Michel Ducharme
C. L'importance, l'originalité, la contribution et l’approche ou le cadre théorique
Ce programme se situe à la pointe des travaux en histoire intellectuelle en ce qu’il
s’inspire des plus récentes tendances dans l’historiographie du monde atlantique. Au-delà de
l’objectif qui consiste à examiner la période cruciale des années 1837-1867 en la resituant dans
le cadre atlantique, mon projet s’appuie sur la notion de la liberté plutôt que sur les idéologies, ce
qui lui donne beaucoup de flexibilité. En effet, l’approche idéologique implique l’étude de
structures de pensée, approche qui met en relief ce qui oppose les différentes idéologies et
groupements politiques, mais cache ce qu’elles partagent entre elles. Fondé sur le concept de
liberté, mon cadre d’analyse permet d’aller au-delà des groupes politiques (conservateurs et
réformistes) en faisant ressortir le fait que certains groupes défendant, des idéologies très
différentes, partageaient parfois des principes importants alors que d’autres, semblant
promouvoir le même genre de politiques, se basaient sur des principes très différents, voire
incompatibles. Ce projet est fortement susceptible d’enrichir l’historiographie canadienne et ce, à
un triple niveau : en proposant une réflexion théorique sur le concept de liberté, en repensant
l’histoire canadienne en dépassant les oppositions partisanes qui ne sont pas nécessairement les
plus utiles pour comprendre cette histoire, et en réintégrant les débats canadiens dans le cadre
atlantique.
La liberté : un nouveau cadre théorique
Si le paradigme des historiens du monde atlantique opposant « républicanisme » et
« commercialisme » constitue un bon point de départ pour réévaluer l’histoire canadienne à la fin
du XVIIIe siècle, son utilisation demeure problématique pour le XIXe siècle, compte tenu des
transformations idéologiques ayant eu lieu à la faveur des Révolutions atlantiques. Il importe
donc de le re-conceptualiser à partir d’un dénominateur commun, valable pour le XIXe siècle. Le
concept de liberté est ce dénominateur. Il me semble que le paradigme des historiens intellectuels
du monde atlantique gagne à être amendé, et surtout adapté pour le contexte canadien, à partir
des réflexions de Constant (1819), de Berlin (1958) et de Taylor (1978) qui opposent deux
formes de liberté : la liberté moderne et la liberté républicaine. En reformulant le cadre atlantique
à partir de la question de la liberté, j’élaborerai une nouvelle grille interprétative de l=histoire
canadienne opposant la liberté républicaine, fruit d=une relecture égalitariste de la théorie des
droits naturels basée sur une éthique de la vertu, la participation politique des citoyens ainsi que
la souveraineté du peuple, et la liberté moderne, idéal basé sur le respect de certains droits
individuels souvent réduits au triptyque « liberté, propriété, sécurité ».
La liberté comme concept intellectuel
Avec l’échec des rébellions en 1837, les défenseurs de la liberté moderne triomphe des
promoteurs de la liberté républicaine (Ducharme, 2007 et 2005; Harvey, 2005). Malgré cette
défaite, la conception républicaine de la liberté ne disparaît pas de la scène politique canadienne
avant les années 1870. Les Rouges du Canada-Est et la première génération des Clear Grits du
Canada-Ouest, souvent présentés comme des libéraux (Lamonde, 2000 et 1994; Romney, 1999;
Bernard, 1971), sont en fait des républicains, et les héritiers directs des patriotes bas-canadiens et
des radicaux haut-canadiens. Partant, il faut non seulement réévaluer l’importance de la liberté
républicaine au Canada, mais aussi celle du concept moderne de liberté, aussi bien dans sa forme
réformiste (Bédard, 2004; Monet, 1969) que dans sa forme tory (McNairn, 1996). Concrètement,
il s’agit de revisiter la transition survenue entre le patriotisme (basé sur l’idéal républicain de la
liberté) d’avant 1837 et le nationalisme canadien-français (qui accepte la liberté moderne)
d’après 1840 au Canada-Est, une transition qui, à ce jour, est demeurée en grande partie