LA THEORIE DES CYCLES REELS OU LA FIN DES POLITIQUES ECONO-
MIQUES ?
Les cycles économiques ont perturbé les économies de marché depuis les tous débuts de l'ère industrielle,
venant ponctuer la progression du niveau de vie dans les pays capitalistes de périodes de chômage pro-
noncé accompagné d'une faible croissance ou d'une véritable chute du niveau de vie moyen. C'est ce
schéma d'alternance d'expansion et de dépression que recouvre le terme de cycle économique.
Dans un article publié en 1986, Edward Prescott a soutenu de façon convaincante que les cycles écono-
miques de l'après-guerre aux États-Unis résultaient principalement des changements aléatoires du taux
de croissance de la productivité des entreprises( 1 ). Il montra que les reprises de l'activité économique
correspondaient à une augmentation supérieure à la moyenne de la productivité et les périodes de tasse-
ment à une augmentation inférieure à la moyenne de cette dernière.
Prescott remit en cause l'idée dominante selon laquelle des perturbations monétaires et financières se
trouvent à l'origine des cycles économiques, les reprises provenant de la rapidité inattendue de l'augmen-
tation de l'offre de monnaie tandis que la faiblesse de la croissance de cette offre, ou sa chute, engendre les
phases de dépression. Or, Prescott et ses collaborateurs ont fourni des preuves de l'occurrence de cycles
de ce type pendant la période d'après-guerre en l'absence de troubles monétaires et financiers.
John Long et Charles Plosser ont inventé le terme de cycles réels (real business cycle) pour décrire les
cycles économiques ayant pour causes immédiates des changements aléatoires de la productivité( 2 ).
L'aspect le plus contestable de cette théorie est sans l'ombre d'un doute ses implications en matière de
politique de stabilisation monétaire et budgétaire dans la mesure où elle n'accorde aucune importance
aux politiques de stabilisation existantes. Elle va même jusqu'à impliquer l'idée que certaines des mesures
mises en œuvre pour atténuer la sévérité de ces cycles sont susceptibles de s'avérer plus coûteuses que
bénéfiques.
Ces deux conclusions se trouvent en contradiction avec des opinions longtemps en vigueur. Elles choquent
de nombreux économistes qui en viennent purement et simplement à rejeter la théorie des cycles réels en
la tenant pour fausse. Mais il se trouve que cette théorie a résisté avec succès aux nombreuses objections
élevées contre elle( 3 ), ce qui fait que les macroéconomistes commencent à la prendre davantage au sé-
rieux.
Il est évident que les politiques de stabilisation sont de la plus haute importance pour les Réserves fédé-
rales. Il devient par là-même essentiel de comprendre les implications de politique économique de la
théorie des cycles réels dans la mesure où elle gagne du terrain auprès des économistes. Nous allons donc
la décrire brièvement avant de débattre de ses implications sur les politiques de stabilisation.
Les leçons à tirer de la théorie des cycles réels dans ce domaine sont plus subtiles qu'il n'y paraît au pre-
mier abord. Bien qu'elle ignore le rôle des politiques de stabilisation de la période d'après-guerre, sa réus-
site à expliquer les cycles économiques américains pourrait toutefois constituer le témoignage le plus
éclatant de l'efficacité de ces politiques. Dans le même temps cependant, les doutes qu'elle soulève con-
cernant la sagesse de certaines initiatives prises pour contrôler ces cycles peuvent s'avérer fondés.
Théorie des cycles réels : de quoi parle-t-on ?
La théorie des cycles réels se fonde sur les changements de la productivité pour expliquer les hausses et
les baisses cycliques de l'activité économique. Nous devons donc en premier lieu nous pencher sur la défi-
nition de la productivité et déterminer comment son évolution peut provoquer des périodes de prospérité
et de récession.
La production totale d'une économie peut se mesurer par la somme de la valeur ajoutée de l'ensemble de
ses entreprises. La valeur ajoutée trimestrielle d'une entreprise représente la valeur des biens et services
produits par cette entreprise pendant ce même trimestre diminuée de la valeur ajoutée des biens et ser-
vices achetés à d'autres entreprises et utilisés pour la production durant le trimestre concerné( 4 ). Il ap-
paraît clairement que la production totale est fonction du temps de travail des employés de ces entre-
prises et de la quantité de biens de production (machines ou bâtiments) impliqués dans le processus de
production.
