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8ème Conférence AFD / EUDN SYNTHESE DES DEBATS
MESURE POUR MESURE
Sait-on vraiment mesurer le développement ?
1er Décembre 2010 Centre de conférence Pierre Mendès‐France, Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Paris Ouverture
Dov ZERAH, Directeur général, Agence Française de Développement (AFD) François BOURGUIGNON, président d’EUDN, Ecole d’Economie de Paris Dov ZERAH ouvre la conférence en saluant le niveau exceptionnel de la participation cette année. Elle démontre que cet événement annuel constitue désormais un rendez-vous
important pour les chercheurs et les acteurs du développement. La conférence AFD-EUDN
fournit en effet un lieu de dialogue en rassemblant une communauté très variée - en termes
géographiques (30 pays représentés) mais aussi en termes d’institutions et d’horizons
professionnels (institutions publiques, entreprises, société civile, recherche).
Le thème de cette année « Mesure pour mesure : sait-on vraiment mesurer le
développement ? » devrait permettre d’offrir un aperçu du chemin parcouru en cette matière
depuis le premier rapport du Club de Rome qui, il y a 40 ans, proposait une approche
purement économique. Même s’il est évident que l’acte de mesure ne pourra englober
l’ensemble des paramètres du développement et restera insuffisant, il n’en demeurera pas
moins indispensable pour estimer les avancées, pour défendre l’aide au développement et
améliorer l’efficacité de ses actions. Si le développement se caractérise par un mouvement
vers le haut de tout le système social, encore faut-il en effet pour le suivre connaitre la
situation de départ, caractériser l’objectif et avoir les instruments adéquats d’évaluation.
Le président Sarkozy a confié en 2008 à une commission menée par Joseph Stieglitz une
réflexion sur les limites de la mesure du PIB. Il en ressort que le bien-être va bien au-delà de
la notion de PIB par habitant. D’une part le PIB ne reflète que partiellement la perception de
la richesse qui repose aussi sur la répartition des niveaux de revenu, le niveau de
consommation ou encore le patrimoine. D’autre part, outre le niveau de richesse, le bien-être
est aussi lié à l’accès au travail, à l’éducation, à la santé ou encore au sentiment de sécurité,
autant de domaines souvent oubliés et parfois difficiles à caractériser. Enfin, pour suivre le
développement, doit-on rechercher un indicateur global capable de refléter l’ensemble de ces
facteurs ou reste-t-il plus pertinent de maintenir une batterie d’indicateurs parfois peu
comparables ? Cette conférence est l’occasion de poser cette question.
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François BOURGUIGNON rappelle que la commission menée par Joseph Stiglitz a en effet
souligné les limites de la mesure par le PIB et la nécessité de combiner les approches de
mesure économique et celles des autres dimensions du développement. A cela deux
difficultés. La première est conceptuelle : comment s’articulent et fonctionnent les différents
facteurs du développement – par exemple les liens entre évolution des économies et évolution
des institutions ? Comment prendre en compte la complexité croissante des situations en lien
avec la globalisation et la multiplication des interactions ? Comment inclure dans la démarche
les notions nouvelles telles que les biens publics, les préoccupations environnementales, le
changement climatique ?
La deuxième difficulté est fonctionnelle : bien que la disponibilité en données se soit
fortement améliorée (il y a trente ans, bien peu de pays disposaient d’enquêtes ménages
complètes), on arrive rarement à pondérer les différentes informations et données. A titre
d’exemple : comment relier état nutritionnel, revenus, richesse, état de santé et bien-être ou
état de satisfaction ? Ces deux enjeux seront abordés lors de la conférence.
Mesurer le développement : autres données, autres conclusions ?
Intervenant: Angus DEATON, Université de Princeton Président: François BOURGUIGNON, PSE Angus DEATON, en introduction de son exposé, a rappelé que la mesure du développement
faisait l’objet d’une attention politique et académique très poussée et que cette attention était
utile et justifiée. L’idée même de développement économique s’est complexifiée depuis 20
ans, avec le dépassement progressif d’une vision économiciste fondée sur le seul revenu par
tête, pour atteindre une conception plus large, multidimensionnelle, de la pauvreté. Ce
changement de paradigme doit évidemment beaucoup aux travaux d’Amartya Sen
(Development as Freedom). Les travaux de la commission Sen-Stiglitz-Fitoussi (2009) ont
également permis de mettre en lumière la nécessité d’étendre les indicateurs de mesure de la
richesse, de la performance économique et du bien-être.
Les données sur la richesse des Nations sont en effet encore insatisfaisantes. Ainsi, en 2008,
le nombre de « pauvres » au niveau mondial a bondi de 500 millions selon les statistiques
produites dans le cadre de l’International Comparison Program et publiées par la Banque
mondiale. La révision du niveau des prix, notamment en Asie, a en effet conduit à corriger de
manière massive les estimations antérieures de pauvreté et à déplacer une partie de la pauvreté
recensée dans le monde de l’Afrique vers l’Asie. L’existence d’une ligne de pauvreté unique,
mondiale, même exprimée en parité de pouvoir d’achat, peut conduire à de tels réajustements
compte tenu du nombre important de personnes vivant près du seuil de pauvreté.
Devant la difficulté à estimer le revenu monétaire dans les pays en développement, et surtout
à comparer le coût de la vie dans des contextes socio-économiques, voire culturels, différents,
il est tentant de se tourner vers des indicateurs plus directs et concrets que le revenu, à l’image
des variables de nutrition ou des données anthropométriques. On constate alors des
différences importantes entre régions, l’Asie du Sud semblant souffrir de davantage de
problèmes de malnutrition que l’Afrique, en dépit d’indicateurs de revenus plus favorables.
En Inde, la hausse rapide du revenu moyen s’accompagne en effet, de manière surprenante,
d’une baisse de la consommation moyenne de calories par tête.
