Frère Didier van HECKE, l'Évangile de Jean, GB GSA, 2013/2014.
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13 JESUS DEVANT HANNE
ET LE RENIEMENT DE PIERRE
Jn 18,12-27
INTRODUCTION
On sait le problème posé par la chronologie du procès juif. Tandis que Matthieu et Marc parlent
d’une comparution nocturne devant le Grand Prêtre (Caïphe, précise Matthieu en Mt 26,57) et le
Sanhédrin, Luc ne connaît qu’une comparution de jour devant le Sanhédrin. Quant à Jean, il ne parle
que d’un interrogatoire mené par Hanne, au cours de la nuit.
1 STRUCTURE DU PASSAGE
Cette section dominée par l’enchevêtrement de deux fils narratifs se divise sans difficulté :
Arrestation de Jésus et son transfert au palais du Grand Prêtre : vv. 12-14
A Premier reniement de Pierre : vv. 15-18
B Interrogatoire de Jésus : vv. 19-24
A’ Second et troisième reniement de Pierre : vv. 25-27
L’ensemble met en évidence la partie centrale avec les paroles de Jésus qu’elle contient.
Pour Dodd
1
, c'est de façon très subtile que le reniement de Pierre s'articule sur le déroulement
de l'interrogatoire de Jésus chez Hanne. Jean a réalisé, pour lui, plus efficacement ce qui était sans
doute l'intention de Marc : représenter les scènes qui se déroulent dans le palais et au-dehors dans la
cour, comme autant d'événements simultanés.
2 COMPARAISON AVEC LES SYNOPTIQUES
Au crédit des ressemblances, on peut relever que Jean comme les Synoptiques fait suivre
l’arrestation de Jésus de sa comparution devant les autorités juives. Mais les ressemblances s’arrêtent
! Les trois Synoptiques offrent en effet, une longue description du procès juif de Jésus devant le
Sanhédrin (Mc 14,55-64 et //) et à l’issue de ce procès, Jésus est condamné à mort (Mc 14,64).
On peut cependant relever des différences importantes entre les Synoptiques : Matthieu et Marc
rapportent que l'essentiel de la comparution de Jésus devant le Sanhédrin a eu lieu la nuit (Mc 14,53-
65 et Mt 26,59-68). Ils rapportent ensuite un second conseil au petit matin ayant, pour Matthieu,
l'objectif de condamner à mort Jésus (Mc 15,1 et Mt 27,1-2). Par contre Luc rapporte seulement
l'arrestation le soir (Lc 22,54.63-65) et le conseil au matin (Lc 22,66-23,1).
Matthieu nomme le grand prêtre en exercice : Caïphe (Mt 26,57) ce que ne font ni Mc ni Lc.
Mais chez Jean, c’est Hanne qui interroge Jésus alors que c’est Caïphe le Grand Prêtre en exercice.
Hanne avait été Grand Prêtre de 6 à 15 puis avait été déposé par les Romains. Considéré comme une
haute autorité morale et religieuse, il n’avait cependant plus de pouvoir religieux ou politique. En Jean,
Hanne semble cependant encore officier comme grand prêtre (vv. 19.22). Puis Hanne fait conduire
Jésus devant Caïphe (v. 24) qui a du être nommé en 18 et qui le demeura jusqu’en 37
2
. Mais cette
entrevue n’est pas racontée. Et enfin Jean mentionne au v. 28 son transfert de chez Caïphe au prétoire.
Cet interrogatoire d’Hanne n’est pas une séance de tribunal et le Sanhédrin n’est pas présent. Il
n’est pas rapporté par les Synoptiques. Ni le sujet de l'interrogatoire, ni le contenu des paroles de Jésus
n'offrent la moindre analogie avec le récit correspondant des Synoptiques.
Quant à Jean, il ignore le procès juif et la condamnation à mort de Jésus. Pourquoi Jean ignore-
t-il ce procès de Jésus devant le Sanhédrin ?
1
C.H. DODD, The interpretation of the fourth Gospel, 82-83.
R.E. BROWN, La mort du Messie, 467-469.
