Les coptes d`Égypte

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Les coptes d'Égypte
Ces chrétiens aux anges
Dans leurs épopées, qui servent de catéchisme, abondent saints et archanges et le merveilleux le
dispute aux miracles. Car les coptes, chrétiens d'Égypte, perpétuent une tradition remontant aux
Apôtres, sans rien ajouter ou retirer aux écrits des Pères fondateurs de l'Église.
Un monastère en plein désert d'Égypte, édifié à partir du ive siècle non loin de la mer Rouge, sur
les lieux où saint Antoine, le père du monachisme chrétien, avait choisi de s'installer, en 270,
pour vivre sa vie de renonçant. Une vieille église aux murs chargés d'icônes et de fresques
remontant pour certaines au ixe siècle, plongée dans une pénombre traversée de volutes
d'encens. Et, devant les brocards dissimulant l'autel, un moine à la lourde barbe blanche qui
raconte le passé de son monastère et, à travers lui, l'histoire de l'Église copte.
Écouter le père Roueïss n'est pas un acte dénué d'engagement : il faut lâcher prise, oublier le
principe de réalité et se laisser emporter par des récits où le merveilleux le dispute aux miracles,
par des épopées où interviennent des saints et des archanges, des savetiers et des héros. Il faut se
laisser imprégner par les apophtegmes, ces sagesses des Pères du désert que le vieux moine vêtu
de noir distille à la manière de koan zen, la faconde orientale en plus. Il faut tout simplement
entrer dans la peau des fidèles coptes, abreuvés de ces récits surnaturels tellement éloignés des
constructions dogmatiques, et qui leur servent de catéchisme.
Il était une fois, raconte le père Roueïss, un jeune homme riche qui avait fui les persécutions et
les tentations romaines en se réfugiant dans le désert, à une quarantaine de kilomètres de là. Paul
de Thèbes avait opté pour un érémitisme radical : seul dans une grotte, vivant du silence et de la
prière, il se nourrissait du demi-pain que lui apportait régulièrement un corbeau. Il aurait pu finir
sa vie sans revoir un visage humain si saint Antoine n'avait été alerté, en songe, de l'existence de
cet ermite parfait, alors âgé de 113 ans - dont 90 de réclusion. Antoine, qui avait 90 ans, traversa
le désert, guidé par des bêtes créées par le Diable et retournées par les anges. Les deux hommes
se reconnurent aussitôt : nourris par le corbeau (qui leur apporta un pain entier), ils eurent un
bref échange, interrompu par la mort de Paul dont l'âme fut emportée par les chœurs d'ange sous
l'œil de son nouveau compagnon. Deux lions creusèrent la tombe au-dessus de laquelle s'élève
le monastère Saint-Paul, à une relative proximité de celui de Saint-Antoine. Mais... Paul a-t-il
vraiment existé ?
Le corps, l'âme et l'esprit
Quant à Antoine, épuisé par ses luttes musclées contre les démons (rappelées par une couture au
sommet de la coiffe des moines coptes), il sortit de son isolement pour accepter des disciples,
attirés en nombre par la pureté de sa vie et les récits de ses miracles. Ainsi est né, en terre
d'Égypte, le monachisme chrétien, moins radical que l'exemple pauliste, fondé sur l'équilibre
prôné par Antoine entre les trois piliers de l'être humain : le corps, l'âme et l'esprit,
respectivement nourris par les aliments, la spiritualité et la sociabilité. Des rencontres d'Antoine
subsistent mille récits qui se transmettent dans les monastères coptes. Par exemple, celle avec un
joueur de luth dont les cordes de l'instrument étaient relâchées. « Comment peux-tu jouer ainsi ?
Tu dois tendre les cordes », lui dit Antoine. « Si elles sont toujours tendues, elles finiront par
craquer », rétorque le musicien. « C'était un message divin affirmant l'impératif de la détente »,
assure le père Roueïss avec un grand rire. Interroge-t-on le vieux moine sur sa jovialité
permanente qu'il rétorque aussitôt : « Je suis heureux de l'intérieur, pourquoi voulez-vous que je
dissimule mon bonheur sous un air renfrogné ? »
Le monastère Saint-Antoine fait aujourd'hui l'objet de travaux d'agrandissements : de nouvelles
cellules pour les moines (ils sont 160 à vivre ici, auxquels s'ajoute une dizaine de novices), des
hébergements pour les pèlerins coptes qui affluent tout au long de l'année, des réfectoires, des
parkings. C'est aussi le cas dans tous les autres monastères et couvents coptes d'Égypte qui
connaissent, depuis une trentaine d'années, un regain de vitalité : moines et novices sont de plus
en plus nombreux - et de plus en plus jeunes ; les fidèles ne rechignent pas à traverser des
centaines de kilomètres pour des retraites d'un jour ou d'une semaine, ou pour des promenades
familiales qui sont l'occasion de recueillir des baraka, les bénédictions d'un moine, d'un saint ou
d'un ange.
