Science de l`histoire ou métaphysique de l`esprit - Noesis

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Noesis
8 | 2005
La « Scienza nuova » de Giambattista Vico
Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
L’interprétation actualiste de la « Science nouvelle »
Thierry Gontier
Éditeur
Centre de recherche d'histoire des idées
Édition électronique
URL : http://noesis.revues.org/146
ISSN : 1773-0228
Édition imprimée
Date de publication : 10 novembre 2005
ISSN : 1275-7691
Référence électronique
Thierry Gontier, « Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ? », Noesis [En ligne], 8 | 2005, mis
en ligne le 30 mars 2006, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://noesis.revues.org/146
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Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
Science de l’histoire ou métaphysique de
l’esprit ?
L’interprétation actualiste de la « Science nouvelle »
Thierry Gontier
1
Verum est factum quatenus fit. Verum et fieri convertuntur : ces deux formules1, se donnent
très explicitement comme des amendements de celle qui ouvre le De Antiquissima italorum
sapientiae : « verum et factum convertuntur ».Giovanni Gentile entend ainsi prolonger le
projet profond de la philosophie vichienne, qui reste selon lui inabouti dans la Scienza
nuova. Ce geste, pour Gentile (héritier sur ce point, comme sur d’autres, de Bertrando
Spaventa), ne consiste pas dans l’instauration d’une philosophie de l’histoire, mais bien
d’une métaphysique de l’esprit :
Celui qui veut pénétrer dans cette pensée nouvelle, qui constitue le noyau
substantiel de la Scienza nuova, ne doit pas s’arrêter aux pénibles efforts (sforzi
faticosi), à travers lesquels Vico démontre par quel chemin précis l’humanité civile
parcourt et reparcourt dans le temps une histoire idéale, c’est-à-dire de quelle
façon le procès historique obéit à une loi constante immanente à la nature de
l’esprit humain (ce serait là l’objet de ce problème philosophique contestable (quel
contestabile problema) qui relève de ce que l’on nommera plus tard la « philosophie
de l’histoire ») ; mais il doit regarder plus avant, en tournant sa pensée vers la
profonde réflexion (quella profonda speculazione) à laquelle revient constamment la
pensée vichienne sur la nature de l’esprit humain2.
2
Gentile ne s’intéresse guère au détail du procès historique décrit par Vico, ses stases, ses
passages, ses rythmes, ses acteurs, etc. On ne trouve rien chez lui sur la formation du
langage ou du droit, sur la forme des institutions civiles, sur le statut du mythe ou de la
poésie – questions qui avaient donné lieu à des développements chez son ami Benedetto
Croce3. Ce qui l’intéresse presque exclusivement, c’est l’élaboration, dans l’œuvre
vichienne, des fondements d’une métaphysique de l’esprit, qui, tout en annonçant celle
de Hegel, la dépasse par avance, en en portant plus loin le geste idéaliste. Reste une
question que nous ne pourrons ici aborder qu’allusivement : cet accomplissement de la
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Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
philosophie vichienne dans une philosophie de l’esprit ne porte-t-il pas finalement à son
terme la destruction même de cette science nouvelle dont Vico avait eu l’intuition ?
3
Les textes qui nous intéressent ici sont publiés par Giovanni Gentile entre 1912 et 1916,
c’est-à-dire bien avant son adhésion au fascisme (ce qui ne veut pas dire que cette
adhésion ne soit pas impliquée, à un niveau théorique, par la substitution au factum
vichien du fieri gentilien). Gentile a une quarantaine d’années ; il a déjà publié des travaux
importants sur la praxis marxienne et initié un chantier de réflexion sur la rénovation de
la pédagogie ; le tout premier manifeste en faveur de ce qu’on a pris l’habitude de
nommer « l’actualisme » date de 1911 4, et conduit dans notre période à une réélaboration
de la dialectique hégelienne5, dont nous verrons qu’elle fournit l’une des clés pour
comprendre la lecture gentilienne de la philosophie de Vico ; Gentile est encore un intime
de Benedetto Croce, qui a publié lui-même, en 1911 (dans un esprit différent de celui de
Gentile), son propre ouvrage sur la philosophie de Vico6.
4
Détaillons rapidement les publications de ces années 1912-1916 ayant trait à Vico. Quatre
écrits sont à prendre principalement en considération pour notre étude :
• 1 / L’article « La prima fase della filosofia vichiana » (1912)7 propose une étude détaillée (dont
nous allons rapidement mesurer l’importance), des six Discours académiques inauguraux
rédigés et prononcés entre 1699 et 1707.
• 2 / L’article « La philosophie de Giambattista Vico », d’abord publié en français dans la revue
France-Italie en 1913 8, paraît dans sa version italienne sous le titre « La seconda e la terza fase
della filosofia vichiana », pour faire pendant à l’étude précédente, et être jointe, sous forme de
dyptique, au recueil des Studi Vichiani, publié cette même année à Florence, puis réédité avec
quelques modifications en 1927 9.
• 3 / Ce recueil de 1913 comprend aussi une étude qui a pour titre « Dal concetto della grazia a
quello della Providenza », sur laquelle nous aurons à revenir 10.
• 4 / La teoria dello spirito come atto puro, enfin, paraît en 1916. C’est le grand ouvrage
systématique dans lequel Gentile expose les principes de sa philosophie actualiste dans un
dialogue avec les grandes philosophies du passé, et, en particulier avec la philosophie
italienne, et ses deux figures majeures que sont Giordano Bruno et Giambattista Vico.
5
S’il est un principe herméneutique général qui gouverne la lecture gentilienne de l’œuvre
vichien, c’est le rattachement de Vico à la grande tradition du néopatonisme, et en
particulier du néoplatonisme de la Renaissance. Avant Giovanni Gentile, Bertrando
Spaventa (dont Gentile a d’ailleurs édité les œuvres entre 1899 et 1925 11) avait bien mis
en valeur la grande chaîne de la philosophie italienne, qui relie directement, quoiqu’à
plus d’un siècle d’écart12, Vico à Bruno et à Campanella. Ce principe herméneutique
gouverne tout d’abord l’interprétation de la métaphysique du De antiquissima. Gentile nie
énergiquement, que le principe vichien du verum-factum qui ouvre ce texte se soit jamais
trouvée chez Thomas ou chez les scolastiques, et ce malgré les similitudes textuelles,
relevées par Croce dans son ouvrage de 1911 13, comme elles le seront trois ans plus tard
par le recenseur des Studi vichiani dans la Civiltà cattolica14, dont le compte rendu donnera
lieu à une réponse ferme de Gentile dans sa seconde édition des Studi Vichiani 15. Pour
Gentile, c’est bien chez Marsile Ficin, chez Jérôme Cardan, chez Giordano Bruno ou encore
chez Tomasso Campanella qu’il faut en chercher l’origine authentique16. Le problème
historiographique cache en réalité un problème plus philosophique : la détermination du
sens même de cette convertibilité du vrai et du fait. Celle-ci part d’un geste profondément
immanentiste et humaniste : « Les Italiens », écrira Gentile en 1918, « afin de relever
l’homme oppressé sous la transcendance ancienne, ont dû fermer l’âme au vieux monde,
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et reconstruire en eux la foi de l’homme en lui-même » ; ils ont ainsi « ouvert les esprits à
une conception immanentiste de la réalité17 ». L’esprit conquiert sa substantialité dans la
négation du concept transcendant de Dieu – c’est-à-dire aussi du Vrai, du Bien, de
l’Universel, de l’Éternel, etc. Il reste que la Renaissance échoue dans ce processus :
l’homme retrouve certes en lui tout ce qui a prix, valeur et dignité, mais il n’y retrouve
pas l’objet, relégué dans une zone de transcendance qui, pour marginale qu’elle soit, n’en
continue pas moins de faire peser une menace sur l’homme18.
