professeur : "On ne parle jamais de gens comme Kant ! ". Il faut savoir que
j'avais à ce moment 17 ans, l'âge de mon entrée au séminaire ! "Oui, me dit-il,
mais des gens pareils, c'est intéressant mais ce n'est pas fondamental ! " Tous
ces gens n'ont pas vu clair... Et lentement j'ai commencé à comprendre que
l'enseignement reçu était monolithique, sans objection... Alors des fissures ont
lentement fait jour. J'étais un étudiant studieux, maniaque ; je préparais mes
cours avec une espèce d'ardeur, ridicule je crois, mais cela m'a fait fort réfléchir.
C'est en réfléchissant, mais surtout en étant en contact avec des élèves, que j'ai
compris que ça ne passerait plus tellement longtemps.L'enseignement
catholique de l'époque était merveilleux mais extrêmement religieux : le mois de
mai, la Vierge Marie, le Sacré-Coeur, le 1er vendredi du mois avec messe, avec
le salut, le carême, l'Avent, etc.
Pour le mois de Marie, je m'étais dit : "le mois va se terminer et je n'ai pas
encore parlé de la Vierge Marie. Je vais le faire quand même !" Entre nous, je
commençais à ne plus croire en la "Vierge" Marie, mais cela, je ne disais à
personne. C'était donc un cours, mais cela n'allait pas ! Le cours fini, un élève
discret vient à mon bureau et me dit : "Monsieur, vous n'allez pas me dire que
vous croyez vraiment ce que vous avez dit." Cette fois-ci, ce qui m'a atterré,
c'est qu'il m'ait dit : "Vous ne croyez pas ce que vous avez dit." J'ai souri, je
crois, et je lui ai dit, tout bas : "C'est vrai"… et donc j'ai compris tout d'un coup
combien en effet mon statut de prêtre et d'enseignant me forçait à dire avec
conviction des choses dont je n'étais plus convaincu ! Ça a été le début.
Par après, je suis allé à Kinshasa pendant trois ans pour y fonder le Grand
Séminaire. Là, évidemment, j'ai été acculé à donner un cours de philosophie.
Alors je m'y suis replongé et j'ai compris que la vérité n'était certainement pas,
uniquement, dans l'Église catholique, que tous les grands penseurs avaient une
vérité à dire… Je suis rentré alors, après trois ans, et j'ai été versé dans
l'enseignement qu'on appelle supérieur avec des cours extraordinaires aux
facultés St Louis, en sciences religieuses, et je pouvais "tripoter" mes cours
comme je le voulais. J'ai bien compris alors, qu'avec des jeunes gens et jeunes
filles de 20 ans et plus, ce message traditionnel de l'Église, ça ne passait plus !
Je me rappelle qu'un jour, tous les professeurs de religion et de philosophie
étaient convoqués par l'évêché pour se pencher sur ce problème : "il y avait
quelques difficultés dans les cours de religion" et chaque professeur avait quatre
minutes pour dire où était le problème ! On faisait le tour et j'étais quelque peu
atterré d'entendre dire "C'est une question de locaux : des bancs, des tables ce
n'est pas un milieu." Ou bien "Il manque un encadrement." Ou encore : "C'est
une question d'horaires ou bien trop tôt ou bien trop tard." Quand ce fut mon
tour, comme j'avais trois minutes, j'ai tiré mon ticket et mon courage de ma
poche et j'ai dit : "Toutes les raisons qu'on a données ici sont peut-être vraies
mais cependant elles ne sont rien, je crois, par rapport à ce motif, le vrai : c'est
le contenu de ce que nous enseignons ! "
Un grand silence, puis j'ai dit : "Ce que nous enseignons, ça ne passe plus chez
ces jeunes de 20 et plus, et donc il serait urgent de revoir ce contenu."
Après quoi, on a dit : "Au suivant" ! Le Cardinal est resté de glace. Quand ce fut
fini, le recteur de l'ICHEC vint me dire : "Monsieur l'abbé, vous avez lancé un
formidable pavé dans la mare, mais croyez-moi, personne n'ira le ramasser ! "