DU MÉDECIN SAVANT AU MÉDECIN COMPÉTENT 69
La fonction apostolique était sans doute plus marquée au temps d’un
exercice médical paternaliste assumé, où le médecin était celui qui savait
et le patient celui qui obéissait. À l’heure de la négociation, du dialogue
et de la délibération, cela voudrait-il dire que ce concept aurait disparu
des pratiques médicales ? Vraisemblablement pas. Les verbatim de l’ar-
ticle en témoignent. Chaque médecin reste porteur, au plus profond de lui-
même, de valeurs, de croyances et de représentations que son éducation,
sa formation, son expérience ou ses rencontres ont forgées en lui. Ainsi, il
semble peu probable que celles-ci n’influencent en rien son discours et ses
décisions, même s’il tente de favoriser un échange et une décision
partagée. Chez les jeunes médecins, malgré les efforts de formation
actuelle, ce fort désir de faire du bien à leur patient, de lui rendre service,
reste prégnant. Dans un des exemples cités par Géraldine Bloy, une jeune
interne semblait d’ailleurs partager l’avis de son maître de stage et
semblait même prête à en découdre physiquement ! Il se trouve que les
médecins à forte fonction apostolique ont du mal à se remettre en ques-
tion, à accepter la contradiction autant de leurs patients que des autres
médecins ; ils ne supportent pas bien la participation aux formations
Balint qu’ils quittent habituellement rapidement pour d’autres modalités
de formation.
La question posée est de savoir d’une part, s’il est possible de modi-
fier radicalement ces comportements et, d’autre part, comment il faut s’y
prendre pour les modifier, lorsque l’on sait qu’ils sont fortement liés aux
personnalités, puis malheureusement renforcés par la formation initiale
classique. Éliminer simplement ces futurs médecins au motif de leur
personnalité trop «contrôlante», pour ne pas dire franchement obses-
sionnelle, ne semble être ni éthique, ni réaliste actuellement.
L’approche philosophique et éthique:
le problème de la norme dans la formation médicale
À propos de la normativité en médecine, le médecin-philosophe
Georges Canguilhem écrivait: « Sans référence expresse, bien souvent, à
la norme singulière de santé de tel ou tel malade, la médecine est
entraînée, par les conditions sociales et légales de son intervention au sein
des collectivités, à traiter le vivant humain comme une matière à laquelle
des normes anonymes, jugées supérieures aux normes individuelles spon-
tanées, peuvent être imposées » (Canguilhem, 1966 : 371). Il s’agit là en
l’occurrence de normes de santé publique plus ou moins bien validées
scientifiquement.