6
Ce défaut caractérise aussi le De antiquissima de 1710. Le verum-factum n’y joue le rôle que
d’un opérateur épistémologique négatif : Dieu seul connaît la nature, car il en est le
créateur ; l’homme se limite à reconstruire le processus par la voie de l’analyse.
L’opérateur ne révèle son sens positif que dans le domaine des mathématiques, où la
connaissance humaine emprunte la voie synthétique de la production : aussi les points et
les figures ne sont-ils rien d’autre que des fictions abstraites et vides de toute réalité 19.
Comme les humanistes renaissants, Vico affirme la puissance démiurgique de l’homme ;
mais celle-ci reste chez lui une puissance abstraite. Citons ici le De antiquissima :
A l’exemple de Dieu (ad Dei instar), [l’homme] crée à partir d’aucun présupposé (ex
nulla re substrata) (comme Dieu à partir de rien (ex nihilo)) le point, la ligne, la
surface […]. Comme il lui est refusé de saisir les éléments à partir desquels les
choses (elementa rerum) existent de façon déterminée, il se crée des éléments
nominaux (elementa verborum), à partir desquels sont suscitées les idées 20.
7
L’homme ne s’assimile à Dieu que sur un plan fictif, au point qu’on ne sait plus trop si
dans un tel texte Vico veut se réclamer de la tradition humaniste (l’homme créateur ex
nihilo comme Dieu), ou si, au contraire, il veut en faire la critique (l’homme créateur de
réalités seulement nominales et arbitraires). D’un côté la science en tant que savoir
humain – de l’autre l’être, la vérité, la nature, Dieu. Bref, le substantiel reste inaccessible à
l’homme : la physique du De antiquissima est essentiellement sceptique et empirique, et
annonce par là la philosophie de Hume21.
8
Il reste cependant que la métaphysique du De antiquissima est, pour Gentile, porteuse de
son propre renversement en une épistémologie positive. Il suffira à la Scienza nuova,
d’opérer un transfert, en donnant à l’homme la place du principe producteur aveugle du
De Antiquissima, et ainsi d’opérer le passage d’un monisme naturaliste à un monisme
humaniste. Vico accomplit ici le geste renaissant tout en lui donnant une portée
substantielle. Citons Gentile :
Là [i.e. dans le De antiquissima], l’esprit (la mente) humain était considéré comme
créateur d’un monde abstrait, n’ayant de valeur que pour le sujet qui le construisait
tout en tenant hors de lui la réalité, œuvre de Dieu. Et l’esprit (lo spirito)
géométrique n’était dieu que d’un monde de figures, tout comme l’on pouvait dire
que Dieu était le géomètre d’un monde réel. Ici [i.e. dans la Scienza nuova], l’esprit (lo
spirito) apparaît comme le créateur d’un monde solide, en soi parfait, qui est le
monde des nations, la civilisation, l’histoire22.
9
Comme auparavant Spaventa23, Gentile fait un large usage des paragraphes 2, 331-332 et
349 de l’édition de 1744 de la Scienza nuova, ceux-mêmes qui importent le principe du
verum-factum à l’intérieur du domaine des choses humaines, au sein duquel il est à même
de devenir un opérateur épistémologique positif. La Scienza nuova semble réussir là où
échouait le De antiquissima – l’établissement d’une physique mathématique sous la forme
d’une géométrie du réel. La science nouvelle est en effet une science synthétique,
procédant « tout comme la géométrie, qui, lorsqu’à partir de ses éléments construit ou
contemple le monde des grandeurs, fait ce monde pour elle-même (essa stessa si faccia il
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monde) », à la différence cependant que « notre Science le fait avec une réalité qui dépasse
celle de la géométrie, dans la mesure même où les ordres qui concernent les affaires
humaines (gli ordini d’intorno alle faccende degli uomini) ont une réalité qui dépasse celle des
points, lignes, surfaces et figures24 ».
10
Gentile pose ainsi les bases d’une lecture néoplatonicienne de la science nouvelle,
comprise comme science de l’esprit, en tant que l’esprit dont procède toute réalité est
proprement un esprit humain. Pourtant – et c’est là ce que le problème commence
véritablement à nous intéresser –, selon Gentile, la Scienza nuova ne parvient pas, à partir
du seul principe du verum-factum, à accomplir son projet au sein d’un système capable
d’unifier les deux métaphysiques – celle de la nature (ou de l’être) et celle de l’esprit. Le
résultat en est que la philosophie de l’histoire ne réussit pas à s’y constituer en une
véritable métaphysique de l’esprit. L’un des traits fondamentaux de la lecture gentilienne
de Vico (comme, d’ailleurs plus généralement de sa lecture de toute philosophie) reste
cependant de ne pas trouver la résolution de l’aporie à l’extérieur du système envisagé,
mais de chercher autant que possible à l’intérieur de celui-ci sinon une réponse, tout du
moins quelque chose comme une impulsion à même d’engager la recherche dans la
direction décisive. On peut dire qu’il la cherche dans trois directions un peu différentes,
répondant à des problèmes eux aussi un peu différents. On connaît d’ores et déjà la
dernière, qui est aussi la plus radicale, et qui consiste dans l’amendement de la formule
gentilienne et dans la substitution au principe du verum-factum de celui du verum-fieri.
Mais cette dernière étape est précédée de deux autres tentatives, développées dans les
Studi vichiani : la première consiste à chercher la solution dans une lecture des Discours
académiques de 1699-1707, placés au centre de la philosophie vichienne; la seconde à
mettre en valeur les études de Vico sur la grâce divine et à y voir la clé de sa conception
de la Providence.
11
Le premier obstacle à la constitution d’une authentique philosophie de l’esprit
(entendons une métaphysique de la réalité comprise comme esprit), tient à ce que, dans la
Scienza nuova, le monde des nations se trouve toujours pensé « en dehors » de la nature.
Citons Vico :
Quiconque réfléchit ne peut que s’étonner de voir comment tous les philosophes
ont appliqué leurs efforts les plus sérieux à parvenir à la science du monde naturel (
la scienza di questo mondo naturale), dont Dieu seul, parce qu’il l’a fait, a la science (
esso solo ha la scienza), et comment ils ont négligé de méditer sur le monde des
nations, ou monde civil, dont les hommes, parce que ce sont les hommes qui l’ont
fait, peuvent acquérir la science (ne potevano conseguire la scienza gli uomini) 25.
12
Vico réitère ici le geste caractéristique de la conversion socratique : la nature est
inconnaissable ; il nous reste cependant la possibilité de nous tourner vers un monde sur
lequel notre connaissance a pleinement prise, à savoir le monde de l’homme26. La
métaphysique de la nature du De antiquissima apparaît comme une sorte de repoussoir à la
science de l’histoire de la Scienza nuova. Le scepticisme physique s’articule naturellement
à une philologie qui ne l’abolit pas dès lors qu’elle travaille sur une autre région de
l’étant : le « faire » de l’homme, par opposition au « faire » de Dieu. Pour dire les choses
autrement, la philologie reste, au niveau de la Scienza nuova, une science régionale (la
science de l’histoire), et ne parvient pas à se constituer en une authentique mathesis
universalis.
