PRISE EN CHARGE DES DETRESSES METABOLIQUES AIGUËS
En cas de suspicion de décompensation aiguë d’une maladie métabolique, n’hésitez pas à
joindre notre astreinte 7j/7 & 24h/24.
Une maladie métabolique peut engager le pronostic vital :
Le diagnostic est aisé en cas de maladie métabolique déjà connue, alors en
décompensation [1]. Cependant, devant tout patient, un coma/somnolence/confusion, un
état de choc, une acidose sévère, une insuffisance hépatique, une rhabdomyolyse, ou une
défaillance multi viscérale doivent faire évoquer une maladie héréditaire du
métabolisme en l’absence d’autre cause évidente.
En effet, une prise en charge urgente symptomatique ET étiologique améliore le
pronostic. Ainsi, les causes traitables seront traitées avant même de récupérer les
résultats biologiques qui seront parallèlement réalisés pour mener le diagnostic [2]
(Annexe I).
Les détresses métaboliques peuvent survenir à tout âge et sont favorisées par les
situations de catabolisme (infection, jeûne prolongé) mais aussi, pour les maladies
d’intoxication, par une charge alimentaire (ex. leucinose, cycle de l’urée)[3].
Les algorithmes diagnostiques et thérapeutiques simples présentés ci-dessous permettra
au praticien d’évoquer et de traiter une maladie métabolique, avec l’avis incontournable
et rapide d’un spécialiste.
Nous n’aborderons pas ici les convulsions néonatales ni l’insuffisance hépatique, traitées
dans des chapitres spécifiques.
L’annexe VI regroupe les médicaments à visée métabolique que tout service de réanimation
ou de néonatologie devrait avoir.
TABLEAUX CLINIQUES
- Coma en période néonatale
avec intervalle libre (enfant conscient à la naissance, puis troubles de conscience
progressif après quelques jours de vie) : maladie d’intoxication protéique ? (cycle de
l’urée, leucinose, acidurie organique)
sans intervalle libre +/- convulsions : a) convulsions néonatales vitamino-dépendantes
associées à un tracé EEG dit en suppression-burst ; b) une maladie énergétique
(cytopathie mitochondriale, déficit en PDH…) ; c) une hyperglycinémie sans cétose ; d)
une maladie peroxysomale ; e) autres causes métaboliques.
Défaillance multiviscérale de survenue souvent brutale, évoquant un faut d’oxydation
des acides gras (OAG) ;
Acidocétose non diabétique parfois associée à une hyperammoniémie et/ou une
hyperlactatémie, évoquant une maladie métabolique d’intoxication ou énergétique ;
Insuffisance hépatique : maladie d’intoxication par les sucres (galactose, fructose), les
protéines (tyrosine, cycles de l’urée, acidurie organique) et/ou une maladie énergétique (beta-
oxydation des AG, cytopathie mitochondriale)
- Coma métabolique de l’enfant ou de l’adulte : souvent déclenché par une charge
protidique ou un catabolisme comme une chirurgie, une infection, un jeûne prolongé. Il peut
s’agir a) d’une maladie énergétique (défaut d’oxydation des acides gras, déficit de la chaîne
respiratoire, défaut de la néoglucogenèse, de la cétolyse, de la cétogenèse), b) d’un déficit
d’un cofacteur vitaminique (B1, B8, B12) c) d’une enzyme vitaminodépendante.
Tout trouble neurologique non expliqué immédiatement par une cause évidente doit faire
évoquer aussi bien une MHM, qu’une intoxication exogène/médicamenteuse ou une
encéphalite herpétique.
I. Détresse neurologique
C’est le mode de révélation le plus fréquent des maladies métaboliques d’intoxication. La
détresse neurologique peut engager le pronostic vital en cas d’œdème cérébral, d’atteinte du
tronc cérébral ou de convulsion. Il peut créer des lésions cérébrales irréversibles responsables
de séquelles motrices et cognitives [3, 4] sauf si la prise en charge spécialisée est rapide et
intensive.
Le pronostic reste sombre si la prise en charge est tardive ou si la cause est une maladie
métabolique sans traitement curatif possible [5-7].
Certaines causes métaboliques de détresse neurologique sont traitables :
- maladie d’intoxication protéique,
- un déficit de la ß-OAG (inauguré le plus souvent par une hypoglycémie),
- une encéphalopathie vitamino-dépendante (ex. convulsions sensibles à la vitamine B6
ou au phosphate de pyridoxal).
D’autres causes métaboliques ne sont pas traitables [3] :
- hyperglycinémie sans cétose
- déficit en sulfite oxydase
- maladies énergétiques (cytopathies mitochondriales, déficits du cycle de Krebs en
PDH ou en PC etc.)
