Les champs magnétiques solaires - BASS2000

publicité
Les champs magnétiques solaires
Jean-Marie Malherbe, Octobre 2008
•
•
•
•
•
-
Introduction : les taches solaires
La mesure des champs magnétiques résolus
La polarisation de la lumière et les paramètres de Stokes
La mesure des paramètres de Stokes
La décomposition spectrale des paramètres de Stokes
L’effet Zeeman
Décomposition Zeeman et transitions quantiques
Effet Zeeman « normal » et effet Zeeman « anormal »
La mesure par décalage Zeeman des champs longitudinaux
La mesure du champ vectoriel sur les profils de Stokes
A quelles régions solaires l’effet Zeeman peut-il s’appliquer ?
La mesure des champs magnétiques faibles ou non résolus
La polarisation de résonance
L’effet Hanle
Le « second spectre solaire »
L’extrapolation des champs magnétiques en altitude
Les manifestations des champs magnétiques
Les filaments et protubérances
Les éruptions et boucles magnétiques instables
Les éjections de masse coronale
Introduction
Dès le XVIIème siècle, on a commencé à étudier, sans le savoir, les champs magnétiques du
Soleil par la simple observation des taches. En 1611, Fabricius met en évidence des taches sombres
à la surface du Soleil. Galilée, en 1613, parvient à observer les taches solaires grâce à la lunette
qu’il vient d’inventer quelques années plus tôt. L’observation des taches n’a pas cessé depuis.
Rotation des taches
solaires
passage d'un groupe de
taches sur le disque
solaire du 11 au 23
mai 1625
© Observatoire de Paris
Taches solaires
Observées à la fin du
XIXème siècle par Jules
Janssen, fondateur de
l’observatoire de Meudon,
dans la raie G de
Fraunhofer à 4305 Å, à
l’aide des premières
plaques photographiques
au collodion iodobromuré
© Observatoire de Paris
Mais pour mesurer les champs magnétiques, il faudra attendre bien d’autres découvertes !
En 1672, Isaac Newton décompose la lumière solaire au travers d'un prisme et admire pour la
première fois le spectre solaire. Les raies spectrales d’absorption, très fines, ne seront mises en
évidence que beaucoup plus tard, par Joseph von Fraunhofer en 1817. Ces raies caractérisent les
éléments chimiques présents dans l’atmosphère du Soleil (Hydrogène, Hélium, éléments
métalliques en traces). Ce n’est qu’en 1891 qu’Henri Deslandres met au point, indépendamment de
George Hale aux USA, le spectrohéliographe, spectrographe qui permet par décomposition de la
lumière d’étudier dans les détails les profils des raies spectrales. C’est ensuite Pieter Zeeman,
physicien hollandais, qui découvre en 1896 que les raies des atomes plongés dans un champ
magnétique se scindent en plusieurs composantes polarisées dont l’écartement est proportionnel au
champ magnétique. Enfin George Hale comprend en 1908 que des champs magnétiques intenses
sont associés aux taches solaires. Puis la polarimétrie, technique permettant d’analyser la
polarisation de la lumière, donc d’exploiter l’effet Zeeman, prend son essort en France avec
Bernard Lyot dans les années 1940.
Les découvertes scientifiques successives (spectres des atomes, effet Zeeman) conjugées aux
progrès technologiques (spectrographes, polarimètres) seront perfectionnées au cours de la seconde
moitié du XXème siècle, dont l’aboutissement est la mise en service du télescope optimisé THEMIS
(http://www.themis.iac.es) aux Canaries (Tenerife) en l’an 2000.
Effet Zeeman sur une
tache solaire
Cliché pris à Meudon par
Raymond Michard à
l’aide de la grille de Hale
dans les années
1950/1960. Ce sont des
spectres alternés en
polarisation circulaire
droite ou gauche
© Observatoire de Paris
2
L’observation assidue des taches solaires, qui constituent le meilleur indicateur des champs
magnétiques solaires, a permis, grâce à leur observation systématique depuis près de 4 siècles, de
mettre en évidence le cycle d’activité du Soleil et ses fluctuations.