13
La nature reste hors du pouvoir de l’esprit, et par là hors de la science. L’une des réponses
courantes à cette aporie depuis Jacobi (celle de Spaventa, De Sanctis et Croce) consiste à
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Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
en voir la résolution dans la philosophie idéaliste allemande. Ainsi, par exemple pour
Croce :
Vico distingue les deux mondes, celui de l’esprit et celui de la nature. A l’un comme
à l’autre est applicable le critère gnoséologique de la conversion du vrai et du fait :
il est applicable au premier par l’homme lui-même, parce que ce monde est l’œuvre
de l’homme, et par conséquent connaissable par lui, alors qu’il est applicable par
Dieu créateur au second monde, qui reste par conséquent incaonnaissable à
l’homme. Cette distinction ne fut pas reprise par la philosophie nouvelle [i.e. la
philosophie transcendantale et idéaliste allemande]. Plus vichienne que Vico, elle
fit de l’homme demi-dieu Dieu lui-même, éleva l’esprit humain (la mente umana) au
rang d’esprit universel (a spirito universale) ou d’Idée, spiritualisa et idéalisa la
nature, et tenta, dans la « Philosophie de la nature », de la comprendre
spéculativement comme étant elle aussi un produit de l’esprit. Tout résidu de
transcendance détruit, réapparut le concept de progrès que Vico n’avait pas
aperçu…27
14
Gentile fait aussi référence à ce schéma interprétatif. Mais, nous l’avons dit, le principe
méthodologique original de Gentile consiste à résoudre les contradictions d’une pensée
non pas dans une pensée ultérieure, mais, avant tout, à l’intérieur de cette pensée, en
exploitant des éléments de réponses ébauchés par l’auteur lui-même. De fait, il est vrai
que Vico lui-même a montré la voie qui mène à la solution du problème. Celle-ci tient,
dans la Scienza nuova, au lien implicite qui unit les deux vérités suivantes :
• 1 / Celle, exprimée à de nombreuses reprises dans les degnità, selon laquelle lorsque la raison
fait défaut, les hommes forgent une idée de la divinité (ou des choses en général) à travers
leur imagination28 ;
• 2 / Ce qui est fait est toujours, en tant même que produit par l’homme, vrai 29. Plus que de
règle du verum-factum, il faudrait d’ailleurs plutôt parler à ce stade de règle du factum-verum
: et il va de soi qu’il n’est pas équivalent de dire « est connu comme vrai ce qui est fait par le
sujet connaissant » (règle épistémologique) et « tout ce qui est fait par l’homme est de ce fait
même vrai et substantiel » (règle pour ainsi dire métaphysique).
• Conclusion implicite : le seul Dieu à la fois certain et vrai est le Dieu que forgent les hommes
avec leurs ressources spirituelles, et ce quelle que soit la nature de ces ressources (sensibles,
passionnelles, imaginatives, raisonnées, etc.). Par conséquent (conséquence elle aussi
implicite), ce qui est produit par Dieu (la nature) est en réalité produit par l’homme.
15
L’accent pour ainsi dire « évhémériste » de ces textes ne saurait cependant prendre toute
sa valeur que si l’on pose le Dieu créé par les hommes non comme une fiction poétique
vide, mais comme une réalité substantielle, parce que procédant d’un agir lui-même
substantiel. Feuerbach, explique Gentile dans une note de sa Filosofia di Marx de 1899 30,
« en partant de la prémisse que la religion était un produit de l’homme, concluait qu’elle
était une tromperie, une illusion, pour ainsi dire un hochet de l’esprit humain dont celuici aurait pu faire l’économie ». La « sagesse du genre humain » de Vico, ajoute-t-il, « est
sans aucun doute bien plus sérieuse » – car elle reconnaît la substantialité propre de cette
production humaine.
16
C’est à cet endroit que les six Orazioni inaugurali, prennent toute leur importance pour
Gentile. Ces textes, publiés au XIXe siècle (1823 pour le second, 1867 pour les cinq autres)
sont souvent regardés comme de simples exercices rhétoriques, ne sortant guère des
cadres fixés par les conventions universitaires (le grand discours protreptique de rentrée
scolaire, confié au professeur de rhétorique, et exhortant les étudiants à l’étude des arts
libéraux et des sciences). Tout au plus y voit-on (Vico lui-même en premier lieu) l’ébauche
d’une pensée qui trouvera son premier achèvement avec la publication du De nostri
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temporis ratione studiorum de 1708, qui est en réalité le septième de ces Discours. Pour
Gentile au contraire, Vico, dans ces Discours académiques, a comme entrevu dans une
intuition originaire la clé de l’unité de son œuvre future : « La première phase de la
pensée vichienne », écrit Gentile, « se distingue de la seconde et de la troisième comme
l’unité encore indistincte des deux autres (l’unità ancora indistinta di entrambe) 31 ». On peut
dire que pour Gentile les Discours académiques jouent dans l’économie générale du système
de Vico un rôle similaire à celui des Thèses sur Feuerbach dans l’économie générale du
système de Marx – celui d’un opérateur métaphysique d’unification et de systématisation.
Plus encore que le contenu de chaque discours, c’est la nécessité de leur succession qui en
fait un microcosme de la pensée vichienne.
17
Le premier discours32, prononcé en 1699, part du « nosce te ipsum » socratique (dont la
Scienza nuova attribuera l’origine à Solon), plaçant ainsi d’emblée la pensée vichienne sous
la paternité du néoplatonisme33 : se connaître soi-même, c’est connaître Dieu en soi (« [en
te connaissant toi-même], tu peux reconnaître le caractère divin de ton âme et tu
comprends qu’elle est l’image réfléchie de Dieu tout puissant34 »), et, à travers Dieu, la
totalité de l’être. Le premier discours, en un sens, semble dépasser par avance le
scepticisme du De antiquissima : l’âme humaine n’est plus une étrangère à l’être ; elle est le
milieu et le truchement des créatures – Gentile inscrit ici Vico dans la tradition
humaniste qui va de Ficin à Campanella35. Mais en réalité, le scepticisme n’est que
faussement dépassé : l’homme n’est l’interprète de la nature que par l’intermédiaire de
Dieu : l’âme n’est donc pas elle-même productrice de cette nature ; celle-ci est produite
par Dieu. Et l’âme humaine ne produit pas Dieu, dont elle n’est au fond qu’un simulacre.
En ce sens, le De antiquissima ne fera que tirer la conclusion logique de ce néoplatonisme –
à savoir une conclusion sceptique.
18
Les quatre discours suivants développent une autre formule exhortative— le « sequi
naturam » des stoïciens. Comme l’écrit Gentile, « la metafisica diviene un’etica, ma un’etica
che è una metafisica36». La question est : quelle est cette nature qu’il nous faut chercher et
suivre ? Ou, ce qui revient à poser la même question sous un autre angle37, quelle est cette
sagesse que nous devons acquérir ? C’est sur ce terrain que Vico va développer sa
réflexion, d’une façon de plus en plus poussée dans les quatre discours suivants (rédigés
entre 1700 et 1705). Du second au cinquième Discours va s’accomplir la conversion
caractéristique de Vico, ainsi résumée par Gentile : « Vico a détourné son regard du
monde intelligible des philosophes platoniciens ; il s’est concentré dans la contemplation
de l’homme38 ». La sagesse va progressivement s’épanouir non plus à travers l’union de
l’âme à l’unité divine qui la libère de la multiplicité des êtres sensibles (thème dualiste
encore très présent dans le second Discours), mais à travers l’engagement de l’esprit dans
cette multiplicité comprise comme multiplicité des institutions humaines (et tout
spécialement ici des institutions académiques et littéraires). Une conversion à Dieu
(entendu comme fin dernière et bien suprême) si l’on veut, mais à un Dieu non plus
abstrait et séparé de la multiplicité, mais concret et médié, qui procède dans la
multiplicité des nations39.
