Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle L1 -Anglais Culture Economique
M. Latreille Année 2015-2016
Chp 3 : Le modèle keynésien
Nous avons vu que le modèle néoclassique décrit une économie dans laquelle l’Offre détermine
la demande (Loi de Say). La condition essentielle étant que les prix soient flexibles pour aboutir à
l’allocation optimale des ressources (citation de Walras). Or, Keynes va partir de l’idée selon
laquelle des frottements existent. Il en tire trois conséquences :
Les prix ne varient pas et ne permettent pas d’ajustement automatique
Les agents le sachant, ils n’ont pas de guide pour prendre leurs décisions (les horloges du
grand mécanisme néoclassique ne donnent plus l’heure)
Les agents vont devoir anticiper un futur incertain (« Simplement, on ne sait pas »)
Keynes va alors établir des lois psychologiques fondamentales pour comprendre sur quoi reposent
ces anticipations et tenter de déterminer les grands agrégats économiques. Tout reposera sur
l’anticipation de la demande, qui est sans doute la variable exogène première de son modèle.
Pour cette raison, Keynes est un économiste de la demande et pas de l’offre et son modèle
renverse totalement la logique néoclassique (on a parlé de révolution keynésienne).
I/ Les hypothèses du modèle
A/ La fonction de consommation :
Citation de Keynes sur la loi psychologique fondamentale. Keynes ne parle pas de la propension
moyenne à consommer, mais de la propension marginale, à savoir le rapport de la variation de la
consommation (C) à la variation correspondante du revenu (Y).
On suppose qu’il existe une part incompressible du revenu qui est consommée (C0) et on en
déduit la fonction de consommation C = C0+ c Y. Keynes envisageait une fonction de
consommation concave (courbe) -> citation de Keynes. Mais la fonction linéaire est plus simple à
utiliser.
B/ La fonction d’épargne :
L’épargne est le résidu du revenu non consommé, puisque qu’il n’y a pas d’autre usage du
revenu que la consommation ou l’épargne. On constate que si le revenu est nul, la consommation
peut quand même être positive si il y a baisse de l’épargne, épargne négative ou désépargne,
c’est-à-dire prélèvement sur les revenus antérieurs.
On a vu que l’épargne dans le modèle néoclassique dépend du niveau des taux d’intérêt. Pour
Keynes, ce n’est pas le cas. L’épargne dépend du revenu et de la consommation, pas du taux
d’intérêt, mais le niveau des taux d’intérêt va déterminer l’usage que les individus font de leur
épargne (placement financier ou placement productif).
C/ La fonction d’investissement :
L’investissement en revanche est fonction du taux d’intérêt, car les entreprises comparent ce
que coûte un investissement à ce qu’il rapporte. Pour cela ils comparent le taux d’intérêt i au taux
de rendement interne (ou efficacité marginale du capital) noté r.
NOTE : Pour comparer les deux grandeurs, on doit les actualiser, c’est-à-dire imaginer ce que
valent aujourd’hui des gains ou des pertes à venir (on retrouve le rôle essentiel des anticipations).
On n’étudiera pas le calcul d’actualisation mais il est utile de rappeler que l’inflation qui fait perdre
de la valeur aux revenus futurs a tendance à précipiter les décisions de dépense (ou
d’investissement) : l’inflation n’est donc pas neutre.
L’investissement est donc une fonction inverse du taux d’intérêt. On a I = b.i, avec b < 0.
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II/ Les équilibres sur les différents marchés
A/ L’équilibre offre-demande globale
En économie fermée, comme le produit réalisé peut être soit consommée, soit investie et
que le revenu total peut être soit consommé soit épargné, on en déduit que l’épargne est
forcément égale à l’investissement.
Pourtant, il n’y a aucune raison a priori pour que l’épargne décidée pour l’essentiel par les
ménages en fonction de leurs revenus et de leurs besoins soit égale à l’investissement qui dépend
d’un arbitrage entre des taux d’intérêt et de rentabilité attendue. Comme il n’y a plus un prix
permettant d’égaliser les deux grandeurs, l’équilibre économique n’est plus garanti, même si
l’équilibre comptable est toujours vérifié.
EX : Si S > C, les entreprises n’arrivent plus à vendre leurs produits (faiblesse de la
consommation). Par conséquent elles stockent. Les stocks sont comptabilisés comme un
investissement des entreprises, mais qui n’est pas désiré ex ante. Il y a bien égalité I=S ex post
mais accompagné d’un déséquilibre qu’aucun mécanisme des prix ne peut corriger.