Taches observées à la Tour
Solaire de Meudon
© Observatoire de Paris
Nombre de taches solaires (dit de Wolf) en fonction
du temps ©Global Warming Art / Wikipedia
En examinant le nombre de taches, ou groupes de taches, au fil des années, les astronomes
ont trouvé un cycle de durée moyenne de 11 ans, qui présente une alternance de périodes sans
taches (le minimum solaire) et de périodes actives tachées (le maximum solaire). La mesure des
champs magnétiques a permis d’établir au XXème siècle que le cycle magnétique dure en réalité 22
ans avec un renversement de la polarité des deux hémisphères solaires tous les 11 ans. La figure ci
dessus montre que la cyclicité de 11 ans est bien régulière dans le temps. Mais il existe des périodes
de cycles forts consécutifs (autour de 1770, 1850, 1950) qui alternent avec des périodes de cycles
faibles, comme les minima de Mauder au siècle de Louis XIV, ou de Dalton sous Napoléon
Bonaparte. Nous n’en connaissons pas encore les mécanismes.
Cycles de
11 ans
Clichés
pris à
Meudon
dans 3
domaines
spectraux
(Hα,
CaIIK3,
CaIIK1v)
montrant
les minima
et maxima
du cycle
solaire
minimum solaire actuellement en 2008, prochain maximum prévu en 2012
© Observatoire de Paris
3
La mesure des champs magnétiques résolus
Nous allons commencer par expliquer ce qu’incarne la polarisation de la lumière, car on la
trouve à l’œuvre dans l’effet Zeeman, qui permet de mesurer les champs résolus, effet qu’on devra
savoir interpréter.
la polarisation de la lumière et les paramètres de Stokes
Rappelons que toute onde lumineuse qui se propage dans la direction Oz de la figure est
décrite par la vibration d’un champ électrique E dans un plan orthogonal xOy à la direction de
propagation Oz. La polarisation de la lumière se décrit par le formalisme des paramètres introduits
par Stokes sous la forme d’un vecteur S à quatre composantes. (I, Q, U, V). Décrivons le champ
électrique par le vecteur E = ( A e i ωt , B e i ω t , 0 ) où A et B sont des amplitudes complexes, qui
portent donc un terme de phase.
Si le vecteur E oscille le long d’une direction fixe, on dit qu’on a une polarisation linéaire.
Si l’extrémité du vecteur E décrit un cercle en tournant autour de l’axe Oz, on dit qu’on a une
polarisation circulaire. Dans le cas général, la polarisation est elliptique.
Le vecteur S = (I, Q, U, V) introduit par Stokes est défini par :
I est l’intensité lumineuse. Q et U servent à décrire la polarisation linéaire. Le paramètre V sert a
décrire la polarisation circulaire. Les polarimètres permettent de mesurer le vecteur de Stokes
incident S = (I, Q, U, V) au moyen d’un dispositif que l’on décrira un peu plus loin.
Polarisation linéaire : si ϕ est l’azimuth du vecteur E (angle avec l’axe Ox), alors on obtient avec E
module du vecteur E:
I = E2, Q = E2 cos(2ϕ), U = E2 sin(2ϕ), V = 0
La mesure de I permet de trouver l’amplitude du champ E; la mesure de Q et U son azimuth ϕ.
En particulier, on a ϕ = 1/2 arc tan (U/Q) et V est nul.
Polarisation circulaire : si de même E est le module du vecteur E, alors on obtient :
I = E2, Q = U = 0, V = ± E2, Q et U sont nuls
La mesure des paramètres de Stokes
C’est la fonction d’un dispositif appelé polarimètre. Ce dispositif optique est généralement
placé au foyer d’un télescope, dans le plan focal où se forme l’image, avant l’injection du faisceau
4
lumineux dans le spectrographe qui permettra de décomposer la lumière, et ainsi d’examiner une
raie spectrale d’un atome bien déterminé (souvent des atomes de Fer).
