences
négatives sur l’attractivité du territoire à long terme.
En second lieu, les Etats en développement comme le Mexique ont besoin d’utiliser
leur pouvoir réglementaire de façon beaucoup plus importante que les Etats développés
pour attirer les IDE sur le long terme. En effet, nous avons montré que les Etats en
développement, contrairement à ceux de la triade, ont encore beaucoup d’efforts à faire pour
réunir les conditions nécessaires à l’attractivité. Or, plus l’Etat prend des mesures et opère
des changements, plus les risques d’expropriation indirecte sont grands. Afin d’éviter de
devoir payer des dommages et intérêts très élevés –comparé à leur niveau de richesse—et
de ruiner leur réputation auprès des investisseurs, les Etats en développement seront donc
enclins à ne pas prendre de mesures. L’absence de ces mesures les conduirait pourtant à
réduire leur potentiel d’attractivité sur le long terme.
Le risque de voir un effet dissuasif de ce type est réel à notre sens, lorsque l’on examine
la jurisprudence. En effet, douze plaintes ont été déposées jusqu’ici contre le Mexique, et au
moins cinq d’entre les plaignants déclarent avoir été victime d’une expropriation indirecte au
titre de l’article 1110. Dans les affaires Metalclad c. Mexique, Azinian c. Mexique, USA Waste
Service Inc c. Mexique et Waste Management Inc c. Mexique, les activités concernées
relevaient du traitement des déchets, une activité à l’impact environnemental potentiel élevé.
Dans l’affaire très discutée Metalclad c. Mexique, la compagnie américaine s’est déclarée
victime d’une expropriation indirecte consécutive à la décision de la municipalité mexicaine
de Guadalcazar de l’Etat de San Luis Potosi de lui renouveler une licence pour l’installation
de dispositifs de traitement des déchets dangereux. La municipalité a pris cette décision
car les habitants s’étaient plaint d’une possible pénétration des déchets dans la nappe
phréatique se situant juste en dessous de l’usine de traitement. Les arbitres ont tranché en
la faveur de Metalclad et le Mexique a été condamné à payer un dédommagement de 16
685 000 dollars. Le Mexique étant un Etat fédéral, la somme a du être payé par l’Etat fédéré
de San Luis Potosi. Il va sans dire que le poids de cette somme est énorme par rapport aux
revenus de l’Etat en question. La décision des arbitres est conforme au texte de l’ALENA, et
les maladresses de la municipalité mexicaine dans le traitement de cette affaire expliquent
que les arbitres aient été assez sévères dans l’évaluation du montant de la compensation.
Il reste que ce sont les contribuables de l’Etat de San Luis Potosi qui doivent payer la note.
53
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Dans le cas de l’inaction, ça aurait également été les habitants qui auraient risqué d’être
empoisonnés par les infiltrations de produits toxiques dans leur nappe phréatique. A long
terme, cet état de fait auraient certainement eu un effet dissuasif sur l’établissement d’autres
investisseurs dans la localité. Dans les deux cas, les pénalités sont importantes pour le
développement du pays.
Nous essayons de montrer qu’il existe une possible contradiction sur le long terme
entre les raisons pour lesquelles le Mexique a adopté le texte, et les dispositions de l’article
1110. En effet, Le Mexique a proposé l’ALENA qui devait parachever le cadre de son
nouveau modèle de développement. Pour le Mexique l’ALENA devait agir comme un outil
de promotion des IDE sur son territoire sur le long terme –on a montré que le Mexique
souhaitait par l’adoption de l’ALENA garantir la stabilité de son partenariat avec les EtatsUnis, sa principale source d’IDE. Si les dispositions du texte donnent lieu à des effets pervers
qui mettent en péril cette politique de développement elle-même, il semble qu’il y ait une
contradiction.