19
Le sixième Discours (1707) peut maintenant revenir au nosce te ipsum : mais cette fois, ce
que l’homme découvre en lui-même n’est plus, comme c’était le cas huit ans plus tôt, un
Dieu transcendant, principe de toutes choses ; c’est un Dieu pleinement immanent,
compris comme procès du développement de l’esprit humain. L’esprit humain apparaît
dès lors non plus comme un mode de la divinité, mais comme le véritable principe
monadique qui, en tant que liberté absolue, se produit lui-même40, en produisant en lui la
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multiplicité des formes historiques, et en réalisant ainsi le divin dans le monde humain.
L’ordre invariable de la progression pédagogique de l’étudiant reproduit en microcosme
l’ordre éternel de l’histoire des nations41. L’histoire, ainsi intériorisée, n’est plus séparée
de la nature – elle décrit le procès de notre nature (celle que nous créons et instituons
dans un autodéveloppement de l’esprit), et elle devient dès lors notre véritable
métaphysique (la nostra vera metafisica42).
20
Les Discours, selon Gentile, fournissent ainsi le principe métaphysique exploité, tout en y
étant absent, dans la Scienza nuova. L’esprit humain n’y est pas seulement co-créateur,
égal et émule de Dieu à l’intérieur d’un domaine spécifique de l’étant : il faut ici franchir
le pas qui sépare le démiurgisme renaissant de l’évhémérisme radical ; plus encore, poser,
dans un geste qui concilie évhémérisme et hermétisme, l’esprit humain comme identique
à Dieu, et, par là, créateur de tout ce qui est, d’une façon ou d’une autre, substantiel.
Comme l’écrit Gentile, « c’est– et cela restera – une exigence absolue (pura esigenza) de sa
pensée [vichienne] : ne pas faire créer mystérieusement l’homme par Dieu, mais,
rationnellement, Dieu par l’homme43 ».
21
Dans la Scienza nuova, Vico a d’une certaine façon manqué le principe métaphysique dont
dépend le verum-factum lui-même : la position du faire humain comme unique réalité et
unique vérité – le principe, pour ainsi dire, du verum-fieri. Pourtant, le De antiquissima a
jusqu’à un certain point montré le chemin. Ce qu’il y a de plus abouti dans la
métaphysique du De antiquissima, et qui, pour Gentile, hausse ce texte au dessus même de
la Monadologie de Leibniz 44, c’est la théorie du conato qui s’y trouve développée. Le conato
est compris par Vico comme une force spirituelle originelle et par là radicalement libre,
agissant dans la nature, « le principe du mouvement in fieri45 ». C’est là que réside, pour
Gentile, l’acquis métaphysique majeur du De antiquissima : avoir pensé l’être en le
ramenant à la pure productivité du conato originaire, c’est-à-dire à la spontanéité absolue
du fieri. Le De antiquissima échoue cependant à fonder sur cette métaphysique du conato
une authentique métaphysique de l’esprit. La pensée du conato s’y trouve liée à la théorie
du point métaphysique. L’esprit humain n’est qu’un point métaphysique parmi les
autres : comment connaît-il les substances autour de lui ? Par une méthode analytique
appliquée aux données de l’expérience. Car seul Dieu a la connaissance certaine de ces
conati qu’il a produit lui-même, et il constitue comme le point aveugle dans lequel s’abîme
la connaissance humaine (Vico hérite ici des traditions de la théologie négative).
L’intelligibilité de la physique se paye donc d’une métaphysique profondément sceptique.
22
Le De antiquissima reconnaît donc le primat du processus sur les déterminations, mais
échoue à penser ce processus comme vie et autoconscience de l’esprit humain. En un
sens, c’est du défaut symétriquement inverse que souffre la Scienza nuova. Celle-ci
humanise le processus, en pensant le conato comme essence de l’ingegno humain (c’est-àdire de l’esprit humain entendu comme pure activité mentale, force active et créatrice46).
Les dignités 11 et 111 font du conato le libre arbitre humain lui-même, rendu certain et
déterminé par le sens commun des hommes47. Cependant, la Scienza nuova échoue en ce
qu’elle ne pense pas ce conato dans la substantialité de son énergie propre, face à laquelle
toute réalité doit apparaître comme une détermination subordonnée. A la substantialité
de l’esprit, compris comme vie et comme force créatrice, Vico substitue la substantialité
du plan, que la science tente péniblement de reconstruire à partir de ses figures
temporelles concrètes, mi-rationnellement mi-empiriquement, et en mélangeant
considérations sub specie temporis et sub specie aeterni, sous la forme d’une histoire idéale
éternelle. Les hommes, parce qu’ils ne possèdent pas l’élément proprement substantiel de
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cette histoire, ne peuvent que la re-faire et la re-tracer, et non proprement (c’est-à-dire
librement) la faire et la créer, en s’en constituant comme seuls et uniques agents. Du
coup, l’histoire reste au fond pour Vico comme la nature dans le De antiquissima : une
donnée extérieure en son principe48. Dès lors, le verum-factum se trouve privé de son
fondement métaphysique et se borne à jouer le rôle d’un opérateur épistémologique à
l’intérieur de cette philosophie de l’histoire dont, selon Gentile (comme on l’a vu), le
projet est par lui-même contestable – c’est-à-dire faussement scientifique :
Vico a fait de la Scienza nuova une philosophie de l’histoire, là où elle aurait pu être
dans sa forme comme dans sa substance et dans ce qui en constitue sa valeur, une
philosophie de l’esprit, c’est-à-dire une métaphysique de la réalité comprise comme
esprit (una filosofia dello spirito, cioè une metafisica della realtà intesa come spirito) 49.
23
Vico tente de résoudre l’aporie à travers une réflexion théologique sur la Providence et la
grâce divine. Dans les articles de 1911-1913, Gentile s’intéresse tout particulièrement à
quaestio vexata de la conciliation de la Providence et de l’efficace du libre arbitre humain.
Spaventa et Croce s’étaient déjà intéressés à ce problème. L’originalité de la position de
Croce tient à ce qu’il fait de la Providence vichienne (et de la Providence tout court) non
l’action d’un agent non-humain sur l’histoire humaine, mais l’action même de l’homme
ramenée à son noyau politiquement substantiel – l’action accomplie, comme l’écrit Croce,
« nel inspirazione del genio, nel sacro furore del vero, nel santo entusiasmo dell’eroismo 50 ». La
Providence utilise les passions non par une « ruse de la raison », mais tout simplement
parce que nos actions sont en général mélangées de raison et de passions ou
d’imaginations, d’héroïsme et de frivolité. Nous croyons faire par passion et pour notre
utilité personnelle ce que nous accomplissons en réalité dans le sacrifice de notre propre
individualité. Bref, c’est l’élément universel en nous-même qui « ruse » – ou plus
exactement qui « compose » – avec nos passions. En un sens, on peut dire que Gentile
tente de penser cet héroïsme sur un plan non plus éthico-psychologique, mais
proprement métaphysique. Cet héroïsme est celui de la « mente eroica » ou du « spirito
eroico » bruniens51, compris comme « point d’union des contraires », c’est-à-dire du point
de conversion du « faire » humain (particulier) et du « faire » divin (universel).
