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Eglise Saint-Léger de Cognac
à l’occasion du millénaire de la fondation monastique
Homélie du P. Joël Letellier, moine bénédictin de Saint-Martin de Ligugé
Dimanche 16 octobre 2016 – 29e dimanche ordinaire, Année C
(Ex 17, 8-13 ; 2 Tm 3, 14- 4, 2 ; Lc 18, 1-8)
« Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 18)
Avec un peu d’audace, nous pouvons paraphraser ou adapter cette interrogation du Christ dans
l’Evangile que nous venons d’entendre : Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi chez
les habitants de Cognac, trouvera-t-il encore, dans la ville de Cognac et dans ses alentours, des cœurs
capable de l’accueillir ? A vrai dire, nous sommes tous concernés, individuellement et collectivement,
où que nous soyons et qui que nous soyons.
Nous nous souvenons peut-être de la question posée le 1er juin 1980 par saint Jean-Paul II lors
de sa venue en France : « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton
baptême ? ». Nous ne pouvons pas ne pas nous poser aussi cette question lorsque nous commémorons
le millénaire d’un évènement religieux, d’une fondation monastique, de l’émergence d’une cité. Le
but n’est pas de nous réfugier dans un passé plus ou moins lointain, plus ou moins idyllique d’ailleurs,
mais de nous souvenir, de faire mémoire d’un fait historique pour prendre conscience de nos racines
religieuses et culturelles et de voir où nous en sommes actuellement et ce que nous pouvons envisager
pour l’avenir. Ce que nous avons reçu des anciens, n’avons-nous pas aussi, dans la fidélité et la
créativité, à le transmettre aux nouvelles générations ?
A plusieurs reprises, j’ai entendu que vous considériez l’année 1016, parce qu’elle est l’année
retenue de la fondation monastique du prieuré Saint-Léger, comme étant aussi, par le fait même, la
date de naissance de la ville de Cognac. Qui dit naissance, dit aussi baptême, n’est-ce pas ? Je pourrais
alors vous poser la question : « Cité de Cognac, qu’as-tu fait de ton baptême ? ».
Cognac, le sel et la vigne, les moines et les reliques de saint Léger
Cognac, toi la ville qui a vu naître François Ier en 1494, c’est assurément la renommée de ton
eau-de-vie qui a porté ton nom sur tous les continents et ta bonne réputation perdure. Tu es une ville
entourée de vignes généreuses et tu es dotée d’un savoir-faire qui se transmet de père en fils. Le
symbolisme de la vigne est des plus évocateurs dans la Bible et tout le monde sait que les moines et le
vin ont toujours fait bonne alliance. Le bénédictin qu’était dom Pierre Pérignon, contemporain de
Louis XIV, n’est pas de ton terroir, lui qui est né à Sainte-Ménéhould, dans l’Est, et qui avait la garde
des vignes et pressoirs de l’abbaye Saint-Pierre d’Hautvillers, près d’Epernay. Et cependant, vous
aussi habitants de Cognac, vous avez les vignes de la Petite et de la Grande Champagne dont vous
pouvez être fiers.
Ce ne sont pourtant pas la viticulture et le commerce du vin ou de l’eau-de-vie qui ont suscité
la fondation du prieuré de Cognac au XIe siècle avec l’arrivée de quelques moines de la très riche et
très puissante abbaye auvergnate d’Ebreuil, mais peut-être davantage le commerce du sel qui, dès le
IXe siècle, avec le port saunier sur la Charente, fit prospérer la région.
L’abbaye d’Ebreuil était placée sous le vocable et la protection de saint Léger (Sanctus
Leodegarius), le célèbre évêque d’Autun vers 663, qui fut cruellement torturé par le maire du palais de
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Neustrie Ebroïn, puis déporté chez des religieuses de Fécamp et finalement mis à mort en 679. Les
reliques du martyr furent gardées et vénérées, dès 682, par les moines de l’abbaye Saint-Maixent dans
le Poitou, non loin de l’abbaye Saint-Martin de Ligugé. C’est d’ailleurs, vers 684, à la demande de
l’abbé de Saint-Maixent Audulf, que l’abbé de Ligugé Ursinus écrivit la biographie de saint Léger.
Lors des incursions normandes, les moines de Saint-Maixent s’exilèrent en 898 avec leurs précieuses
reliques vers la Bretagne, à Redon, et assez rapidement, en 903, vers l’Auvergne, précisément à
Ebreuil qui bénéficia, par le fait même, de la présence d’une partie des reliques du saint martyr que
vinrent vénérer de nombreux pèlerins. Rien d’étonnant dès lors que la fondation par Arnauld de
Villebois, évêque de Périgueux, du prieuré de Cognac, non pas en 1041 ou en 1031 comme on l’a
d’abord avancé mais en 1016 selon des experts sans doute ici présents, ait été placée sous le patronage
de saint Léger d’Autun. L’installation des moines se fit vraisemblablement de façon plus structurée
vers 1031 avec pour prieur, de 1032 à 1050, Aimery Maintrol. Les bénédictins menèrent la vie
monastique en ce lieu dépendant de l’abbaye d’Ebreuil jusqu’aux guerres de religion, au XVIe siècle.
Les moines sont alors chassés et le prieuré dévasté.