Enfin, les mesures déclaratives de bien-être peuvent, au plan théorique, permettre de résoudre
certains de ces paradoxes, en laissant à chaque individu la responsabilité de la définition et de
l’agrégation de ses préférences, alors que les indices de pauvreté « imposent » typiquement un
panier de consommation de biens ou de services aux ménages. Les indicateurs de bien-être
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fondés sur des auto-évaluations des conditions de vie, plutôt que sur des ressentis
émotionnels, semblent toutefois plus fiables et moins sensibles aux phénomènes
« d’adaptation », qui font que des personnes, même pauvres, peuvent déclarer des niveaux
relativement élevé de satisfaction en dépit de conditions de vie objectivement difficiles. De ce
point de vue, le paradoxe d’Easterlin, qui affirme que la croissance économique ne
s’accompagne pas d’améliorations en termes de bien-être, reste un sujet entièrement
d’actualité.
Echanges avec la salle
La discussion porte tout d’abord sur les implications pour l’aide publique au développement
de la multidimensionnalité de la pauvreté. L’aide doit-elle être dirigée vers la réduction de la
pauvreté et de la faim ou vers une hausse des revenus dans les pays en développement ?
Angus DEATON souligne que l’aide a connu une évolution ces dernières années, avec
notamment une attention plus grande portée aux questions de santé. Pour autant il n’attribue
pas ce changement aux difficultés de mesure des revenus mais aux impératifs humanitaires
plus pressants dans le domaine de la santé et à la relative facilité avec laquelle l’efficacité de
l’aide dans ce domaine peut être rendue visible (campagnes de vaccination etc.).
Une participante s’interroge sur les enseignements en termes de politiques à tirer de
l’intervention d’Angus DEATON et celui-ci rappelle que la mortalité dans les pays en
développement est essentiellement une mortalité infantile, due à des causes aisément
traitables (diarrhée, etc.). Il ne sert à rien selon lui de parachuter des innovations techniques
mais il s’agit de renforcer les systèmes de santé de manière à améliorer la santé infantile.
Un participant suggère que les différences de taille entre populations présentées par Angus
DEATON comme le signe de leur malnutrition n’est peut-être en fait que le reflet de
privations passées génétiquement transmises d’une génération à une autre et dont l’effet prend
du temps à s’estomper. Angus DEATON souligne qu’on a longtemps pensé que la taille avait
tout à voir avec la génétique mais que ce n’est plus le cas à l’heure actuelle. Il a été montré
que les populations grandissent dès lors que leurs contraintes nutritionnelles sont levées. C’est
ce qu’on a observé dans la deuxième moitié du vingtième siècle, du fait de l’amélioration des
conditions de vie au dix-neuvième siècle. Il a suffi d’une à deux générations pour que les
femmes commencent à porter des enfants plus grands, ce laps de temps étant trop court pour
que cela soit le seul effet de la génétique. En réponse à une autre question concernant le lien
entre obésité et mortalité dans les pays en développement, Angus DEATON explique qu’il
s’agit là d’un lien assez controversé (on peut voir l’obésité comme une maladie chronique qui
finit par avoir le dessus) et qu’il s’agit plus d’une projection des pays développés sur les pays
en développement. Même si certains suggèrent que l’obésité commence à être un problème en
Inde par exemple, c’est sans doute le cas pour une minorité d’individus fortunés tandis que la
sous-nutrition est bien plus largement répandue dans le pays.
Plusieurs participants font part de leurs réserves quant à la méthodologie employée dans les
comparaisons internationales de prix et de pouvoir d’achat. Angus DEATON indique que les
pratiques en termes de mesure s’améliorent constamment. La vraie difficulté de ces exercices
de comparaison est bien plus d’ordre conceptuel : comment comparer le prix de biens
communément consommés dans tous les pays et qui soient comparables ? La comparaison du
niveau de prix moyen entre le Japon et le Sénégal relève du défi dès lors que les biens qui
composent leur panier de consommation moyen sont très différents. Les indices de prix
permettent de faire cela par capillarité (on compare le Japon avec les Etats-Unis, les EtatsUnis avec le Maroc, le Maroc avec le Sénégal etc.) mais ce n’est pas totalement satisfaisant.
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Au-delà de la pauvreté monétaire :
les mesures multidimensionnelles et leurs limites
Intervenant: Sabina ALKIRE, Université d’Oxford Président: Pierre JACQUET, Chef économiste, AFD Discutant: Alemayehu SEYOUM TAFFESSE, IFPRI Addis Abeba Sabina ALKIRE ouvre sa présentation en soulignant que la feuille de route pour la mise en
œuvre des Objectifs de Millénaire pour le Développement (OMD) publiée en 2001 par les
Nations-Unies mettait en évidence l’interconnexion des composantes de la pauvreté. Amartya
Sen a milité en faveur d’une approche multidimensionnelle de la pauvreté. Outre le revenu, il
convient également de considérer d’autres éléments (santé, éducation, violence, etc.) ce qui, in
fine, est susceptible de révéler des relations entre les différents indicateurs de privation. La
question est donc bien de savoir si une mesure de la pauvreté multidimensionnelle apporte un
plus relativement à une batterie d’indicateurs unidimensionnels. Comme le rappelle Sen : « la
passion de l’agrégation est tout à fait justifiée dans de nombreux contextes, mais elle peut
devenir futile ou inutile dans d’autres ». Dans l’article « Multidimensional poverty and its
discontents », Sabina Alkire se demande dans quelle mesure l’indice de pauvreté
multidimensionnelle IPM (ou MPI, Multi-Dimensional Poverty Index) présente un intérêt
supplémentaire par rapport aux indices unidimensionnels.