Il nous semble cependant difficile d’envisager la suppression ou même la modification
de l’article 1110. En effet, deux problèmes se poseraient. En premier lieu, un problème
pratique se pose. Le Mexique ne proposerait pas de lui-même cette mesure car l’image que
cela véhiculerait du pays auprès des investisseurs serait mauvaise, et le pays craindrait
la fuite des IDE. En outre, il n’est pas certain que le constat que nous faisons fasse
l’unanimité parmi les membres de l’ALENA. En effet, les investisseurs américains disposent
de beaucoup de pouvoir sur les négociateurs commerciaux du gouvernement. De plus,
Washington a souvent une vision très restrictive de la place de l’Etat dans les politiques
de développement social, sans parler de ses positions sur les politiques de protection
environnementale. En second lieu, nous estimons que ce n’est pas seulement l’article 1110
qui est en cause. En effet, nous voyons à travers l’application de cet article un phénomène
plus large de perte de pouvoir de l’Etat. Ce dernier n’est plus l’acteur économique principal,
en particulier dans les pays en développement et il est pris entre une logique d’attractivité
de court terme et de long terme. Il nous semble donc nécessaire, s’il est difficile d’envisager
une suppression ou une modification de l’article 1110, d’envisager une solution pour que
la population locale ne soit pas celle qui assume tous les risques qui découlent de l’IDE
et que le Mexique puisse mettre en place une stratégie d’attractivité durable. La solution
la plus adaptée selon nous, serait celle d’un rééquilibrage entre droits de l’investisseur et
droits humains au niveau régional.
II.3. Perspectives de changement
Nous avons identifié deux éléments problématiques –l’absence de prise en charge des
facteurs non juridiques de l’attractivité et les dangers face à l’interprétation large de l’article
1110-- qui nous semblent attester du fait que l’ALENA est un outil de développement
incomplet pour le Mexique. C’est peut être dû au fait que l’ALENA n’a pas été entièrement
conçu et n’est pas vu par tous comme un outil de développement. Le traité a aussi pour
Parties des Etats développés dont les préoccupations et les intérêts sont différents de
ceux du Mexique du fait de leur situation économique différente. Il n’en reste pas moins
que c’est comme un outil de développement que le gouvernement mexicain avait alors
envisagé l’ALENA, et en particulier son chapitre 11, qui devait garantir un flux d’IDE durable
au pays. Nous voulons donc envisager ici les options qui feraient de l’ALENA un outil de
développement plus complet, et permettraient ainsi au Mexique de réaliser durablement la
politique d’attractivité qu’il a amorcé dans les années 1980.
54
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
a) La nécessité d’une coopération régionale plus poussée
On a montré dans la première sous-partie de cette section B que les firmes multinationales
avaient tendance, pour des raisons d’organisation de la production, à raisonner et investir
sur une base régionale. C’est-à-dire que l’attractivité d’un territoire est désormais basée sur
son environnement régional. Nous avons également montré que l’attractivité juridique n’était
qu’une partie des facteurs d’attractivité, et que le développement d’une politique d’attractivité
ne pouvait passer que par ce seul élément. En conséquence, il nous semble que le niveau
régional est celui le plus adapté pour mener une politique d’attractivité.
Des rapports récents de la Banque Mondiale indiquent que les accords régionaux ont
souvent un effet seulement à court terme sur les flux d’IDE dans les pays signataires.
Pour nous, la volatilité de ces effets est due principalement à l’absence de mise en
place d’autres facteurs d’attractivité que la liberté juridique d’investir sur le territoire des
Parties signataires de ces accords. L’ALENA, comme nous l’avons dit, n’est qu’une
zone de libre-échange, c’est-à-dire le niveau le plus basique de l’intégration régionale.
A court terme, l’entrée en vigueur d’un tel traité crée un climat de confiance chez les
investisseurs et un certain engouement pour les territoires concernés. Cependant, la
concurrence devient importante au niveau international. Cela est très vrai pour ce qui
est de la région nord-américaine, puisque les Etats-Unis multiplient par ailleurs les traités
bilatéraux d’investissement et les accords de libre-échange. La proximité géographique du
Mexique reste un facteur d’attractivité fort, mais d’aucuns peuvent douter de sa suffisance
pour assurer le développement durable du pays. À long terme, il va falloir plus de facteurs
d’attractivité au Mexique pour achever les buts de développement qu’il s’était fixé dans les
années 1980.
