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Conférence à Notre-Dame du Liban
A l’invitation de Monseigneur Saïd Elias SAÏD, vicaire patriarcale et curé de la
paroisse maronite « Notre-Dame du Liban » et en présence de monsieur Roland
DUBERTRAND, Conseiller pour les affaires religieuses au Ministère des
Affaires Étrangères et Européennes, Monseigneur Michel Chafik, le mardi 6
décembre, analyse les premiers résultats des élections législatives et les
probables répercussions d’une victoire des partis islamistes sur les Coptes.
Égypte aujourd’hui et demain
Les Coptes ont cru en la révolution et se sont reconnus dans les valeurs de
liberté et d’égalité prônés par les jeunes de Tahrir. Aujourd’hui cependant, les
attentats perpétrés contre eux se multiplient et ils se demandent, avec inquiétude,
s’ils pourront survivre au printemps égyptien. Plus que l’analyse géopolitique,
entachée souvent de partialité, les faits parlent d’eux-mêmes. C’est par le triste
inventaire des violences récemment faites aux coptes que nous ouvrirons notre
réflexion.
La triste litanie des attentats
- En mars, un mois à peine après la chute de Moubarak, de violents heurts
ont éclaté entre chrétiens et musulmans à Mouqattam, au lendemain de
l’incendie d’une église dans le sud de la capitale à Sol Helwan.
- La même tragédie s’est pétée deux mois plus tard, en mai, dans le
quartier populaire d’Imbaba, au Caire. 15 personnes ont été tuées et 200
autres blessées, en réponse à l’attaque d’une église une chrétienne,
convertie à l’islam, était supposée être retenue.
- Début octobre, l’église St Georges, à Merinab, une petite ville aux
environs d’Assouan, a été prise d’assaut par plusieurs centaines de
musulmans qui l’ont incendiée et détruite. Les murs de l’église les
coptes prient depuis 1940 menaçaient de s’écrouler. Les chrétiens ont
obtenu du gouverneur une autorisation de réfection. Malheureusement un
groupe de wahabites a contesté la décision et dicté ses conditions : ni
coupole ni croix. Le vendredi suivant, l’imam a excité le peuple qui, dès
la fin de la prière a détruit l’église et brulé les maisons des chrétiens.
- Le dimanche 9 octobre enfin, l’armée n’a pas hésité à lancer ses véhicules
blindés sur la foule des coptes venus en famille demander le respect de
leurs droits. Officiellement on dénombre 24 morts et plus de 320 blessés
mais ces chiffres sont sans doute très en dessous de la réalité. Les civils
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musulmans qui étaient là ont été incités à la violence par la télévision
d’État. Celle-ci a annoncé que les coptes attaquaient les militaires et que
les égyptiens devaient se porter au secours de leur armée.
- Le premier décembre enfin, c’est un différent sans important qui a
entrainé un déchainement de violence contre les chrétiens de la ville de el-
jhorayzat, dans la province de Souhag. Il y a eu des morts et des blessés,
de nombreuses maisons chrétiennes ont été pillées et incendiées. A noter
que les violences ont commencé à 11h du matin mais que les forces de
sécurité ne sont arrivées sur place que très tard dans la soirée.
Ce ne sont que les cas les plus graves enregistrés depuis la révolution du
25 janvier. Des dizaines d’autres éclatent un peu partout et sont, les plus
souvent, réglés pacifiquement par les sages. Quoi qu’il en soit, ces événements
ravivent la tension intercommunautaire et compromettent le processus de
démocratisation. Le point de départ à ces déchaînements de haine est presque
toujours le même. Il s’agit soit d’une romance entre personnes de religion
différente, soit de travaux de rénovation ou d’extension d’église.
Dans le chaos qui a suivi la révolution, les fanatiques n’ont plus personne à
craindre et s’en prennent, comme jamais, aux chrétiens. Comment ne pas voir
dans ces flambées de violence un exutoire aux frustrations accumulées par les
plus pauvres des musulmans? Comment ne pas y voir le fruit vicié de la haine
semée par les intégristes ?
L’héritage empoisonné
Pour comprendre ce qui se passe, il faut faire un peu d’histoire et revenir
aux années soixante. A cette époque, sous la présidence de Gamal Abdel Nasser,
la société égyptienne s’est arabisée alors qu’elle était méditerranéenne dans son
approche. En s’arabisant, elle s’est islamisée, du fait de l’influence croissante de
l’Arabie saoudite, de l’islam wahhabite et des pétrodollars.