Un polarimètre se compose d’un ou deux retardateurs optiques qui servent à introduire un
retard de phase par biréfringence entre deux axes propres bien déterminés, dits lents et rapides. Ces
retardateurs sont constitués de cristaux liquides, ou de spath ou encore de quartz. Ils sont suivis d’un
dispositif polarisant dont la fonction est de ne laisser passer que la projection de la vibration
lumineuse dans une direction particulière, dite direction d’acceptance (on a choisi l’axe Ox sur la
figure ci dessous). Avec deux retardateurs variables de 0 à 2π d’azimuth fixe (retard δ1 variable,
azimuth 0 et retard δ2, azimuth π/4), il est possible de mesurer le vecteur de Stokes S = (I, Q, U, V)
incident sans aucune pièce mécanique en mouvement :
L’intensité émergente du polarimètre est :
δ2) + sin(δ
δ2) ( U sin(δ
δ1) – V cos(δ1
δ1)
Iout = ½ [ I + Q cos(δ
δ1 ) ]
Cette formule se réduit à :
Avec δ1 = 0, δ2 = 0,
Avec δ1 = 0, δ2 = π,
Avec δ1 = 0, δ2 = π/2,
Avec δ1 = 0, δ2 = 3π/2,
Avec δ1 = π/2, δ2 = π/2,
Avec δ1 = π/2, δ2 = 3π/2,
Iout = ½ [ I + Q ]
Iout = ½ [ I - Q ]
Iout = ½ [ I - V ]
Iout = ½ [ I + V ]
Iout = ½ [ I + U ]
Iout = ½ [ I - U ]
Avec 6 combinaisons (δ1, δ2) bien choisies, on constate donc qu’il est possible d’injecter
dans le spectrographe des combinaisons linéaires simples des paramètres de Stokes incidents qui
permettront ensuite par somme et différence d’obtenir I, Q, U et V.
La décomposition spectrale des paramètres de Stokes
C’est le but du spectrographe : on y injecte les combinaisons linéaires en lumière blanche ½
[ I ± Q ], ½ [ I ± U ], ½ [ I ± V ] issues du polarimètre, dans le but d’effectuer une décomposition
spectrale à l’aide d’un dispositif disperseur (en général un réseau de diffraction). L’enjeu est
d’obtenir, à la sortie du spectrographe, les variations de ½ [ I ± Q ], ½ [ I ± U ], ½ [ I ± V ] en
fonction de la longueur d’onde dans un domaine spectral étroit (quelques Angströms, 1 Å = 10-10 m)
permettant d’isoler une raie spectrale et d’avoir une information détaillée sur son profil avec une
résolution spectrale (plus petits détails discernables en longueur d’onde) de l’ordre de 10 milli Å.
Une telle précision est requise pour l’étude de la polarisation des raies formées dans la photosphère
parce qu’elles sont très étroites (environ 0.2 Å pour les raies du Fer).
5
L’effet Zeeman
Lorsque les atomes sur la ligne de visée sont plongés dans un champ magnétique, les raies se
scindent en plusieurs composantes. Dans l’effet Zeeman « normal », on observe deux composantes
décalées de part et d’autre de la position de la raie sans champ, et polarisées circulairement autour
de la direction du champ magnétique, que l’on appelle σ+ et σ-. Il existe une troisième composante
centrale polarisée linéairement dans la direction du champ magnétique et appelée composante π.
Cette composante π n’est pas décalée par rapport à la position initiale de la raie sans champ.
Si le champ est purement longitudinal (orienté dans la direction de l’observateur), on ne voit
que les deux composantes décalées σ+ et σ-. Si le champ est purement transversal (orienté dans le
plan du ciel perpendiculairement à l’observateur), on voit les 3 composantes mais elles apparaissent
toutes trois polarisées linéairement (car les composantes σ+ et σ- tournent dans un plan
perpendiculaire au champ magnétique et la composante π est parallèle au champ magnétique). La
réalité est toujours un mélange des deux situations.
L’interprétation de cet effet complexe nécessite l’usage de la mécanique quantique. On
montre qu’en présence d’un champ longitudinal, on assiste à l’apparition de 2 composantes σ+ et σséparées en longueur d’onde d’une quantité 2∆λB proportionnelle au champ magnétique B. La
mesure de ∆λB permet donc d’accéder aux champs magnétiques longitudinaux. Mais comme en
général, les composantes sont très peu séparées en intensité (voir la figure ci dessous), on doit
recourir à l’analyse de la polarisation de la lumière, le décalage entre les composantes pouvant être
mesuré beaucoup plus facilement sur les profils de Stokes I+V(λ) et I-V(λ) fournis par le
spectrographe en sortie du polarimètre.
Effet Zeeman sur une tache solaire dans la raie FeI 6173 Å.