Les moniales bénédictines au prieuré de Cognac
La Règle de saint Benoît va pourtant continuer à être observée et l’office liturgique chanté
avec l’installation en 1622 de religieuses bénédictines. Elles y seront vite 37 moniales sans compter les
converses, établies à Saint-Léger de Cognac par le pape Grégoire XV, autorisées comme il se devait à
l’époque par le roi en janvier 1623 et vérifiées par le Parlement trois mois après. Le prieuré qui
comptera jusqu’à 70 moniales perdurera jusqu’à la Révolution. Les premières prieures de Notre-Dame
de Grâces, de Saint-Liguaire, car tel est devenu son nom, seront issues de la famille de Montbron (ou
Montberon) telles Louise de Montbron, auparavant moniale à l’abbaye de Jouarre et décédée en 1660,
puis sa sœur Marie qui lui succéda comme prieure jusqu’à sa mort en 1669. Une autre de leur sœur,
Elisabeth (+ 1665), se trouvait aussi moniale de ce prieuré de Cognac qui fut très florissant. Quant à
Catherine de Montbron qui fut la première cloîtrée dès 1622, elle fut inhumée ici en 1671 avec pour
épitaphe : « Ci gît très illustre et vertueuse demoiselle Catherine de Montbron, de la maison de
Fontaines Chalandray, fondatrice de ce monastère. Au milieu de la cour et du monde, elle fit vœu de
virginité, assembla ses trois sœurs afin d’observer la Règle de saint Benoît. L’humilité, générosité et
douceur ont éclaté en sa vie aussi bien que la charité. Elle a fondé la lampe devant le Saint Sacrement
et la messe de prime pour ses parents. Elle décéda saintement en l’âge de 82 ans le 11e jour de juin
1671. Priez Dieu pour son âme ».
En tant que moine bénédictin, je ne peux pas ne pas être sensible à ce riche passé monastique,
à ces générations de moines et de moniales qui prièrent en ce lieu, qui chantèrent la gloire de Dieu, qui
rayonnèrent de la charité du Christ, qui goûtaient et savouraient la Parole de Dieu. Indéniablement il y
a là une continuité dans l’histoire malgré les inévitables ruptures de périodes troubles et douloureuses.
La ville de Cognac a baigné et, pourrait-on dire, a été baptisée dans ce fleuve multiséculaire de la
psalmodie monastique, portée par l’eucharistie quotidienne, ce pain vivifiant et ce breuvage de vie que
nous a légués le Christ.
La sainteté de saint Martin et la présence de sa réputation
En tant que moine de Ligugé, je ne peux pas ne pas être sensible aussi et tout particulièrement
à la proximité de l’église et du quartier Saint-Martin. Nous fêtons cette année le 1700e anniversaire de
la naissance de saint Martin qui est né en 316. Il a vécu neuf ans, de 361 à 370, sur le site de Ligugé,
seul puis entouré de quelques frères, rendant visite fréquemment à l’évêque de Poitiers saint Hilaire.
En 370, saint Martin fut enlevé de Ligugé par les Tourangeaux pour qu’il devienne leur évêque. Son
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biographe, Sulpice Sévère, nous a relaté, dès 395, nombre de faits miraculeux et, à son tour deux
siècles plus tard, Grégoire de Tours, vers 590, nous a transmis bien d’autres miracles de saint Martin
lors de ses pérégrinations, dans le Poitou ou ailleurs comme dans l’Aunis, la Saintonge ou
l’Angoumois, notamment lorsqu’il s’est rendu en 384 au concile de Bordeaux. Sur le lieu de ses
miracles, il n’est pas rare de voir surgir un oratoire, une chapelle comme à Nieul-lès-Saintes ou à
Sireuil (Siran). Ses biographes ne mentionnent pas la venue de saint Martin ici mais elle est fort
possible et l’on peut imaginer sans trop de risque que ce soit sa réputation de thaumaturge qui ait
suscité une chapelle, une église, un cimetière important et très ancien, remontant au moins à l’époque
mérovingienne, et même par la suite un prieuré Saint-Martin qui fut souvent, du temps des moines et
même des moniales de Cognac, parfois de façon abusive, une dépendance du prieuré Saint-Léger.
En quelque sorte, on pourrait presque dire que c’est saint Martin qui a évangélisé et baptisé le
terroir du Cognaçais. Ce qui non sans humour ferait en ce cas reculer votre millénaire de quelque 650
ans ! Quoiqu’il en soit, votre terre et votre ville ont reçu la rosée de Dieu et il ne faudrait pas que
s’éteigne la prière. Des communautés ardentes et des cœurs généreux sont là pour attester de leur
reconnaissance pour les bienfaits reçus de l’histoire, pour vivre le présent et pour préparer la moisson
de demain. Dans les murs de la cité, la vie contemplative des carmélites de Cognac pérennise la longue
tradition monastique. Hier nous fêtions sainte Thérèse d’Avila et aujourd’hui à Rome le pape François
procède à la canonisation d’Elisabeth de la Trinité, deux figures emblématiques de l’Ordre du carmel..
La première lecture de ce dimanche nous faisait voir Moïse intercédant pour son peuple, les
bras soutenus par Hour et Aaron, symbole de la prière persévérante et communautaire. C’est ensemble
que nous pouvons faire monter une même prière, ensemble que nous pouvons œuvrer pour que
l’Evangile de l’Amour soit connu, aimé et pratiqué.
Habitant de Cognac, demeure ferme dans ce que tu as appris !
Terminons en reprenant les termes de saint Paul s’adressant non seulement à Timothée mais
aussi à chacun de nous : « Bien-aimé, demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la
certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes
Ecritures : elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons
en Jésus-Christ. Toute l’Ecriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal,
redresser, éduquer dans la justice ; grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire
toutes sortes de bien. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je
t’en conjure, au nom de la manifestation de son règne : proclame la Parole, interviens à temps et à
contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci
d’instruire ».
Habitant de Cognac, demeure ferme dans ce que tu as appris ! Je t’en conjure : proclame
l’Evangile ! Que la Vierge Marie, que saint Martin, saint Léger, saint Benoît et tous les saints t’aident
à vivre saintement en suivant le Christ Jésus !
P. Joël Letellier, o.s.b.
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