Parallèlement, la crise économique a forcé des millions d’égyptiens à
chercher un emploi en Arabie Saoudite. Ils en sont revenus pétris d’idées
totalement étrangères à la culture égyptienne.
La conception salafiste ou wahabite de l’islam est fermée, extrémiste et
hostile à la démocratie. Depuis des décennies, les idées wahabites se sont
répandues en Égypte où elles ont introduites la haine des coptes.
C’est ainsi qu’un prédicateur wahabite, particulièrement écouté, n’hésite
pas à déclarer : « pas d’amitié ni d’affection avec les chrétiens. Il ne convient
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pas de leur souhaiter de bonnes fêtes religieuses, puisqu’à l’occasion de ces
fêtes, ils deviennent encore plus mécréants, ni de se mettre sous leur autorité ».
A ce propos, il faut rappeler le refus d’avoir un gouverneur copte à Kéna,
en haute- Égypte, refus qui s’est terminé par la mise à l’écart de ce dernier.
Je pourrais multiplier à l’infini ces déclarations qui sont reprises, chaque
jour, lors des prêches prononcés par les salafistes dans les mosquées ou à la
télévision. Encouragés par le laxisme des autorités, ils redoublent de violence
dans leur discours haineux à l’encontre des chrétiens. Ils les traitent de dhimmis
et exigent que, comme par le passé, ils paient la jiziya, l’impôt de protection
imposé jadis aux non-musulmans. Les médias, comme toute la société, subissent
leur détestable influence.
Les forces en présence
Les égyptiens ont pu, par leur détermination, faire tomber le régime
autoritaire et corrompu établi, depuis plus de 30 ans, par Moubarak. Mais, tant
sur le plan politique qu’économique, ils se trouvent démunis, incapable
d’organiser l’après dictature.
L’armée, garante de la transition, joue un rôle très ambigu. Elle ne protège
pas les coptes comme elle le devrait. Comme par le passé, leurs assassins ne
sont jamais inquiétés, ni jugés. Quant aux engagements pris lors de la chute de
l’ancien régime, ils ne sont pas tenus. Ainsi, après la révolution, les militaires
s’étaient engagés à amender la loi relative à la construction des lieux de culte et
il n’en a rien été.
Traditionnellement des liens forts unissaient les égyptiens à leur armée.
Ses dirigeants, issus du peuple, en portaient les rêves et les idéaux. Si la police
était honnie pour sa violence et sa corruption, l’armée était unanimement
respectée. Lors de la révolution elle sembla, dans un premier temps du moins,
mériter cette confiance. Très vite, elle déclara que les revendications des jeunes
étaient légitimes et s’engagea à ne pas faire usage de la force. Aujourd’hui
cependant, entre le peuple et l’armée, la lune de miel semble terminée, l’heure
du divorce advenue.
Une frange de la population suspecte les militaires de vouloir s’accrocher
au pouvoir et souhaite que le CFA mette fin à la période de transition en
organisant, au plus vite, des élections présidentielles.
Les coptes, sur cette question, se montrent plus réservés. Ils reprochent à
l’armée ses pratiques autoritaires, réclament eux aussi, et avec insistance,
l’instauration d’un état de droit. Mais ils savent également que seule l’armée
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peut empêcher le chaos et les exactions dont sont d’abord victimes, dans les
périodes intermédiaires, les minorités ; qu’elle seule a le pouvoir de préserver le
pays de l’état islamique auquel les chrétiens ne pourraient survivre.
Les résultats des élections qui, pour l’Assemblée du Peuple, s’étaleront
jusqu’au 10 janvier, sont en effet extrêmement préoccupants. Au Caire et à
Alexandrie les frères musulmans, principale force d’opposition sous le régime
de Moubarak, l’ont, comme prévu, emporté haut la main via leur parti Liberté et
Justice qui totalise plus de 36 °/° des voix. Plus inattendue, en revanche, et ô
combien inquiétante, est la percée des salafistes. En obtenant près de 25 °/° des
suffrages leur parti, El-Nour, devient la seconde force politique du pays.
Trois facteurs ont contribué à la victoire des islamistes : leurs chefs qui
furent pourchassés par l’ancien régime, ont pour le peuple l’aura des martyrs ;
grâce à l’argent de l’Arabie Saoudite, ils ont pu en outre développer leurs
œuvres de bienfaisance et gagner le cœur, non seulement des pauvres gens, mais
aussi de la classe moyenne. Depuis des décennies enfin, ils se préparent, dans
l’ombre, à prendre le pouvoir. Leur parti est à ce jour le seul parti véritablement
organisé de la scène politique égyptienne.