24
Étonnamment, Gentile tente d’éclairer les fameux textes de la Scienza nuova sur la
Providence à partir non d’un corpus de texte précis, mais des études que Vico, dans son
autobiographie, écrit allusivement avoir poursuivies dans les années 1686-1695, sur la
question théologique de la grâce – cours par lesquels il a été en particulier mis au contact
de la pensée du jésuite Stéphane Dechamps (pseudonyme : Antonius Richardus, ou, en
italien, Reccardo). Dechamps refuse à la fois le calvinisme (la grâce comme négation de la
liberté humaine) et le pélagianisme (la liberté humaine comme négation de la grâce).
Compris par Gentile dans la perspective vichienne, le calvinisme consiste en une position
abstraite de la volonté divine, le pélagianisme en une position abstraite de la volonté
humaine. La position médiane, attribuée à Augustin, de la collaboration de la grâce et du
libre arbitre, conduit Vico à penser la grâce comme « volonté non plus immédiate,
générique et abstraite, mais déterminée et concrétisée à travers l’histoire dans le cours
rationnel de laquelle se réalise une volonté supérieure à celle de l’individu, une fin dans
laquelle se résolvent les fins particulières de l’homme singulier52 ». Ainsi pensée, la
théorie de la grâce devient dans la Scienza nuova, théorie de la Providence. Vico tente
moins d’articuler, avec sa théorie de la Providence, histoire profane et histoire
chrétienne, qu’il tente de mettre au jour le principe efficient moteur de l’histoire. La
Providence, c’est-à-dire le « libre arbitre vérifié (accercato) et déterminé par le sens
commun des hommes », n’est ainsi rien d’autre que la grâce comprise à son niveau
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Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
d’immanence le plus radical, c’est-à-dire la coïncidence (serait-elle une limite jamais
atteinte) des deux conato, humain et divin53. Ainsi pensé, le verum-factum ne contredit pas
la rationalité d’un plan qui se déroule dans une histoire qui reste cependant toujours notre
histoire.
25
Le principe gentilien du verum-fieri se veut le prolongement du geste engagé par Vico
dans sa réflexion sur la grâce et la Providence. A une collaboration, qui reste malgré tout
en quelque façon extrinsèque et tendant vers une coïncidence jamais proprement
atteinte, il faut substituer l’identité absolue de la Providence et de la volonté humaine, du
conato divin et conato humain. La Scienza nuova reconnaît certes le caractère humain du
conato. Cependant, pour sauver la logique du plan historique (un plan nécessairement
posé préalablement à toute praxis humaine), elle manque de reconnaître dans la
spontanéité pure de l’ingegno le principe originaire producteur de tout être. La rationalité
du plan « bloque », pour ainsi dire, le processus d’immanentisation, l’empêchant de
s’achever dans un processus de « potentialisation ». Vico ne fait au fond rien d’autre que
réitérer l’aporie fondamentale de la physique aristotélicienne : dès lors que l’on pose la
primauté des termes du processus (hupokéiménon, stérèsis, éidos) sur le processus lui-même
(le phuesthai), celui-ci ne peut paraître qu’un élément surajouté, extrinsèque et accidentel.
Pour résoudre l’aporie, il faut donc sortir du vieux schéma aristotélicien54 et faire des
figures historiques non des formes qui précédent le mouvement, et lui imposent sa
directionalité et sa finalité, mais de simples modalités temporelles et éphémères d’un
conato originaire qui ne vise rien d’autre que lui-même et sa propre manifestation, et qui
ne se trouve en aucun cas épuisé dans la production de ses déterminations particulières
et contingentes (les faits historiques). Il faut donc affirmer la préséance du fieri sur le
factum, du processus sur le résultat qui n’en est qu’une détermination, et donc, d’une
certaine façon, une négation et une déchéance : « ce qui est posé est dans l’être, et n’est
plus in fieri […]. Le faire […] a cédé la place au fait55.
26
Nous pouvons maintenant citer les textes de la Teoria dello spirito :
Au lieu de ‘verum et factum convertuntur’, il faut dire (…] ‘verum et fieri
convertuntur’, ou encore : ‘verum est factum quatenus fit’56.
Ce qui est juste, c’est que le fait, avec lequel se convertit le vrai, étant la réalité
spirituelle elle-même, qui se réalise […] elle-même, n’est pas proprement un ‘fait’,
mais un ‘se faire’. En conséquence de quoi il faudrait plutôt dire : verum et fieri
convertuntur57.
27
Le fieri désigne l’essence la plus intime de l’esprit humain : l’autocausalité (efficiente) de
l’esprit, compris comme unité de l’essence et de l’activité, causa sui, qui se connaît
entièrement lui-même en tant qu’il se produit lui-même dans un processus d’autoexplicitation à la fois nécessaire et libre58.
28
A travers la critique de Vico, c’est bien évidement Hegel qui se trouve visé. La dialectique
hégélienne, écrit ailleurs Gentile, « trahit la méthode d’immanence59 ». En posant l’être
avant l’activité dont il émane, la dialectique hégelienne se trouve finalement conduite à
nier la substantialité du processus en tant que tel au profit du logos qu’y s’y réalise, et qui
est compris comme loi archétypale et condition a priori de reconstructibilité du processus
spirituel60. Il faut donc corriger la dialectique hégélienne de la même façon que l’histoire
vichienne, et faire de la dialectique du pensato une dialectique du pensiero 61. Gentile ne
retient de la dialectique hégélienne que le processus de négativité en tant qu’impetus, la
force du passage du non-être à l’être, l’énergie de la contradiction comprise comme
création ex nihilo : c’est de la même façon qu’il ne retient du verum-factum vichien que son
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Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
noyau dynamique – le verum-fieri, c’est-à-dire la productivité absolue de l’esprit comprise
comme racine de toute détermination ontologique. En réalité, le vrai interlocuteur de
Vico, ce n’est pas Hegel (comme le pensait encore Spaventa62), mais Giordano Bruno (« il
suo forse ignorato precursore63 »). Le vrai dialogue de la métaphysique se joue non entre
Vico et Hegel (un monisme et un dualisme), mais entre les deux grands monismes de
l’histoire de la philosophie italienne – celui de Bruno et celui de Vico. Il manque à la
monade brunienne, pensée comme conato, d’être véritablement humanisée. Il manque à
l’inverse à l’ingegno vichien, pensée comme proprement humain, d’être entièrement
« potentialisé » (c’est-à-dire rendu à sa dynamique constitutive). L’actualisme, monisme
de l’esprit en tant qu’esprit humain, opère comme une synthèse entre Bruno et Vico, une
synthèse qui laisse de côté les figures du dualisme, celle de Hegel en premier lieu.
29
Il y a dans l’ouvrage de Croce une étrange critique faite à Vico64, dont on peut se
demander si elle n’est pas en réalité adressée implicitement à Gentile. C’est un point de
détail qui amène cette critique : la forme poétique de l’esprit est pour Vico une simple
étape dans le processus historique, étape dépassée lorsque l’universel imaginant se mue
en un universel raisonné. Or il est de fait que la poésie subsiste à travers cette mutation,
et qu’elle représente encore maintenant même une forme vivante de l’esprit. « La
poésie », écrit Croce, « est de toutes les époques, et non seulement de l’époque barbare.
