les nouvelles theories de l`entreprise

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LES NOUVELLES THEORIES DE L’ENTREPRISE
B. CORIAT ET O. WEINSTEIN
Chapitre premier
FIRME POINT, FIRME INSTITUTION, FIRME
ORGANISATION
1°) La firme néo-classique et ses paradoxes
Les hypothèses de base du modèle micro-économique standard réduisent la firme à une
simple fonction de production. Les contradictions qui en résultent, en particulier le
traitement du collectif comme un seul et même agent, contraire à l’individualisme
méthodologique (IM), ont amené dans les années 30 une remise en cause du modèle
(théories de la concurrence imparfaite). Une contestation plus radicale porte sur la conception
micro de la firme comme un agent individuel parfaitement passif, négligeant le rôle de
l’entrepreneur, auquel des économistes hétérodoxes attribuent trois fonctions essentielles :
une fonction d’innovation ou de création (l’entreprise cherche à agir sur son environnement
(Schumpeter)), une fonction d’acquisition et d’exploitation de l’information (Hayek) et une
fonction d’organisation et de coordination de la production (Liebenstein) ; ces trois
conceptions sont évidemment en contradiction avec les hypothèses néo-classiques de base.
2°) Dépassements et ruptures
Dès 1933 avait été mise en avant la scission au sein de l’entreprise entre propriétaires et
dirigeants, ces derniers contrôlant effectivement l’entreprise et ne cherchant pas
nécessairement à maximiser le profit de l’entreprise (fonction utilité des propriétaires), mais
leur propre fonction utilité (Berle et Means). Baumol formule en 59 une thèse selon laquelle
celle-ci les pousse à maximiser les ventes globales ou le taux de croissance de la firme plutôt
que son taux de profit. Une telle hypothèse permet d’expliquer le mouvement de
concentration des entreprises.
H. Simon met au point une nouvelle conception de la rationalité, en faisant des
comportements un objet d’étude en lui-même et non, comme chez Friedman, un simple
moyen de la théorie des marchés et des prix. Il prend en compte l’incertitude et
l’information imparfaite des agents, ainsi que les limites de leurs capacités de calcul, qui
ne leur permettent pas de passer en revue toutes les actions possibles, et enfin
l’interdépendance des agents, qui prennent leurs décisions en anticipant les actions des
autres (comportements stratégiques). Cette rationalité « procédurale » ou « limitée »
s’oppose à la rationalité substantive classique en ce qu’elle porte sur les procédures de
décision et non les résultats, et considère les objectifs et les moyens comme à déterminer et
non comme donnés. Il en résulte la recherche non d’une maximisation mais de la satisfaction
d’un niveau d’aspiration, qui se traduit par l’étude d’un certain nombre d’alternatives, le
processus cessant dès qu’est atteint le niveau de satisfaction attendu, niveau qui peut être
révisé en fonction de l’expérience du sujet. La théorie de Simon présente en fait la firme
comme un palliatif aux limites de l’individu, la division du travail au sein du processus de
décision permettant une meilleure gestion.
L’ouvrage de Cyert et March, A Behavoural Theory of the Firm (1963) va contribuer de
manière décisive à l’abandon de la représentation de la firme-point walrassienne ; en
effet, ces auteurs présentent la firme comme une coalition de groupes dont les intérêts
convergent mais dont chacun manœuvre pour son compte propre. Par conséquent, des buts
intermédiaires complètent les objectifs généraux de la firme, et sont l’objet de négociations
1
entre les différents groupes, ce qui entraîne un « relâchement organisationnel », les dirigeants
ayant besoin d’un « budget discrétionnaire », monétaire et non monétaire, pour faire accepter
par les différents groupes les objectifs fixés pour la firme.
Liebenstein de son côté part du constat que des entreprises disposant de ressources
équivalentes parviennent à des résultats très divers pour mettre en évidence un nouveau type
d’efficience, pas seulement « allocative » (consistant en l’allocation des ressources), mais qui
dépend de la qualité de l’organisation interne à la firme, « facteur X », qui détermine
l’intensité d’utilisation des facteurs de production (en particulier le travail) ; l’état normal de
l’entreprise est donc sous-optimal, contrairement à ce qu’affirme la théorie standard, en
conséquence d’une certaine « inefficience X », et les contrats et conventions, explicites ou
implicites (le contrat de travail en particulier étant nécessairement incomplet) jouent un rôle
essentiel ; la firme est dans cette perspective une organisation bien plus qu’une simple
combinaison de facteurs.
Chandler enfin effectue une mise en perspective historique de la firme moderne, que l’on
peut avec lui définir comme un ensemble intégré d’unités fonctionnelles et
opérationnelles, administré par une hiérarchie managériale à plusieurs niveaux. Sa
fonction principale est d’assurer la coordination des activités et des flux de ressources, ce qui
se traduit par le rôle croissant en son sein de l’appareil administratif. Elle se distingue du
marché en substituant la coordination administrative à la coordination marchande, et de la
fédération en reposant sur un système hiérarchique et un contrôle centralisé. Chandler
souligne l’influence sur la forme de la firme des conditions de production et de distribution
(passage à la consommation de masse) ; il distingue deux formes successives de firmes,
forme U (unitaire : centralisée, cloisonnée) et forme M (multidivisionnelle : divisions
autonomes spécialisées par produit ou par région, supervisées par une direction générale qui
assure la coordination), permettant intégration verticale (prise de contrôle des différents stades
de la production et de la distribution d’un produit) et diversification. Les formes de propriétés
et de contrôle, ainsi que les modes de relations inter et intra-firme jouent également d’après
lui un rôle essentiel. La firme moderne est donc dans ce cadre une institution complexe,
qui s’est imposée au fil du temps par son efficience dynamique, à travers les
métamorphoses de ses formes organisationnelles.