On a donc les moyens de déterminer toutes les variables qui dépendent de la production et
qui peuvent nous donner la demande globale.
DG = C + I + X M DG = C0 + cY + I + X mY DG = (C0 + I + X) + (cY mY) DG = DA + (c m) Y
C0 + I + X ne dépendent pas du revenu, on les considère comme de la demande autonome
(DA). On trouve l’équilibre offre-demande à l’aide de la droite à 4 : il se situe au point E1.
Pour Keynes, il n’y a aucune raison pour que cet équilibre utilise tous les facteurs de production.
En effet, les entrepreneurs ont pris leurs décisions d’investissement à partir d’anticipations sur
l’évolution future de la demande. Comme il n’y a plus de mécanisme autoéquilibrant, l’équilibre
peut très bien être un équilibre de sous-emploi, ou un équilibre inflationniste (excès d’offre).
On verra que l’Etat peut alors intervenir en jouant sur le niveau de la demande autonome,
et principalement sur la demande intérieure (Consommation + Epargne).
B/ L’équilibre monétaire
Pour Keynes, à la différence des néoclassiques, la monnaie peut être désirée pour elle-
même (et pas comme seul instrument des échanges) : c’est ce qu’il nomme la préférence pour la
liquidité. Précisément Keynes s’intéresse au fait d’arbitrer entre la détention d’actifs financiers ou
la possession de monnaie.
En fait, la demande de monnaie dépend des motifs de détention de monnaie. Cet arbitrage
repose sur le motif de transaction et de précaution d’un côté, et le motif de spéculation de l’autre.
Motif de transaction : il s’agit du besoin de trésorerie des agents qui ont besoin de monnaie
pour leurs paiements.
Motif de précaution : il s’agit de la monnaie que les agents gardent de côté pour faire face à
des dépenses imprévues.
Dans ce premier cas, la demande de monnaie des agents dépend surtout de leur revenu : plus ils
sont riches, plus ils ont de forts besoins de trésorerie et plus ils mettent d’argent de côté pour s’en
servir à court terme. Le taux d’intérêt ne joue presque pas dans cette décision, et il n’y a pas
d’arbitrage en fait : les agents ont besoin de monnaie pour certains usages essentiels et cette
demande est une constante.
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Motif de spéculation : dépend des anticipations sur les évolutions futures du niveau des
titres. Plus les taux sont bas, plus la valeur des titres risque de chuter et mieux vaut
conserver de la monnaie que de faire des placements.
Le taux d’intérêt est la rémunération non pas de l’épargne mais de la renonciation à la détention
d épargne sous forme d’actifs liquides. Dans ce deuxième cas, la demande dépend du taux
d’intérêt sur le marché, mais encore plus du taux d’intérêt anticipé (ou de son évolution). Cette
demande est donc fluctuante puisqu’elle repose sur une incertitude majeure (le futur) et donc sur
les anticipations.
L1 est le niveau d’encaisses de transaction (et de précaution) dont ont besoin les agents,
quel que soit i. Si le revenu des agents augmente, la courbe de demande se déplace donc vers la
droite. A partir de L1, la demande dépend de i de façon décroissante. Quand le taux d’intérêt
atteint i2, les agents absorbent toute l’offre de monnaie sous forme liquide, car les taux sont trop
peu rémunérateurs (et les agents anticipent une baisse de la valeur des titres, qu’ils ne veulent pas
acheter on est dans le motif de spéculation). I2 est nommé le niveau de trappe à liquidité.
L’offre de monnaie, elle, est une constante qui est maîtrisée par les autorités monétaires.
On voit que l’augmentation de la quantité de monnaie en circulation peut faire baisser les taux
d’intérêt jusqu’à la trappe à liquidité et qu’ensuite cette baisse n’a plus d’effet (situation actuelle).
On peut alors comprendre que le marché monétaire a une influence sur le marché des
biens et services, ou que la sphère monétaire et la sphère réelle sont en relation (il n’y a pas
dichotomie, comme pour les néoclassiques les phénomènes monétaires n’ont pas d’influence
sur la production physique de biens et services). Par exemple, l’évolution des taux d’intérêt va
influencer l’investissement, donc le revenu et la production globale vont augmenter (par l’effet
multiplicateur) ce qui va modifier d’une part le niveau d’emploi, mais aussi la demande de
monnaie elle-même et donc le niveau des taux d’intérêt. Sphère réelle et sphère monétaire sont
bien imbriquées, la monnaie n’est plus neutre.