La production totale pourrait toutefois varier également en fonction de l'évolution de l'efficacité des tra-
vailleurs et des équipements qui y contribuent. Supposons par exemple qu'un fabriquant de produits en
plastique mette au point une amélioration mécanique diminuant la déperdition de plastique, c'est-à-dire
permettant la production d'une même quantité de biens à partir d'une quantité moindre de plastique.
Dans ce cas, la valeur ajoutée pour tout montant donné d'heures de travail et tout niveau donné d'équi-
pement utilisé aura augmenté. Les économistes se réfèrent à ces changements de l'efficacité avec laquelle
travailleurs et équipement créent la plus-value en utilisant le terme de "productivité totale des facteurs"
(PTF).
Les principales causes des changements de la PTF dans le temps sont les améliorations technologiques
dans la production de biens et de services (comme dans l'exemple ci-dessus) ainsi qu'une meilleure quali-
fication des travailleurs. Mais d'autres raisons peuvent influer sur l'évolution de la PTF. L'invention et la
commercialisation de nouveaux produits la font par exemple augmenter au même titre que le baisse du
prix d'un facteur importé (comme le pétrole). Elle peut aussi baisser du fait d'une plus grande sévérité des
lois sur l'environnement ou d'une chute des rendements agricoles provoquée par une sécheresse( 5 ).
La théorie des cycles réels professe qu'un taux de croissance de la PTF supérieur à la moyenne implique
l'existence d'opportunités supplémentaires pour optimiser l'utilisation de la main-d'oeuvre et des ma-
chines. Pour exploiter cette aubaine, les entreprises font des investissements plus élevés que d'ordinaire
dans les bâtiments et les équipements et embauchent davantage de travailleurs. Le revenu supplémen-
taire engendré par la croissance supérieure à la moyenne de la PTF et par celle de la production due aux
investissements dans les bâtiments et dans l'équipement entraîne une hausse de la consommation. Des
variables macroéconomiques telles que la production totale, la consommation, l'investissement, et le
nombre d'heures de travail augmentent simultanément pour dépasser leurs tendances respectives sur le
long terme. En outre, toute croissance trimestrielle de la PTF supérieure à la moyenne tend à déborder
cette courte période, ce qui fait persister quelque temps la croissance des variables économiques. C'est
ainsi que la théorie des cycles réels explique les périodes de prospérité. Symétriquement, cette théorie
attribue les récessions à des trimestres successifs de croissance de la PTF inférieure à la moyenne.
Dans quelle mesure cette théorie se vérifie-t-elle ? Charles Plosser a calculé la valeur de plusieurs va-
riables macroéconomiques clés en se fondant sur des prévisions effectuées selon la théorie de 1954 à
1985 ( 6 ). Comme de bien entendu, la concordance entre la théorie et les faits n'est pas parfaite mais elle
s'avère remarquablement poussée. Finn Kydland et Edward Prescott ont calculé dans un article paru en
1991 que la théorie des cycles réels peut rendre compte de 70 % des fluctuations cycliques de la produc-
tion américaine d'après-guerre.
Pour résumer, cette théorie explique les cycles économiques à partir des fluctuations du taux de crois-
sance de la PTF. Elle expose bien le comportement cyclique des grandes variables macroéconomiques
américaines durant la période d'après-guerre. Elle n'offre toutefois pas une explication exhaustive de ces
cycles dans la mesure où elle laisse inexpliqués 30 % environ des fluctuations cycliques de la production
aux États-Unis.
La théorie de cycles réels signe-t-elle la fin des politiques de stabilisation ?
Quelles leçons peut-on tirer de la théorie des cycles réels en matière de politique macroéconomique de
stabilisation ? Un grand nombre d'économistes pense qu'elle implique la suppression des politiques exis-
tantes dont la nécessité ne se justifie plus. Cette conclusion est-elle vraiment juste ?
La théorie des cycles réels calcule simplement la réponse optimale aux variations aléatoires de la crois-
sance de la PTF pour un modèle économique semblable à l'économie américaine à d'importants égards.
Prescott a présenté ces calculs comme une prévision de la façon dont l'économie américaine se conduirait
réellement face à une croissance erratique de la PTF. Il a établi cette relation en invoquant un principe
économique général selon lequel la concurrence tend à produire des résultats économiquement opti-
maux( 7 ).