3°) Conclusion : quelques clés de lectures
[Pour ce qui est de la clé historique, je pense que le mieux est de se reporter directement au
bouquin.]
Deux problématiques sont transversales dans les débats théoriques actuels sur la firme. La
première est : pourquoi existe-t-il une firme, c’est-à-dire une forme d’organisation distincte
du marché ? Deux types de conceptions s’opposent, les uns voyant la firme comme destinée à
réduire les coûts de transactions qui existent sur le marché (Coase, Williamson,
néoclassiques), les autres la pensant comme un espace de production et de création de richesse
et d’innovation (Marx, Schumpeter, Chandler, régulationnistes).
La seconde est : comment caractériser la firme en tant qu’organisation et/ou
institution ? La firme entendue comme organisation est le lieu de coordination d’agents :
« les organisations sont des systèmes d’actions coordonnées entre individus et groupes dont
les préférences, l’information, les intérêts et les savoirs diffèrent. Les théories de
l’organisation décrivent la conversion du conflit en coopération, la mobilisation des
ressources et la coordination des efforts qui facilitent la survie simultanée d’une organisation
et de ses membres » (March et Simon). La conception de la firme comme institution prend en
compte ces dimensions, mais place également la firme dans un contexte social et une
perspective historique.
2
Chapitre second
DE COASE A WILLIAMSON : FIRME ET COUT DE
TRANSACTION
1°) Coase et l’établissement de nouveaux fondements
Dans les années 30, D. H. Robertson remarque qu’au milieu d’un « océan de coopération
inconsciente » (le marché, régi par la main invisible et donc le système des prix) existent des
« îlots de coopération consciente » (les firmes, régies par une hiérarchie et les décisions de
l’entrepreneur, et qui se caractérisent donc par la suppression de la régulation par les prix) ;
une fois établie cette distinction, il s’agit d’expliquer pourquoi il y a deux formes
économiques de coordination et comment s’effectue l’arbitrage entre l’une et l’autre. Coase
répond à la première question par la mise en évidence de coûts de marché (coût de la
découverte des prix adéquats + coût de négociation des contrats, d’autant plus élevé que les
contrats sont ponctuels et donc nombreux) ; à l’inverse, l’organisation des transactions
internes a aussi un coût, qui croît avec la taille de la firme. En mettant l’accent sur les
transactions, Coase réfute une conception technologique de la firme, qui met l’accent sur
la firme comme lieu de production. Il a en outre une conception hiérarchique de la firme
(où s’exerce une relation d’autorité), qui contribue à faire de l’existence de relations à long
terme un attribut essentiel de la firme.
2°) La constitution du nouveau corpus : Williamson
Williamson va pousser plus avant l’analyse de Coase en terme de coûts de transaction, en
reprenant des analyses développées par d’autres penseurs : le choix de la transaction comme
unité fondamentale de l’analyse économique (Commons) ; la théorie de la rationalité limitée
(Simon) ; l’importance primordiale de l’information (Arrow) ; et enfin l’importance des
innovations organisationnelles (Chandler), ainsi que des contrats. Il passe d’une vision
binaire (la firme opposée au marché) à une théorie des « arrangements institutionnels »
décrivant les diverses formes intermédiaires possibles entre firme et marché.
Williamson cherche à refonder la théorie de l’entreprise en partant de l’individu. Pour
cela, il définit tout d’abord des hypothèses de comportement jugées réalistes : la rationalité
limitée, d’une part, qui entraîne de manière nécessaire l’incomplétude des contrats ; et
consécutivement l’existence de comportements opportunistes (résultant de l’asymétrie
d’information, pouvant s’exercer ex ante ou ex post, et posant le problème de la sélection
adverse et du risque moral). Ensuite, il analyse les différentes formes de transactions,
caractérisées par le degré de spécificité des actifs (le fait qu’un investissement en vue d’une
production donnée soit plus ou moins facile à réutiliser dans le cadre d’un autre type de
production), le degré d’incertitude (qui résulte davantage des comportements stratégiques des
autres agents que de l’environnement naturel), et la fréquence des transactions.
Ceci posé, Williamson explique l’arbitrage entre les différentes formes institutionnelles
(de coopération) par le choix de celle qui minimise les coûts totaux (de production, qui sont
toujours plus faibles sur le marché, ET de transaction, qui varient en fonction des trois
facteurs évoqués ci-dessus). Il distingue trois types de contrats : classique (ponctuel, sans
incertitude), néo-classique (lorsqu’une relation à long terme soumise à une incertitude forte
impose le recours à un tiers pour arbitrer les conflits), et personnalisé (des liens durables et
complexes poussent à l’établissement de normes construites au fur et à mesure de la relation).