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Dans les Synoptiques, Jésus est l’objet de sévices après sa comparution (Mc 14,65 // Mt 26,67-
68). Par contre, mis à part la gifle du serviteur de Hanne, Jean ne mentionne aucun mauvais traitement.
Le reniement de Pierre est rapporté en deux scènes chez Mt et Mc. Mais chez les deux, la
première rapporte juste les conditions extérieures (Mc 14,54 // Mt 26,58) et la seconde rapporte les
trois reniements (Mc 14,66-72 // Mt 26,69-75). Luc, par contre, rapporte tout en une seule scène (Lc
22,54-62). Quant à Jean, le premier reniement prend place dans la première scène et le second et
troisième dans la seconde scène. Mais la différence centrale est ailleurs. Dans les Synoptiques, la
comparution devant le grand prêtre est consacrée à l’établissement des faits à charge contre Jésus (Mc
14,55-64 //). Dans Jean, il n’y a pas de témoins et aucune accusation précise n’est portée contre Jésus.
La question de la prétention messianique de Jésus est passée sous silence et le verdict de la peine de
mort n’est pas prononcé.
3 LA MISE EN RECIT DE JEAN
Comment expliquer ce réarrangement de la matière et de la narration johannique ? En fait toute
la matière qui apparaît dans la comparution synoptique de Jésus devant Caïphe a déjà été traitée dans
la première partie de l’Evangile : le procès juif a eu lieu, en quelque sorte, tout au long du ministère
public de Jésus. Toutes les pièces de ce procès ont été étalées dans les controverses des chapitres 7 à
10 :
Le procès a déjà eu lieu, la condamnation a déjà été prononcée, les Juifs cherchent à faire périr
Jésus :
1Dans la suite, Jésus continua à parcourir la Galilée ; il préférait en effet ne point parcourir la Judée,
où les autorités juives cherchaient à le faire périr. (7,1)
40Or, vous cherchez maintenant à me faire mourir... (8,40)
Au cours de la fête de Hanukka les Juifs entourent Jésus dans le Temple et le mettent en
demeure de se déclarer, comme le grand prêtre en Lc 22,67 : "Jusques à quand nous laisseras-tu dans
le doute ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement" (Jn 10,24).
Jésus finira par répondre : "Le Père et moi nous sommes un" (Jn 10,30).
Sur quoi les juifs se préparent à le lapider (10,31) pour une raison qui rappelle le jugement du
Sanhedrin en Mc 14,64 et en Mt 26,65 : "Ce n'est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons,
mais pour blasphème, car toi, qui es un homme, tu te fais Dieu" (10,33).
Ainsi le verdict de mort pour “blasphème” a déjà été prononcé en 10,31.33.39 et la sentence
sera officialisée en 11,45-53 : "C’est ce jour-là qu’ils décidèrent de le faire périr" (11,53).
L’interrogatoire d’Hanne a donc un autre objectif : c’est le rôle de l’enseignement de Jésus et
des disciples qui est mis en exergue dans ce passage. C’est le temps post-pascal marqué par la violence
et le conflit qui est en ligne de mire.
4 L’INTERROGATOIRE DE JESUS (vv. 19-24)
Dans le IVe Évangile, cet interrogatoire est la seule audience qui ait lieu du côté Juif. Cette
scène revêt donc, dans la vision johannique, une certaine importance au plan théologique.
41 Question de Hanne et réponse de Jésus (vv. 19-21)
- La question de Hanne (v. 19)
19Donc le Grand Prêtre questionna Jésus sur ses disciples et sur son enseignement.
La question posée par Hanne tourne autour de deux aspects : les disciples de Jésus et sa
doctrine.
- La réponse de Jésus (vv. 20-21)
Celle-ci, prononcée avec hauteur, comprend deux volets : le v. 20 et le v. 21. Jésus commence
par parler de son enseignement puis ensuite de ses disciples.
Au v. 20, Jésus affirme d'abord que la révélation a eu lieu :
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20Moi ouvertement j’ai parlé au monde
Moi toujours j'ai enseigné dans (la) synagogue et dans le temple...
En secret je n’ai parlé de rien.