Depuis une quinzaine d’années, des projets de recherche ont œuvré pour l’émergence de
différentes approches de la pauvreté multidimensionnelle. La demande pour des indicateurs
en mesure de mieux comprendre et cibler la pauvreté s’est en effet accrue. En 2010, le PNUD
et l’OPHI (Oxford Poverty and Human Development Initiative) lancent le MPI en tant
qu’indice expérimental couvrant 104 pays, voué à remplacer l’indice composite de pauvreté
humaine. Il est construit à partir de 10 indicateurs également pondérés recouvrant 3
dimensions (santé, éducation et niveau de vie). En premier lieu, il s’agit d’identifier les
personnes souffrant de privations dans chacun des indicateurs. Ensuite, une personne est
identifiée multi-dimensionnellement pauvre si elle souffre d’une privation pour au moins 30%
des indicateurs pondérés. L’IPM (ou Mo) est construit comme le produit de l’incidence de la
pauvreté H (à savoir, le pourcentage de personnes multi-dimensionnellement pauvres) et de
l’intensité de la pauvreté A (la proportion moyenne de privations pondérées qu’une personne
pauvre subit).
Au regard de cette méthodologie, 1,7 Mds de personnes sur une population mondiale de 5,2
Mds de personnes sont considérées comme pauvres (soit 32% de la population mondiale).
Une comparaison de l’incidence de la pauvreté calculée par l’IPM à l’incidence de la pauvreté
monétaire (entre 1,25 USD et 2 USD par jour) dans les pays disposant de cette mesure (92 des
104 pays couverts) montre qu’il existe une relation entre le revenu et la pauvreté
multidimensionnelle. Pour autant, des différences notables existent pour certains pays. Dans
quelques cas, ce décalage s’explique par la datation différente des enquêtes et les erreurs de
mesure résultant de l’inexactitude des données. En termes de distribution régionale, la
pauvreté multidimensionnelle se concentre en Asie du sud (51% des pauvres dans le monde)
puis en Afrique subsaharienne (28%). En outre, les décompositions de l’IPM mettent en
évidence des divergences entre les zones et les ethnies des pays (cas de l’Inde par exemple).
De plus, on observe que l’intensité de la pauvreté tend à s’accroître avec l’incidence de
pauvreté. Des analyses sont en cours pour étudier l’évolution de l’IPM dans le temps pour un
certain nombre de pays. D’ores et déjà, on observe qu’au Bengladesh, en Ethiopie et au
Ghana, la pauvreté a reculé entre 2004 et 2007.
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Sabina ALKIRE identifie les forces et les limites de l’IPM. La mesure reste assez
rudimentaire mais elle a l’avantage d’être opérationnelle ; de plus, il en découle un indice
agrégé susceptible d’être ventilé par indicateurs et par sous-groupe révélant ainsi la structure
de la pauvreté chez différentes populations. L’importance d’un tableau de bord des indicateurs
(dashboard) n’est pas remise en cause ; la construction d’une mesure de la pauvreté
multidimensionnelle apporterait une valeur ajoutée. Ces deux outils ne s’évincent pas, ils se
complètent en cela qu’une mesure agrégée permet une estimation globale de la pauvreté. En
revanche, l’IPM reste fortement contraint par les données issues des enquêtes ménages
(nécessité de disposer d’indicateurs internationalement comparables ; les cadres
d’échantillonnage, la périodicité et la qualité des enquêtes auprès des ménages diffèrent entre
les pays ; la profondeur de la privation pour chaque dimension n’est pas exprimée ; les
données qualitatives ne sont pas prise en considération, telles que la violence). Les méthodes
de combinaison des données individuelles et des données au niveau des ménages sont à
approfondir puisqu’elles introduisent des biais. Outre l’information disponible au niveau des
ménages, il y a la nécessité de disposer de données sur différentes dimensions au niveau
individuel. Des interrogations liées à l’agrégation, aux pondérations et aux seuils émergent.
Même si des recherches ont été effectuées en amont permettant de conclure que les
pondérations pour chaque dimension de l’IPM et que la détermination des seuils de privation
sont robustes, il convient de poursuivre les travaux sur les méthodologies et leur mise en
œuvre pratique. De même, il s’agit de mieux comprendre la relation qu’entretiennent les
mesures de la pauvreté multidimensionnelle avec les mesures de pauvreté monétaire. Les
mesures de la pauvreté multidimensionnelle doivent inciter à étudier plus avant les
interconnexions entre les dimensions. Une meilleure compréhension des phénomènes peut
contribuer à créer des instruments de politique publique utiles.
Alemayehu SEYOUM TAFFESSE, le discutant de la séance, souhaite d’abord remercier les
auteurs pour la qualité de leur article. Ces derniers y proposent non seulement un nouvel
indicateur, le MPI, mais ont également pour ambition d’alimenter une réflexion plus générale
sur l’utilisation des indicateurs multidimensionnels. Les auteurs ont déjà eux-mêmes relevé un
certain nombre des limites du MPI, qui mériteraient d’être approfondies dans des travaux
ultérieurs. Ainsi, après avoir brièvement rappelé le contenu de l’article, M. Taffesse propose
de concentrer ses commentaires sur la valeur ajoutée des indicateurs multidimensionnels.