A un niveau d’incertitude donné (en l’absence d’incertitude, le marché est toujours
préférable), Williamson va donc, en considérant deux niveaux de fréquence et trois niveaux
de spécificité de l’investissement, établir les procédures d’arbitrage entre les différentes
formes institutionnelles : le contrat classique est préféré pour une faible spécificité, alors
qu’une forte spécificité entraîne soit un contrat de type néo-classique (faible fréquence) soit,
3
dans le cas de transactions fréquentes, une structure bilatérale (sous-traitance, partenariat),
voire l’intégration, qui permet une adaptation continue des relations entre les partenaires, sans
nécessiter la renégociation d’un contrat à chaque fois. [cf. tableau p. 61]
Pour Williamson, l’intégration verticale s’explique ainsi par le fait que dans certains cas
(investissements spécifiques) l’économie réalisée en termes de coûts de transactions grâce au
choix de la firme est supérieure à celle effectuée sur les coûts de production qu’aurait permise
le recours au marché. La limite de cette logique réside toutefois dans le fait que le choix de
l’organisation entraîne des coûts bureaucratiques mais surtout une perte de force incitative :
les agents intégrés sont moins incités à produire à un niveau optimal que les agents soumis à
la concurrence sur le marché.
Williamson reprend en outre l’analyse de Chandler en terme de forme U et forme M, à
laquelle il ajoute une forme H (holding) ; la supériorité de la forme M sur la forme U
s’expliquant par le fait qu’elle réduit les interactions et la circulation d’information entre les
divisions ; et sa supériorité sur la forme H (dont elle se distingue par l’existence d’une
direction générale) par le fait qu’elle permet de réduire les conséquences de l’opportunisme
des managers par la mise en place d’un système de contrôle et d’incitations global, faisant
converger les objectifs des différentes divisions (qui sinon tendent à poursuivre des sousobjectifs propres).
3°) Une évaluation
C’est donc d’une approche en terme d’échanges qu’il s’agit, qui se veut institutionnaliste
mais réduit les institutions à des systèmes de contrats. Elle participe d’un courant qui vise
à rendre plus réaliste les hypothèses de base de l’économie, tout en conservant le principe
d’IM. On peut reprocher à Williamson l’hypothèse d’opportunisme, le développement actuel
des structures bilatérales prouvant qu’il peut aussi s’établir des relations de confiance entre
partenaires économiques, et surtout de ne pas prendre en compte toutes les conséquences de
l’hypothèse de rationalité limitée, puisque le choix de la forme d’organisation s’effectue pour
lui après un calcul de maximisation (qui nécessite donc une rationalité parfaite) ; enfin, on
peut critiquer le fait que dans la théorie des coûts de transaction, la technologie soit
considérée comme donnée, alors qu’elle interagit avec l’évolution des formes
institutionnelles (la mise en exergue de l’influence du choix de la forme institutionnelle sur
les coûts de transaction amène à négliger son influence sur les coûts de production).
Chapitre III
DROITS DE PROPRIETE ET RELATION D’AGENCE
LA NOUVELLE ORTHODOXIE NEO-CLASSIQUE
La théorie néo-classique qui se développe à partir des années 70 vise à prendre en compte
les critiques d’inspiration marxiste et institutionnaliste, notamment la réfutation de la « firmepoint » et la mise en évidence d’une information incomplète, tout en conservant les
hypothèses de base de la micro, à savoir la rationalité substantive, la stabilité des préférences
et une analyse basée sur la méthode de l’équilibre. Il s’agit alors d’expliciter la nature des
relations entre les membres de la firme et leurs positions respectives. Pour cela, deux
théories sont mises au point : la théorie des droits de propriété et la théorie de l’agence.
1°) La théorie des droits de propriété
La théorie standard considérait la structure des droits de propriété comme un donné ; il s’agit
pour les néo-classiques d’affiner l’analyse et de voir quels sont les différents systèmes de
droits de propriété et comment ils agissent sur le comportement des individus. Pour cela, un
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droit de propriété est défini comme un droit socialement validé à choisir les usages d’un
bien économique. Un droit de propriété privé se caractérise en ce qu’il est attribué à un
individu et aliénable. L’intérêt économique des droits de propriété est qu’ils sont des facteurs
d’incitation à la création et à la valorisation d’actifs. Ainsi, l’établissement de droits de
propriété permet d’internaliser des externalités, et donc de restaurer l’efficacité du marché ; ils
sont cependant le plus souvent incomplets, toujours parce que les agents ne disposent que
d’une information incomplète.
Les trois grandes catégories de droit qu’un agent peut exercer sur un objet (usage,
exploitation, cession) permettent de définir plusieurs types de droits de propriété (privée,
communale, collective, mutuelle, publique) mais aussi de poser l’hypothèse de séparabilité
des droits de propriété (deux agents différents peuvent avoir l’un le droit d’usage et l’autre le
droit d’exploitation), dont on considère en outre qu’ils sont partitionnables (différents agents
peuvent exercer leur droit sur un actif) et aliénables (ils peuvent être échangés).
Une forme organisationnelle est alors considérée comme établissant une certaine structure de
droits de propriété, dont il s’agit d’expliquer le choix. Dans le cas de la firme, il s’agit de
combiner les avantages de la spécialisation et un système de contrôle et d’incitation. Tout
d’abord dans le cas de la firme capitaliste classique (Alchian et Demetz), qui repose sur un
travail en équipe dans lequel il est difficile d’évaluer l’apport marginal de chaque agent.
