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Le Spécialiste 90 ❚ 22 septembre 2016 www.lespecialiste.be
Première grande modification: la
nouvelle loi élargit le concept
des soins palliatifs en ne le limi-
tant plus à la «fin de vie». «Dans la loi
relative aux soins palliatifs de 2002, on
parlait clairement de “fin de vie”. D’une
part, cela s’éloignait donc de la défini-
tion de l’OMS qui n’aborde nulle part
ce concept de “fin de vie”. D’autre part,
cela ne correspondait pas à la réalité du
terrain parce que l’on remarque que les
patients ont des besoins de confort, de
soulagement bien avant. C’est pourquoi
il est essentiel d’en parler précocement
au patient. Si l’on aborde le sujet pré-
cocement et progressivement au cours
de la maladie, cela se passe toujours
beaucoup mieux. Les patients peuvent
alors poser des choix qui sont en accord
avec leurs valeurs, leurs priorités», com-
mente le Dr Bouckenaere.
Bien trop tardivement
Par ailleurs, il existe également des
études qui viennent renforcer cette nou-
velle conception sur des bases scienti-
fiques. Le point de départ de la réflexion
a été l’étude (2) très vaste du KCE de
2009 relative à l’organisation des soins
palliatifs en Belgique.
«Une première grande conclusion de
cette étude était qu’à l’heure actuelle,
dans notre pays, on commence les soins
palliatifs souvent très tardivement. Je ne
parle même pas ici de mois, mais bien
de semaines!», s’exclame la présidente
de la FBSP.
«Une deuxième conclusion importante
de cette étude était que lorsque l’on
parlait de soins palliatifs, on ne pensait
qu’au cancer. Or, il faut penser beaucoup
plus largement. Il faut une réflexion glo-
bale étendue aux affections non cancé-
reuses», poursuit le Dr Bouckenaere.
Cette étude du KCE a donc constitué le
point de départ de cette modification
législative. Ensuite est intervenue une
réflexion au sein de la Cellule fédérale
d’évaluation des soins palliatifs, qui
regroupe notamment les différentes fé-
dérations de soins palliatifs, des repré-
sentants du SPF Santé publique et des
représentants du Cabinet de la ministre
qui a abouti à l’étude PICT. Celle-ci a
élaboré un outil destiné à identifier les
patients palliatifs, indépendamment de
leur pathologie et de leur espérance de
vie et à évaluer l’intensité de leurs be-
soins.
Une autre étude, indépendante de la
Cellule d’évaluation, est l’étude Fliece
(3) qui a été menée en Flandre. Celle-ci
a permis d’objectiver que pour les affec-
tions non cancéreuses (par ex. une insuf-
fisance cardiaque), dans notre pays, les
soins palliatifs sont débutés en moyenne
seulement 10 à 12 jours avant le décès
du patient. Ce n’est pas beaucoup mieux
pour les affections cancéreuses, où le re-
cours aux soins palliatifs n’a aussi lieu
que seulement 3 semaines avant le dé-
cès. C’est deux fois plus tard que dans
d’autres pays, comme les Etats-Unis par
exemple.
En outre, cette étude a aussi objecti-
vé que les besoins des patients étaient
presque aussi intenses lorsqu’ils ont en-
core des traitements que les patients en
toute fin de vie chez qui l’on a arrêté les
traitements.
Finie l’opposition curatif/
palliatif
La deuxième grande modification lé-
gislative consiste en la suppression de
la traditionnelle opposition curatif/pal-
liatif. «On peut en effet tout à fait déjà
déclencher le dispositif palliatif chez un
patient qui reçoit encore des traitements
actifs. Auparavant, on poursuivait les
traitements pour lutter contre la mala-
die le plus loin possible et lorsque l’on
s’apercevait que cela ne marchait vrai-
ment plus, on passait aux soins pallia-
tifs. Cette conception n’était pas du tout
adaptée à la réalité», relève Dominique
Bouckenaere.
«Aujourd’hui, on est dans une intégra-
tion beaucoup plus souple des traite-
ments dirigés contre la maladie et des
traitements de confort. En fait, l’ap-
proche palliative repose sur une seule
chose: les besoins et les souhaits du pa-
tient. C’est cela le facteur déterminant!»
Quid de l’impact
budgétaire?
Bien sûr, lorsque l’on évoque un élar-
gissement de la loi, on peut émettre
des doutes quant à sa faisabilité en ces
temps de disette budgétaire. «En effet,
déjà aujourd’hui, alors que les soins pal-
liatifs sont encore généralement limités
à la fin de vie, les moyens sont insuffi-
sants, les équipes ne parviennent pas à
répondre à la demande car elles sont en
sous-effectif. Et nous sommes tout à fait
conscients que nous sommes dans une
période d’austérité budgétaire», affirme
le Dr Bouckenaere.
«Cela dit, il existe une fausse idée qui
tend à faire rimer systématiquement
soins palliatifs avec équipes spécialisées
de soins palliatifs. Or, il convient de dis-
tinguer les soins palliatifs de base qui
doivent être délivrés par les soignants
actuels et les soins palliatifs spécialisés
qui n’interviennent que lorsque les pre-
miers ne suffisent plus. Tout médecin,
dans sa pratique, peut déjà prodiguer
des soins palliatifs sans pour autant en-
traîner des dépenses supplémentaires.
Et justement, le fait d’en parler plus pré-
cocement aux patients va faire en sorte
que certains vont faire le choix de traite-
ments de confort plus satisfaisants pour
leur qualité de vie et moins coûteux pour
le budget des soins de santé.»
Si la loi de 2002 avait pour mérite d’avoir
véritablement ancré la culture des soins
palliatifs dans nos soins de santé, la
présidente de la FBSP estime toutefois
que cette modification législative était
devenue nécessaire et se réjouit donc
de cette avancée législative qui vise
à implémenter plus précocement les
soins palliatifs et à favoriser un passage
progressif des soins curatifs aux soins
palliatifs en fonction des besoins et sou-
haits des patients.
«Evidemment, il faut encore que les
mentalités changent. Une loi ne va pas
changer les choses du jour au lende-
main, mais doit être considérée comme
un signal», conclut le Dr Bouckenaere. ❚
France Dammel
Notes
1. La loi modifiant la loi du 14 juin 2002 qui vise à
élargir la définition des soins palliatifs, entérinée
par la Chambre le 23 juin 2016, a été promulguée
le 21juillet 2016 et publiée au Moniteur belge le 29
août 2016.
2. Rapport du Centre Fédéral d’Expertise des soins de
santé, 2009: KCE rapport 115B
3. Flanders Study to Improve End-of-Life Care and
Evaluation Tools FLIECE
JS2750F
Des soins palliatifs bien avant l’arrêt des
traitements
Datant de 2002, la loi relative aux soins palliatifs avait
bien mérité un petit lifting. Une nouvelle loi (1) la modi-
fiant a été publiée au Moniteur belge le 29 août dernier.
Cela dit, publiée pendant les vacances, elle n’a pas eu
beaucoup d’échos. En tout cas, pour le Dr Dominique
Bouckenaere, présidente de la Fédération bruxelloise
pluraliste de soins palliatifs et continus (FBSP), cette
modification législative traduit la réalité du terrain.
ACTUALITÉ SOCIO-PROFESSIONNELLE
Dr Dominique Bouckenaere:
«L’approche palliative repose sur une seule chose: les besoins et les
souhaits du patient. C’est cela le facteur déterminant!»