L’article ne paraît pas à vrai dire pas complètement convaincant sur ce sujet. Les auteurs
défendent en effet l’idée que les indicateurs multidimensionnels sont nécessaires pour
appréhender le niveau de pauvreté dans un pays. Ils n’apportent cependant pas de réponses
claires à la question « clé » : l’utilisation d’un seul indicateur multidimensionnel est-il
préférable à une batterie d’indicateurs unidimensionnels ? Une discussion autour de trois
justifications du recours aux indicateurs multidimensionnels aurait pu contribuer à alimenter
efficacement ce débat :
1. les indicateurs unidimensionnels sont limités. Les auteurs identifient des écarts importants
entre différents indicateurs de pauvreté unidimensionnels et considèrent ce résultat comme
une justification de leur propre indicateur. Cet aspect n’est toutefois pas précisément
détaillé. Il aurait ainsi été utile de préciser la taille de ces écarts, et à quels risques
d’erreurs de politique économique les indicateurs unidimensionnels pouvaient conduire. A
l’inverse, les bénéfices du MPI doivent être mis en balance avec le coût et les défis
associés à sa construction, plus importants que dans le cas d’indicateurs unidimensionnels.
2. les indicateurs multidimensionnels sont utiles pour recentrer l’action sur des dimensions
de la pauvreté souvent négligés. On pourrait penser qu’un des principaux apports des
indicateurs multidimensionnels, davantage que leur fiabilité, est de déplacer les termes du
débat politique sur la lutte contre la pauvreté, du revenu vers les questions d’éducation et
de santé. Mais, grâce à l’IDH notamment, cet objectif paraît déjà atteint. De ce point de
vue, le MPI ne constitue pas un apport additionnel.
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3. le suivi des Objectifs du Millénaire, divers, nécessite de recourir à un indicateur
multidimensionnel : un des objectifs du MPI est de suivre l’évolution des Objectifs du
Millénaire. Les auteurs ne questionnent cependant pas du tout la pertinence des objectifs
en eux-mêmes, qui ne sont pourtant pas sans défaut : ceux-ci sont fixés à des niveaux
identiques pour l’ensemble des pays quel que soit leur niveau de développement. Cette
approche nie l’ampleur des changements structurels internes à réaliser pour parvenir à
atteindre ces objectifs. A l’aune de ces indicateurs, les pays aujourd’hui développés
seraient ainsi probablement apparus comme des « échecs » au 19ème siècle, alors même
que leur situation économique étaient parfois meilleurs que certains pays en
développement d’aujourd’hui.
L’article constitue une réponse louable aux questions soulevées à la suite du lancement du
MPI. Malgré son ambition initiale, l’article n’apporte cependant pas d’éléments de réponse
suffisants au fait de savoir si l’utilisation d’un indicateur multidimensionnel unique est
préférable à une batterie d’indicateurs unidimensionnels.
Echanges avec la salle
Comment les auteurs ont-ils récolté les données ? Se sont-ils déplacés sur le terrain ? N’y a-til pas une crainte sur la qualité des données ?Non, les auteurs ne sont pas déplacés sur le
terrain. Etant donné les exigences de l’indicateur en termes de données, cela aurait été trop
coûteux. La construction de l’indicateur se base donc sur des données micro-économiques
préexistantes, en particulier celles issues des enquêtes LSMS de la Banque mondiale.
Comment s’est effectué le choix des indicateurs, notamment de santé et d’éducation ?
Pourquoi ne trouve-t-on pas de mesure des libertés politiques, d’inégalité intra-ménages, ou
de mesure de bien-être subjective ? Le choix des indicateurs est très largement lié à leur
disponibilité au sein des bases de données utilisées. La première contrainte est de disposer de
l’indicateur pour un maximum de pays couverts, ce qui n’est pas chose aisée. C’est en
particulier difficile pour les indicateurs de libertés politiques, d’inégalité intra-ménages, ou de
mesure de bien-être subjective. Bien que ces indicateurs constituent sans aucun doute des
dimensions de la pauvreté, ceux-ci sont loin d’être disponibles pour tous les pays.
Quelle est la valeur ajoutée d’un indicateur multidimensionnel ? Comme cela a été expliqué
lors de la présentation, un indicateur multidimensionnel revêt deux avantages particuliers par
rapport à une batterie d’indicateurs unidimensionnels : a) certains services sont fournis au
niveau du groupe (éducation, santé, eau, etc.) et non de l’individu. Il est donc difficile de
savoir comment chaque individu profite de ces services. Pour cette raison, il peut exister des
écarts entre différents indicateurs, par exemple le niveau de revenu et le niveau d’éducation et
de santé. Un indicateur unidimensionnel est donc insuffisant. b) En outre, un indicateur
multidimensionnel de pauvreté présente l’avantage de pouvoir identifier des personnes
pauvres, même si elles n’apparaissent pas comme telles selon un indicateur défini. C’est par
exemple le cas du Gabon où, malgré un niveau de pauvreté monétaire limité, la plupart des
habitants sont privés d’éducation et de soins de santé. L’utilisation d’un indicateur
multidimensionnel permet ainsi de « rétablir » une lecture plus juste des niveaux de pauvreté
effectifs.
Quel est le lien entre le MPI et l’indicateur de développement humain ? Le MPI n’examine
que le nombre de pauvres et non un état de développement donné. En cela, cet indicateur
remplace l’indice de pauvreté humaine. Il constitue donc davantage un complément de
l’indice de développement humain, qu’un substitut.
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La croissance du PIB améliore-t-elle le bien-être subjectif
dans les pays en développement ?
