et reconstruire en eux la foi de l’homme en lui-même » ; ils ont ainsi « ouvert les esprits à
une conception immanentiste de la réalité17 ». L’esprit conquiert sa substantialité dans la
négation du concept transcendant de Dieu – c’est-à-dire aussi du Vrai, du Bien, de
l’Universel, de l’Éternel, etc. Il reste que la Renaissance échoue dans ce processus :
l’homme retrouve certes en lui tout ce qui a prix, valeur et dignité, mais il n’y retrouve
pas l’objet, relégué dans une zone de transcendance qui, pour marginale qu’elle soit, n’en
continue pas moins de faire peser une menace sur l’homme18.
6 Ce défaut caractérise aussi le De antiquissima de 1710. Le verum-factum n’y joue le rôle que
d’un opérateur épistémologique négatif : Dieu seul connaît la nature, car il en est le
créateur ; l’homme se limite à reconstruire le processus par la voie de l’analyse.
L’opérateur ne révèle son sens positif que dans le domaine des mathématiques, où la
connaissance humaine emprunte la voie synthétique de la production : aussi les points et
les figures ne sont-ils rien d’autre que des fictions abstraites et vides de toute réalité19.
Comme les humanistes renaissants, Vico affirme la puissance démiurgique de l’homme ;
mais celle-ci reste chez lui une puissance abstraite. Citons ici le De antiquissima :
A l’exemple de Dieu (ad Dei instar), [l’homme] crée à partir d’aucun présupposé (ex
nulla re substrata) (comme Dieu à partir de rien (ex nihilo)) le point, la ligne, la
surface […]. Comme il lui est refusé de saisir les éléments à partir desquels les
choses (elementa rerum) existent de façon déterminée, il se crée des éléments
nominaux (elementa verborum), à partir desquels sont suscitées les idées20.
7 L’homme ne s’assimile à Dieu que sur un plan fictif, au point qu’on ne sait plus trop si
dans un tel texte Vico veut se réclamer de la tradition humaniste (l’homme créateur ex
nihilo comme Dieu), ou si, au contraire, il veut en faire la critique (l’homme créateur de
réalités seulement nominales et arbitraires). D’un côté la science en tant que savoir
humain – de l’autre l’être, la vérité, la nature, Dieu. Bref, le substantiel reste inaccessible à
l’homme : la physique du De antiquissima est essentiellement sceptique et empirique, et
annonce par là la philosophie de Hume21.
8 Il reste cependant que la métaphysique du De antiquissima est, pour Gentile, porteuse de
son propre renversement en une épistémologie positive. Il suffira à la Scienza nuova,
d’opérer un transfert, en donnant à l’homme la place du principe producteur aveugle du
De Antiquissima, et ainsi d’opérer le passage d’un monisme naturaliste à un monisme
humaniste. Vico accomplit ici le geste renaissant tout en lui donnant une portée
substantielle. Citons Gentile :
Là [i.e. dans le De antiquissima], l’esprit (la mente) humain était considéré comme
créateur d’un monde abstrait, n’ayant de valeur que pour le sujet qui le construisait
tout en tenant hors de lui la réalité, œuvre de Dieu. Et l’esprit (lo spirito)
géométrique n’était dieu que d’un monde de figures, tout comme l’on pouvait dire
que Dieu était le géomètre d’un monde réel. Ici [i.e. dans la Scienza nuova], l’esprit (lo
spirito) apparaît comme le créateur d’un monde solide, en soi parfait, qui est le
monde des nations, la civilisation, l’histoire22.
9 Comme auparavant Spaventa23, Gentile fait un large usage des paragraphes 2, 331-332 et
349 de l’édition de 1744 de la Scienza nuova, ceux-mêmes qui importent le principe du
verum-factum à l’intérieur du domaine des choses humaines, au sein duquel il est à même
de devenir un opérateur épistémologique positif. La Scienza nuova semble réussir là où
échouait le De antiquissima – l’établissement d’une physique mathématique sous la forme
d’une géométrie du réel. La science nouvelle est en effet une science synthétique,
procédant « tout comme la géométrie, qui, lorsqu’à partir de ses éléments construit ou
contemple le monde des grandeurs, fait ce monde pour elle-même (essa stessa si faccia il
Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
Noesis, 8 | 2006
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