En d'autres termes, Prescott partit, pour les besoins de son analyse, de l'hypothèse qu'un modèle écono-
mique comportant des marchés parfaits, c'est-à-dire une économie modèle où tous les marchés sont hau-
tement compétitifs et fonctionnent sans heurts sans nécessiter de réglementation étatique, est assez re-
présentatif du fonctionnement réel de l'économie américaine. Une économie de marchés parfaits engen-
drant selon la théorie économique des résultats économiques optimaux, Prescott a simplement calculé la
réponse optimale de son économie modèle aux fluctuations de la croissance de la PTF et a considéré cette
réponse comme une prévision de la façon dont l'économie américaine réelle se comporterait face à ces
fluctuations. La concordance poussée entre ces prévisions et les faits prouve qu'il avait vu assez juste et
que d'une certaine façon, l'économie américaine réussit à reproduire une économie de marchés parfaits.
À force de répéter cette affirmation, les théoriciens des cycles réels ont entretenu l'impression que celle-ci
rend caduques les politiques de stabilisation. Or, les marchés parfaits conformes aux théories écono-
miques n'existent pas dans le monde réel. Les résultats économiques auxquels on compare les prévisions
de la théorie des cycles réels proviennent d'une interaction de marchés imparfaits et d'un large éventail
de lois, réglementations, mesures et habitudes qui aident ou empêchent le fonctionnement de ces mar-
chés. La grande question soulevée dans ce domaine par la théorie des cycles réels est donc de savoir si les
politiques de stabilisation de l'après-guerre ont aidé l'économie américaine à atteindre un comportement
cyclique proche de l'optimum ou si elles y ont fait obstacle.
Une question de ce genre ne peut rester longtemps sans susciter de réponse, laquelle survint dans un
compte rendu du livre de Milton Friedman et d'Anna Schwartz, A Monetary History of the United States,
1867-1960( 8 ), à l'occasion du trentième anniversaire de sa parution. L'auteur en était Robert E. Lucas Jr.,
un des principaux tenants de l'approche monétaire des cycles économiques et récent lauréat du prix No-
bel d'économie. Lucas saisit cette occasion pour retracer l'importance de ce livre quant aux développe-
ments ultérieurs de la macroéconomie et vers la fin de son compte rendu, il évaluait la théorie des cycles
réels à la lumière de A Monetary History.
Contrairement à d'autres critiques de la théorie des cycles réels, Lucas en accepte la conclusion centrale, à
savoir que les chocs de PTF peuvent conduire à "une variabilité de la production d'une amplitude sensi-
blement semblable à celle observée aux États-Unis dans la période d'après-guerre" et peuvent expliquer
de façon réaliste le comportement des autres variables. Point capital, il réconcilie cette conclusion avec les
leçons du livre de Friedman en notant qu'on peut penser de la théorie des cycles réels qu'elle fournit "une
bonne approximation des événements lorsque la politique monétaire est bien menée et une mauvaise
dans le cas contraire". Il poursuit : "Vu sous cet angle, le succès relatif de la théorie quant à l'explication de
l'expérience de la période d'après-guerre peut simplement s'interpréter comme une preuve que la poli-
tique monétaire de cette époque a induit un comportement proche de l'efficacité et non comme une
preuve que la monnaie n'entre pas en ligne de compte". Plus simplement, l'argument de Lucas est que,
puisque la théorie des cycles réels peut expliquer les cycles économiques de l'après-guerre sans invoquer
les perturbations monétaires et financières, la politique monétaire après 1946 a dû se montrer plus effi-
cace que celle de la période d'avant-guerre étudiée par Friedman et Schwartz.
Cette réconciliation opérée par Lucas de la théorie des cycles réels et de l'histoire monétaire américaine
suggère la réponse suivante à la question posée plus tôt sur l'aspect positif ou négatif de l'impact des poli-
tiques de stabilisation sur l'économie américaine : l'économie américaine de l'après-guerre peut imiter
une économie de marchés parfaits en partie parce que la politique monétaire et les autres politiques de
stabilisation après 1946 ont empêché l'instabilité monétaire et financière de dominer les fluctuations de
l'activité. Il est toutefois possible qu'au lieu de guider l'économie américaine vers un comportement opti-
mal, ces politiques aient été à l'origine de l'écart entre le comportement réel et le comportement optimal.
Pour soutenir de manière convaincante que les politiques de stabilisation de l'après-guerre ont eu un
impact positif, nous devrions donc également expliquer la façon dont elles ont amélioré le comportement
cyclique de l'économie et fournir des preuves que tel a bel et bien été le cas.