Le tout petit couvent de Deir el-Hamam, implanté trois cents kilomètres plus loin, en bordure du
Nil, n'échappe pas à ce mouvement. Comme dans d'autres monastères, l'afflux des pèlerins a été
attisé par les découvertes récentes de reliques miraculeuses de martyrs chrétiens des premiers
siècles de l'Église, dont l'authenticité a été reconnue par les autorités ecclésiales. Ici, il s'agit de
deux mains calcinées, sauf au niveau d'un poignet où se détache la croix copte que se font
traditionnellement tatouer les chrétiens d'Égypte.
Messes angéliques et miracles
Kyrillos, un étudiant en médecine, fidèle visiteur du couvent, égrène les miracles accomplis par
ces mains depuis leur apparition, le 22 août 1992 - jour de la fête de la Vierge chez les coptes :
cancers résorbés, dialyses devenues inutiles, aveugles recouvrant la vue. Il dit aussi avoir été le
témoin d'une messe angélique, servie par douze êtres de lumière vêtus de blanc. À ses côtés, un
moine confirme, des fidèles écoutent avant de l'interrompre, pour raconter encore d'autres
miracles, d'autres apparitions, d'autres épisodes merveilleux. Le moine, frère Fadel, profite de
l'assistance pour donner un petit cours de catéchisme, axé sur l'omniprésence angélique dans les
écrits des premiers Pères de l'Église. Il égrène les noms des sept archanges retenus par l'Église
copte : Michael, Gabriel, Raphaël, Suriel (ou Uriel), Sakakaël, Sarataël, Ananaël. Demande à
ses ouailles de les implorer, de les prier, de les honorer : « Ils vous aideront à tous les moments
de votre vie », insiste-t-il.
Ici, nul fidèle ne met en doute ces récits merveilleux qu'attestent moines et prêtres. Naïveté ? Le
jésuite Nabil Gabriel, directeur général de Caritas-Égypte et excellent connaisseur du monde
copte, oppose « la pauvreté théologique de l'Église copte et son immense richesse spirituelle
encadrée et entretenue par la hiérarchie ». Puis il revient sur le mot « pauvreté » : « En fait, la
pensée théologique s'arrête aux cinq premiers siècles de l'Église, aux écrits des saint Athanase
ou saint Cyrille qui sont donnés pour des acquis théologiques et ne suscitent pas de réflexion
intellectuelle. L'Église copte se donne pour mission de perpétuer et transmettre cet héritage en
son état originaire, sans rien y ajouter ni rien en retirer ». La formation des clercs consiste
d'ailleurs essentiellement à lire, relire et méditer d'abord la Bible, ensuite les écrits des premiers
Pères : « Une lecture approfondie qui aboutit littéralement à une imprégnation par les mots, par
les phrases, explique le moine Wadid Morcos. Quant aux commentaires ultérieurs de ces écrits,
il est vrai que nous ne nous y attachons pas. »
La transmission : telle est la fonction dévolue au pape copte. Comme ses prédécesseurs,
Chenouda III, « pape d'Alexandrie et patriarche de la prédication de saint Marc » (dont il est le
171e successeur) se doit d'assurer le maintien d'une tradition remontant aux apôtres. Ce qui lui
interdit de convoquer des conciles à la manière de Vatican II, ou de réaliser des réformes portant
sur le dogme. Le grand chantier de Chenouda III, dès son accession à la papauté, en 1971, a été
un recentrage sur la vie spirituelle : les écoles coptes ont été fermées, une vitalité nouvelle a été
insufflée aux monastères et aux paroisses devenues le centre d'une intense activité, avec la mise
en place de centres sociaux, de clubs sportifs, de cours de langue et de musique copte. Le statut
des moines a été réhabilité, les jeunes diplômés ont été encouragés à prendre la relève de leurs
aînés, parfois analphabètes.
