GUILLOUX ET LES SIENS

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GUILLOUX ET LES SIENS (LYCEE HENRI AVRIL , LAMBALLE)
Par Yannick PELLETIER
Faire publier une thèse sur Louis Guilloux et se retrouver professeur au Lycée Henri Avril
à Lamballe ; Henri Avril, dit Tonton, président du Comité départemental de la Libération, ami
de Palante et de Guilloux : alors « quel nom donnerait-on au Hasard après le Hasard ? »,
comme dit Palante-Cripure-Guilloux (puisque c’est en partie la même personne) dans Le
Sang noir. Sans doute le nom de volonté et de bonheur. C’est pourquoi depuis 1975, et
aujourd’hui pour la dernière année, je suis professeur de Lettres classiques à Lamballe, au
« Lycée Tonton »…
Le Sang noir étant paru dans la collection Folio-Gallimard, je décidai d’étudier le roman
de Guilloux en classe de Première G (classe de matheux). Il faut reconnaître que Guilloux à
Saint-Brieuc, avec des attaches familiales à Lamballe, sans oublier Henri Avril, avec Palante à
Hillion, il y avait un intérêt immédiat. Guilloux : un gars de chez nous, un « pays ». C’était en
1981 et je connais d’anciens élèves qui auront lu et relu l’un des plus grands romans du XXe
s, selon Semprun et après tout, selon eux-mêmes (1). Le Sang noir, malgré la distance dans le
temps, et de sa parution et de l’époque du récit, touche des jeunes gens qui y reconnaissent un
ton inaccoutumé et un esprit de révolte à couper le souffle de prime abord, et salutaire par la
suite. Un livre qui vous met face à la vie avec « une ampleur incontestable », qui vous arrache
aux pesanteurs sociales et aux idées toutes faites, genre « politiquement correctes »,
pléonasme bien sûr puisque seule, la littérature est « incorrecte », esprit de liberté. C’est ce
que reconnurent mes élèves de 1981.
Depuis , il y eut 1999, l’année du centenaire de la naissance de Louis Guilloux. Je
récidivai l’expérience avec, cette fois, une classe de Première L. Même cause, mêmes effets.
Vint l’année 2007-2008. Je repris la classe de Première L pour un enseignement dans la
continuité, auquel s’intègre un projet théâtral original. Une convention lie le Lycée Henri
Avril, la Région, la Ville de Lamballe et son ensemble culturel le Quai des Rêves, le Théâtre
du Totem en la personne de son directeur-metteur en scène Christophe Duffay. Il est entendu
qu’un élève de première L fera du théâtre et jouera un rôle en représentation publique. Je
décidai que cela se ferait en appui sur les Travaux pratiques encadrés de première et avec
Stéphanie Dabchy, professeur d’histoire, mon ancienne élève… Il fut décidé aussi que les
élèves écriraient tout ou partie du spectacle. Le Sang noir retrouva sa place et vint innerver
une pièce écrite par la classe, Fraternité d’ennemis qui retrace l’ensemble de la Première
guerre mondiale. Des heures d’écriture. Puis des jours de répétitions avec Christophe Duffay,
auxquelles je participe régulièrement, avec l’aide ponctuelle de Stéphanie. Surtout l’avantage
d’une semaine où nous sommes enfermés au Quai des Rêves avec pour nous seuls, plateau,
salle de répétition, loges ; avec pour nous, l’assistance du personnel technique (Jean-Yves et
Jean).
2011-2012 : ma dernière année d’enseignement. Christophe Duffay et Zouliha Magri, car
nous avons désormais deux metteurs en scène puisque de 13 en 2007, la Première L est
passée à 32 élèves, Christophe et Zouliha donc manifestèrent leur désir de monter un
spectacle « Guilloux ». Et revoici Le Sang noir au programme. Mais insuffisant pour un
spectacle qui doit offrir à 32 élèves un ou des rôles. Christophe et Zouliha, partant de la
biographie de Guilloux mirent sur pied un synopsis de l’enfance à la mort de notre écrivain,
en joignant à sa vie les grands événements du siècle, les amitiés et en prolongeant jusqu’à la
chute du Mur de Berlin. Dès le départ , j’avais retenu pour titre : « Il faut que les cœurs soient
libres » (Guilloux, Carnets – 1945).
Alors, les élèves reçurent des dizaines de pages que j’avais choisies dans La Maison du
Peuple, Angélina, Le Pain des Rêves, Le Jeu de Patience, Absent de Paris, Ma Bretagne,
Coco perdu, Labyrinthe, Carnets I et II , avec des extraits de La Peste de Camus et avec
des textes sur la guerre d’Algérie et Mai 68 retenus par Stéphanie… Et les élèves de mettre
tout cela en forme théâtrale : il faut élaguer et choisir, passer à une réécriture quasi complète
qui modifie les textes initiaux, crée de niveaux personnages mais respecte totalement l’esprit
de Guilloux. A Stéphanie, l’exactitude historique ; à Zouliha et Christophe, la théâtralité ;
pour ma part, tous les aspects littéraires.
