De même que chacun des quatre récits évangéliques donne un éclairage différent sur l’origine donc l’identité de Jésus, en répondant, chacun à sa manière à la question : « D’où vient cet homme ? » pour en fait répondre à la grande question : « Qui est cet homme ? », chacun des évangiles met en lumière une des manifestations de Jésus au début de son itinéraire parmi nous. Manifestation, c’est précisément le sens du mot Epiphanie, et donc le sens profond de la fête que nous célébrons aujourd’hui dans le sillage de Noël. Pour Luc, qui insiste sur la pleine humanité de Jésus né de Marie, la première manifestation de Jésus a lieu au Temple avec les docteurs, c’est la sagesse du Verbe de Dieu qui se manifeste ce jour-là, sagesse d’ailleurs bien peu comprise par Marie et Joseph. Pour Jean qui, dans son Prologue, scrute les origines de Jésus en Dieu, Verbe Dieu, né de Dieu, c’est à Cana que se manifeste la puissance de Jésus, quand, à la demande de Marie Jésus change l’eau en vin. Pour Marc, le plus concis des quatre évangiles, l’origine de Jésus coïncide avec sa manifestation, au jour de son baptême par Jean. Pour Matthieu enfin, Matthieu qui insiste sur l’enracinement juif de Jésus, fils de David, venu pour accomplir les promesses faites par Dieu à son peuple, Jésus se manifeste étonnamment à des hommes extérieurs au peuple juif, les mages venus d’Orient dans le récit que nous venons d’entendre. Comme pour souligner, dès l’enfance, que l’accomplissement en et par Jésus des promesses de Dieu dépasse de très loin ce que pouvait en concevoir l’attente, pourtant fébrile, fervente de la plupart des juifs de son temps. Comme l’avait pressenti le grand Isaïe, le messie attendu, le messie d’Israël est la lumière de tout le genre humain, sans exception aucune. De même qu’il faut le quadruple éclairage de quatre évangiles pour nous faire saisir quelque chose de la profondeur du mystère de l’identité de Jésus, fils d’homme chez Luc, messie d’Israël chez Matthieu, Fils Bien aimé du Père chez Marc, Verbe éternel de Dieu chez Jean, de même il faut quatre épiphanies, quatre manifestations de la mission de Jésus pour nous en faire entrapercevoir l’ampleur et la richesse. L’Epiphanie selon Luc est celle de la Sagesse de Dieu, l’Epiphanie selon Marc est celle de la filiation divine de Jésus, l’Epiphanie selon Jean est celle de l’avènement en Jésus de la joie messianique, le temps de la sobre ivresse du festin messianique, l’Epiphanie selon Matthieu est celle de l’universalité du projet de Dieu désormais annoncé, révélé, donné en Jésus et donc accessible à tous les hommes, d’où qu’ils viennent, quelle que soit leur culture. Alors l’Epiphanie selon Matthieu que la liturgie nous donne ce matin et que l’Occident a privilégiée, avec le récit des mages, donne à cette fête une double couleur, une double teneur que je voudrais brièvement commenter...et méditer avec vous. -Tout d’abord il s’agit pour ces mages d’un itinéraire, placé au seuil de l’Evangile de Matthieu comme une matrice, un ensemble de balises offertes au lecteur pour l’éclairer dans son itinéraire de foi. Ils viennent de loin, ces mages, ils se mettent en route, sur un signe par ailleurs assez faible mais qui fait sens pour eux, une étoile. Ils continuent leur marche alors même que le signe, l’étoile, a disparu ; sa réapparition suscite en eux une grande joie, enfin ils font la rencontre de Celui que le signe indiquait et ils repartent, nous dit le texte, par un autre chemin. Cette histoire est notre histoire....A nous aussi Dieu envoie des signes, à la fois discrets mais donnés pour faire sens pour nous, comme l’étoile n’a pas été choisie par hasard pour ces hommes, des astrologues habitués à scruter le ciel. Comme eux, nous sommes invités à les reconnaitre, ces signes et à nous mettre en route, sur la foi d’un signe. Et parfois le signe disparait ; dans notre vie aussi il y a ces passages à vide, ces nuits au creux desquelles Dieu semble si loin, ou si absent....et nous sommes invités comme les Mages à la