Elle est une catégorie idéale, non un fait historique (è una categoria ideale e non un fatto
storico)65 ». Ce qui est intéressant est ce que Croce tire de cette constatation : les formes ne
sont pas de simples épiphénomènes d’un processus solipsiste qui ne viserait que sa propre
affirmation. Le monisme du processus au fond abolit le processus lui-même – ce qui n’est
que reprendre dans son principe la critique qu’Aristote faisait aux éléates : il faut poser la
permanence des formes pour sauver la rationalité du mouvement. Le spiegamento ne fait
pas par soi-même histoire. Poser comme le fait Leibniz, un développement du concept
allant de la perception obscure à la perception confuse, puis à la perception claire et enfin
à la perception distincte, c’est poser le concept totalement explicité (la « ragione tutta
spegiata » de Vico) dès le départ et refuser par avance la créativité même de l’histoire. Une
telle doctrine moniste du mouvement (compris comme auto-explicitation, autoconscience
ou auto-affirmation) est, écrit Croce, « impuissante à rendre raison, non seulement de la
poésie, mais du développement spirituel, lequel ne peut être compris dans sa dialectique
tant qu’il est constitué de différences purement quantitatives qui, en réalité, ne sont pas
des différences, mais des identités et, par conséquent, des immobilités 66 ».
30
Il ne s’agit sans doute que d’un défaut véniel chez Vico, pour qui l’esprit est
fondamentalement, écrit Croce, « un drame éternel (un eterno drama) » qui « exige des
antithèses » : à l’occasion, il arrive cependant à Vico de méconnaître ou d’oublier ces
antithèses et de croire que les formes catégorielles ne sont que des figures temporelles de
l’histoire, des « types sociaux » ou des « faits historiques » – Vico paye cette
méconnaissance et cet oubli par des défauts structurels dans sa pensée, et en particulier
par ce mélange de philosophique et d’empirisme qui caractérise la Scienza nuova. Mais s’il
est une philosophie qui ignore totalement ces antithèses, c’est bien celle de Gentile. La
tripartition de l’histoire en poésie (moment du sujet), religion (moment de l’objet) et
philosophie (moment de l’union)67 ne fait pas véritablement dialectique. Elle ne repose
que sur un dualisme d’emprunt du sujet et de l’objet, dès lors qu’il n’y a pas en vérité d’
objet qui puisse se poser comme un « en soi » devant le sujet pour créer une tension de
l’esprit et finalement se résoudre en lui. Un tel dualisme cache en réalité un monisme
radical du processus.
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C’est bien donc l’actualisme gentilien qui tombe sous la critique de Croce (qui se garde
bien, à cette période tout du moins, de nommer son ami). Cet actualisme se détruit au
fond lui-même : la pensée de la pure créativité rend impossible toute forme de création,
comme la pensée de la pure processualité rend impossible le processus lui-même. En
réintoduisant dans la pensée vichienne des antithèses et une forme de dualisme, Croce
tente désespérément de sauver chez Vico une science qui soit en même temps science de
la praxis. Il reste qu’il y a là une aporie peut-être insoluble. Il n’y a de science au sens
propre du terme qu’hors de tout scepticisme, c’est-à-dire que si l’objet se trouve
totalement pris en charge par le sujet, que si nul résidu ne subsiste donc hors de l’esprit.
Mais ce monisme spirituel conduit en réalité purement et simplement à supprimer l’objet
(le sujet étant pour sa part réduit au simple mouvement d’auto-explicitation de la
pensée), et par là la science. Sauver le processus à la fois dans sa libre processualité et
dans son développement téléologique, concilier une métaphysique du conato et une
philosophie de l’histoire, c’est peut-être là un pari tout simplement impossible et voué
par avance à l’échec.
NOTES
1. Teoria dello spirito come atto puro dans Opere complete di Giovanni Gentile (vol. III), Firenze,
1987 [Teoria], II, 8, p. 21 ; III, 1, p. 22 ; III, 8, p. 28 ; VI, 18, p. 83 et XII, 5, p. 174. Certains de
ces textes seront cités plus complètement dans la suite de notre étude. C’est toujours nous
qui traduisons les textes de Gentile. Notons cependant qu’il existe une traduction
française de la Teoria (Esprit, acte pur, trad. A. Lion, Paris, Felix Alcan, 1925), dont nous
nous inspirons à l’occasion.
2. G. Gentile, « La seconda e la terza fase della filosofia vichiana », dans Studi Vichiani,
Firenze, Felice Le Monnier, rééd. 1927 [Studi Vichiani], p. 111-112.
3. On trouve cependant chez Croce un jugement assez proche de celui de Gentile, selon
lequel la Science nouvelle est essentiellement, dans son projet (sinon dans son contenu
explicite), une métaphysique de l’esprit : « Lorsque l’on attribue à Vico ou à Herder le
mérite d’avoir créé avec la philosophie de l’histoire une nouvelle science, on leur adresse un
compliment douteux : celui-ci, en particulier pour Vico, a été cause de ce que l’on n’a pas
discerné la véritable valeur de son œuvre. En réalité, la ‘Science nouvelle relative à la
commune nature des nations’, comprise comme la science équivoque de la philosophie de
l’histoire (c’est là le titre donné par Michelet à son abrégé en français de l’œuvre
vichienne), a empêché de considérer la Science nouvelle comme philosophie nouvelle de
l’esprit et début d’une métaphysique de la pensée » (La filosofia di G.B. Vico, éd. cit. infra,
p. 139).
4. Il s’agit de l’article « L’atto di pensare come atto puro », paru dans l’Annuario della
biblioteca filosofica di Palermo, 1912, vol. I, p. 27-42.
5. L’ouvrage La riforma della dialettica hegeliana (Messina, 1913, rééd. 1923) comprend une
série d’études originairement parues entre 1904 et 1912.
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6. B. Croce, La filosofia di Giambattista Vico, Bari, 1911,rééd. avec modifications1922, 1932,
1946. Nous avons consulté la réédition critique faite par F. Audisio dans le cadre de l’
Edizione nazionale delle Opere di Benedetto Croce (Saggi filosofici, II), Bibliopolis, 1997. Notons
qu’il existe une traduction française : La philosophie de Jean-Baptiste Vico, trad. H. BuriotDarsiles et G. Bourgin, Paris, M. Giard et E. Brière, 1913.
7. Paru initialement dans les Studi pubblicati in onore di Francesco Torraca, Napoli, 1912.
8. Il sera traduit en allemand sous le titre « G.B. Vicos Stellung in der Gesch. Der
europäischen Philosophie », dans Internationale Monatsschrift für Wissenschaft Kunst und
Technik, Berlin, janvier 1914.
9. Les Studi Vichiani forment le volume XXII des Opere de Gentile (cf. supra.).
10. En plus de ces trois études à caractère proprement philosophique, les Studi Vichiani
comprennent aussi des travaux plus philologiques, des recensions d’ouvrages, et en
particulier de l’édition des Œuvres de Vico de Fausto Nicolini, dont la première édition
critique de la Scienza nuova paraît en 1911, et à qui est dédié l’ouvrage de Gentile. Pour
information, l’ouvrage comprend aussi une longue étude (près de la moitié de l’ouvrage)
sur Genarro Vico. Enfin, la première édition comprend une étude sur Vincenzo Cuoco, qui
disparaîtra des éditions suivantes, pour rejoindre un autre ouvrage spécialement
consacré à cet auteur (qui forme le volume XVI des Opere de Gentile).