Le réveil de l'islam en Égypte (comme dans le reste du monde musulman) n'a pas été étranger à
la renaissance de l'Église copte. Aux prières des uns a répondu la ferveur des autres. Par ailleurs,
la communauté bruisse de rumeurs de persécutions, d'enlèvements, de brimades. Au Caire, le
père William Sidhom, sociologue de formation, s'est penché sur ce phénomène : « La plupart
des rumeurs sont infondées, mais les vexations sont une réalité, en particulier dans les milieux
les plus défavorisés. Ce qui aboutit à un phénomène de ghettoïsation, y compris dans les écoles
et les universités où élèves et étudiants se mélangent de moins en moins, chaque groupe se
rattachant de manière plus forte à sa communauté religieuse. Le réveil copte est ainsi devenu
un phénomène de masse. »
Ce jour-là, il y a foule au monastère de la Vierge, baptisé monastère de Amba Brahm depuis
qu'il accueille la dépouille de cet évêque copte du début du xxe siècle. Un saint homme dont la
réputation de faiseur de miracles a largement débordé la province du Fayoum, au nord du Caire.
Des lycéennes, venues pour leur journée de congé hebdomadaire, côtoient des familles de la
petite bourgeoisie et des fellahs, les cultivateurs revêtus de la robe traditionnelle que portent
aussi bien les chrétiens que les musulmans. Dans cette Égypte profonde, la présence d'étrangers
suscite un certain émoi. Amal, une brunette pétillante, est très fière d'accueillir des étrangers
dans « son » monastère. Très fière aussi de raconter l'histoire « des coptes, c'est-à-dire des
premiers chrétiens ». Elle exhibe la croix tatouée à l'intérieur de son poignet. Puis lance, avec
gouaille : « Nous gardons la maison depuis 2000 ans. Et nous continuerons... »
Inanos le patriarche
L'histoire officielle de l'Église copte commence en 58, année où l'apôtre Marc est envoyé en
Égypte par saint Pierre pour y prêcher la parole du Christ.
De longues heures de marche à Alexandrie ont raison des sandales de Marc : il s'arrête chez le
savetier Inanos pour les réparer, celui-ci se blesse avec son aiguille et invoque le nom du Dieu
unique. Marc guérit le savetier de sa blessure en lui appliquant de la boue. Une amitié naît entre
les deux hommes, mais bientôt, Marc est contraint de fuir les persécutions romaines qui
s'abattent sur lui. Auparavant, il ordonne Inanos qui devient ainsi le premier patriarche copte - et
donc le premier successeur de Marc, l'actuel pape copte étant son 171e successeur.
Les caractéristiques de l'Église copte
L'Église copte est dite pré-chalcédonienne, c'est-à-dire qu'elle reconnaît les trois premiers
conciles œcuméniques (Nicée en 325, Constantinople en 381 et Éphèse en 431). La rupture avec
le reste du monde chrétien est intervenue au concile de Chalcédoine qui a affirmé la double
nature, humaine et divine, du Christ. Les coptes, monophysites, reconnaissent au Christ une
nature divine, et considèrent que le Saint Esprit ne procède pas du Père et du Fils, mais du Dieu
un et unique.
La langue copte, longtemps reléguée à la liturgie, connaît aujourd'hui une nouvelle vigueur. Elle
s'écrit en alphabet copte, proche de l'alphabet grec, avec des lettres supplémentaires.
Le calendrier copte est composé de douze mois de trente jours, auxquels s'ajoute un « petit mois
» intercalaire de cinq ou six jours (dans la deuxième semaine de septembre). Il démarre le 29
août 284, avec l'accession au pouvoir de l'empereur Dioclétien, qui ouvrit une ère de persécution
et de martyre pour les chrétiens.
L'année liturgique copte compte 264 jours de jeûne.
Le nombre estimé de coptes en Égypte varie entre les chiffres de l'État (3,5 millions) et ceux de
l'Église (10 millions).
À côté de la très largement majoritaire Église copte orthodoxe, il existe une petite Église copte
catholique (à peu près 200 000 fidèles) et une Église copte protestante (quelques dizaines de
milliers de fidèles).
En savoir plus
Mahmoud Zibawi, Les Coptes, l'Église du peuple des pharaons (La Table Ronde, 2006).
Christian Cannuyer, l'Égypte copte, les chrétiens du Nil (Gallimard Découvertes, 2000).
Rachel et Alphonse Goettmann, La Voix d'un Père du désert, entretiens avec Sa Sainteté
Shenouda III (Desclée de Brouwer, 2006).
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