Ceci explique que le Bloc égyptien, la coalition des partis libéraux et
laïcs à laquelle participent les chrétiens, n’ait réussi à séduire que 13 °/° des
électeurs. Les coptes, pourtant sont entrés avec détermination dans le débat
politique. Aujourd’hui, ils se font entendre et réclament, haut et fort, la pleine
citoyenneté, la liberté religieuse et l’instauration d’un État civil. Sur ce dernier
point, sur la forme de l’État, les Frères musulmans, débordés sur leur droite par
les salafistes, sont eux-mêmes divisés.
Le temps de la révolution et la période post Moubarak ont ainsi été
marqués par leurs atermoiements et leurs incessantes voltes faces.
Dès sa formation, le Parti de la Liberté et de la Justice, s’est déclaré en
faveur d’un « État civil à référence islamique » liant les « demandes de
l’extraordinaire révolution » aux valeurs portées par l’Islam. Cependant, une
partie des militants, les plus jeunes principalement, ne se reconnaissent plus
dans les orientations de la direction. L’institution al-Azaharienne a tenté, sans
grand succès, d’arbitrer entre les uns et les autres. Dans cet esprit, elle a préparé
un document de référence apparaît la notion d’ « État civil citoyen et
démocratique ». Notion aussitôt rejetée par l’aile conservatrice des Frères ainsi
que par les salafistes. Aujourd’hui, l’expression « État civil à référence
islamique » tend à disparaître des discours où se multiplient les références à un
« État islamique »1.
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Ces dissensions ne sont pas conjoncturelles. Elles ne sont pas liées au
contexte présent mais à la nature même du patrimoine légué par Hasan el-
Banna. Celui-ci, qui s’articule autour de l’opposition systémique d’une idée
civile et d’une idée islamique, induit le recours possible au jihad et ne
s’accommode ni du pluralisme politique ni d’un État civil. Si, comme tout hélas
le laisse présager, la notion d’État islamique devait être retenue, les coptes
n’auraient plus leur place en Égypte.
Après ces premiers résultats, beaucoup de questions se posent, d’autant
que nul ne sait aujourd’hui quelles prérogatives incomberont au futur Parlement.
Si le Conseil Supérieur des Forces Armées s’est félicité de la forte participation
(62 °/°), il n’a pas réagi aux résultats de ce vote islamique à plus de 60 °/°. Les
militaires respecteront-ils le pouvoir du parlement ou le cantonneront-ils dans un
rôle consultatif comme à l’époque de Moubarak ? Laisseront-ils lÉgypte
s’engager dans l’aventure islamique ou lui imposeront-ils, par la force, une autre
voie ?
Entre inquiétudes et espérance
Une nouvelle fois les égyptiens se trouvent pris au piège, confrontés à un
choix impossible : soutenir l’armée pour ne pas hypothéquer la possibilité d’un
état civil ou bien rejeter la tutelle militaire au risque de tomber entre les mains
des extrémistes. Non, décidemment, il n’y a rien de changé sous le soleil
d’Égypte. C’était le même chantage qu’exerçait hier Moubarak : moi ou le chaos
islamique.
Alors oui, si la révolution fut belle, ses lendemains déchantent. Les
égyptologues appellent "périodes intermédiaires" les temps, pleins de bruit et de
fureur, qui accompagnaient le passage d'une époque à une autre. De nouveau,
l'Égypte vit une de ces époques intermédiaires, transition obligée pour entrer
dans une ère nouvelle. Aujourd'hui, le climat social est détestable; le contexte
économique, désespérant, tout comme le contexte politique, avec la victoire
démocratique des islamistes. Jusqu'à quel point les nouvelles majorités,
ignorantes des droits des minorités, seront-elles néfastes aux chrétiens, nul ne le
sait.
Dans un tel environnement, que peuvent faire les Coptes? Partir? Comme
disait Mgr Michel L. FITZGERALD, nonce apostolique au Caire : « Des
chrétiens ont certainement quitté l’Égypte ces derniers temps, mais les Églises
les encourages à rester »2 Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Depuis mars
dernier plus de 100.000 Coptes ont choisi l'exil selon Naguib Gabraîl, président
de l'Union Égyptienne des Droits de l'Homme. S'enfermer dans les églises, s'y
enfouir, comme le grain dans la terre lorsque souffle la bise? La tentation de
l'entre soi, du repli communautaire, on le sait, est récurrente. Se battre? C'est
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