C/ L’équilibre sur le marché du travail
Pour Keynes, la demande de travail est une fonction décroissante du salaire réel : il ne conteste
pas le fait que le salaire réel doit être égal à la productivité marginale du travail.
En revanche, l’offre de travail est rigide à court terme, car il y a un plancher en dessous duquel
les salariés ne veulent pas qu’on diminue leur salaire nominal (notamment car ils comparent leurs
salaires entre eux). Le salaire réel moyen est donc une constante car tous les salaires évoluent en
même temps. Ce n’est qu’à partir du moment on est en plein-emploi que l’offre de travail
augmente avec le salaire, car si tous les actifs sont occupés, une hausse de la demande de travail
s’accompagne forcément d’une hausse du salaire d’équilibre qui crée elle-même une hausse de
l’offre de travail (notamment par appel à la population inactive).
Pour Keynes, le remède classique au chômage qui passe par une baisse des salaires a un effet
dépressif sur l’activi : en effet, les salaires sont un coût pour les demandeurs de travail mais
aussi un revenu pour les offreurs. Si on baisse les salaires, on déprime les revenus, donc la
demande et donc l’activité. L’effet multiplicateur peut même alors jouer à la baisse : moins de
production entraine moins d’activité qui entraine moins de revenus qui entraine moins de
demande et de production, ainsi de suite. Il est alors inefficace de baisser les salaires nominaux.
En revanche, pour Keynes, la hausse des prix peut permettre de baisser le salaire réel moyen et
de stimuler la demande de travail. C’est pourquoi il était favorable à l’inflation et pensait que les
salariés sont victimes d’une illusion monétaire en ne raisonnant que sur leur salaire nominal.
Pourtant, ce n’est pas l’inflation qui peut régler le problème du chômage car elle n’apparait qu’en
cas de pleine utilisation des facteurs de production, donc d’absence de chômage…
Seule une relance de l’activité peut stimuler la demande de travail : les gouvernements
peuvent y parvenir grâce à une politique monétaire couplée à la politique de relance budgétaire.
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III/ Les politiques macroéconomiques
A/ Les effets multiplicateurs
Dans quatre articles publiés dans le Times en 1933 (année une conférence économique
mondiale s’est réunie pour envisager des solutions à la dépression), Keynes expliqua que des
lancements d’emprunts nationaux pouvaient mettre fin à la crise, ce qui nécessitait selon lui
d’informer l’opinion sur le mécanisme du multiplicateur (inventé par Richard Kahn, un de ses ex-
étudiants et fidèle collaborateur à qui il écrivit : « J’espère ne faire aucune boulette j’aimerais
que vous soyez là pour regarder par-dessus mon épaule »).
Calcul du multiplicateur :
Variation du revenu
global
Variation de la
consommation
Variation de l’épargne
100
0,8 x 100 = 80
20
80
0,8 x 80 = 64
16
64
0,8 x 64 = 51,2
12,8
51,2
0,8 x 51.2 = 41
10.2
41
32,8
8,2
Etc.
Etc.
Etc.
Augmentation totale du revenu : 100 x (1/1-0,2) = 100 x 5 = 500 on a k = 5
Le multiplicateur d’investissement est en fait un multiplicateur de dépenses. On peut donc
en appliquer le principe à toute dépense publique : que l’Etat investisse 100 ou dépense 100 (en
rémunérations de fonctionnaires ou de fonctionnement de n’importe quelle administration y.c.
le budget de l’Elysée), le multiplicateur est le me. Si l’Etat baisse les impôts, on peut mettre en
évidence un multiplicateur fiscal, un peu moins élevé, puisque la première dépense de l’Etat n’a
pas lieu. Une baisse de 100 des impôts sera donc consommée et épargnée par les contribuables
sur plusieurs cycles successifs et le multiplicateur est donc c/(1-c).
Il est donc plus efficace pour relancer l’activité de dépenser plus que de réduire le déficit.
On peut enfin calculer le multiplicateur de budget équilibré (MBE) qui donne
l’augmentation de revenu due à une augmentation des dépenses (G) financée par une hausse
d’impôts (T). On pourrait penser que prélever 100 sur le revenu national pour réinjecter 100
dans le circuit a un effet neutre, or ce n’est pas le cas. Le revenu a bien augmenté de 100 au final,
le MBE étant égal à 1.