Il est alors tentant d’adopter une stratégie de free rider, ce qui ne peut être évité que grâce au
choix d’un moniteur qui contrôle le travail des agents. Pour cela, on lui donne droit de
contrôle sur le travail des agents, mais aussi droit exclusif à passer et à renégocier des contrats
avec les agents, ainsi que le droit de céder (vendre) sa place ; surtout, pour assurer que luimême n’est pas free rider, on en fait un « créancier résiduel », c’est-à-dire qu’il perçoit le
rendement résiduel (ce qui reste une fois que tous les facteurs de production ont été
rémunérés) ; il possède en outre un droit de contrôle résiduel (il prend les décisions
concernant les utilisations de l’actif qui ne sont pas explicitement spécifiées (ou interdites) par
le contrat), d’autant plus important que les contrats sont incomplets. Ce système permettrait
de répondre aux exigences du travail en équipe de manière efficiente, cette efficacité étant
bien sûr perdue dans le cas d’une entreprise publique ou autogérée…
L’existence de grandes sociétés par action, loin de remettre en cause les principes de la
propriété privée comme le prétendaient Berle et Means, permet pour les néo-classiques
d’exploiter au maximum la possibilité de partitionner et d’aliéner ces droits, et d’augmenter la
division du travail entre ceux qui exercent le droit de prendre des décisions et ceux qui
assument les conséquences ces décisions en terme de valeur d’échange.
2°) Un essai de reformulation générale : la théorie de l’agence
Le problème de la relation d’agence (définie en 76 par Jensen et Meckling : contrat par
lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l’agent)
pour exécuter en son nom une tâche qui implique la délégation d’un certain pouvoir de
décision) a été soulevé déjà par A. Smith. Ce problème apparaît dès lors que les intérêts du
principal et de l’agent divergent et que tous deux sont en situation d’asymétrie d’information,
et entraîne des coûts d’agence (pour le principal : coûts de surveillance et d’incitation + perte
résiduelle, i.e. écart entre le résultat obtenu et la maximisation effective de son utilité ; pour
l’agent : coûts d’obligation qu’il doit opérer pour garantir qu’il ne lésera pas le principal,
assurances par exemple) ; il s’agit donc de déterminer quelle structure contractuelle permet de
minimiser ces coûts.
La théorie de l’agence présente la firme comme un « nœud de contrats » bilatéraux
entre individus, « fiction légale. » Elle n’a donc pas d’existence véritable (contrairement à
la firme-point walrassienne) ; il est donc vain de chercher à déterminer ses objectifs, son
propriétaire, de définir un « intérieur » et un « extérieur » de la firme : il n’y a pas
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d’opposition fondamentale entre le marché et la firme, au sein de laquelle les relations
sont contractuelles (pas de relation autorité). L’objet d’une théorie de la firme ne peut donc
être que l’analyse des liens contractuels, et spécialement des « contrats centraux » qui
établissent les droits des contractants et les systèmes d’évaluation et de rémunération et
permettent de définir un système contractuel.
Les contrats principaux sont passés entre l’organisation et les pourvoyeurs de ressources,
lesquels perçoivent le plus souvent une rémunération définie par le contrat. Il est donc
nécessaire que des créanciers résiduels assument le risque lié à la production ; ceux-ci ont
intérêt à la minimisation des coûts. L’affectation des créances résiduelles permet donc de
caractériser un système contractuel, de même que l’affectation de pouvoir de décision, les
mêmes individus n’exerçant pas nécessairement les pouvoirs de décision et de contrôle.
Dans le cas d’une organisation peu complexe (quelques agents suffisent à prendre les
décisions), il est efficient de donner aux mêmes agents pouvoir de décision et pouvoir de
contrôle, auquel cas, pour éviter les stratégies opportunistes, on leur donne droit sur les
créances résiduelles. Au contraire, dans le cas d’une organisation complexe, qui nécessite une
division poussée du travail de décision, il est plus efficient de séparer gestion, contrôle et
assomption des risques résiduels.
3°) Les limites d’une reconstruction : les fondements néo-classiques sont-ils
compatibles avec une compréhension de la firme ?
En s’en tenant à l’IM strict et en présentant la firme comme un simple nœud de
contrats bilatéraux, les néoclassiques nient en fait son existence : il n’y a plus de
distinction entre les rapports internes à la firme et les rapports externes (sur le marché). Tout
rapport de force ou d’autorité au sein de la firme est exclu, de même que l’hypothèse de
rationalité limitée. Or pour les radicaux américains par exemple, l’asymétrie entre les agents
ne se réduit pas à une asymétrie d’information, mais il existe bel et bien des relations de
pouvoir et de domination ; pour eux, la firme, hiérarchisée, a une fonction non seulement
allocative, mais aussi disciplinaire, et le choix d’une forme d’organisation ne repose donc pas
seulement sur des critères d’efficience économique ; c’est ainsi que peuvent s’imposer des
systèmes d’organisation inefficents.