Marchés financiers et politiques de stabilisation
Le cadre légal et réglementaire, dans lequel s'inscrivent les politiques de stabilisation de l'après-guerre,
date des années qui ont suivi la crise de 1929, dont l'occurrence désastreuse a incité à l'adoption de me-
sures réglementant de nombreux secteurs de l'économie américaine. Les politiques les plus pertinentes en
matière de neutralisation des cycles économiques concernent les marchés bancaires et financiers.
Les marchés financiers ont historiquement témoigné d'une tendance à réagir de façon disproportionnée à
une détérioration des conditions de l'activité économique. En période de récession, les intermédiaires
financiers ont coutume de rendre plus strictes leurs conditions de crédit et les investisseurs peu portés
sur les risques de convertir leurs actions et leurs obligations en argent liquide et en valeurs de l'État.
Ces réactions réduisent le montant du crédit consenti au secteur privé non financier et font monter les
taux d'intérêt des prêts. Le resserrement du crédit ne provoque généralement pas de catastrophe finan-
cière importante malgré des cas de faillites d'entreprises (et de ménages). Ces faillites peuvent cependant
s'avérer nombreuses si cette restriction est sévère et causer à leur tour celles d'intermédiaires financiers,
entraînant un resserrement accru du crédit et un nombre plus élevé de faillites. Cette spirale de resserre-
ment du crédit et de faillites mène à une crise financière, avec pour conséquence de bas niveaux de pro-
duction, des chiffres élevés de chômage et un très faible niveau d'investissement.
Les raisons pour lesquelles un ralentissement de l'activité se mue en une crise financière pleine et entière
restent en partie obscures mais il est évident que le pessimisme des investisseurs joue un grand rôle dans
ce processus. Si un nombre suffisant de personnes pense qu'une phase de contraction de l'activité est sur
le point de dégénérer en crise financière et agit en conséquence, cette crise se matérialisera bel et bien.
Les investisseurs, redoutant une crise financière, peuvent retirer suffisamment d'argent liquide auprès
des banques et des autres établissements de dépôt pour aller jusqu'à conduire des instituts financiers
sains à se trouver à court de liquidités et à faire faillite. De plus, une économie qui subit une crise finan-
cière tend à devenir plus vulnérable à ce type de crise du fait de la réaction de peur des investisseurs de-
vant chaque ralentissement de l'activité, ce pessimisme et ces craintes faisant plus souvent dégénérer des
ralentissements en crises. Face à ce type de situation, des mesures de stabilisation peuvent restaurer la
confiance des investisseurs quant à la capacité des marchés financiers à résister à ces phases de tasse-
ment.
Trois mesures de ce type ont été mises en place à cette fin aux États-Unis. La première consiste en une
assurance fédérale protégeant les comptes bancaires, ou ouverts auprès d'autres instituts financiers, à
concurrence de 100 000 dollars( 9 ). Cette assurance protège les petits déposants des faillites bancaires et
fait disparaître leur incitation à retirer leur dépôt en cas de repli de l'activité ou lors de toute autre pé-
riode, ce qui bloque un des canaux favorisant le resserrement du crédit sur une grande échelle.
La deuxième mesure consiste en l'engagement de la Réserve fédérale de jouer le rôle de "prêteur en der-
nier ressort" lorsque certains événements menacent de précipiter une crise. Il s'agit généralement d'évé-
nements pouvant affecter gravement les prêts contractés par le système bancaire. C'est dans ce type de
situation que la Réserve fédérale prête en dernier ressort en consentant des prêts permettant à des insti-
tuts financiers, à court de liquidités mais solvables, d'honorer leurs obligations. Lors du crack boursier de
1987 par exemple, la Réserve fédérale a mis davantage de crédit à la disposition du système bancaire
jusqu'à ce que la crise soit passée. Cette politique empêche une "ruée" sur les dépôts non assurés auprès
des banques et bloque ainsi un second canal pouvant permettre le resserrement du crédit sur une grande
échelle.
Enfin, la politique de taux d'intérêt de la Réserve fédérale contribue également à prévenir les crises finan-
cières. En augmentant les taux d'intérêt et en ralentissant l'expansion des dettes pendant les périodes de
prospérité, cette mesure permet aux banques et aux investisseurs d'avoir à opérer un resserrement moins
draconien du crédit lors de la phase suivante de contraction. Et en baissant les taux d'intérêt lorque la
conjoncture s'inverse, la Réserve fédérale facilite le paiement des intérêts sur les emprunts des entre-
prises et des ménages, réduisant ainsi le nombre de faillites.