Le verbe "parler" laléô est utilisé ici au sens fort de "parole de révélation" comme l'atteste
l'usage fréquent du verbe en Jean : Jn 3,11.34 ; 6,63 ; 7,17.26 ; 8,12.20.25.30.38 ; 12,3.49 ; 14,10...
Cette réponse du Christ indique que la révélation est achevée.
Jésus a parlé ouvertement, il a enseigné là où tous les juifs s'assemblent en synagogue (Jn 6,22-
59 ; 7,14.28 ; 8,20) et dans le Temple (Jn 2,13-22), ces lieux de prière l'israélite en quête de Dieu
est le plus exposé à la rencontre. Le message transmis concernait tout homme. Chez Jean, il n’est nulle
question de révélation privilégiée : “Ce que j’ai entendu de Lui, je le dis au monde” (8,26). Elle n’est
pas comme dans le gnosticisme révélé à quelques-uns mais un grand nombre d’hommes ont dit non.
D'où ce qui est sous-tendu par cette réponse de Jésus : comment le responsable de la
communauté juive pouvait l'ignorer, sinon parce qu'il n'avait pas écouté ?
Puis, au v. 21, Jésus interpelle ensuite Hanne :
21Pourquoi me questionnes-tu ? Questionne ceux qui ont entendu ce que j'ai parlé :
eux savent bien ce que j'ai dit.
La situation se renverse. Jésus garde l'initiative et dans sa question à Hanne, indirectement, il
dénonce l'hypocrisie de sa question et du refus d'écouter.
En évoquant ses disciples, mais aussi tous les croyants à venir, et en soulignant leur ceptivité
à sa parole "questionne ceux qui ont entendu ce que j'ai parlé", Jésus manifeste au Grand Prêtre que,
malgré l'issue dramatique de son ministère, la parole du Père a été semée dans les cœurs et continuera
d’être annoncé.
Dans ces deux versets 20-21 qui rapportent la réponse de Jésus à Hanne il est question de
parole : on a trois fois le verbe laléô, parler. Ce qui est ici en cause c'est bien la parole de Jésus, Parole
de révélation, au sens fort.
42 La gifle du serviteur d’Hanne et la réponse de Jésus (vv. 22-23)
22A ces mots, l'un des gardes qui étaient auprès de lui donna un soufflet à Jésus en disant :
"c'est ainsi que tu réponds au Grand Prêtre !".
La réaction du serviteur du grand prêtre est immédiate : il gifle Jésus. C’est le seul geste
d’outrage rapporté par Jean avec la couronne d’épines de 19,3. Quelle est donc sa signification ?
Cette gifle est donnée dans un contexte de parole. On retrouve le verbe laléô "parler" dans la
réponse de Jésus au serviteur comme dans sa réponse à Hanne :
23Jésus lui répondit : "Si j'ai mal parlé, montre en quoi ; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?"
20Moi ouvertement j’ai parlé au monde.
Dans les Synoptiques, Jésus garde le silence sous les outrages, comme le serviteur de Dieu (Is
53,7). Ici, il réagit. Il propose une alternative qui met le garde dans son tort : ce n'est pas lui mais le
garde qui a agi injustement. Jésus ne reprend pas le verbe "répondre", qu'avait utilisé le garde, mais il
reprend le verbe "parler", en écho à l'affirmation faite au grand prêtre.
Jésus n'a pas mal « parlé » car il a témoigné de son activité antérieure de révélation. A un
niveau plus profond, en raison du verbe "parler", il a révélé aux Juifs la pensée et le visage du Père.
Il s’agit donc bien de la Parole de Jésus et de sa Parole révélatrice qui est en cause ici. Le
serviteur du Grand Prêtre devient, d’une certaine manière, le représentant de tous ceux qui ont
repoussé la parole révélatrice de Jésus au monde.
Le récit ne prolonge pas l'entretien : ni le garde ni Hanne ne répliquent. Le Christ johannique
ne se tait pas, il garde le dernier mot et affirme une fois de plus sa souveraineté. Ainsi s'achève la
scène de la comparution. Jean l'a présenté comme l'ultime confrontation du Révélateur avec le peuple
juif en la personne du Grand Prêtre.