Il ne s’agit pas ici d’avoir une vision pessimiste des choses, mais nous constatons
cependant à partir des statistiques mondiales que la meilleure façon d’attirer les IDE
est d’être développé. En effet, les pays qui reçoivent le plus d’IDE sont aussi les plus
développés. Nous en concluons que la mise en place d’une politique d’attractivité à
long terme passe par une amélioration globale du niveau de développement –incluant
ainsi l’éducation, la santé, la présence d’infrastructures modernes et la préservation des
ressources naturelles.
L’ALENA doit par conséquent prendre en compte la nécessité d’une politique active
d’attractivité qui va au-delà de la simple liberté d’investir si les Parties souhaitent créer une
région dynamique sur le long terme. Selon nous, cette prise en compte pourrait se faire
à travers un niveau d’intégration plus élevé entre les Parties. Sans parler de pertes de
souveraineté au profit d’une entité supra-régionale, on pourrait envisager une coopération
accrue entre les gouvernements des Parties organisée sur le thème de l’amélioration des
facteurs d’attractivité de la région. Par exemple, le règlement d’une question comme celle
du passage de la frontière américano-mexicaine par les transporteurs routiers et ferroviaires
serait à notre sens positif pour l’ensemble de la région. La mise en place d’un outil de
coopération politique au niveau régional sur le thème de l’attractivité, pourrait également
aboutir à ce que la question du déséquilibre entre droits de l’investisseur et respect des
droits humains soit abordée.
b) Respect des droits de l’investisseur, respect des droits humains et
développement durable du Mexique : une difficile conciliation
A travers la mise en place d’un tel outil de concertation au niveau régional, des questions
plus épineuses concernant le respect de droits autres que commerciaux qui ont pourtant
55
DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
des effets à long terme sur le commerce pourraient être abordées. Les droits dont nous
parlons ici sont bien sûr les droits humains et environnementaux (si tant est qu’on puisse
désormais les dissocier) dont le respect, nous l’avons montré, sous-tend la réalisation de
nombre de conditions nécessaires à l’attractivité.
Ces droits sont eux aussi garantis par de nombreux textes internationaux qui ont
une valeur contraignante pour les Etats. Le droit des investissements, en tant qu’outil
de protection du droit de propriété, entre d’ailleurs dans le champ des droits humains.
Cependant, on constate que les premiers sont beaucoup mieux respectés que les seconds.
En effet, l’étude du mécanisme de règlement des différends définit au chapitre 11 de l’ALENA
nous a permis de conclure que les droits de l’investisseurs sont extrêmement bien protégés.
Dans le cas d’une violation de ces droits, un tribunal arbitral neutre statue sur le cas, sa
décision a force exécutoire. Pour ce qui est des droits humains, les choses sont différentes.
Les droits nationaux de beaucoup de pays les garantissent, mais les victimes de violation de
ces droits n’ont pas les mêmes options que les investisseurs pour faire respecter leurs droits.
En dehors de la Coure Européenne des Droits de l’Homme, il n’existe pas de juridiction
internationale dont la portée et la force exécutoire des décisions se soient montrées aptes
à faire respecter les droits en question. La plupart des mécanismes mis en place par
les organisations internationales sont facultatifs, et leurs décisions prennent la forme de
recommandations dont la force exécutoire est très limitée.
La solution à ce problème réside selon nous dans le rééquilibrage du respect des droits
humains et environnementaux face aux droits de l’investisseur. Nous nous alignons ici sur
la position qu’a adoptée Philippe Kahn lors d’un colloque organisé à Tunis les 3 et 4 mars
2006 sur le droit de l’investissement, où il a proposé l’intégration d’un volet portant sur le
respect des droits humains dans le droit international de l’investissement, car elle nous
semble solutionner un problème important. En effet, la solution alternative serait de mettre
en place des mécanismes de contrôle du respect des droits humains plus performants,
auprès desquels les victimes de violation pourraient déposer plainte et dont l’exécution des
décisions serait effective. Cette solution nous semble moins intéressante à court terme pour
deux raisons. D’abord, sa mise en place prendrait des années, de nombreuses tentatives ont
été faites et les résultats ne sont pas concluants, sauf pour une région très intégrée comme
celle du Conseil de l’Europe. Ensuite, ces procédures mettent en cause les Etats. Ce sont
eux qui se sont engagés à faire respecter ces droits humains, et ce sont donc eux qui sont
responsables devant ce type de juridiction. Or, les Etats en développement sont là encore
dans une situation différente de celle des Etats développés. Leur législation actuelle ou leur
application de celle-ci concernant les droits humains est encore en évolution, ils risquent
donc de se trouver bloqué entre droit de l’investisseur et droits humains. S’il prend une
mesure en faveur du respect des droits humains, un Etat en développement risque de devoir
dédommager des investisseurs pour expropriation indirecte. D’un autre côté, s’il ne prenait
pas cette mesure, il pourrait avoir à payer également les victimes du non respect des droits
humains, alors que cette violation est clairement consécutive à une mesure d’attraction
des IDE. Dans les deux cas, c’est la population qui paye, et les ressources limitées des
pays en développement ne leur permettent pas de faire face à une telle double pression
contradictoire.
