s'éteindre devant une puissante seconde ligne… Vous qui savez ce que c'est que d'être dans les
tranchées, qu'en pensez-vous? Pour ainsi dire, l'ennemi, on lui casse la patte à la première ligne et, à la
seconde, on l'achève… Qu'est-ce que vous en dites, vous, Vauthier, de cette idée?
VAUTHIER - Qu'est-ce que j'en dis… J'en dis que ça fait toujours mal au cœur que d'abandonner un
petit bout de France aux Boches, mais que ce serait peut-être mieux, en fin de compte, parce qu'on
l'aurait bien vite récupéré.
CLEMENCEAU - Et vous, Hirsch, qu'en pensez-vous?
HIRSCH - J'en pense… que je n'aimerais pas trop être en première ligne. Sacrifié pour ainsi dire!
CLEMENCEAU - C'est bien ce qui me tracasse. Et vous, sergent?
LE SERGENT - Si Pétain… pardon, si le général Pétain le dit, c'est que… c'est bon.
CLEMENCEAU - Je vois, Sergent, vous êtes pour l'autorité… Et c'est vrai qu'il en faut de l'autorité
pour maintenir au combat quarante millions de Français… Sans toujours mesurer les conséquences de
ce qu'on décide, avec toute cette autorité! C'est ça, ma guerre à moi, décider, et ne pas arrêter de
décider, et la plupart du temps de décider dans le brouillard, sans bien savoir ce que…. Allons,
allons… Il y a des jours où je me demande si je ne préférerais être en première ligne, les pieds dans la
boue, à me geler les couilles… Mais il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui décide… Allons, j'y vais.
Merci, merci, vous trois, de faire ce que vous faites… (il fait le salut militaire) Maintenant, sergent,
ramenez-moi dans le droit chemin. Je vous suis.
4 - Les Allemands changent de tactique.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Pendant les cinq ou six mois qui suivirent son arrivée au pouvoir,
Clemenceau décida que la meilleure façon de faire la guerre, c'était, en attendant les Américains, de la
faire d'une façon purement défensive, de façon à économiser les troupes et les armes. Les armées
françaises et anglaises, allemandes aussi! étaient en effet épuisées par trois ans de combats
ininterrompus. Le front resta donc pendant de longs mois là où Clemenceau l'avait trouvé. Cependant
les Allemands, dont les effectifs se trouvaient au contraire renforcés par les troupes qui revenaient du
front russe, cherchaient à mettre au point de nouvelles stratégies. Le maréchal Hindenburg et le
général Ludendorff sont en pleine recherche…
HINDENBURG - Nous n'attendrons pas le Kronprinz … Il n'y comprend rien et il est toujours en
retard.
LUDENDORFF - Monsieur le Maréchal, il est le chef des armées et ce que nous avons à dire est trop
grave pour que…
HINDENBURG - Justement, général Ludendorff! Faisons d'abord le point de la situation.
LUDENDORFF - Bien… Ce sera simple… Après la paix de Brest-Litovsk, nous avons pratiquement
ramené du front russe la moitié des troupes dont nous disposions.
HINDENBURG - Donc, maintenant, sur le front français, où en sommes-nous?
LUDENDORFF - 192 divisions… 110 en ligne et 80 en réserve… Ce qui fait 2,5 millions
d'hommes.
HINDENBURG - Et l'ennemi?
LUDENDORFF - D'après mes renseignements… Mais on ne peut jamais être sûr… Français,
Anglais, Belges et quelques autres, environ 158 divisions… Mais je ne peux pas dire exactement ce
que cela représente de combattants, car les dites divisions ont été assez éprouvées et leurs effectifs sont
quasi-squelettiques. Pour certaines, je dirais presque qu'elles sont des divisions fantômes. Il y a aussi
25 divisions américaines, très bien fournies, elles, mais pas encore opérationnelles. Cependant les
Américains arrivent en France au rythme de… je n'ai que des informations contradictoires, mais ça
pourrait monter jusqu'à 100 ou 200 000 par mois. On nous parle aussi de troupes africaines… La force
nègre! Nous les évaluons à pas plus de 80 ou 90 000 hommes, qui craignent le froid!
HINDENBURG - Et c'est toujours Pétain qui…
LUDENDORFF - Oui, mais on parle de plus en plus de Foch, qui est quand même moins timoré que
Pétain… Il y a aussi Mangin qui piaffe dans la coulisse. Un fonceur! Et n'oublions pas qu'à la tête des
troupes anglaises il y a un général Haig très jaloux de son indépendance. Ah, si je pouvais enfoncer un
coin entre les Français et les Anglais, ça règlerait le problème! Et Clemenceau lui-même s'occupe
volontiers de stratégie, ce qui n'arrange rien. Quant aux Américains, je doute qu'ils acceptent de se
mettre sous commandement français.
HINDENBURG - Alors, avec tout ça, qu'allons-nous faire?