Intervenants : Andrew CLARK et Claudia SENIK, PSE Discutant : Pramila KRISHNAN, Université de Cambridge Président : Kimseyinga SAVADOGO, Laquads, Université Ouaga 2 Andrew CLARK et Claudia SENIK notent d’abord que répondre à une telle question
implique d’abord de pouvoir mesurer le bonheur, qu’il soit défini comme bien-être subjectif
ou niveau de satisfaction face à sa propre vie. Richard Easterlin a proposé en 1974 aux
enquêtés de se positionner sur une échelle comprenant 10 échelons, et allant « d’insatisfait à
très satisfait par sa vie ». Il observe alors qu’au sein d’un même pays, la population la plus
aisée se dit plus heureuse que la population la plus pauvre. De même, on se dit plus heureux
dans les pays riches que dans les pays pauvres. Cependant, on observe aussi qu’avec
l’augmentation des revenus, la perception de l’amélioration de leur situation par les individus
est rapide au début puis tend à se ralentir. Ainsi, au Japon ou aux Etats-Unis, la perception de
l’amélioration des situations individuelles, après une croissance forte après la guerre, tend à
stagner même si le PIB/hab. continue de croître. De plus, à richesse égale, on observe que les
populations des pays d’Amérique latine s’estiment dans une situation meilleure que les
populations des pays en transition de l’ex-bloc soviétique. De même, le lien entre croissance
du PIB et amélioration du bien-être est plus fort dans des pays comme l’Inde, le Mexique ou
l’Afrique du Sud alors qu’il stagne en Chine. Enfin, en situation de récession économique, le
bien-être de l’ensemble de la population se dégrade.
Il semble donc qu’un lien entre PIB par habitant et bien-être subjectif existe, mais cette
relation n’est pas linéaire et demeure débattue. Il apparait clairement que le PIB ne permet pas
de mesurer les facteurs (notamment psychologiques, cognitifs, culturels) autres que ceux
influant directement sur la satisfaction des besoins de base. Les questions sont donc de savoir
si ce lien est assez conséquent pour qu’il mérite d’être suivi. Existe-t-il un seuil de croissance
du PIB au-delà duquel le bien-être évolue peu ? Y a-t-il un lien de causalité (au-delà de la
corrélation) entre bien-être et richesse ?
D’une part, il semble que dans les pays en transition de l’ex-bloc soviétique, le bien-être
augmente rapidement. Cela peut être lié à des changements de situation économique rapides,
des changements institutionnels, des restructurations, qui s’apparentent dans une large mesure
au processus de développement. Reste à définir précisément la durée de ces transitions.
D’autre part, certains avancent un seuil de 15.000 USD de PIB/hab., mais sans qu’il y ait
consensus La baisse de la progression du bien-être dans les pays les plus riches pourrait être
liée à l’arrivée des effets négatifs liés à la croissance (par exemple : criminalité, dégradation
de l’environnement) mais aussi à la comparaison avec les autres individus qui relativise du
coup le bien-être même dans une situation favorable. Cet aspect ne doit pas être négligé.
Ainsi, une enquête menée en Inde montre que les migrants en ville, malgré la hausse de leurs
revenus, sont moins satisfaits de leur vie que les familles restés dans les villages. C’est
comme si l’amélioration des conditions de vie doit aller de paire avec un sentiment de bienêtre subjectif inférieur à celui ressenti à la campagne. En effet, la perception du bien-être est
aussi lié aux aspirations (possibilités de consommation, d’ascension sociale) par rapport
auxquelles l’individu se positionne, et pas uniquement à la situation du moment.
Quoi qu’il en soit, même s’il peut paraître facile de mesurer le bien-être subjectif (et moins
onéreux que de collecter d’autres indicateurs tels que les prix ou les revenus à parité de
pouvoirs d’achat), il faut faire très attention à l’utilisation qui peut être faite de cette
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information par les chercheurs et par les décideurs politiques aussi bien dans l’interprétation
de ces données que dans la volonté d’influer sur cette variable.
Echanges avec la salle
Les questions du public ont permis d’explorer les facteurs qui pourraient expliquer le seuil audelà duquel la perception de bien-être subjectif d’une société cesse de croître, comme c’est le
cas aux Etats-Unis depuis 1970. En effet, on pourrait imaginer qu’une fois les besoins de base
satisfaits pour la quasi-totalité de la population, le bonheur collectif n’augmente plus. Pour
certains, cela pose la question de l’utilité de cette croissance continue sur le long terme : à qui
cette croissance profite-t-elle ? Cette croissance n’est-elle pas alimentée par la création de
nouveaux besoins, qui pourraient être vus comme aliénants et expliqueraient cette
stagnation ?
Le débat a également porté sur les explications possibles au manque de relation linéaire stable
entre PIB/hab. et bonheur. En effet, le niveau de satisfaction face à son existence est
nécessairement subjectif et donc influencé par différents facteurs psychologiques, culturels (et
notamment religieux), sociaux, etc. Ainsi, une étude par questionnaires portant sur des
populations de la Bande de Gaza a conclu à des difficultés majeures en termes d’accès aux
services de bases et à l’emploi pour les populations locales musulmanes, ce qui ne les a pas
empêchées de se déclarer satisfaites de leur existence. L’âge des personnes interrogées joue
également : le niveau de satisfaction tend à diminuer entre 18 ans et 45 ans pour ensuite
remonter. Enfin, différents imaginaires collectifs nationaux permettent d’expliquer que la
croissance des inégalités, corrélative à la croissance du PIB, est vue comme une source
d’opportunités économiques croissantes et donc de satisfaction aux Etats-Unis notamment,
tandis qu’elle sera perçue en Europe comme un risque, et donc une cause d’insatisfaction.
Il est également apparu que l’analyse du lien entre PIB et bien-être, ne prend pas en compte
d’autres composantes du bien-être que sont notamment le lien social et les facteurs sociaux.
Cependant, il est difficile de faire la part d’endogénéïté de tels liens. Une autre limite de ce
travail réside dans le fait que les situations des populations dans le secteur informel, pas ou
peu insérées au marché, ne sont pas prises en compte.
Il a aussi été souligné qu’il était difficile de mener des comparaisons entre pays. Ainsi,
comment expliquer qu’un pays comme Porto Rico avec des revenus moyens a un niveau de
satisfaction très élevé ? Comment prendre en compte les perceptions de bien-être subjectif des
populations de la Bande de Gaza, par exemple ?
Enfin, il est apparu difficile et dangereux d’utiliser de tels résultats pour orienter des
politiques publiques.