Selon l’orientation du champ magnétique, la raie se scinde en deux ou trois composantes. Lorsque
l’écart entre les composantes est faible (cas général), seule l’analyse de la polarisation permet de les
séparer © Observatoire de Paris
6
Décomposition Zeeman et transitions quantiques
Les niveaux d’énergie des atomes sont discrets et quantifiés par des nombres entiers ou demi
entiers introduits par la théorie quantique. Pour décrire l’état d’un atome, on a besoin de connaître :
-
le moment cinétique orbital total L de l’ensemble des électrons de l’atome
le moment cinétique se spin total S de l’ensemble des électrons de l’atome
le moment cinétique total J = L + S de l’ensemble des électrons de l’atome dans le cadre du
couplage spin orbite (entier ou demi entier)
la projection mJ du moment cinétique total J de l’ensemble des électrons de l’atome sur un
axe, par exemple l’axe Oz. mJ peut prendre 2 J + 1 valeurs discrètes possibles (entières ou
demi entières) telles que : - J ≤ mJ ≤ J
2S+1
Un atome caractérisé par les nombres L, S, J possède une configuration notée :
LJ
et son énergie ne dépend pas de mJ. Il y a donc 2 J + 1 niveaux de même énergie : on dit qu’il y a
dégénérescence. Le niveau L = 0 est noté S, L = 1 est appelé P, L = 2 est nommé D, etc…
Lorsqu’un atome absorbe un photon, il se produit une raie d’absorption (même mécanisme
pour l’émission). La fréquence ν du photon correspond à la différence d’énergie entre les niveaux
de départ LSJ et d’arrivée L’S’J’:
E = h ν = h C / λ = | EL’S’J’ – ELSJ |
Mais les transitions quantiques sont soumises à des règles de sélection établies par la
mécanique quantique. En couplage L,S pur (ce n’est pas toujours le cas), on aura :
∆S = 0, ∆L = 0, ± 1, ∆J = 0, ± 1, et ∆mJ = 0, ± 1
Un exemple simple: transition CaI 4227 Å 1S0 1P1
En présence de champ magnétique, la dégénérescence des niveaux d’énergie (2 J + 1) est
levée et chaque niveau L S J se scinde en 2 J + 1 sous niveaux, dont l’énergie dépend maintenant de
mJ qui n’est pas intervenu jusqu’ici. Sur la figure suivante, on a :
-
La transition ∆mJ = 0 est dite composante π ; elle est polarisée linéairement dans la
direction du champ magnétique. Mais si le champ magnétique se trouve dans la direction de
la ligne de visée, c’est à dire longitudinal, alors la composante π est invisible.
-
Les transitions ∆mJ = ± 1 sont dites composantes σ+ et σ-. La polarisation est circulaire
droite ou gauche autour de la direction du champ magnétique. Mais lorsqu’il est orienté dans
le plan du ciel, c’est à dire transverse, l’observateur voit en réalité deux polarisations
linéaires orthogonales à la direction du champ magnétique.
7
La variation d’énergie ∆EB = E - EB de la transition en présence de champ magnétique entre
les sous niveaux L’S’J’mJ’ et LSJmJ est donnée par la mécanique quantique :
∆EB = E - EB = h ∆ν = - h C ∆λ / λ2 = µB B ( gJ’ mJ’– gJ mJ )
gJ’ et gJ sont les facteurs de Landé des niveaux haut et bas de la transition. Ils sont donnés par :
gJ = 3/2 + [ S(S+1) - L(L+1) ] / [ 2J (J+1) ]
µB = e ħ / 2m est le magnéton de Bohr ou moment magnétique de l’électron (e, m charge et masse
de l’électron, ħ = h/2π, h constante de Planck).
Effet Zeeman « normal » et effet Zeeman « anormal »
effet Zeeman « normal »
En spin nul (S = S’ = 0, gJ’ = gJ = 1), les sous niveaux hauts L’S’J’mJ’ et bas LSJmJ sont
équidistants, la différence d’énergie entre 2 sous niveaux étant égale à µB B. Compte tenu de la
règle de sélection ∆mJ = 0, ± 1 on observera donc 3 composantes Zeeman écartées de la différence
d’énergie ∆EB = 0 (composante π), ∆EB = ± µB B (composantes σ).
effet zeeman « anormal »
En spin non nul (S ≠ S’ ≠ 0), les sous niveaux hauts L’S’J’mJ’ et bas LSJmJ ne sont pas
équidistants, la différence d’énergie entre 2 sous niveaux étant égale à µB B gJ’ (haut) ou µB B gJ
(bas) car gJ’ ≠ gJ : on observera donc plus de 3 composantes Zeeman. Dans ce cas, on introduit pour
simplifier la notion de centre de gravité des multiples composantes π , σ+, σ- données par la règle
de sélection ∆mJ = 0, ± 1.