fidélité, à la persévérance, sur la foi du signe initial, dans et malgré la nuit. Puis vient le temps du retour du signe, et celui de la joie, et aussi celui de la rencontre, de la rencontre avec Dieu que nous sommes invités à adorer. Adorer : une attitude d’humble émerveillement devant tant de grandeur donnée dans tant d’humilité. Il nous faut aussi apprendre, réapprendre peut-être à adorer, c’est-à-dire à s’émerveiller avec un sens de la grandeur de ce Dieu qui nous fait signe, à nous qui sommes si peu de choses. « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? » se demande le psalmiste. Et pourtant, « tu l’as fait un peu moindre qu’un Dieu ». Et alors, transformés, nous ne pouvons pas repartir par le même chemin. Quand on a fait une vraie rencontre du Christ, on ne peut pas vivre comme avant, le chemin de notre vie est fondamentalement un autre chemin, illuminé par la mémoire vive de la rencontre, une rencontre qui est là, longtemps présente, pour continuer à illuminer notre route quotidienne. Ainsi l’itinéraire de ces mages nous est proposé comme matrice de notre propre itinéraire spirituel. Comme pour les Mages, c’est Dieu qui toujours prend l’initiative, l’initiative de nous faire signe...Mais à partir de là, nous sommes invités à répondre, à donner une quadruple réponse, qui dépend entièrement de nous : reconnaitre le signe, nous mettre en marche, demeurer fidèle dans notre quête même si le signe semble s’être éclipsé, consentir à adorer Dieu quand nous le rencontrons.....ainsi et ainsi seulement le chemin de nos vies sera transformé et, comme celui des Mages, il deviendra vraiment un autre chemin. -Deuxième tonalité de cette fête de l’Epiphanie : il s’agit d’une fête qui dit l’universalité du dessein de Dieu, une fête éminemment missionnaire. Une fête qui a d’ailleurs été choisie comme fête patronale par plusieurs des grands instituts missionnaires de notre église d’occident, à l’image des missions étrangères de Paris qui, aujourd’hui encore, envoient des missionnaires bien de chez nous dans l’Orient extrême....C’est probablement le point commun à tous les textes de cette liturgie qui tous soulignent cette dimension universelle de la mission de Jésus et de ses disciples. Le texte éblouissant d’Isaïe nous fait voir les chameaux des peuples de toute la terre accourant vers la lumière de Jérusalem. Pas de chameaux dans le récit de Matthieu mais des mages, hommes mystérieux venus de l’Orient lointain, le pays des mille et uns possibles d’où surgissent périodiquement de mystérieux et fabuleux personnages, aussi éloignés que possible du peuple provincial de la petite Judée mais destinataires comme lui, par lui de l’intégralité de la promesse de Dieu. Même thématique dans le psaume mais cette fois c’est l’Occident méconnu qui nous est indiqué ....Tarsis et les îles, ces îles mystérieuses qui, peut-être peuplent la vaste mer à l’ouest du bassin de la méditerranée et peutêtre même plus loin encore, émergent des brumes des au-delà inquiétants des colonnes d’Hercule. Quant à Paul, dans la lettre aux Ephésiens, il théologise magistralement comme à son habitude, cette question de l’universalité du dessein sauveur de Dieu, révélé et opéré en et par Jésus. Pour Paul le mystère même du dessein de Dieu, tenu caché dès les origines et révélé en Jésus, c’est précisément que tous les hommes, quelle que soit leur culture, leur culte sont appelés à entrer dans le grand corps dont Jésus et la Tête et dont les baptisés sont les membres. Alors oui, aujourd’hui, le dessein de Dieu se manifeste au grand jour en Jésus. Dieu, en Jésus, nous fait signe et nous invite à nous mettre en route, avec courage et fidélité, à l’adorer et à reprendre le chemin, un chemin qui est vraiment un autre, un nouveau chemin parce que ce chemin est précisément celui du témoignage, de la mission. Si vraiment, comme mes Mages, nous avons reconnu la Lumière, nous ne pouvons pas garder cette découverte pour nous et nous devons être à notre tour des signes sur la route de nos frères. Amen !