La croissance durable : mesurons-nous bien le défi ?
Intervenant : Michel AGLIETTA, Université de Paris X Nanterre Discutant : Frank LECOCQ, AgroParisTech Président : Roger GUESNERIE, PSE & Collège de France Michel Aglietta introduit son propos en soulignant les grands enjeux auxquels les réflexions
sur la croissance économique sont aujourd’hui confrontées. Tout d’abord, si la crise se traduit
par une réduction du potentiel de croissance des grands pays développés, l’histoire
économique montre que les périodes de crise sont propices à l’émergence d’innovations
radicales pouvant être la source de nouvelles formes de croissance économique. Ensuite, bien
avant la crise, les externalités négatives de la croissance se développaient rapidement,
exerçant des pressions importantes sur les ressources naturelles et les équilibres climatiques.
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Pour Michel Aglietta, ces enjeux renforcent la nécessité de s’interroger sur la mesure d’une
croissance durable compatible avec le bien-être social.
Une première difficulté vient cependant de ce qu’il n’y a pas de relation forte et univoque
entre le bien-être d’une société et le produit intérieur brut (PIB) calculé par les systèmes de
comptabilité nationale actuellement utilisés. L’intervenant indique sur ce plan que le bien-être
social dépend aussi du mode de répartition des revenus et de la qualité environnementale des
cadres de vie. Une solution consisterait à définir une fonction de bien-être social à partir d’un
processus de consultations collectives et démocratiques. Dans ce cadre, la soutenabilité
pourrait se définir comme une situation dans laquelle la fonction d’utilité n’est jamais
décroissante dans le temps. Pour l’intervenant, les faits montrent cependant que nous ne
sommes pas actuellement dans un processus permettant de définir une fonction de bien-être
collectif. Par conséquent, il est nécessaire d’opter en faveur d’un autre concept de
soutenabilité. La solution proposée consiste à retenir un concept dit faible de la soutenabilité,
faible dans le sens où il n’est pas directement relié aux préférences collectives de la société.
Ce concept de soutenabilité faible se fonde sur la comptabilité nationale existante et lui ajoute
différentes formes de capital jusqu’ici non comptabilisées (le capital intangible et le capital
naturel) afin d’établir une épargne sociale ajustée. Dans ce cadre, l’intervenant considère
qu’un sentier de croissance est soutenable lorsque la variation de l’épargne sociale ajustée
(ESA) est supérieure ou égale à zéro. Ainsi,
avec ESA = Epargne nette de la nation (ie Epargne brute – la dépréciation du capital
physique) + variation du capital intangible + variation du capital naturel
la condition de soutenabilité s’écrit ESA ≥ 0 quelque soit le temps.
Ceci étant posé au plan conceptuel, la question est de savoir comment l’on peut mesurer
concrètement le capital intangible, le capital naturel et la valeur des dommages causés à
l’environnement :
•
•
•
Par opposition au capital physique, le capital intangible regroupe le capital humain
(comme par exemple les connaissances acquises par les individus) et le capital social (par
exemple la qualité de la gouvernance des entreprises et des Etats). La mesure de cette
forme de capital est extrêmement complexe, notamment pour ce qui concerne le capital
social. Le plus souvent il est très difficile d’évaluer le stock de ce capital et les revenus qui
y sont associés. En outre, n’ayant pas de marché, il n’est pas possible de lui attribuer un
prix. Partant, il est donc impossible de calculer le rendement de ce type d’actif et d’établir
une stratégie d’investissement fondée sur des calculs financiers classiques. Dans une
certaine mesure, le capital humain échappe à ces contraintes dans le sens où l’on peut ici
faire apparaître des volumes (années d’études) et des prix (coût de l’année d’étude).
La notion de capital naturel se construit également par opposition à celle de capital
physique. Elle regroupe des éléments très hétérogènes : air, cycle de l’eau, faune, etc. Ici
aussi, l’absence de marché rend généralement impossible une valorisation monétaire
directe de ce type de capital. Celle-ci doit donc s’appuyer sur la rareté intrinsèque de la
ressource qui permet de faire apparaître une rente monétaire. La valeur de cette rente est
alors définie comme la somme actualisée des revenus nets générés par l’exploitation de la
ressource naturelle.
Pour ce qui concerne la valorisation des dommages écologiques, l’intervenant considère
que les destructions concernant la ressource forestière constituent l’aspect central du
problème, notamment parce que la forêt tropicale est un important puits de carbone. Il
s’agit ici d’associer une valeur au non usage des ressources forestières, défini comme le
coût de la non exploitation (ne pas couper les arbres). Cette valeur représente un coût
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d’opportunité de l’exploitation devant intégrer l’ensemble des services environnementaux
que l’existence de la forêt apporte aux populations.
Michel Aglietta conclut son intervention en montrant les enjeux que pose la définition d’un
régime de croissance soutenable sur le plan environnemental dans un contexte d’incertitude
radicale, c’est-à-dire lorsque des évènements extrêmes sont possibles bien que non
probabilisables. Ici, la politique économique ne peut plus être définie à partir d’un arbitrage
entre consommation présente et consommation future évaluée à un taux d’actualisation donné.
Il s’agit au contraire d’établir un choix entre différents sentiers de croissance très différents.
Ainsi, le taux d’actualisation devient une variable dépendante du sentier de croissance
considéré (plus ou moins destructeur sur le plan environnemental) et il peut varier dans le
temps. Dans un contexte d’incertitude radicale, ce taux d’actualisation doit être défini selon
un processus de concertation collective.
Les commentaires du discutant, Franck Lecocq, ont permis de faire porter les débats avec la
salle sur trois aspects importants de la présentation : l’importance du taux d’actualisation dans
l’analyse, la substituabilité des différentes formes de capital et les effets de seuil.