Le centre de gravité de la composante π (∆mJ = 0) est centré sur la transition sans champ
magnétique.
Les centres de gravité des composantes σ+ et σ- (∆mJ = ± 1) sont décalés par rapport à la
transition sans champ magnétique de la valeur ∆EB = ± µB B g*, où g* est le facteur de Landé
équivalent qui se calcule par la formule suivante :
g* = ½ (gJ + gJ’) + ¼ (gJ - gJ’) ( J(J+1) – J’(J’+1) )
8
La mesure par décalage Zeeman des champs longitudinaux
En présence d’un champ longitudinal, les 2 composantes σ+ et σ- sont décalées en longueur
d’onde (par rapport à la position de la raie sans champ magnétique) de ∆λB = ± λ2 νL g* / C avec νL
= e B / (4π m ) fréquence de Larmor (B champ magnétique, e charge de l’électron, m sa masse, C
vitesse de la lumière, λ longueur d’onde de la raie et g* facteur de Landé). Numériquement, avec B
en Gauss et λ en Å : ∆λB = ± 4.67 10-13 λ2 g* B
Par exemple, si B = 1000 Gauss = 0.1 Tesla, λ = 6000 Å, g* = 2, on trouve ∆λB = 35 mÅ. Ce
sont de petits décalages qui nécessitent des spectrographes très résolvants. On voit qu’on a tout
intérêt à choisir des raies à grand facteur de Landé et à observer dans l’infra rouge.
La mesure de l’écartement des composantes Zeeman 2∆λB permet donc de mesurer les
champs magnétiques longitudinaux. Mais comme les composantes sont très peu séparées en
intensité, la mesure du décalage Zeeman sera bien plus précise entre les profils de Stokes I+V(λ) et
I-V(λ) obtenus en sortie du spectrographe suite à l’analyse polarimétrique, comme le montre la
figure ci dessous.
Intensités (à gauche) et champs magnétiques longidudinaux (à droite) mesurés par décalage
Zeeman. Les champs magnétiques sortants sont en blanc, et entrants en noir.
© Observatoire de Paris et SOHO/MDI-ESA/NASA
9
La mesure du champ magnétique vectoriel partir des profils de Stokes
L’effet Zeeman, à condition de mesurer par combinaison linéaire les profils des 4 paramètres
de Stokes I(λ), Q(λ), U(λ), V(λ) en fonction de la longueur d’onde sur une raie spectrale bien
choisie, permet de remonter au vecteur champ magnétique (à une orientation près). Décomposons le
vecteur champ magnétique B de la manière suivante :
En se basant sur l’approximation théorique des champs faibles, on montre que :
V(λ) = 4.67 10-13 B// g* λ2 dI/dλ
d’où l’on peut déduire le champ longitudinal B// ; comme |dI/dλ| est maximale aux points
d’inflexion du profil de raie, on prendra la mesure de V en ces points de la raie.
Q(λ) = - 1/4 (4.67 10-13 g* λ2 )2 B_|_ 2 cos(2φ) d2I/dλ2
U(λ) = - 1/4 (4.67 10-13 g* λ2 )2 B_|_ 2 sin(2φ) d2I/dλ2
On voit que (Q2 + U2)1/2 = 1/4 (4.67 10-13 g* λ2 )2 B_|_ 2 d2I/dλ2
d’où l’on peut en déduire le champ transverse B_|_ ; comme |d²I/dλ²| est maximale au centre de la
raie, on prendra la mesure de Q et de V au coeur de la raie.
U/Q = tan(2φ) fournit l’azimuth φ avec une ambiguïté de 180°. On aboutit donc à deux orientations
possibles, ambiguïté que l’on pourra lever en combinant les observations de plusieurs raies.
Exemple de profils de Stokes
I(λ), Q/I(λ), V/I(λ), U/I(λ), dans
une région active solaire, raies
FeI 6301 et 6302 Å.