L’investisseur, en revanche, provient des pays de la triade où les droits humains sont
beaucoup mieux respectés, il ne semble donc pas problématique pour nous d’intégrer
les droits humains dans le droit des investissements internationaux. Les investisseurs
en ont connaissance. De plus, nous soulignons que l’article 1120 postule que les droits
de l’investisseurs sont garantis par les standards du droit international en la matière.
56
Deuxième partie : Le Chapitre 11 de l’ALENA : un outil de développement attractif mais incomplet
En conséquence, il nous semble logique que ses devoirs en termes de droits humains
correspondent eux aussi aux standards internationaux. Cette solution nous semble la plus
à même d’apporter les résultats convoités par le gouvernement mexicain dans l’adoption
de son nouveau modèle de développement.
Nous estimons qu’il est normal, et même positif, que les Etats, en développement
ou non, soient responsables internationalement du respect des droits humains sur leur
territoire. Cependant, il nous semble que les responsables de ces violations doivent être
ceux qui en assument la responsabilité. Si ces violations sont consécutives ou entretenues
par un IDE, c’est l’investisseur qui est en cause. Sa mise en cause doit être faite au
niveau régional ou international, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit d’une violation du droit
international à son égard. Ce rééquilibrage devrait permettre selon nous d’attirer au Mexique
des investissements aptes à garantir un développement durable du pays. C’est-à-dire, des
IDE qui ne compromettent pas l’attractivité du pays sur le long terme.
Conclusion de la seconde partie
Nous avons vu dans cette seconde partie les facteurs d’attractivité générés par le chapitre
11 de l’ALENA mais aussi ses limites. En effet, dans un premier temps nous avons
essayé de déterminer l’étendue de la protection accordée à l’investisseur dans le cadre
de l’ALENA. Il nous semble que cette protection est très étendue, mais aussi qu’elle
est à géométrie variable selon l’interprétation que peuvent en faire les arbitres, dans la
mesure où les termes qui y sont employés ont souvent une signification juridique floue.
Nous avons montré que de cette attractivité juridique découlait un changement dans
le comportement des investisseurs, qu’ils soient concernés ou non par la protection du
chapitre 11. Les firmes adoptent ainsi une stratégie régionale qui a été l’une des causes de
l’augmentation importante des IDE au Mexique depuis l’adoption de son nouveau modèle
de développement dans les années 1980.
Cependant, nous avons essayé dans un second temps de replacer cette augmentation
des IDE au Mexique dans un contexte international, ce qui nous a porté à nous interroger
sur les limites de l’attractivité juridique. Il nous semble en voir deux. D’abord, l’attractivité
juridique semble être un élément nécessaire mais pas exclusif de l’attractivité d’un territoire
aujourd’hui. Ensuite, l’attractivité juridique poussée aussi loin que la pousse certaines
dispositions du chapitre 11 de l’ALENA, et en particulier son article 1110, pourrait selon nous
avoir des effets contre-productifs sur l’attractivité d’un territoire à long terme. Ayant constaté
ces limites, nous avons essayé de trouver des solutions valables pour que l’ALENA puisse
participer effectivement des buts que le Mexique s’était fixés à travers son adoption. Dans
cette optique, nous pensons qu’une coopération régionale mieux organisée sur des thèmes
incluant l’attractivité dans une perspective plus globale pourrait permettre de régler certains
problèmes de mise en place du traité et d’aboutir, à plus ou moins long terme, à l’inclusion
d’un volet portant sur les droits humains et environnementaux au sein même de l’accord ou
en tant que guide de son interprétation.