11. La première édition en trois volumes des Opere de Spaventa date de 1924. Nous avons
consulté (et citons ici) l’édition parue chez Sansoni en 1972. Trois textes sont ici
particulièrement importants : 1 / Le Discours inaugural aux cours de 1860 sur la
philosophie italienne du XVIe siècle à nos jours (Carattere e sviluppo della filosofia italiana
dal secolo XVI sino al nostro tempo, t. I, p. 295-332) ; 2 / Le cours lui-même qui, dans ce
cursus, est consacré à Vico (t. II, p. 524-547) ; 3 / La lettre de 1868 au prof. A.C. de Meis
connue sous le titre « Paolottismo, positivismo, razionalismo » (bigotisme, positivisme,
rationalisme) (t. I, p. 481-501).
12. Cf. en particulier l’étude « Il pensiero italiano nel secolo del Vico », dans les Studi Vichiani,
1927, p. 3-18, qui consiste en réalité en une recension critique de l’ouvrage de Gabriele
Maugain, Étude sur l’évolution intellectuelle de l’Italie de 1657 à 1750 environ, Paris, Hachette,
1909.
13. Croce (La filosofia di G.B. Vico, 1997, p. 36) fait référence à l’opposition thomasienne de
l’« ordo quem ratio considerat sed non facit » et de l’« ordo quem ratio considerando facit » (
Comm. Éth. Nic., XXV, 1, 1, 18). Cependant, répondant en 1912 à un critique catholique
(réponse que l’on trouve traduite sous le titre « Les sources de la gnoséologie vichienne »,
dans la trad. de H. Buriot-Darsiles et G. Bourgin, La Philosophie de J.B. Vico, Paris, 1913,
p. 314-338), Croce reprend et amplifie les remarques gentiliennes de « La prima fase … »
qu’il connaît et cite. Thomas a insisté sur la convertibilité de l’ens, du verum et du bonum
– ce qui est bien autre chose que celle de l’ens (ainsi que du verum et du bonum) et du
factum : en réalité, pour Thomas, il est hors de doute que l’on ne fait que pour autant
qu’on connaît, et non l’inverse – même Dieu est soumis à cette priorité de la connaissance
sur le faire. Pour Aristote, Croce met l’accent sur le caractère réaliste des mathématiques,
s’appliquant à une hulè noètè indistincte in re de l’être sensible. Croce critique aussi les
rapprochements possibles avec Duns Scot ou la scolastique nominaliste, pour mettre
finalement, comme Gentile, l’accent sur les sources renaissantes (Ficin, Cardan, Tomasso
Cornelio, etc.).
14. Numéro du 5 février 1916. L’Auteur s’appuie sur la distinction aritotélicienne entre
métaphysique et mathématiques en citant Thomas d’Aquin, Comm. in Metaphysicam, l. I,
lect. 2 et Suarez, Disputationes Metaphysicae, Disp. I, lect. 5, n. 26.
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15. Cf. Studi Vichiani, p. 142-146.
16. Cf. en particulier « La prima fase della filosofia vichiana », Studi Vichiani, 1927,
p. 31-35, où Gentile cite de Marsile Ficin, la Theologica platonica, IV, 1 (éd. des Opera de
Bâle, 1561, I, p. 123) et et les Commentaria in Parmenidem (Ibid., II, 1149), de Jérôme Cardan
le Tractatus de arcanis aeternitatis, c. 4, ainsi que, de Campanella, quelques vers des Poesie
(éd. Gentile, p. 33) qui nomment Dieu « il primo ingegnero ». La réponse à la recension de la
Civiltà cattolica ajoute à ces références celles, pour Ficin, à la Theologia platonica, XIII, 3. On
retrouve le thème, allusivement abordé, dans « La seconda e la terza fase … », Studi
Vichiani, p. 128-129.
17. Cf. G. Gentile, Il Pensiero italiano del Rinascimento, dans Opere Complete , vol. XIV, Firenze,
C.G. Sansoni, 1955, p. 42.
18. Nous nous sommes intéressés à ce problème dans deux études : « Nihilisme et
humanisme. Giovanni Gentile interprète de la philosophie renaissante », dans J.-F. Mattéi,
Nietzsche et le temps des nihilismes, Paris, PUF, 2005, ainsi que « Religion et philosophie : la
profession de foi de Gentile et sa lecture de la pensée renaissante », dans Ch. Lastroiali et
M. R. Chiappiro, Réforme et contre-réforme à l’époque des totalitarismes (1900-1940), éditions
Brepols.
19. Sur ce point précis, Vico se situe dans une tradition moins aristotélicienne que
baconienne : cf. notre article à paraître dans la Revue d’histoire des sciences et des techniques
sur « Entre sciences moyennes et science universelle : le statut des mathématiques chez
Bacon et chez Descartes » (Communication à la journée Mathématiques, arts et techniques à
la Renaissance, CNRS-CHPM, février 2002).
20. De l’antique sagesse de l’Italie, trad. Michelet (1835), éd. Pinchard, Paris, GF Flammarion,
1993, p. 76.
21. Sur la relation de Vico à Hume et au scepticisme en général, cf. la « Seconda e la terza
fase … », dans Studi vichiani, p. 134-141. Cf. aussi Teoria, XI, 6, p. 153-154, qui porte plus
particulièrement sur la question de la causalité.
22. « La seconda e la terza fase … », Studi Vichiani, p. 137.
23. Cf. la reconstitution spaventienne de l’idée centrale de Vico à partir d’un collage de
textes de la Scienza nuova, dans Carattere e sviluppo…, prolusione, dans Opere, 1972, t. I,
318-319 et lezioni, dans Ibid., t. II, p. 528-530.
24. Scienza Nuova, éd. 1744, § 349, trad. A. Pons, Fayard, 2001, p. 140.
25. Scienza Nuova, éd. 1744, § 331, éd. cit., p. 130.
26. Cf. « La secunda e la terza fase … », Studi Vichiani, p. 134, où Gentile voit ici la
conversion caractéristique du scepticisme académique. Cf. aussi Scienza nuova, § 2, éd. cit.,
p. 7-8 : « Les philosophes n’ayant jusqu’à maintenant contemplé la providence divine qu’à
travers le seul ordre naturel, n’en ont démontré qu’une partie (ne hanno dimostrato una
parte) […] ; mais ils ne l’ont pas encore contemplé dans la partie qui est la plus propre aux
hommes (per la parte ch’era propria degli uomini), dont la nature a pour principale propriété
d’être sociable ».
27. La Filosofia di G.B. Vico, éd. cit., p. 226-227.
28. Scienza nuova, éd. 1744, § 120, 122, 137, 184, 185, 218, 220, etc.
29. P. ex., Scienza nuova, éd. 1744, § 141, 142, 144, 149, etc. Ce thème culmine dans la
degnità 47 : « le vrai poétique (vero poetico) est un vrai métaphysique (vero metafisico), face
auquel le vrai physique (vero fisico) qui n’y est pas conforme doit être tenu pour faux (dee
tenersi a luogo di falso) » (§ 205, éd. cit., p. 102).