En abscisse : la longueur
d’onde
En ordonnée : la direction sur
le Soleil (fente du
spectrographe)
© Observatoire de Paris
10
Un exemple de mesure de champ magnétique vectoriel dans une region active obtenue dans la raie
CaI 6103 Å (à gauche) et dans la raie FeI 6302 Å (à droite). Les flèches représentent le champ
transverse, et les couleurs le champ longitudinal (© Observatoire de Paris)
A quelles régions solaires l’effet Zeeman peut-il s’appliquer ?
On ne peut pas mesurer les champs magnétiques solaires avec l’effet Zeeman dans toutes les
régions de l’atmosphère solaire.
Le paramètre de contrôle de l’effet Zeeman est: r = ∆λB/∆λD
∆λB = (g* νL /c) λ2 B est le décalage Zeeman vu plus précédemment.
Il varie varie comme g* B λ2
∆λD = λ vth /C est la largeur thermique (Doppler) de la raie.
λ
Elle varie comme λ T1/2 car vth = (2 k T / m)1/2
avec T température et m masse des atomes en mouvement
Donc r = ∆λB/∆λD varie comme g* B T-1/2 λ
Dans la photosphère et dans la chromosphère: T est relativement faible (104K) et les champs
magnétiques sont souvent forts (> 100 Gauss), donc les mesures Zeeman y sont favorables
11
Dans la couronne: T est élevée (106K) et les champs magnétiques sont faibles (décroissant avec
l’altitude, < 10 Gauss), donc les mesures Zeeman y sont défavorables, à moins d’observer dans
l’infra rouge (λ plus grand).
La mesure des champs magnétiques faibles ou non résolus
La polarisation de résonance
Parmi les processus de diffusion, dont les plus connus sont la diffusion de la lumière par les
électrons libres (diffusion Thomson) ou par les molécules (diffusion Rayleigh), le phénomène de
diffusion résonante dans les raies spectrales se produit lorsque l’atome excité retombe
immédiatement de façon cohérente vers le niveau de départ. On a constaté que beaucoup de raies,
lorsqu’elles sont observées au voisinage immédiat du limbe solaire présentent une polarisation
linéaire. Au dessus du limbe, dans les protubérances, les raies chromosphériques sont également
polarisées. On attribue cette polarisation à l’éclairement anisotrope des atomes dans l’atmosphère.
Par exemple, les protubérances, situées au dessus du bord solaire dans la couronne, reçoivent un
éclairement conique, l’axe du cône étant orthogonal à la ligne de visée.
Polarisation de résonance au
voisinage du bord solaire
Raie CaI 4227 Å
En abscisse : la longueur
d’onde
En pointillé : le spectre en
intensité I(λ)
En trait continu : le taux de
polarisation linéaire Q/I(λ)
(noter le pic juste au cœur de la
raie)
© Observatoire de Paris
Effet Hanle
L’effet d’un champ magnétique sur la polarisation des raies de diffusion se caractérise par
une dépolarisation des raies (diminution du taux de polarisation linéaire Q/I) et une rotation du plan
de polarisation (apparition d’un signal U/I): c’est l’effet Hanle. Celui ci n’intervient que pour les
champs magnétiques faibles, résolus ou non, lorsque la fréquence de Larmor de l’électron νL = e B /
(4π m) est comparable à l’inverse de la durée de vie des niveaux. L’effet Zeeman, quant à lui,
concerne plutôt les champs forts résolus, lorsque la fréquence de Larmor νL est voisine de la largeur
Doppler.
Exemple de la diffusion à 90° en présence de champ magnétique horizontal
On s’intéresse à la diffusion de la lumière incidente (non polarisée) d’intensité I’ issue de la
surface du Soleil, dans une direction orthogonale qui est celle d’un observateur qui regarde au
dessus du bord solaire. Il peut, par exemple, s’agir d’une protubérance comme le montre la figure.
12
L’observateur s’intéresse aux paramètres de Stokes I, Q, U et V de la lumière diffusée qu’il reçoit
dans sa direction. On suppose que le processus de diffusion se fait en présence d’un champ
magnétique horizontal B (qui par exemple supporte la protubérance et qu’on veut mesurer), contenu
dans un plan tangent au Soleil, le vecteur B faisant fait un angle θ avec la direction de diffusion.