On peut relever que c'est au moment où Jésus est interrogé sur son enseignement et ses
disciples que Pierre, au-dehors, nie être disciple de Jésus. Or le disciple est celui qui a entendu
l'enseignement de Jésus et qui est prêt à en rendre témoignage. Jésus renvoie Hanne à ses disciples
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"Interroge ceux qui ont entendu ce que j'ai dit : eux savent ce que j'ai dit" (v. 21) au moment même
Pierre le renie. Pierre a peur et refuse d'être témoin de la Parole qu'il a reçue. Il faudra qu'il soit revêtu
de la force de l'Esprit pour qu'il puisse vaincre sa peur et devenir un véritable témoin.
5 LE RENIEMENT DE PIERRE (vv. 15-18.25-27)
Jean ne traite pas cet épisode de manière originale par rapport aux Synoptiques. Mais dans la
perspective johannique, Pierre apparaît comme le contre-modèle du Christ. Pour le Christ, le moment
de l’épreuve est celui de l’obéissance au Père alors que pour Pierre, ce moment devient celui du
reniement.
La chute du récit est significative du propos de l'évangéliste. Quant à la dernière réponse de
Pierre, Jean écrit seulement : "de nouveau, Pierre nia" et il termine sur une notation tout aussi
lapidaire, "aussitôt, un coq chanta" (v. 27). Les synoptiques, au contraire, nous montrent un homme
qui proteste, se débat, se souvient et pleure :
71Mais lui se mit à jurer avec des imprécations : « Je ne connais pas l’homme dont vous me parlez ! »
72Aussitôt, pour la deuxième fois, un coq chanta. Et Pierre se rappela la parole que Jésus lui avait
dite : « Avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit précipitamment ; il
pleurait. (Mc 14,70-71)
Jean isole le fait brut et le sort de Pierre ne sera réglé qu'au chapitre 21.
La fermeté de Jésus devant ses juges gagne en éclat par la fragilité dramatique de Pierre. C'est
aussi sa solitude immense qui est mise en évidence. Mais en elle, le Père demeure présent :
Voici que l'heure vient et elle est venue vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me
laisserez seul ; mais je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi. (Jn 16,32)
6 SYNTHESE
Ce passage nous présente un Christ livré et abandonné totalement. Au moment de son
interrogatoire, Pierre le renie. Ce Christ souverain qui entre dans sa passion est un Christ totalement
abandonné. Narrativement, la souveraineté du Christ s’accomplit dans la faiblesse, le dénuement et
l’abandon de tous.
Au cœur de toutes ses épreuves, le Christ johannique demeure un modèle de fidélité et de
confiance en Dieu et en ses disciples. Il reste attaché à la révélation dont il est le porteur.
En opposition au Christ se profile la figure de Pierre, modèle de l’infidélité. Malgré toutes ses
promesses (13,36-38), Pierre rompt le pacte de solidarité. Alors que le Christ est prêt à mourir pour les
siens, Pierre l’abandonne. À l’heure du choix, il préfère sa sécurité ! Il est le modèle du disciple
renégat dont la foi vole vite en éclats au moment de l’épreuve.
Malgré cela, les disciples sont institués par Jésus les nouveaux porteurs de son enseignement. À
l’heure de l’achèvement de la révélation, ils revêtent la responsabilité de témoins et s’exposent ainsi
eux aussi à être « giflés ».
Plan :
Introduction ................................................................................................................................................. 100
1 Structure du passage .............................................................................................................................. 100
2 Comparaison avec les synoptiques ................................................................................................... 100
3 La mise en récit de Jean......................................................................................................................... 101
4 L’interrogatoire de Jésus (vv. 19-24) ............................................................................................... 101
41 Question de Hanne et réponse de Jésus (vv. 19-21) ........................................................................................................ 101
42 La gifle du serviteur d’Hanne et la réponse de Jésus (vv. 22-23) ............................................................................. 102
5 Le reniement de Pierre (vv. 15-18.25-27) ...................................................................................... 103
6 Synthèse...................................................................................................................................................... 103
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