Chapitre IV
APPRENTISSAGES, ROUTINES ET COMPETENCES : LA
FIRME EVOLUTIONNISTE
1°) Quelques postulats de base de l’approche évolutionniste
L’école évolutionniste s’inscrit dans le sillage de Schumpeter. Elle part d’une métaphore
biologique lancée par Alchian, qui voulait (1950) intégrer à l’économie les concepts
d’évolution et de sélection naturelle. Pour Friedman, c’est la maximisation du profit qui est le
critère de cette sélection. Pour Winter au contraire, il faut comprendre la sélection dans le
long terme (l’approche évolutionniste est donc dynamique), portant non sur les « individus »
(les firmes elles-mêmes), mais sur les « espèces », i.e. les structures organisationnelles. Une
fois ces structures établies, les firmes ne maximisent pas, mais se contentent de
« satisfaire » (cf. ch. I). Le projet évolutionniste est donc de mettre en évidence d’une part
des éléments de permanence (qui seront les routines) , d’autre part un principe de
variations (qui sera le comportement de recherche, risqué et dont les résultats ne sont pas
prévisibles) et enfin un mécanisme de sélection (les contraintes de marché, plus ou moins
lâches).
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Au cœur de la méthodologie évolutionniste se trouvent la prise en compte d’interactions
permanentes entre les agents, qui se traduit par la possibilité de discontinuités, et le fait que
les individus agissent guidés non par une rationalité invariante mais en fonction d’un
apprentissage réalisé au cours de l’expérience ; cela débouche sur des modèles présentant des
équilibres multiples. Les évolutionnistes, désireux de se conformer à l’IM, se représentent la
firme comme constituée d’individus distincts dotés de capacités cognitives propres. Dès lors
se pose le problème de la coordination de leurs actions, rendue possible par les routines.
Ces routines, qui se traduisent par une certaine automaticité dans le choix des attitudes à
adopter face à une situation donnée, résultent d’un apprentissage. Elles sont tacites : les
individus peuvent faire les bons choix sans être pourtant capable d’en rendre raison : la
dimension cognitive des comportements individuels remplace la dimension rationnelle
néo-classique.
2°) La firme évolutionniste
Les évolutionnistes refusent aussi bien une économie de production pure (micro standard)
qui fait abstraction de l’organisation qu’une économie transactionnelle pure (Williamson, néoinstitutionnaliste), accusée de réduire la firme à une « entreprise vide. » Le problème central
est pour eux celui de la cohérence de l’entreprise (la composition du portefeuille de
produits offerts par une firme donnée est non aléatoire) ; pour le résoudre, il s’agit de dégager
les critères qui permettent de distinguer une firme d’une autre, d’expliquer la cohérence
interne du portefeuille de chaque firme et enfin d’expliquer selon quelle logique les
entreprises évoluent.
Les évolutionnistes partent pour cela du processus d’apprentissage, décrit comme
cumulatif, et surtout comme impliquant des compétences organisationnelles bien plus
qu’individuelles (les compétences d’un individu ne sont utiles qu’au sein d’un système donné
d’agents). Il en résulte une connaissance collective matérialisée par des routines
organisationnelles, statiques ou dynamiques, qui mettent en œuvre des interactions complexes
(elles ne peuvent être codifiées et sont donc tacites, et par conséquent non transférables : elles
constituent un actif spécifique à la firme). Ce sont ces routines (savoir-faire accumulés dans
la mise en œuvre des facteurs de production) qui distinguent les entreprises les unes des
autres.
Une firme connaît en outre des évolutions. Si celles-ci peuvent être marquées par des
ruptures, elle n’est pas pour autant aléatoire : il existe un « sentier d’évolution », déterminé
par les compétences accumulées au sein de la firme (ses actifs spécifiques). Des changements
de trajectoire sont cependant possibles par le biais d’actifs secondaires, complémentaires de
l’actif principal (vers l’amont ou l’aval du processus de production) ; des opportunités
technologiques (dans un sens large) peuvent amener la firme à faire d’un actif secondaire un
actif principal, ce qui se traduit par un changement de routines. Des évolutions sont donc
possibles, tout en respectant le principe de cohérence de la composition du portefeuille de
produits offerts par la firme ; il est également notable que cette évolution s’explique par des
facteurs endogènes. Cette théorie, en présentant un processus à la fois continu et discontinu,
permet dans une certaine mesure la prise en compte de l’histoire.
Les évolutionnistes récusent l’idée (néo-classique) selon laquelle le marché éliminerait
systématiquement les entreprises qui ne maximisent pas leur profit. Ils présentent une
typologie d’environnements de sélection, variant avec la structure de marché, les conditions
d’accès au marché et aux facteurs de production, ainsi qu’aux ressources financières, ce
dernier facteur étant particulièrement important, les différents environnements de production
étant caractérisés par le fait d’être plus ou moins lâches ou étroits.
Les firmes sont enfin dotées d’une compétence foncière, définies comme « ensemble de
compétences technologiques différenciées, d’actifs complémentaires et de routines, qui
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constitue la base de l’activité concurrentielle d’une entreprise dans une activité particulière. »
On peut la définir comme la partie de la valeur d’une entreprise qui ne se ramène pas à celle
des facteurs qui la composent.
La combinaison de ces trois facteurs permet de mettre en place d’une typologie des
entreprises, et de prévoir quel type d’entreprise se développera dans un secteur d’activité
donné.