- maladie peroxysomale sévère (syndrome de Zellweger…)
- divers
Critères cliniques évocateurs de maladie d’intoxication :
- absence de causes évidentes (infectieux, vasculaire, hypoglycémie, hypocalcémie,
traumatisme…),
- intervalle libre (le bébé naît bien portant et s’enfonce dans un coma après quelques jours de
vie)
- évolution rapidement défavorable
- atteinte simultanée d’autres organes,
- mouvements anormaux évocateurs d’une maladie d’intoxication (trémulations, « pédalage »,
« boxe »…)
- un facteur déclenchant (jeûne prolongé, situation de catabolisme comme une infection ou
une chirurgie, apports alimentaires en protéines plus important qu’habituellement)
- parfois une odeur particulière (pieds en sueur pour l’acidurie isovalérique et l’acidurie
glutarique de type II).
EXAMENS BIOLOGIQUES SIMPLES A REALISER EN URGENCE POUR ORIENTER LE
DIAGNOSTIC :
Ils doivent être simples et pouvoir être obtenus rapidement afin de guider le diagnostic et le
traitement [8]. Un avis spécialisé immédiatement à la réception de ces résultats est
habituellement nécessaire afin d’assurer le diagnostic et une prise en charge rapide et optimale.
- ammoniémie
- glycémie
- lactate (+ un point RedOx)
- ionogramme sanguin, pH
- Cétonurie
- ASAT, ALAT, gammaGT, TP, facteur V
- CPK
- calcémie
- test urinaire au DNPH (si disponible, pour le diagnostic de leucinose au lit du
patient)
- conserver au congélateur une plasmathèque et une urothèque qui pourront être
adressé dans un second temps dans un laboratoire spécialisé.
L’interprétation de ces tests peut se faire comme indiqué dans le tableau ci-dessous. Ces
examens donnent une orientation diagnostique qui pourra être confirmée dans un second
temps par des tests plasmatiques et urinaires (chromatographie des acides aminés
plasmatiques (CAApl), profil des acylcarnitines plasmatiques, chromatographies des acides
organiques urinaires (CAOu)).
Le ionogramme sanguine permet le calcul du trou anionique : (Na+K) (Cl+HCO3)
Si > 20, il s’agit d’une acidose métabolique (le dosage de bicarbonate est habituellement bas),
c’est-à-dire qu’un acide s’accumule dans le plasma du patient. Il peut s’agir d’un ou plusieurs
des composés suivants :
- de lactate
- de corps cétoniques
- d’un toxique exogène (éthylène glycol, aspirine, valproate …)
- d’une acide organique (acide méthyl-malonique, propionique, iso-valérique, glycerol)
Ce bilan de débrouillage permet la plupart du temps le diagnostic d’une maladie traitable (en
dehors des convulsions vitamine-sensibles pour lesquels il faut réaliser un test thérapeutique).
Cependant, en l’absence de diagnostic, le bilan peut être élargi avec (selon les cas) :
- une étude peroxysomale (acides gras à très longue chaîne (AGTLC), acide phytanique,
acide pipécolique dans le sang),
- une ponction lombaire pour la réalisation d’un point Redox complet, une CAA (regarder
attentivement la glycine, la sérine et la glutamine), la glycorachie et la protéinorachie, le
dosage des neurotransmetteurs); garder précieusement une LCRthèque à 80 °C.
- la prolactine sanguine,
- du sang sur un papier buvard pour une étude de la glycosylation des protéines à la recherche
de CDG et le dosage des ptérines…
- une IRM cérébrale avec spectroscopie
- un scanner cérébral (à la recherche de calcifications)
- un EEG,
- un bilan malformatif radiologique (échographie cardiaque et rénale, radiographies de
squelette).
- demander des avis spécialisés (neurologue, généticien).
TRAITEMENT DUNE DETRESSE NEUROLOGIQUE
1. Urgence du traitement
Tout coma néonatal et a fortiori de survenue décalée (intervalle libre) doit être, en l’absence
de causes évidentes, considéré comme révélateur d’une détresse métabolique. Les
traitements tant symptomatiques que métaboliques doivent être débutés dès la suspicion
de coma d’intoxication, sans attendre la confirmation diagnostique, en étroite
concertation avec un pédiatre métabolicien rapidement sollicité. Des médecins métaboliciens
sont joignables 24h/24 et 7J/7 dans les Centres de Référence des Maladies Héréditaires du
Métabolisme.
Un bilan biologique simple, comme celui crit dans le chapitre ci-dessus, oriente vers le
diagnostic de maladie d’intoxication protéique, même sans avoir les résultats des examens
spécialisés. Il faut préférer buter un traitement de coma d’intoxication avant même la
confirmation du diagnostic, quitte à l’arrêter dans un second temps si cette hypothèse
diagnostique est infirmée par la suite. En effet, le traitement n’est pas toxique et, si la maladie
d’intoxication est réelle, tout retard dans la prise en charge peut laisser des séquelles
neurologiques graves et définitives.
Il est important que toutes les pharmacies d’hôpitaux ayant un service de néonatologie
dispose des médicaments épurateurs de l’ammoniaque (benzoate et phénylbutyrate) et
de vitamines (B2, Biotine, B12, carnitine).
