prises dans le but de résoudre des problèmes ponctuels (la situation chaotique dans les
ghettos). Elle ne se développa que graduellement en une vaste action."1 En d'autres
termes, confrontés à des situations incontrôlables d'ordre sécuritaire (lutte contre la
guérilla), démographique, alimentaire et sanitaire (typhus), des responsables locaux
auraient, à l'insu de Berlin, eu recours à des solutions radicales et barbares ; ils
auraient, à l'occasion et comme poussés par l'urgence et la nécessité, liquidé des
populations entières d'ennemis potentiels ou effectifs, de bouches inutiles et de
typhiques agonisants puis ils auraient, peu à peu et toujours de leur propre initiative,
recouru systématiquement à ces méthodes qu'on croyait d'un autre âge.
Pour notre part, nous avons trouvé trop d'éléments en défaveur de la thèse
intentionnaliste pour l'adopter ; nous nous sommes donc ralliés à la thèse
fonctionnaliste : il y a d'ailleurs eu dans l'Est européen tellement d'affreux massacres
de Juifs qu'elle n'est pas a priori impensable. Toutefois, quelle que soit la thèse qu'on
retienne, il reste qu'Hitler y joua un rôle de premier plan : il donna l'ordre du génocide
et s'il ne le donna pas et même s'il ignora tout de ce génocide, il fut l'artisan de la
persécution et fut (co-) responsable d'une guerre qui allait muter cette persécution en
drame affreux. Il est donc indispensable de commencer par dire un mot du
personnage.
Hilberg a dit récemment (Le Soir, 4/3/'94) qu'Hitler était "fils de son temps". Sans
doute mais cela reste un peu court. Essayons tout d'abord de savoir qui était l'homme,
quelles étaient ses idées ou du moins celles auxquelles il souscrivit et qu'il illustra et
enfin, quel était l'état de l'Allemagne avant son arrivée au pouvoir (notamment à la
lecture de John Toland, Hitler, Laffont, 1983).
Nationaliste romantique, chimérique et chauvin, raciste et, qui plus est, exaltant sa
prétendue différence jusqu'au délire, Hitler croyait, comme tant d'autres "grands
hommes", avoir été investi d'une mission quasi divine2, celle de relever l'Allemagne,
victime d'une crise morale, politique (il y fut pour quelque chose), économique et
sociale très grave. Il prétendait en outre lui assurer la préséance en Europe
continentale, les "races supérieures" (Aryens et apparentés) dominant les supposées
"races inférieures" (surtout slaves).3
Pour mener à bien sa mission, il adopta quelques principes de conduite dont il ne se
départit jamais.
Il adopta les idées de Machiavel et même exalta le recours à la violence ; il fut, en
outre, un sournois et même un franc menteur (à l'entendre, chacune de ses exigences
était la dernière).
1 Martin Broszat, cité avec d'autres historiens aussi estimés que Hans Mommsen et Uwe Dietrich Adam
par Saul Friedländer en mai '84 au congrès de Stuttgart.
2 Etait-il croyant ? Il affirma souvent un attachement indéfectible au catholicisme, tout en en critiquant
et en combattant, à l'occasion, les structures et la hiérarchie.
3 J'ai lu, par exemple, qu'un "Generalsiedlungsplan" de 1942 prévoyait le déplacement en Sibérie, sur
une période de 30 ans, de 31 millions de personnes "racialement indésirables" et l'établissement de 10
millions d'Allemands et d'apparentés sur les terres s'étendant de la Pologne au bassin du Dniepr.