3°) Considérations critiques : que manque-t-il à la firme évolutionniste ?
Chandler se considère comme proche des évolutionnistes pour deux raisons : comme eux il
récuse que la transaction soit l’unité de référence de l’analyse économique, pensant que cette
unité ne peut être que la firme elle-même (alors que pour les évolutionnistes, l’unité d’analyse
de base est l’individu) ; et d’autre part il attache lui aussi une grande importance aux
« capacités organisationnelles » d’une firme (hiérarchie de routines organisationnelles
pratiques, mises au point dans le cadre de chacune des activités fonctionnelles de la firme
(production, distribution, etc.), et plus encore pour coordonner ces activités). Cependant, il
faut noter que les capacités organisationnelles d’une firme reposent pour les évolutionnistes
sur les capacités cognitives des individus, alors que pour Chandler elles sont déterminées
historiquement et socialement (elles se ramènent alors à trois types de savoir-faire qui
concernent les méthodes de fabrication, de commercialisation et de direction ; elles se
caractérisent par le fait d’avoir été mises en place dans des cadres oligopolistiques, au cours
du développement de la consommation de masse, par « essai et erreur », et d’être
difficilement transférables ; les plus importantes sont celles acquises par les plus hauts
dirigeants).
En effet, si pour les évolutionnistes les firmes sont des organisations (lieux de rapports entre
des individus), elles ne sont en aucun cas des institutions socialement construites. Par
conséquent, des phénomènes tels que le conflit entre capitalistes et managers ou entre
capital et salariat ne sont même pas évoqués. Les conditions (formes d’incitation et de
contrôle) dans lesquelles les routines sont mises en place ne sont donc absolument pas prises
en compte, au risque de leur faire perdre leur signification.
Chapitre V
INFORMATION, INCITATIONS ET CONTRATS :
LA THEORIE DE LA FIRME JAPONAISE
L’approche d’Aoki est proche de celle des évolutionnistes en cela qu’elle s’intéresse à
l’évolution des structures organisationnelles, et en particulier des mécanismes de coordination
et d’apprentissage ; elle s’en distingue toutefois notamment par le principe logique
d’engendrement de la théorie, Aoki partant d’un modèle concret stylisé (la firme japonaise,
ou firme J) pour mettre au point un système permettant de caractériser une firme en
général, alors que les évolutionnistes partent d’hypothèses sur le comportement individuel.
1°) Firme japonaise et firme A
Aoki procède comme Chandler par la méthode des « faits stylisés », mais à la différence de
l’historien, il ne s’intéresse pas tant à l’évolution dans le temps des structures
organisationnelles et à sa logique qu’à l’identification de deux firmes-types dont il s’agit de
saisir et de comparer les traits caractéristiques essentiels. Pour cela, il examine la structure
des échanges d’information, concernant tant la division et l’allocation du travail que la
coordination des tâches. Il note ainsi dans le modèle A (américain) une plus grande rigidité,
fondée sur une standardisation et une division stricte du travail, que ce soit au niveau de
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l’atelier, de l’entreprise, des relations avec les sous-traitants ou les banques ou encore de la
répartition du pouvoir entre managers, propriétaires et salariés, tandis que la firme J met
l’accent sur la souplesse, la décentralisation, la coopération ; sur le plan de la répartition des
pouvoirs en particulier, elle est davantage mue par le souci de concilier les intérêts des
différents groupes qui la composent que par celui de maximiser son profit. Elle en retire une
certaine adaptabilité, qui la met en position plus favorable sur des marchés incertains.
2°) Firme J et théorie générale de la firme : les trois principes de dualité
Premier principe : une forte cohérence à l’intérieur d’une entreprise nécessite l’existence
d’une dimension hiérarchique, qui peut s’appliquer soit dans le domaine de la coordination,
soit dans celui des incitations. En ce qui concerne les modes de coordination à l’œuvre dans
les entreprises, Aoki choisit donc de centrer son propos sur les méthodes d’incitation. Ainsi,
tandis que dans la firme A les opérations de conception et d’exécution sont séparées
hiérarchiquement et que l’accent est mis sur les gains tirés de la spécialisation, dans le modèle
J au contraire est encouragée la coordination horizontale entre les unités opérationnelles, les
gains de productivité étant attendus du partage des informations ex post et de l’expérience
acquise. Ce type d’organisation repose donc sur l’idée que la mise en commun et la
formalisation du savoir acquis au cours de l’expérience est plus rentable qu’une division
poussée du travail. Un système hiérarchique complexe et accompagné de procédures de
contrôle permanent incite en outre les employés à accroître leurs compétences et leurs savoirfaire et à communiquer entre eux. L’accent est donc mis sur le processus d’apprentissage
et sur la mobilisation du collectif des employés, ce qui entraîne sa constitution en un actif
spécifique pour l’entreprise, le rôle de coordination étant assuré par les incitations.
Deuxième principe : dans les firmes japonaises, que ce soit dans leur fonctionnement interne
ou dans leurs rapports avec le contrôle financier, l’accent est mis dans les processus de
décision sur les mécanismes d’incitation au détriment du rôle de la hiérarchie. En effet,
dans le système japonais, les managers disposent d’un important pouvoir de décision et d’une
grande autonomie par rapport aux actionnaires et aux banquiers, ceux-ci n’intervenant
directement dans la prise de décision qu’en cas de crise.