Franck Lecocq et Roger Guesnerie considèrent que l’analyse économique des enjeux
environnementaux ne doit pas donner une importance trop grande à la question du taux
d’actualisation. Pour eux, certains sujets sont plus importants, notamment l’évaluation des
coûts générés par le changement climatique (Franck Lecocq) ou le problème de la
substituabilité du capital physique et du capital naturel (Roger Guesnerie).
Pour ce qui concerne la substituabilité, l’intervenant considère que la question des prix relatifs
est centrale. Ainsi, la préservation du capital naturel impose de concevoir un système
d’incitations dans lequel la destruction de ce type de capital devient coûteuse pour les agents
économiques. A titre d’exemple, dans le secteur de la construction, il s’agit de faire en sorte
que des constructions peu génératrices de carbone deviennent moins onéreuses que des
constructions fortement génératrices de carbone. Théoriquement, la modification des prix
relatifs induite par une fiscalité environnementale permet de valoriser le capital naturel en
modifiant la structure de consommation capital physique/capital naturel des agents
économiques.
Les commentaires en provenance de l’auditoire permettent néanmoins de montrer les limites
d’un raisonnement se cantonnant exclusivement à la question de la substituabilité et des prix
relatifs. L’exemple d’un cas concret observé dans un village de Papouasie Nouvelle Guinée
montre ainsi que la substitution de capital physique à du capital naturel peut enclencher un
effet de seuil à partir duquel la dégradation du capital naturel débouche sur une catastrophe
(glissement de terrain) provoquant une destruction du capital naturel et du capital physique.
Michel Aglietta reconnait l’importance de ce type de scénario mais insiste sur le fait qu’une
comptabilité nationale fondée sur le principe de l’épargne sociale ajustée relève d’une simple
mesure comptable qui n’a pas vocation à modéliser des processus économiques et
environnementaux. En outre, sur la base de l’exemple évoqué, il souligne que le changement
climatique implique un risque de nature systémique qui, en cas d’occurrence, peut provoquer
la disparition de toutes les formes de capital (intangible, naturel, physique). Sur ce plan, il
considère que les approches du risque systémique développées dans les réflexions sur la
stabilité financière peuvent être utiles aux réflexions sur les équilibres environnementaux. A
ce stade, les coûts des catastrophes naturelles fréquemment supportés par les assurances
fournissent de premières indications sur ce que pourrait être le coût économique d’une
dégradation beaucoup plus ample du capital naturel.
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Table-ronde et réflexions conclusives
Président : Pierre JACQUET, AFD Intervenants : François BOURGUIGNON, PSE, Joachim Von BRAUN, Université de Bonn, Rémi GENEVEY, Directeur de la Stratégie, AFD Pierre Jacquet introduit la session en proposant plusieurs questions aux membres de la tableronde : que retiennent-ils des différentes sessions de la journée ? Qu’est-ce qui a manqué ? Où
ont-ils d’éventuels désaccords avec ce qui s’est dit ? Quelles devraient être les priorités pour
les débats futurs sur le sujet de la mesure du développement ?
Joaquim Von Braun a d’abord insisté sur le fait que l’ensemble des travaux présentés ne
cherchent pas tant à mesurer le développement qu’à mesurer des changements dans des
niveaux et/ou des structures. C’est au rôle de l’analyse, ensuite, d’interpréter ces résultats
comme des évolutions ou non du développement. Les mesures doivent donc pouvoir être liées
à la théorie afin de les rendre interprétables. Il s’est à ce propos interrogé sur les outils
disponibles pour établir de telles mesures, demandant notamment qu’une plus grande
multidisciplinarité soit adopté, en particulier lorsqu’il s’agit de mesurer des éléments relevant
par exemple de la psychologie, comme le bonheur par exemple dans les travaux d’Andrew
Clark et Claudia Senik.
Son commentaire a ensuite porté sur les utilisateurs des mesures produites, insistant
notamment sur le fait que différents utilisateurs ont différents besoins d’information pour
mener à bien leurs opérations de développement. Ceci est pertinent par exemple, concernant
les débats sur l’intérêt ou non de l’agrégation des différentes dimensions du développement
en un indicateur synthétique. Son point de vue est que l’agrégation, si elle est toujours
discutable d’un point de conceptuel, présente cependant des avantages importants du point de
vue de l’utilisation des indicateurs par les décideurs publics. En effet, une mesure synthétique
facilite notamment les comparaisons avec les pairs, dans le temps et dans l’espace, sur quoi
les décideurs publics fondent une grande partie de leurs décisions.
Enfin, Joaquim Von Braun a insisté sur la nécessité de ne pas se focaliser uniquement sur les
mesures du développement au niveau des individus ou des ménages. Au niveau global, les
mesures de la volatilité et l’analyse des risques sont par exemple nécessaires tant elles
affectent le bien-être des pauvres et contraignent les investissements ; au niveau des nations,
les mesures des investissements dans les sciences et technologies permettent de comprendre
les changements mesurés dans l’économie ; au niveau des communautés, les mesures de la
marginalité sociale des individus et leur lien avec la pauvreté permettent d’appréhender les
dynamiques sociales du développement local ; enfin, au niveau des individus, il recommande
que l’accès à différents types d’information (via les nouvelles technologies de l’information
notamment) soient mieux mesurées.
Rémi Genevey s’est d’abord interrogé sur l’utilisation, par les praticiens, des mesures et
définitions exposées au cours de la journée. Il considère notamment que les mesures
permettent d’harmoniser les diagnostics entre les différents acteurs du développement,
d’alimenter les décisions d’allocation de l’aide au développement entre différentes
géographies ou populations, et enfin d’identifier les politiques à même de lever les contraintes
au développement.