On introduit le paramètre sans dimension H = e B / (2 m γ) proportionnel à B, où B est le
module du champ magnétique, e et m la charge et la masse de l’électron, γ l’inverse de la durée de
vie des niveaux. La théorie très simplifiée de la diffusion donne les résultats suivants :
Si le champ magnétique est parallèle à la direction de diffusion (θ = 0) :
I = I’
|Q/I| = 1 / (1 + 4H²) < 1, facteur de dépolarisation Hanle.
Sans champ, |Q/I| = 1. Plus le champ magnétique est fort, et plus la dépolarisation est élevée.
|U/I| = 2H / (1 + 4H²) et α = ½ arc tan(U/Q) = ½ arc tan[2H].
Plus le champ magnétique est fort, et plus la rotation α du plan de polarisation est importante.
Si le champ magnétique est orthogonal à la direction de diffusion (θ = π/2)
I = (I’/2) [ 3 - 1/(1 + 4H²) ]
Q = (-I’/2) [ 1 + 1/(1 + 4H²) ]
Le facteur de dépolarisation Hanle vaut |Q/I| = (1 + 2H²) / (1 + 6H²). Plus le champ magnétique est
fort, et plus la dépolarisation est élevée (mais bornée inférieurement).
U = 0, la polarisation est parallèle au bord solaire
Le « second spectre solaire »
Le « second spectre solaire » désigne le spectre solaire en polarisation linéaire Q/I(λ)
observé tout près du bord solaire, à quelques secondes d’arc à l’intérieur du bord. On y étudie tout
particulièrement la dépolarisation de certaines raies, que l’on attribue à la présence d’un champ
magnétique faible et turbulent, non résolu, ce qui conduit à traiter l’hypothèse simplificatrice
suivante :
On suppose que toutes les orientations du champ magnétique sont équiprobables (0 < θ <
2π) dans le plan tangent à la surface du Soleil. On effectue alors une moyenne angulaire sur θ de 0 à
2π qui donne d’abord Umoy = 0 : il n’y a donc aucun signal sur U dans cette hypothèse, donc la
polarisation reste parallèle au bord solaire.
Le facteur de dépolarisation Hanle vaut |Qmoy/Imoy| = (1 + H²) / (1 + 5H²). Plus le champ
magnétique est fort, et plus la dépolarisation est élevée avec encore une borne inférieure.
13
On met cette propriété à profit dans le « second spectre solaire ». La mesure de la
dépolarisation de certaines raies, par rapport à leur polarisation hors champ magnétique, comme le
cœur de CaI 4227 Å présenté ici, permet d’estimer le module du champ magnétique turbulent dans
le Soleil, dont on soupçonne la présence partout, y compris dans les régions calmes. Sa contribution
au champ magnétique général pourrait ainsi s’avérer importante.
L’extrapolation des champs magnétiques en altitude
On a vu que la mesure des champs magnétiques est difficile dans la couronne solaire. Une
façon d’y accéder consiste à mesurer les champs magnétiques sur la surface du Soleil, qu’on
extrapole ensuite vers la couronne au moyen d’un modèle mathématique. L’équilibre
magnétostatique d’une boucle de champ magnétique est régi par la loi de l’équilibre des forces de
gravitation ρ g, de Laplace j Λ B et de pression - grad P (exprimées par unité de volume) :
ρ g + j Λ B - grad P = 0
j est la densité de courant électrique, B le champ magnétique, g l’accélération de la pesanteur, ρ la
masse volumique et P la pression gazeuse. La densité de courant électrique j se déduit d’une des
équations de Maxwell en régime permanent : rot B = µ0 j
On s’intéresse à la classe particulière d’équilibres hydrostatiques sans force magnétique tels que :
j Λ B = 0 et ρ g = grad P
Lorsque j est colinéaire à B, c’est à dire s’il existe un nombre α tel que µ0 j = rot B = α B, alors la
force magnétique j Λ B s’évanouit.