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
Conclusion
Le Mexique a été le premier pays en développement à suspendre le paiement de sa dette
en 1982, il a ensuite été le premier pays à connaître une libéralisation aussi rapide puis
le premier pays en développement à être intégré au sein d’un accord commercial régional
avec la première puissance du monde. En conséquence, il nous a semblé que l’étude du cas
mexicain pouvait nous livrer des enseignements importants quant aux résultats apportés
par le modèle de développement porté par le néo-libéralisme.
Nous avons montré que l’adoption de ce modèle n’est pas, à notre sens, le résultat
d’une imposition par les institutions internationales et les Etats de la triade –contrairement
à ce qui est parfois avancé—mais ressors bien d’un processus plus complexe pour les
mexicains. En effet, la philosophie politique nous enseigne que l’Etat émane de la volonté
générale et la défend, tandis que les acteurs privés défendent leurs propres intérêts. Dès
lors, un désengagement de l’Etat équivaut à un recul de la volonté générale face aux intérêts
privés. Un tel recul ne peut être qu’imposé selon certains. Cependant, cette vision de l’Etat,
si elle a cours en France, n’est pas partagée par tous. Nous avons essayé de montrer dans
la première partie que les mexicains, du fait des effets pervers engendré par le modèle de
développement précédent, avaient des raisons de penser que leur Etat défendait son propre
intérêt, et non l’intérêt général. Cet état d’esprit a eu pour conséquence le développement
d’un mouvement interne en faveur d’une réforme plus libérale. Les nouvelles règles de
droit d’inspiration néo-libérales sont alors plutôt perçues comme un rempart contre un Etat
devenu prédateur. Il y avait donc bien selon nous une double logique, à la fois endogène et
exogène, dans le changement de modèle de développement.
A notre sens, ce point est très important car il explique que les pays qui adoptèrent ce
nouveau modèle aient placé de nombreux espoirs en lui, ce qui est vrai pour nombre d’autres
pays en développement. C’est grâce à cette volonté nouvelle que les pays d’Amérique
Latine en particulier ont pu mettre en place des réformes aussi radicales que celles mises en
place par le Mexique. Le nouveau modèle de développement diffusé dans les années 1980
est fondé, nous l’avons montré, sur la place centrale jouée par les IDE. Ceux-ci devaient
apporter stabilité financière d’une part, et restructuration des économies hôtes d’autre part.
Cependant, cette politique rencontre de sévères critiques depuis la crise argentine en 2002.
Les populations d’Amérique Latine se sentent pour beaucoup trahies car elles estiment que
le nouveau modèle de développement n’a pas tenu ses promesses. De la même façon, des
critiques émergent au Mexique remettant en cause les bienfaits supposés de l’ALENA, en
mettant en exergue les chiffres toujours élevés de la pauvreté dans le pays, qui est pourtant
le second pays en développement accueillant le plus d’IDE au monde.
Nous croyons pouvoir déduire de l’étude détaillée que nous venons de mener sur le cas
mexicain qu’il existe deux causes à cette désillusion quant à un système de développement
par les IDE. Premièrement, ce système est insuffisant. A notre sens, on ne peut attendre
des agents économiques que des actions qui auront pour but la recherche de profits. En
conséquence, il est illusoire d’attendre d’eux qu’ils règlent les problèmes d’ordre politique.
La dimension politique est manquante, mais s’avère toujours nécessaire. Dans la mesure
où la stratégie des investisseurs est aujourd’hui régionale ou mondiale, il nous semble
que la dimension politique de la promotion, si elle veut être efficace, doit l’être également.
