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stabilité des prix à la seule politique monétaire? Cette thèse est retenue par les penseurs
monétaristes. Dans les années 1970, F. Kydland et E. Presscott ont montré à la suite de M.
Friedmann l'importance du rôle des anticipations dans la dynamique inflationniste. Si la
décision de la Banque Centrale de lutter contre l'inflation n'est pas crédible, les agents
économiques vont anticiper un reniement de sa politique et donc une hausse des prix
supérieure aux prévisions. Ces anticipations sont suffisantes pour engendrer à elles seules une
dynamique inflationniste, la hausse appelant la hausse. Ces auteurs proposent donc de
renforcer l'indépendance de la Banque Centrale pour que celle-ci résiste aux demandes de
refinancement du Trésor et de l'économie privée. Les enchaînements décrits par les auteurs
sont effectifs. La crédibilité des Banques Centrales est un élément essentiel pour les
prévisions du public et donc des entreprises en matière d'inflation. Et l'histoire économique
montre que les anticipations peuvent aggraver de façon notable les déséquilibres. L'exemple
récent de l'Argentine est encore présent dans toutes les mémoires. Mais les anticipations ne
créent pas l'inflation qui trouve sa source dans un écart entre l'offre et la demande
macroéconomique ou dans une altération des coûts. Elles peuvent accélérer un processus de
hausses de prix. Elles ne peuvent pas l'engendrer.
Pour le comprendre, il nous faut revenir aux termes du débat qui a apposé monétaristes et
keynésiens dans les années 1960. Sur la base de travaux historiques qui portaient sur les
années 1920 et 1930, M. Friedman a conclu non seulement que l'inflation est un phénomène
monétaire, proposition que les keynésiens n'ont jamais contredite, mais qu'elle a pour seule
cause l'augmentation de la masse monétaire eu égard au revenu réel. "Inflation is always and
everywhere a monetary phenomenon, produced in the first instance by an unduly rapid
growth in the quantity of money"2. Il en a déduit qu'il fallait inscrire une norme de progression
de la masse monétaire dans la Constitution. "My own prescription is still that the monetary
authority go all the way in avoiding such swings by adopting publicly the policy of achieving
a steady rat of growth in a specified monetary total"3. Cette idée de norme a été combattue
par R.J. Barro au nom de la flexibilité nécessaire de la politique économique. Elle est devenue
caduque quand la libéralisation financière a remis en cause dans les années 1980 la définition
classique de la masse monétaire (pièces + billets + dépôts sur les comptes courants). Les
autorités monétaires devaient contrôler une masse dont elles ne connaissaient plus les
contours.
L'attribution de l'inflation à la seule variation de la quantité de monnaie reste par contre une
idée essentielle de la théorie orthodoxe. Les défenseurs de cette théorie estiment qu'elle
justifie à elle seule l'indépendance de la Banque Centrale. Que peut-on penser de cette thèse si
l'on fait référence à l'histoire économique? En d'autres termes est-il possible d'arriver à une
inflation zéro par la seule maîtrise de la quantité de monnaie? Du point de vue de
l'observation des faits, il est incontestable qu'il existe un parallélisme entre l'évolution de la
quantité de monnaie en circulation et la hausse des prix, toutes choses égales d'ailleurs. Ce
parallélisme est confirmé dans toutes les périodes inflationnistes de l'histoire moderne: les
années 1920, marquées par les conséquences financières de la première guerre mondiale, les
années 1950 à la suite de la guerre de Corée, les années 1960 à 1970 marquées par les
déséquilibres budgétaires et les chocs pétroliers. La question qui doit être posée est celle des
forces sous-jacentes à cette augmentation de la quantité de monnaie. On constate alors qu'au-
delà des apparences monétaires, l'inflation est due à un excès des coûts (cost-push inflation)
ou de la demande macro-économique (demand-pull inflation). Dans le premiers cas, est
impliquée soit la hausse des prix des biens importés (cas européen dans les années 1970) soit
2 M. Friedman 1968a p. 18.
3 M. Friedman 1968b p. 16-17.