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REVUE TRACÉS n° 5– printemps 2004
ressembler. Les structures et les volumes restent les mêmes, mais présentent de
nouvelles façades, dessinent un nouveau paysage.
Paradoxalement, les travaux de rue semblent ne jamais avancer, les terrasse-
ments et réparations de chaussée se concentrent toujours aux mêmes endroits,
hiver après hiver. Les rues sont déneigées mais seulement à titre provisoire, car si
on laissait fondre la neige à un autre endroit, elle finirait par polluer le Danube.
Cette ville, fondée en 1459 par Vlad Tepes «l’empaleur», (il a inspiré le per-
sonnage de Dracula), capitale de la Roumanie depuis la guerre de Crimée, se tar-
guant d’être un «petit Paris» depuis l’entre-deux-guerres, a connu des destructions
nombreuses et importantes. Ces cinquante dernières années, de graves séismes
(notamment en 1977 et 1990) et la politique de «table rase» du régime commu-
niste ont provoqué les principales crises. La politique, dite de «systématisation»,
lancée dans les années 1970, a abouti, au début des années 1980, à la destruction
du centre ville de la capitale. La légende veut que ce soit à son retour de Corée du
Nord que le «génie de Carpates » décide de lancer un vaste programme de réno-
vation du centre de Bucarest. La rue devait devenir la vitrine du régime. Plusieurs
quartiers ont été en partie rasés pour laisser place à de vastes boulevards, ceinturés
d’immeubles «modernes», et agrémentés d’importants espaces verts et de monu-
ments à la gloire du régime, comme le gigantesque «Palais du Peuple ». Ce bâti-
ment, dont les plans ont été modifiés presque quotidiennement au cours de la
construction, laquelle n’a d’ailleurs jamais été réellement achevée, expose les diffé-
rentes formes et étapes de son élaboration progressive. Après avoir été le coeur de
l’ancien régime, il accueille actuellement le Parlement. Palimpseste, il figure la
transition vers une Roumanie post-communiste.
En outre, la «systématisation » a déplacé des églises, jugées indésirables, ou
a les a dissimulées derrière des barres d’immeubles plus récents. Le monastère
Antim, par exemple, pourtant à moins de 300 mètres du «Palais», est invisible
depuis la rue. Il faut se faufiler entre différentes rangées d’immeubles pour qu’il
apparaisse enfin; mais la perspective joue tellement en sa défaveur qu’il ne
devient visible qu’à la hauteur du porche. Les anciens quartiers n’ont pas non
plus entièrement disparu. C’est entre deux bâtiments, masquées par la rue qui
s’étend comme une vitrine, qu’on peut apercevoir de petites maisons avec
leurs jardins. Elles demeurent, à l’abri des regards, des témoins de l’ancienne
trame viaire et de l’ancien quartier (photo 3). Ces deux logiques, vitrine et
palimpseste, qui sculptent les rues de Bucarest aujourd’hui, sont donc déjà à
l’œuvre avant 1989, bien que pour d’autres motifs.
Après la décollectivisation, les questions de propriété ont figé l’évolution
certains bâtiments ou, au contraire, ont accéléré leur mutation, si bien qu’on