58
Conclusion
Deuxièmement, ce système est déséquilibré. Ce système est déséquilibré car il favorise
selon nous la promotion des IDE en termes de quantité et non en termes de qualité. Il y a
plusieurs types d’IDE. Il y a ceux qui se concentrent sur l’activité manufacturière de base et
la réduction maximale des coûts par des coûts de main d’œuvre bas plutôt que par l’apport
de nouvelles technologies. Ces investissements-ci créent une configuration économique
proche de celle décrite dans les enquêtes que Marx menait auprès de la classe ouvrière
européenne au XIXème siècle. C’est ainsi que le Sud récolte les activités économiques
que les sociétés du Nord n’estiment plus conformes à leurs valeurs. Selon nous, ces
investissements ne peuvent êtres positifs pour un pays que s’ils sont très temporaires et
permettent à ce pays de passer en une génération à d’autres types d’investissements. Ces
autres types sont ceux dont les pays de la triade bénéficient, basés sur la technologie
et l’innovation, à forte valeur ajoutée. Pour attirer ce type d’investissement, nous l’avons
montré, il faut avoir de nombreuses caractéristiques. Pour nous, ces caractéristiques sont
en fait un niveau minimal de développement. C’est-à-dire que pour attirer de « bons » IDE,
il faut déjà être développé. Nous voyons ici que le modèle de développement par les IDE ne
résout pas le cercle vicieux du sous-développement. C’est pourquoi nous pensons qu’il y
a un déséquilibre. Il s’agit d’un déséquilibre entre respect et promotion des IDE d’une part,
et absence de respect et de promotion des droits humains au sens large d’autre part. Or,
nous avons vu qu’à long terme, le non respect du second nuit gravement au premier.
Pour remédier à ces deux limites du modèle néo-libéral de développement par les
IDE, il nous semble que le droit international peut être un outil central. En effet, il se voit
trop souvent confiné dans un rôle de simple traduction d’un rapport de force économique
international donné. Nous pensons que le droit international doit être un instrument privilégié
pour deux raisons. En premier lieu, les solutions en droit interne, nous l’avons montré,
ne sont plus d’actualité compte tenu de la concurrence mondiale entre Etat pour attirer
les IDE d’une part, et de la dimension international du droit des investissements d’autre
part. En second lieu, le droit est un outil qui engage a priori une action de long terme,
une dimension qu’à perdu –ou que n’a jamais eu le politique. Or, cette dimension de long
terme est tout à fait adaptée aux problématiques du développement, qui est un processus
long et qui nécessite de la stabilité. C’est pourquoi il nous semble que l’introduction d’un
volet respect des droits humains au sein même du droit des investissements serait le
moyen le plus efficace pour que les IDE participent effectivement de la transition des
pays en développement. Cette introduction permettrait à la fois que les IDE s’installant sur
un territoire donné n’hypothèquent pas les potentialités futures de développement, mais
également que le politique retrouve une marge de manœuvre en matière de promotion des
droits humains tels que définis par les grand textes internationaux, sans risquer de faire fuir
les investisseurs à court terme, ce qui favoriserait l’attractivité du territoire à long terme.
Une telle mesure introduite au sein de l’ALENA serait, selon nous, particulièrement
intéressante. En effet, il nous semble que cela constituerait à la fois une reconnaissance
des problèmes existants par les pays de la triade, mais également le début de l’extension
internationale de cette mesure, de par le rayonnement que créerait l’adhésion des EtatsUnis à une telle pratique. Dans cette optique, deux axes de recherche pourraient à notre
sens venir compléter notre étude. En premier lieu, une recherche en droit et en économie
permettrait de déterminer les modalités pratiques d’une part, et les effets économiques
d’autre part, de l’introduction des droits humains dans le texte. En second lieu, une
recherche en sociologie des organisations permettrait de voir les moyens par lesquels la
volonté politique d’opérer un tel changement pourrait émerger au sein des organisations
internationales et surtout du gouvernement américain.
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
MEXIQUE FACE À L’APPLICATION DU CHAPITRE 11 DE L’ALENA
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article est un extrait de l’ouvrage de l’auteur « Latin American adjustment : how much
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« World Development Report 2006 », PNUD, les données pour le Mexique sont
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HYPERLINK "http://hdr.undp.org/hdr2006/statistics/countries/data_sheets/
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« World Investment Report 2006 », PNUD, disponible sur le site du PNUD.
Mémoire de troisième cycle et thèses de doctorat
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DROIT DES INVESTISSEMENTS ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT : L’EXEMPLE DU
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Annexes
Annexes
A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut
d'Etudes Politiques de Lyon
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