Y = (k. G) (c.k.T) -> Y = k. G (1-c) -> Y = [(1-c)/(1-c)]. G -> Y =G
ATTENTION : Si les capacités de production sont toutes utilisées, le multiplicateur ne jouera
pas : toute hausse de la demande ne pouvant être satisfaite par une hausse de l’offre, ce seront
les prix qui augmenteront. L’analyse keynésienne ne cherche pas à stimuler des économies en
bonne santé mais à sortir de l’équilibre de sous-emploi, dans lequel la demande globale est
inférieure à l’offre globale !
B/ Le modèle IS-LM
En avril 1937, John Hicks fait connaître le modèle IS-LM qui vise à synthétiser la pensée
keynésienne. Ce modèle macroéconomique sera très longtemps utilisé par les Etats pour étudier
les conséquences des politiques qu’ils envisagent de mettre en œuvre. Le principe est de
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représenter sur un mettre graphique le marché des biens et celui de la monnaie et de comprendre
comment ces deux équilibres influencent le niveau du revenu global et des taux d’intérêt (indiqués
en abscisse et en ordonnée).
La courbe IS s’appuie sur les fonctions d’épargne et d’investissement. La première dépend du
revenu alors que le deuxième dépend du taux d’intérêt. Comme il y a une identité entre
épargne et investissement, on peut égaliser les deux fonctions : S(Y) = I(i) dont on déduit une
corrélation (et pas une causalité directe) entre Y et i. Chaque courbe IS correspond donc à un
certain niveau d’Epargne/Investissement. Elle est décroissante puisque si le taux d’intérêt
diminue cela veut dire que l’investissement augmente ce qui fait augmenter le revenu. Plus la
courbe IS se déplace à droite, plus cela veut dire que l’on est dans une économie qui
investit/épargne beaucoup.
On peut retrouver la relation entre Y et i en partant de la définition du revenu national :
Y = C + I, à laquelle on ajoute G, les dépenses publiques, comme élément de la demande.
Conformément aux fonctions de consommation et d’investissement, on obtient :
Y = C0 + c.Y + b.i + G, dont on cherche à tirer i en fonction de Y
b.i = Y - C0 c.Y G -> b.i = Y (1-c) (C0 + G), avec C0 + G = DA, ne dépendant pas de Y.
ainsi, i = (1-c)/b .Y DA/b, ce qui est l’équation de IS, droite décroissante dont l’ordonnée à
l’origine est positive puisque b est négatif.
La pente de la droite IS est importante, car elle donne une idée de l’impact d’une baisse de
i sur l’augmentation de Y (ou inversement). Plus la pente de la droite est faible, plus une même
baisse de i provoque une hausse importante de Y. A l’aide de l’équation de la droite IS, on voit que
plus c et b sont élevés, plus le coefficient directeur de cette droite est faible (car (1-c)/b diminue
quand b et c augmentent). Economiquement, cela s’explique par le fait que si b est élevé, une
même baisse de i provoque une hausse importante de l’investissement (car I = b x i, c’est la
fonction d’investissement), qui va à son tour augmenter Y, puis C, puis de nouveau Y plusieurs fois
en raison du multiplicateur. Si c augmente, cet effet multiplicateur sera de plus en plus fort, car le
multiplicateur est égal à 1/(1-c).
La courbe LM va également donner tous les couples d’offre et de demande de monnaie qui
correspondent à des combinaisons de i et de Y. On sait que l’offre de monnaie est égale à la
demande de monnaie, cette dernière dépendant en partie du revenu (pour les motifs de
transaction et de précaution) et dans une autre partie du taux d’intérêt (pour le motif de
spéculation). Si M est l’offre de monnaie et L la demande, on peut écrire :
M = L1(Y)+L2 (i).
On en tire une relation entre Y et i pour un certain niveau d’offre et de demande de
monnaie. Si le revenu national augmente (le long de la courbe LM) on a besoin de plus de monnaie
et L1 augmente. Comme l’offre de monnaie reste la même, par construction de la courbe LM, cela
provoque une hausse du taux d’intérêt qui va réduire L2 (monnaie demandée pour motif de
spéculation), afin que la demande globale de monnaie reste égale à l’offre et que le marché de la
monnaie ne soit pas déséquilibré. La relation entre Y et i est donc croissante sur le marché
monétaire.
L’équilibre global peut être déduit des courbes IS et LM : il n’existe qu’une combinaison de i et
de Y qui assure l’équilibre simultané des deux marchés. Evidemment, il n’y a aucune raison que
ce point d’équilibre soit celui qui assure le plein-emploi des facteurs de production. Mais c’est un
point d’équilibre au sens où si on s’en éloigne, des forces nous y ramènent automatiquement.
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