En prenant le rotationnel de l’équation rot B = α B, on obtient l’équation :
∆B + rot(αB) = 0 soit ∆B + α rot B + gradα Λ B = 0, soit :
∆B + α² B + gradα Λ B = 0
avec ∆ opérateur Laplacien (∂²/∂x² + ∂²/∂y² + ∂²/∂z²)
Il faut y ajouter l’équation de Maxwell div B = 0
Lorsque α = 0, le champ est dit potentiel (sans courant). Il est solution de l’équation de Laplace
∆B = 0
Lorsque α ≠ 0, le champ est dit sans force. Une classe spéciale (dite sans force linéaire) est celle où
α est constant dans l’espace. Dans ce cas gradα = 0, et on doit résoudre l’équation d’Helmholtz :
∆B + α² B = 0
La résolution à α constant à partir d’une condition aux limites imposée par les mesures de champ
magnétique sur la surface du Soleil est illustrée par les deux exemples suivants :
14
Extrapolation des champs magnétiques (à droite) au dessus d’une région active présentant des
boucles chaudes visibles en rayons X mous (à gauche, instrument YOHKOH/SXT)
© Observatoire de Paris et JAXA
Extrapolation des champs magnétiques au dessus des taches, la carte en niveaux
de gris représente le champ magnétique sur la surface du Soleil © Observatoire de Paris
15
Les manifestations des champs magnétiques
les filaments et protubérances
Les filaments (« rubans » sombres à gauche) et protubérances (à droite).
© Observatoire de Paris
Les filaments (qui sont vus sous forme de protubérances au bord du Soleil) sont des
structures magnétisées situées dans la couronne, au dessus de la surface solaire. Leur hauteur peut
atteindre 50000 km, et leur longueur plusieurs centaines de milliers de km. Leur température est
100 fois plus faible que celle de la couronne, et leur densité au moins 100 fois plus grande. Si leur
matière ne s’effondre pas, c’est qu’elle est soutenue par une sorte de « berceau magnétique » : c’est
la force de Laplace, f = j ΛB (par unité de volume, j est la densité de courant électrique, et B le
champ magnétique) qui s’oppose à la force de gravité ρg (g accélération de la pesanteur, 275 m/s², ρ
masse volumique). Le champ magnétique qui soutient la protubérance évolue, ne serait ce que sous
l’influence des mouvements de la surface solaire sous jacente dans laquelle il est ancré : lorsqu’il
devient instable, la protubérance peut être éjectée comme le montre l’image ci dessous :
Les filaments et protubérances peuvent être éjectés
suite à une instabilité de leur support magnétique.
© SOHO/EIT HeII 304 Å ESA/NASA
16
les éruptions et les instabilités des boucles magnétiques
Le Soleil est dynamique ! Son atmosphère est structurée par des champs magnétiques
évolutifs dont la première manifestation constitue les taches. Celles ci sont surmontées par des
boucles de champ magnétique particulièrement bien visibles en Ultra Violet (températures
coronales de l’ordre de 1O6 K) comme le montrent les extraordinaires images du satellite TRACE.
Boucle magnétique coronale.
Hauteur voisine de 100 000 km. Les pieds des
boucles sont ancrés sous la surface solaire et
subissent ses mouvements.
© Transition Region And Coronal Explorer
NASA
Boucle magnétique en Hα lors d’une éruption
solaire. Ces boucles résultent du
refroidissement de boucles coronales plus
chaudes.
© Observatoire de Paris et Académie Royale
des Sciences de Suède, télescope suédois de 50
cm de La Palma
Eruption solaire marquée par l’activation
d’un grand nombre de boucles magnétiques
coronales à haute température (106K)
© Transition Region And Coronal Explorer
NASA
17
les éjections de masse coronale
A plus grande échelle, le Soleil éjecte vers le milieu interplanétaire des quantités
importantes de plasma, avec une fréquence de plusieurs événements par jour en période de
maximum d’activité solaire. Ces éjections qui renforcent le vent solaire permanent correspondent à
la libération de « bulles » magnétiques formées par un processus de reconnexion magnétique au
sommet de boucles magnétiques instables, à l’occasion d’éruptions ou d’instabilités de
protubérances ou filaments.
De telles éjections, lorsqu’elles sont dirigées vers la Terre, sont susceptibles de perturber
l’environnement terrestre spatial, perturbation dont la manifestation naturelle la plus belle est
constituée par le phénomène des aurores boréales (et australes).
Ejection de masse coronale
vue par le coronographe C3
de SOHO en lumière
blanche
© SOHO/LASCO-C3
ESA/NASA
18
Téléchargement