En résumé, les politiques monétaires et bancaires de la période d'après-guerre ont eu pour but d'empê-
cher les marchés financiers d'amplifier les effets tant des ralentissements économiques que des perturba-
tions financières (comme les cracks boursiers) qui les précèdent souvent. La question se pose ensuite de
savoir dans quelle mesure elles ont eu une action bénéfique. La théorie des cycles réels tend à conclure à
leur efficacité dans la mesure où elle élimine les perturbations monétaires et financières comme facteurs
d'explication des cycles économiques de l'après-guerre. Nous avons toutefois également des preuves plus
directes de leurs effets bénéfiques lorsque nous observons que les cycles antérieurs à 1941 présentent
une instabilité financière et des fluctuations de la production plus fortes que celles de la période d'après-
guerre.
La théorie des cycles réels à l'épreuve des faits avant et après la Deuxième Guerre mondiale
Les spécialistes ayant étudié l'évolution des cycles économiques aux États-Unis trouvent d'importantes
différences entre ceux des périodes suivant et précédant le deuxième conflit mondial. En premier lieu, les
crises financières accompagnaient plus fréquemment les ralentissements économiques avant 1941. Dans
un livre écrit en 1992 sur les cyles économiques, Victor Zarnowitz enregistre sur quinze cycles, de 1870 à
1927, quatre crises financières survenant lors des périodes de contraction de l'activité, auxquelles vien-
nent s'ajouter les deux crises financières ayant eu lieu lors de la phase de contraction du cycle de no-
vembre 1927 à mars 1933. De manière générale, les ralentissements de l'économie accompagnés de crises
financières étaient avant 1941 plus prononcés que ceux n'ayant pas donné lieu à ces crises. En revanche,
lors des soixante-six ans qui se sont écoulés depuis 1933, les États-Unis n'ont eu à subir aucune crise fi-
nancière du style de celles d'avant-guerre( 10 ).
En second lieu, lors des périodes de dépression, les déposants tendent à augmenter leurs liquidités de
même que les banques tendent à augmenter leurs réserves en liquidités tout en accordant moins de prêts.
Ce recours aux liquidités des déposants et des banques se reflète dans la baisse du rapport des prêts ban-
caires à la base monétaire (la somme de monnaie détenue par le public et les réserves bancaires) pendant
les périodes de ralentissement. Ce ratio devrait de toute évidence être bien plus instable lorsque le sys-
tème financier est enclin aux crises que dans le cas contraire, la crainte d'une crise et la fin de cette crainte
devant le faire plonger et grimper successivement. Il apparaît de fait que la volatilité cyclique de ce ratio
était bien plus accentuée avant la Seconde Guerre mondiale ( 11 ). Il en va de même pour l'offre de mon-
naie aux États-Unis dont le ratio des prêts bancaires et de la base monétaire est un déterminant important
( 12 ). Dans l'ensemble, le contrôle monétaire cyclique a été plus performant depuis la guerre que dans la
période précédente ( 13 ).
La baisse de la volatilité de l'offre de monnaie s'est-elle accompagnée d'une baisse de la volatilité de l'acti-
vité économique américaine ? Il semble que ce soit le cas. Les fluctuations cycliques du produit national
brut (PNB) des États-Unis témoignent également d'une réduction spectaculaire de sa volatilité à partir de
1946 ( 14 ). Il existe de plus une forte corrélation entre les mouvements à la hausse et à la baisse de l'offre
de monnaie dans la période d'avant-guerre et les mêmes mouvements du PNB( 15 ). Ceci tendrait à faire
accréditer l'idée que l'instauration d'un meilleur contrôle monétaire a joué un rôle décisif dans la baisse
de volatilité du PNB dans la période d'après-guerre aux États-Unis.
Bien que Lucas et d'autres économistes aient raison de souligner l'importance d'un recours à de meil-
leures politiques monétaires, il ne faut pas en penser pour autant que la totalité de la baisse de la volatilité
du PNB soit à attribuer à un contrôle monétaire plus performant. D'autres éléments des politiques de
stabilisation de l'après-guerre, notamment divers programmes de "maintien des revenus" ont probable-
ment également contribué à cette diminution. L'assurance contre le chômage (qui n'existait que dans un
nombre limité d'États avant 1930 mais s'était étendue à plus de la moitié de la population civile à la fin
des années quarante) et la progressivité de l'impôt (qui diminue le taux de l'impôt sur le revenu des mé-
nages subissant une baisse de leurs revenus) ont probablement contribué à réduire la volatilité de la pro-
duction en soutenant la demande de biens et de services pendant les périodes de tassement de l'activité(
16 ).
