L'idéologie linguistique
C'est une opinion très largement répandue que la force d'attraction d'une langue résiderait dans sa valeur
intrinsèque. Contrairement à ce que plusieurs pourraient croire ; cependant, il n'y a pas de langues en soi
plus aptes que d'autres à s'étendre dans l'espace. L'idéologie de la glorification des vertus de la langue n'a
jamais favorisé l'expansion ou la survie d'une langue sauf dans l'esprit de quelques idéalistes. Les
jugements de valeur qui portent sur l'esthétique d'une langue, ses qualités ou ses défauts, ses prétendues
dispositions et sa facilité d'apprentissage, relèvent de critères fort discutables et reposent sur des
considérations arbitraires.
- La clarté et la précision des langues : Certains affirment que le français, l'anglais et l'espagnol
sont des langues importantes en raison de leur clarté et de leur précision. Cela signifierait que les
locuteurs de ces langues seraient privilégiés.
- La richesse et la pauvreté des langues
D'autres soutiennent que l'anglais et le français sont des langues riches par rapport à l'apache ou
au zoulou, réputés pauvres. On se fondera, pour porter un tel jugement, sur le nombre plus ou
moins important de mots spécifiques servant à désigner la réalité. Le français et l'anglais
compteraient quelques centaines de milliers de mots alors qu'on n'en relèverait que quelques
milliers en apache et en zoulou.
- Les langues «primitives» et «évoluées»
De même, plusieurs croient à l'existence de langues primitives par rapport à desévoluées. Or, aussi
loin que l'on remonte dans l'histoire des langues, on n'a toujours affaire qu'à des langues évoluées,
c'est-à-dire développées, achevées, qui ont donc derrière elles un passé considérable dont on ne
sait rien, bien souvent. Toute langue évolue nécessairement dans le temps, sinon elle meurt. On
associe les concepts de langue primitive et de langue évoluée au développement du progrès
scientifique ou technologique occidental.
- La beauté et la pureté des langues
D'autres encore soutiennent que telle ou telle langue est plus belle, plus douce, plus musicale
qu'une autre. De là à prétendre que la beauté supposée d'une langue favorise son expansion, il n'y
a qu'un pas... Mais les critères de la beauté correspondent à des clichés culturels, sujets à des
discussions dont l'issue est toujours aléatoire. En fait, on confond souvent la langue et le sentiment
que l'on éprouve pour le peuple qui la parle; un peuple que l'on estime aura une belle langue, un
peuple méprisé, une langue laide. Pour un francophone, l'anglais, l'espagnol, l'italien et le suédois
sont généralement considérés comme de belles langues; il est peu probable que les mêmes
personnes considéraient avec la même perception le créole haïtien, l'apache, le zoulou ou...
l'allemand des films de guerre («une langue dure, rude, militaire», diraient plusieurs). Pourtant,
beaucoup de locuteurs sont convaincus de la grande beauté de leur langue. Par exemple, lors de
rencontres scientifiques, certains érudits arabophones peuvent s'émerveiller de la beauté de la
langue arabe classique, ce qui fait sourciller plus d'un linguiste. Comme le soulignait le grand
linguiste André Martinet
BIBLIOGRAPHIE :
CALVET L. J., 1987, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Payot, Paris.
CALVET, L.J. (1993) : La Sociolinguistique, Que sais-je ?, PUF, Paris.
GARMADI J., 1981, La sociolinguistique, Paris, PUF.
HAMERS, J.-F., BLANC, M., 1983, Bilinguisme et bilingualité, Dessart & Mardaga, Bruxelles.