30. La filosofia di Marx, trad. G. Granel et A. Tosel, éd. cit., p. 30.
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31. « La prima fase … », VII, Studi Vichiani, éd. cit., p. 96. Vico lui-même, dans son
autobiographie, écrivait après coup que le projet de ces discours était d’« unir en un seul
principe tout le savoir humain et divin ». Comprenons que la seconde et la troisième
phase de la philosophie vichienne correspondent à celles que l’on nomme couramment la
« première » et la « seconde » : cf. p. ex. B. Croce, La filosofia di G. Vico, ch. 1 (« la prima
forma della gnoseologia vichiana ») et 2 (« la seconda forma della gnoseologia vichiana »),
qui fait commencer la première phase au De nostri temporis studiorum ratione, et la seconde
par le Diritto universale.
32. Dont le titre, très significatif, est « Que la connaissance de soi est le meilleur
encouragement à parcourir rapidement l’encyclopédie des connaissances ».
33. Gentile parle d’un « cartésianisme platonicien et, pour ainsi dire, retourné (capovolto
) », « La prima fase … », Studi Vichiani, p. 63. Nous avons consulté l’édition faite par Gian
Galeazzo Visconti (Le Orazioni inaugurali I-VI, dans Opere di G.B. Vico, Il Mulino, Bologna,
1982). Rappelons au passage que ces Discours se trouvent résumé par Vico lui-même dans
son autobiographie (Vie de Giambatista Vico écrite par lui-même …, trad. A. Pons, Paris,
Grasset, 1981, p. 75-81).
34. Orazioni, éd. cit., p. 78.
35. Cf. « La prima fase … », Studi Vichiani, p. 63-67, où Gentile cite de Ficin la Theologia
platonica, VIII, 2 (éd. de Bâle, t. I, p. 185) et XII, 4 (t. I, p. 273), et de Campanella la
Métaphysique, I, proemium.
36. « La prima fase … », Studi Vichiani, p. 77.
37. « Si nous appliquons notre âme à l’étude de la sagesse, nous suivons la nature » (Le
Orazioni inaugurali, éd. cit., p. 120).
38. « La prima fase … », Studi vichiani, p. 89.
39. « Je crois fermement », écrit Vico, « que l’homme est le maître et l’arbitre de son
destin, puisque […], du fait que sa liberté naturelle, il est, sinon le seigneur, tout du moins
le quasi-seigneur du créé (del creato) » (Orazioni, éd. cit., p. 124).
40. « La prima fase … », Studi Vichiani, p. 95.
41. Le titre en est « La connaissance de la nature corrompue de l’homme invite et incite à
accomplir le cycle complet des arts libéraux et des sciences, et elle expose l’ordre correct,
facile et invariable dans lequel on doit les apprendre ».
42. « La prima fase … », Studi Vichiani, p. 97.
43. Ibid., p. 56.
44. Cette supériorité est en réalité double : 1 / la monade vichienne est plus
« spirituelle » que la monade leibnizienne, encore limitée par l’extension et
l’individualité : « La monade vichienne […] tend à s’identifier à Dieu lui-même : l’unique
esprit, unité qui ne connaît aucune autre unité hors d’elle-même, et qui est de ce fait
l’unité vraie et absolue » (« La secunda e la terza fase … », Studi Vichiani, p. 138) ; 2 / de ce
fait, elle est aussi plus libre que la monade leibnizienne, échappant à toute détermination
préalable et s’identifiant à un principe de pure spontanéité : « La conception de la
spiritualité de la liberté et de la liberté du réel dans le développement ultérieur de la
pensée vichienne a été affirmée beaucoup plus vigoureusement [dans le De antiquissima]
que dans la monadologie leibnizienne » (Ibid., p. 134). Ceci dit, si la métaphysique de Vico
se révèle d’une acuité supérieure à celle de Leibniz, elle est par contre loin d’en posséder
le caractère d’une systématique aussi achevée (Ibid., p. 130).
45. Ibid., p. 131.
46. L’ingegno vichien désigne, comme le note Gentile, la fonction perceptive. Mais – et
Gentile insiste tout particulièrement sur ce point – cette fonction perceptive doit être
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comprise non sur le modèle de l’expérience passive kantienne (qui sert de base à l’activité
de l’entendement), mais comme « l’activité pure de l’esprit, créatrice et constructive, par
laquelle est acquis ou posé le contenu même », une activité d’extension du savoir qui
procède non analytiquement, mais toujours synthétiquement (« La seconda e la terza
fase … », Studi Vichiani, p. 126).
47. Cf. « La seconda e la terza fase … », Studi Vichiani, p. 138. Dans la perspective
gentilienne, il ne semble pas qu’il faille voir dans le sens commun le terme consistant
d’une dialectique du savoir – il ne représente qu’une détermination que la volonté (ou
l’esprit compris comme pure volonté), dans son mouvement réflexif d’autoconscience,
pose face à elle librement et pour elle-même.
48. Cf. « La seconda e la terza fase … », Studi Vichiani, p. 140-141.
49. Ibid., p. 115.
50. B. Croce, La filosofia di G.B. Vico, X, éd. cit., p. 112.
51. « La prima fase … », Studi Vichiani, p. 52
52. Ibid., p. 28.
53. Cf. notamment l’explication du § 136 de la Scienza nuova dans l’étude de Gentile, « Dal
concetto della grazia a quello della Providenza », Studi Vichiani, éd. cit., p. 164. Cf. aussi
« La seconda e la terza fase … », Studi vichiani, éd. cit., p. 97.
54. Comme l’avait fait autrefois Telesio, auquel Gentile, après Florentino, a consacré des
études décisives : cf. en particulier l’article « Bernardino Telesio », dans Il Pensiero italiano
del Rinascimento, 3e éd., Firenze, C.G. Sansoni, 1955, p. 175—231. Cf. aussi notre étude à
paraître « Nihilisme et humanisme … » (art. cit.).
55. Teoria,VI, 18, p. 83. On remarquera combien le fieri gentilien correspond par bien des
aspects à l’épékéina des néoplatoniciens. Comme l’Un de Plotin, il « n’est pas » à
proprement parler (non C’È nè uno spirito, nè lo Spirito) : « Un esprit […] par le seul fait d’être
, ne serait plus esprit ». Ce qui est à proprement parler n’est que la détermination de
l’esprit : « Qu’il soit (che SIA), on peut le dire de ce que l’esprit pose face à lui comme terme
de son activité transcendantale » (Teoria, III, 2, p. 23).
56. Ibid., III, 1, p. 22.
57. Ibid., II, 8, p. 21.
58. Sur cette notion centrale de causa sui chez Gentile, cf. en particulier la Teoria dello
spirito, XII, 20, éd. cit., p. 188.
59. Teoria, XVII, 2, p. 244.
60. Ibid., IV, 17, p. 54-57, et XIII, 11, p. 200-201.
61. Ibid., …, IV, 18, p. 56, et VIII, 5, p. 97.
62. Sur le rapport symétrique de Bruno à Spinoza et de Vico à Hegel, cf. notamment
B. Spaventa, Carattere e sviluppo della filosofia italiana …, éd. cit., t. II, p. 606-608.
63. « La prima fase … », II, Studi Vichiani, éd. cit., p. 52.
64. B. Croce, La filosofia di G.B. Vico, IV, éd. cit., p. 61-64.
65. B. Croce, Op. cit., p. 63.
66. B. Croce, Op. cit., p. 64.
67. G. Gentile, Teoria dello spirito …, éd. cit., ch. XIV-XV.
Noesis, 8 | 2006
15
Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ?
AUTEUR
THIERRY GONTIER
Maître de conférence à l’Université de Nice - Sophia Antipolis
Noesis, 8 | 2006
16
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