Faut-il adopter de nouvelles politiques de stabilisation ?
Les politiques de stabilisation les plus efficaces sont celles qui réduisent, sinon éliminent, les variations
aléatoires de la croissance de la PTF, cause majeure de l'existence des cycles économiques. Ces mesures
auraient pour effet d'améliorer le bien-être général dans la mesure où l'on privilégie généralement un
environnement économique stable.
Les économistes et les hommes politiques ne connaissent malheureusement pas de recette infaillible pour
procéder à l'élimination de ces fluctuations. Leur marge d'action se situe en aval dans l'adoption de me-
sures amortissant les chocs qu'elles engendrent. Or, chose surprenante, la théorie des cycles réels a pour
implication que ces mesures de protection pourraient être à l'origine d'un appauvrissement plutôt que
d'une amélioration du bien-être général.
Pour en comprendre la raison, supposons qu'on promulgue des mesures dissuadant les entreprises
d'augmenter leur taux d'investissement pendant les périodes de croissance supérieur à la moyenne de la
PTF et les encourageant à maintenir un taux élevé d'investissement pendant les périodes de croissance de
la PTF inférieur à la moyenne. En forçant les entreprises à investir de façon plus régulière, ces mesures
auront pour conséquence de réduire les fluctuations aléatoires de la consommation, du nombre d'heures
de travail et de la production. Elles auront cependant pour conséquence d'entraîner une perte de produc-
tion dans la mesure où elles découragent les investissements dans les moments d'emballement de la PTF
et elles les encouragent dans le cas contraire( 17 ). Elles n'amélioreraient donc le bien-être général que si
les avantages procurés par cet accroissement de stabilité dépassaient la valeur de ce manque de produc-
tion.
Il faut néanmoins se rappeler que selon la théorie des cycles réels, les personnes et les entreprises ajus-
tent le montant de leurs investissements et des heures de travail de façon à ce que la valeur de la produc-
tion perdue - en ne répondant pas plus agressivement aux fluctuations de la PTF - soit compensée par les
effets bénéfiques de la stabilité qui en résulte des niveaux du revenu, de la consommation et du nombre
d'heures de travail. En d'autres termes, les sentiers de la production et l'investissement, "prédits" selon
les graphiques 1 et 2, constituent d'après la théorie les réponses optimales de l'économie américaine aux
chocs de la PTF. La réponse optimale exigeant d'importantes fluctuations de l'investissement réel, des
mesures tentant de lisser ces dernières diminueront le bien-être général dans la mesure où la valeur de la
production perdue sera supérieure aux effets bénéfiques d'un accroissement de stabilité.
Plus généralement, la ressemblance entre les cycles économiques réels et optimaux implique que ce soit
sur l'atténuation des fluctuations aléatoires du taux de croissance de la PTF qu'il faille jouer pour progres-
ser dans la réduction des effets pervers de ces cycles. Il est peu probable qu'on parvienne à améliorer le
bien-être économique général en ne faisant que protéger l'économie contre ces variations parce que les
personnes et les entreprises semblent apporter à ces changements aléatoires une réponse proche de l'op-
timum.
Il est cependant possible que les politiques de stabilisation puissent réduire ces fluctuations de la crois-
sance de la PTF. Certains chercheurs ont par exemple soutenu que les faillites bancaires lors de la crise de
1929 ont pu provoquer la chute de la PTF en accroissant les difficultés de production des entreprises. La
politique monétaire pourrait ainsi avoir des effets directs sur les fluctuations de la PTF. Aucun modèle
économique convaincant n'a toutefois été élaboré pour démontrer cette éventualité. Jusqu'à ce que nous
disposions d'un tel modèle, la remise en question par Prescott de l'utilité de politiques supplémentaires de
stabilisation mérite d'être prise en compte.
( 1) Edward Prescott est professeur d'économie à l'université de Chicago et consultant de longue date pour la recherche
auprès de la Réserve fédérale de Minneapolis. Ces idées sont déjà en germe dans un article écrit avec Finn Kydland en
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