Le transfert du patient dans un centre spécialisé doit être réalisé aussi promptement que
possible : chaque heure compte. Une épuration extra-rénale (EER) en urgence sera discutée
avec les intervenants du centre spécialisé, en fonction de la pathologie suspectée, de l’état
clinique du patient et de l’évolution du patient après quelques heures de traitement médical.
Une déshydratation sévère est fréquente au diagnostic d’acidurie organique, est doit être
corrigée diligemment avant l’EER (risque de choc hypovolémique) [3].
2. Principes du traitement du coma d’intoxication protéique (cycle de l’urée, aciduries
organiques)
2a. Traitement nutritionnel
Le toxique (ammoniaque, acide organique) provient d’un déficit enzymatique sur l’une des
voies de dégradation des acides aminés, ces derniers venant des protéines alimentaires ou du
catabolisme des protéines de l’organisme. Le traitement consiste donc à :
- Arrêter les apports alimentaires (entéraux et/ou parentéraux) en protéines et acides
aminés (afin de ne pas surcharger en substrat une voie métabolique déficiente)
et relancer l’anabolisme protidique par un apport
énergétique glucidique - et éventuellement lipidique également si l’hypothèse d’un
déficit de la ß-oxydation des acides gras est écartée. L’anabolisme protidique est le
mécanisme endogène d’épuration des acides aminés précurseurs des dérivés toxiques.
Pour ce traitement diététique, la voie entérale est privilégiée par la mise en place d’une
nutrition entérale à débit continu (NEDC) isocalorique (1 kcal = 1 mL) dont le débit
augmentera progressivement [11]. Une voie centrale devient cependant rapidement
indispensable, d’autant s’il existe une intolérance digestive (Annexe II).
Une insulinothérapie peut être nécessaire en cas d’hyperglycémie liée à ces apports
glucidiques important.
2b. Hydratation
Les intoxications dans le cadre d’une acidurie organique se compliquent habituellement d’une
déshydratation importante pouvant se compliquer d’un état de choc hypovolémique avec
insuffisance rénale aiguë. Une réhydratation intensive est indispensable en tout début de prise
en charge, sous la forme d’une expansion volémique avec du chlorure de sodium isotonique
(0,9%) par exemple.
La restauration de la volémie et de l’état d’hydratation ne doit pas engendrer des variations
brutales de l’osmolarité plasmatique (< ± 5mOsm/h), délétères dans les situations
d’agressions cérébrales et d’œdème cérébral.
Des ionogrammes sanguins seront réalisés régulièrement afin d’adapter les électrolytes (en
particulier, risque d’hypocalcémie sévère en cas d’acidurie iso-valérique) et de surveiller les
risques d’inflation hydrique, d’hémodilution et d’hyponatrémie [3].
2c. Acidose
Tant que le pH reste > 7,1, l’acidose ne doit pas être corrigée de manière intempestive par des
bolus de bicarbonate de sodium : le milieu acide empêche la dissociation de l’ammonium en
NH3 et diminue sa neurotoxicité (voir paragraphe spécifique) [12].
2d. Lutte contre l’infection
Toute infection sera traitée agressivement afin de limiter le catabolisme qu’elle induit.
Par ailleurs, les aciduries organiques en décompensation peuvent présenté une neutropénie
voire une pancytopénie.
2e. Traitements médicamenteux spécifiques
Des traitements médicamenteux spécialisés seront débutés dès la suspicion diagnostique. Les
doses et les voies d’administration sont données ci-après.
Épurateurs médicamenteux
(épurateurs/acides aminés et vitamines)
-carnitine (Lévocarnyl®) pour l’épuration sous forme d’acylcarnitines des composés
toxiques (acidurie organiques, déficit de la ß-oxydation des acides gras) et la restitution des
Coenzymes A « trappés ».
En cas d’hyperammoniémie, des épurateurs de l’ammoniaque permettent l’excrétion de
l’azote par des voies alternatives au cycle de l’urée : benzoate de sodium (IV ou PO) et/ou
phénylbutyrate de
sodium (PO, Ammonaps®) permettent l’excrétion urinaire de l’ammonium respectivement
sous forme d’acide hippurique et de phénylacétylglutamine, ou bien encore l’Ammonul®
(association iso-osmolaire de benzoate de sodium et de phénylacétate de sodium pour
administration IV). Ces médicaments sont données en dose de charge 250 mg/Kg sur 2heures
puis 250 mg/Kg/24h en continu. Le N carbamylglutamate (acide carglumique, Carbaglu®)
peut également corriger l’hyperammoniémie des aciduries organiques (liée à un déficit
secondaire du cycle de l’urée par l’inhibition de la NAGSynthétase), ou en cas de déficit
primaire en NAGSynthétase. Après une dose de charge de 50mg/Kg, il faut le poursuivre à la
dose de 25-50 mg/Kg/6h.
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