Il y a toutefois une insatisfaction sur l’utilisation de ces mesures, en particulier parce qu’elles
se rapportent à des concepts non univoques, comme le développement. Le passage des
indicateurs aux interventions de développement est ainsi malaisé. Par exemple, les objectifs
du Millénaire pour le Développement, s’ils sont critiquables pour certains aspects, n’en sont
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pas moins le socle de beaucoup de réflexion et la base de nombreuses collaborations. Les
efforts de mesure des OMD permettent d’en suivre les avancées.
Rémi Genevey a également relevé que la mesure de l’aide au développement était absente des
débats. Or, la plupart des mesures existantes sont focalisées sur les bailleurs - avec des
critères parfois obsolètes comme les taux d’actualisation - et encore trop peu sur les
bénéficiaires. Les mesures d’impact sont encore trop rares. La multiplication récente des
intervenants dans le domaine du développement – notamment l’arrivée des grandes
fondations – rend d’autant plus essentiel le besoin de conduire et partager ces études.
François Bourguigon s’est interrogé sur le fait que l’ensemble des interventions ne
parviennent pas nécessairement à éclairer les débats mais au contraire à les compliquer. Il
propose une lecture en repartant des fondamentaux afin de reconsidérer le problème de la
mesure en lien avec les décisions et les objectifs politiques. Des mesures simples doivent
permettre de mesurer les résultats des politiques. Souvent il existe une confusion entre
résultats, objectifs et instruments. La première fonction des mesures est de contribuer à cet
éclairage pour permettre aux décideurs de réorienter les politiques.
Les efforts de généralisation au niveau du développement ajoutent en complexité, car
plusieurs dimensions doivent alors être considérées simultanément – par exemple, la santé et
le PIB dans l’intervention d’Angus Deaton. L’intervention de Sabina Alkire a ainsi discuté
des efforts vers l’agrégation de ces dimensions. Des problèmes se posent cependant. Quel
poids doit-on donner à chaque dimension ? Doit-on se limiter à des combinaisons linéaires –
il est en effet fort probable qu’il existe des choix sociétaux entre ces dimensions, mais que les
préférences collectives ne sont pas révélées. Tout cela est très complexe et reste un chantier
en construction.
Il est alors possible de simplement demander aux individus leur degré de satisfaction ou de
bonheur et autres. L’agrégation est alors faite par les individus eux-mêmes. Cependant, c’est
ici aussi très complexe – il existe beaucoup de bruit, de processus d’adaptation et autres – et
ce domaine de recherche reste largement ouvert.
Que doit-on en retirer ? Outre la complexité même de l’agrégation, il faut probablement
garder des dimensions séparées afin que les indicateurs restent interprétables. Cependant
suivre trop d’indicateurs est difficile, si bien qu’il faut se concentrer sur un nombre restreint,
comme le revenu, la santé et l’éducation. Il faut également pousser la désagrégation de ces
indicateurs par population afin d’appréhender leur distribution. Il est ainsi important de suivre
non seulement des niveaux, mais également des notions d’inégalités. Il est également
nécessaire de considérer la dynamique et donc la soutenabilité des processus. C’est par
exemple ce sur quoi a insisté Michel Aglietta au niveau national. Au niveau individuel
également, ces dynamiques sont très importantes et les notions de vulnérabilité doivent être
mieux et plus systématiquement appréhendées.
Enfin, on a tendance à supposer que l’information pour produire ces mesures est disponible et
de bonne qualité, ce qui est encore loin d’être le cas dans beaucoup de pays. Cela reste un
chantier important pour la coopération et l’aide au développement qui n’a pas beaucoup
évolué au cours des dernières années.
Pierre Jacquet note que les débats se concentrent beaucoup sur la mesure et peu sur son
économie politique. Quelles sont les incitations pour progresser dans la mesure, notamment
dans des dimensions durables ? Quelles ont les tensions générées par la mesure – voir
notamment les problèmes d’incommensurabilité, par exemple dans le domaine
environnemental. Il a ainsi relevé le fait que la mesure doit permettre de faire prendre
conscience de la valeur de la « non action », notamment en termes de ressources naturelles. Il
a cependant mis en garde sur le fait que les mesures ne sont pas neutres d’un point de vue
idéologique. La mesure est belle et bien politique et on a tendance à trop la technocratiser. Au
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total, la mesure est dans tous les cas fausse et incomplète, et doit donc avant tout être
considérée pour sa capacité à rendre des débats possibles.
Les débats ont ensuite porté sur les points suivants. Tout d’abord, la théorie. Il y a une
nécessaire explicitation théorique à faire avant de mesurer quoi que ce soit. Ensuite,
l’agrégation. Les agrégats devraient être soumis à une revue des pairs car ils ont été élaborés
sans contrôle et ils « vivent leur vie ». Les poids affectés aux différents indicateurs devraient
être transparents et le nombre d’indicateurs entrant dans un agrégat limité, pour permettre une
lisibilité et un débat démocratique. L’agrégation devrait être adaptée à chaque contexte en
fonction des préférences sociétales : leur élaboration doit donc reposer sur l’économie
politique. Troisième point abordé : les données. Ce sont des biens publics mondiaux, mais qui
les paie ? Les indices de prix sont très utiles aux décideurs et servent de « benchmark » entre
pays. L’élaboration d’indices de prix à la consommation pour les différentes classes de
pauvreté serait par exemple une évolution très utile à la décision publique. Dans de nombreux
cas, la qualité des données reste faible et les études publiées sujettes à caution.
A ces considérations s’en ajoutent d’autres sur la difficulté à mesurer des aspects comme le
fonctionnement des institutions, le droit… On repose sur ces questions sur les opinions
d’experts. Enfin, il a aussi été noté que, si l’on peut mesurer des indicateurs finaux, il manque
des mesures visant à expliquer les causes, de la pauvreté par exemple.
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