Pareil travail méritait bien une visite des archives Guilloux à la Bibliothèque municipale où
Arnaud Flici fit découvrir aux élèves-écrivains les manuscrits du Sang noir. Puis, visite du
bureau de Louis Guilloux : d’un coup, les élèves se retrouvèrent dans la réalité de l’écrivain,
de l’écriture, de la vie de l’homme-écrivain . C’est ce bureau qui fut perquisitionné par la
police sous l’Occupation ; Camus et Guilloux s’y retrouvèrent : deux scènes de la pièce…
Et puis, du lundi 12 au vendredi 16 mars : Quai des rêves, 9 h-17 h. Répéter, répéter et
jouer malgré la timidité, la voix fragile, la diction compliquée, la gestuelle… Et jouer avec
entrain et rigueur. Vouloir être irréprochable. Ainsi Médrick-Guilloux voulant savoir
comment Louis marchait, s’habillait, tenait sa pipe… Boris-Babinot nasillant à merveille…
Sandra oeuvrant d’énergie et de douceur pour être Marie Quéré… Jasmine en MimiChiffonnette… Julie et Romane, couple de paysans gallo chez qui Werner débarque en
déserteur allemand, le même Werner qui jouera Camus…
Résultat ? Il m’est difficile de dire. Mais les Amis de Louis Guilloux qui, autour de Paul
Recoursé, président de la Société, assistaient au spectacle du vendredi après-midi, furent émus
d’avoir vu vivre ainsi l’œuvre de l’écrivain, d’avoir vu le souci de rigueur des jeunes acteurs.
Quant à la représentation du soir, elle s’achèvera par l’ovation debout d’une salle du Quai des
Rêves pleine (il n’y avait pas que des parents d’élèves au spectacle !), conquise par Guilloux,
par la mise en scène de Christophe et Zouliha, par la ferveur des Première-L-acteurs.
Quant à moi, je leur ai dit, à mes élèves, qu’en tant que spécialiste de Guilloux, que
professeur, que compagnon de troupe théâtrale, travailler avec eux était un bonheur et un
honneur. Et je pèse mes mots.
Et eux, qu’en disent-ils ? « Je n’aurais jamais pensé arriver à monter sur scène (…). Au
final, je suis fière de m’être donnée à 100% » dit Pauline qui fut Pierrette auprès des réfugiés
espagnols, Mlle Gwen qui s’insurge contre la tonte des femmes en 1944, une étudiante
révoltée en68. Laura B. s’étonne d’avoir pu passer du rôle comique de l’élève rebelle
Boniface (personnage inventé) au tragique puissant du narrateur de la scène du « flagrant délit
de pauvreté » ( Absent de Paris). Pour Amandine ou Romane, Le Sang noir, la visite du
bureau de Guilloux, la pièce ont apporté « une plus souple aisance quand il s’agit de parler de
la place de l’individu dans la société ». Pour Leïla, Guilloux et tout ce qui en a été fait a
permis à chacun de se dépasser et au groupe de se souder. Laura S. fut heureuse que Guilloux
qu’elle représenta enfant, passe du « Pain » au « Quai des rêves » et considère que lire une
page de Guilloux se reçoit comme un sourire. Retranscrire La Maison du Peuple et plus
généralement « ses émotions et son ton naturel » fut une fierté pour Elena. « Réussir à jouer
tranquillement le rôle tragique de Marie Tallec », le bonheur d’Elodie. Guilloux, « une vie
passionnante », « une source d’entre aide entre les membres de la classe », « l’occasion de
donner le meilleur de soi », pour Camille. Lucie a tout aimé de « l’aventure Guilloux » et
retient que les libertés conquises et perdues, puis reconquises au XXe s. « nous ont conduit au
monde d’aujourd’hui », que Louis Guilloux nous apprend « comment nous en sommes arrivés
là ». Pour conclure – comment donner la parole à 32 personnes – voici Malorie : « Pour ma
part, rendre hommage à un écrivain de l’envergure de Louis Guilloux, avec les valeurs qu’il
représente, fut un honneur et un privilège ! J’ai considéré ma participation à notre pièce
comme un devoir en tant que bretonne et aussi comme un devoir de mémoire ».
Et voilà. Rien à ajouter. Sauf de notre part à tous « merci Monsieur Guilloux ; merci
Louis ».
Yannick avec Stéphanie, Zouliha, Christophe et leurs 32 amis de
La Première L du Lycée Henri Avril
(1) Cette expérience pédagogique, comme disent les savants, littéraire et donc de vraie vie a
fait l’objet d’un article publié dans Skol Vreizh et repris dans Confrontations, n° 4, 1996
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