Troisième principe : les décisions de management dans les firmes japonaises sont soumises
au double contrôle des détenteurs de capital et des salariés. La direction joue ici un rôle de
médiateur entre les deux. Les salariés représentant en effet comme on l’a vu un fort actif
spécifique pour l’entreprise, celle-ci doit en maintenir la cohésion et s’attacher à long terme
ses services, ce qui se traduit par exemple par une politique de croissance et d’emploi à vie
plutôt que de maximisation des profits.
3°) Une évaluation critique de l’apport d’Aoki
La méthode des faits stylisés choisie par Aoki permet de sortir d’une conception culturaliste
de la firme japonaise pour revenir à une démarche théorique ; de plus, avec la notion de
structure d’échange d’information et l’opposition entre incitations et hiérarchie, il met au jour
des dimensions fondamentales du fonctionnement des firmes. Cependant, l’accent porté
exclusivement sur la structure d’échange d’information conduit à ignorer d’autres
innovations organisationnelles fondamentales du modèle japonais, en particulier
concernant le processus de production lui-même, dont la nature de la structure d’échanges
d’information est peut-être dérivée. Les faits mis en forme par le second principe quant à eux
dérivent directement de la situation historique du Japon jusque dans les années 80 (faiblesse
des banques), et ce principe a été infirmé lorsque la conjoncture a changé. Enfin, l’énoncé du
troisième principe a été critiqué, principalement par des auteurs japonais mettant l’accent sur
les faiblesses du syndicalisme et politiques de compression d’effectifs des années 90.
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Chapitre VI
ENTRE MICRO ET MACROECONOMIE :
LA FIRME DANS LA THEORIE DE LA REGULATION
La théorie de la régulation (TR) s’est construite dans une perspective holiste et macro, au
départ pour rendre raison de la crise à partir de facteurs endogènes, à travers la recherche
de régularités ; c’est ainsi qu’elle a expliqué la crise par l’épuisement d’un régime
d’accumulation : le régime fordien. Pourtant, elle offre des perspectives micro, notamment
concernant la théorie de la firme.
1°) Quelques propositions préalables et fondatrices
La TR s’appuie sur des hypothèses de base relativement fortes : elle suppose tout d’abord
que le marché n’est pas auto-régulateur, et par conséquent que les institutions, bien loin
d’être des obstacles au bon fonctionnement du marché, sont au contraire ce qui rend
possible le processus d’accumulation et lui donnent puissance et stabilité. L’entreprise est
dans ce système le lieu d’élaboration des compromis qui règlent le processus d’accumulation
d’ensemble : elle est le fondement micro du concept macro d’accumulation.
2°) L’entreprise fordienne : premiers jalons vers une théorie régulationniste de la
firme
Si l’angle d’attaque régulationniste est macro, le terme de régime fordien renvoie cependant
à des pratiques individuelles et à un type d’entreprise qui, s’il n’est pas présenté sous forme de
concept, possède néanmoins certaines grandes caractéristiques : l’entreprise fordienne est le
lieu d’un antagonisme capital/travail, qui rend nécessaire le déploiement d’une économie
du temps et du travail, afin d’obtenir une intensité de travail maximum, et donc de processus
d’organisation du travail, qui sont sources de gains de productivité autant que les progrès
techniques ; elle est de grande taille, intégrée verticalement (passage à la société de
consommation de masse) ; elle est le lieu d’élaboration de la standardisation ; enfin, elle est
le lieu de création et d’expression de certaines institutions (contractuelles par exemple,
notamment sous la forme du rapport salarial : accords collectifs, etc.)
Contrairement à la plupart des autres théories de la firme, la TR ne considère pas les
institutions comme sources de perte d’efficience et de sous-optimalité, mais, sous
certaines conditions, comme génératrices d’efficience micro et de stabilité macro. [NB : dans
les théories du déséquilibre, la firme reste la firme point walrassienne.] Il est intéressant de
comparer la présentation régulationniste de la firme avec celles des autres théories : ainsi, en
ce qui concerne l’antagonisme capital/travail, si une idée de hiérarchie était présente chez
Coase et au départ chez Williamson, elle a disparu des nouveaux développements néoclassiques, en particulier de la théorie de l’agence, pour laquelle le contrat de travail n’a pas
de statut spécifique ; pourtant, avec les travaux d’Akerlof (théorie du salaire d’efficience),
l’idée que c’est le salaire qui détermine la productivité et non l’inverse a trouvé place au sein
des théories néo-classiques, la présentation du contrat de travail comme incomplet et
inspécifiable permettant d’affirmer que le travail n’est pas une marchandise comme les autres.
[L’hypothèse de rendements constants a été remise en cause, mais cela n’a abouti qu’à une
distinction entre petites et grandes firmes, qui restent des firmes points]. Enfin, l’idée selon
laquelle l’entreprise est génératrice de routines et de normes qui contribuent à son efficience
est fondamentale aussi chez les évolutionnistes.
3°) Le passage au post-fordisme : extension et approfondissement du programme
de la TR sur la firme
Dans les années 80, les régulationnistes s’intéressent à la formation de nouvelles régularités
qui caractérisent un système post-fordien, à partir de différents modèles (firme japonaise,
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mais aussi allemande ou suédoise), notamment en se confrontant avec les théories
évolutionnistes (pour déterminer quelles routines sont susceptibles de donner naissance à un
système post-fordien) et conventionnalistes (à quelles conditions des règles efficientes
peuvent-elle être produites ?).
En conséquence, la présentation régulationniste de la firme a été révisée. Si
l’antagonisme capital/travail reste au centre de leur conception de la firme, les
régulationnistes ont toutefois été amenés à considérer d’autres formes d’interactions entre
groupes au sein de la firme ; de même, le concept d’organisation ne doit pas être limitée à la
seule organisation du travail au sens strict, mais doit être étendue à tous les modes de division
et de coordination des tâches, en particulier en ce qui concerne la hiérarchie et l’autorité.
Enfin, l’analyse en termes de contrats doit être elle aussi étendue aux contrats implicites.
La firme peut donc être définie d’un point de vue régulationniste comme une organisation
où à travers une relation d’emploi s’effectue la mise en valeur de capitaux et se
déterminent les conditions de formation et de partage du surplus entre les agents de
l’organisation.
4°) Apports et limites de la contribution régulationniste
Si les hypothèses régulationnistes ont permis de parvenir à une conception réaliste de la
firme qui peut servir de fondement à une théorie macro, elle souffre pourtant de lacunes
évidentes. Si elle a insisté sur la dimension institutionnelle de la firme, permettant de prendre
en compte les spécificités nationales, une perspective historique ainsi que le rôle de la firme
comme lieu de production d’institutions, elle s’est néanmoins cantonnée à une analyse des
diverses formes historiques de la firme, sans présenter de concept de la firme en général.
D’autre part, si l’organisation du travail joue un rôle majeur dans la théorie régulationniste,
c’est au détriment des autres formes d’organisation dont la firme est le siège (rapports
d’autorité par exemple), et surtout sans poser d’hypothèse quant à la rationalité des
agents. Cela dit, s’il n’existe pas de théorie régulationniste formalisée de la firme, cette
approche présente toutefois l’avantage de prendre en compte le fait que la firme est
l’instrument de production et de distribution de biens et services, ce qui n’est que rarement
fait dans les théories dominantes…
Conclusion
ETAT DE L’ART ET PROGRAMME DE RECHERCHE
Si les théories de la firme ont nettement progressé depuis la firme-point walrassienne, elles
restent cependant limitées ; en effet chaque approche privilégie une ou deux déterminations, à
l’exclusion des autres. Les approches sont par conséquent davantage rivales que
complémentaires, et il n’existe pas de théorie globale et cohérente de la firme.
Pour Chandler, une telle théorie devrait prendre en compte quatre dimensions constitutives
de la firme : c’est une entité légale (contrats ; dimension institutionnelle), une entité
administrative (coordination ; dimension organisationnelle), un pôle de ressources, de savoir
faire et de capital liquide et enfin instrument premier, dans les économies capitalistes, de la
production et de la distribution des biens et services. Cela implique de traiter la firme dans
sa complexité (pluralité des agents et diversité des intérêts), et aussi de l’intégrer dans un
système plus vaste, système légal en particulier, socialement et historiquement déterminé.
Le courant dominant (approche contractuelle), faisant des transactions bilatérales
individuelles l’outil d’analyse de base, centre son analyse sur le problème de la détermination
des configurations d’agents les plus efficientes pour une situation donnée. La théorie néoclassique a certes progressé depuis Walras, mais au prix soit de l’impossibilité de toute
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ouverture vers la macroéconomie, soit de l’abandon de la dimension sociale et historique
de la firme, comme c’est le cas de la théorie de l’agence, qui, si elle permet une meilleure
intelligence du système d’incitation et du rôle des formes de propriétés, maintient une
hypothèse de rationalité substantive, ramène les asymétries entre agents à des asymétries
d’information et dilue la firme dans un réseau de contrats au sein duquel elle n’a pas
d’existence spécifique. Williamson de son côté, en admettant la rationalité limitée, présente
une vision plus réaliste du comportement des agents, mais lui aussi conçoit la firme comme
un « nœud de contrats », avec les mêmes conséquences (elle n’est pas une unité cohérente).
Le bilan des approches hétérodoxes est lui aussi contrasté. Si les évolutionnistes ont su
saisir pleinement la dimension organisationnelle de la firme (routines, compétences
foncières), leur ultra-IM les empêche de traiter les groupes présents au sein de la firme en tant
que tels, ce qui les conduit à négliger toute dimension sociale ou historique de la firme. Aoki
pour sa part traite sous de nombreux aspects la firme à la fois comme organisation et comme
institution (multiplicité des agents, systèmes de coordination et d’incitation, droits de
propriété) ; cependant, en se centrant sur les structures d’échanges d’information, il aboutit à
des résultats discutables. L’approche régulationniste quant à elle, bien que permettant de
fonder une approche macro, manque d’un concept véritable de firme.
Si les résultats obtenus par les théories des firmes dans les vingt dernières années sont
incomplets et parfois contradictoires, ils n’en sont pas moins riches, et il s’agit à l’avenir
de les combiner pour aboutir à une théorie globale de la firme.
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