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GESTALTISME
Le gestaltisme ou théorie de la forme, souvent désigné, dans les milieux spécialisés,
par le vocable allemand Gestalttheorie, est un des systèmes psychologiques qui ont connu la
plus grande popularité depuis les origines de la psychologie scientifique. Les raisons de ce
succès sont multiples. Comme pour la psychanalyse et la théorie du conditionnement, la
fortune de cette école est due principalement, semble-t-il, au fait qu’elle a énoncé et diffusé des
concepts assez clairs à première vue, pouvant être compris superficiellement par l’homme de
culture moyenne et n’exigeant, sur le plan du raisonnement, qu’un minimum d’information
technique. L’approfondissement sérieux du système exige toutefois des connaissances
théoriques, expérimentales et historiques qui dépassent largement le niveau de l’information
courante. Les théoriciens du gestaltisme ont utilisé dans leurs manuels et traités des exemples
cent fois répétés, tirés du domaine de la perception visuelle. Les figures caractéristiques sur
lesquelles ils fondaient leurs analyses appartenaient pour la plupart au domaine des illusions
optico-géométriques et ne permettaient guère, en raison de leur évidence apparente, de saisir
les implications fondamentales d’un système qui, des enseignements de l’école de Graz,
devait supplanter la théorie élémentariste du contenu de conscience.
Cependant, malgré son opposition victorieuse à l’école de Leipzig, la théorie de la
forme n’a pas réussi à se dégager du physicisme causal de la première psychologie scientifique.
Orientée à l’origine vers une étude authentique de l’organisation phénoménale des perceptions
sous l’influence des précurseurs de la phénoménologie, elle s’est trop souvent satisfaite dans la
suite d’appliquer la méthodologie psychophysique à l’analyse des ensembles complexes. Partie
d’une analyse descriptive soulignant fortement le caractère sui generis des ensembles à
propos des formes et des mouvements, et montrant souvent avec élégance l’impossibilité de
réduire ceux-là à des agrégats associatifs de sensations élémentaires, elle a progressivement
évolué vers une théorie généralisée qui n’a pas trouvé de confirmation décisive dans la neuro-
physiologie.
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Cependant, en dépit de ses insuffisances épistémologiques, le gestaltisme a dominé la
psychologie expérimentale jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et a manifesté une vigueur
créatrice étonnante. Son influence a été profonde dans l’étude du comportement animal, depuis
les travaux remarquables de W. Köhler sur l’intelligence des singes supérieurs. De même,
l’étude éthologique des stimuli-signes a trouvé son principe directeur dans l’analyse gestaltiste
des structures perceptives. Enfin, les théoriciens de l’art et de l’architecture se sont souvent
inspirés de la Gestaltpsychologie et ont cru découvrir dans celle-ci le fondement d’une
esthétique nouvelle. Le gestaltisme apparaît en définitive comme une phénoménologie
expérimentale, qui s’intéresse moins à la saisie des essences qu’à la description de phénomènes
combinatoires régionaux en raison de son obédience, suspecte aux yeux de certains, aux
dogmes de la psychologie scientifique.
1. Les précurseurs
En 1830, le physicien belge Joseph Plateau construisit un dispositif qu’il destinait à
l’étude des lois de la vision. Cet appareil, appelé «phénakistiscope», était constitué de deux
disques parallèles. L’un, divien secteurs, portait les images successives d’un personnage en
mouvement; l’autre, percé de fentes radiales, permettait de voir le personnage exécuter de
façon continue les mouvements représentés, si l’on imprimait une rotation au dispositif. Vers la
même époque, le Viennois Stampfer imagina un appareil similaire qu’il baptisa «stroboscope».
Plateau et Stampfer avaient découvert la possibilité de produire un mouvement apparent, c’est-
à-dire un procédé procurant une impression continue de mouvement à partir de la combinaison
temporelle d’images immobiles. Cette découverte ne fut pas seulement à l’origine de
l’invention capitale du cinématographe par les frères Lumière et des multiples travaux sur
l’analyse des mouvements qui lui succédèrent. Elle devait inaugurer, à long terme, l’un des
chapitres les plus importants de la psychologie des perceptions. En 1912, Max Wertheimer
publia ses Experimentelle Studien über das Sehen von Bewegung (Études expérimentales sur
la perception du mouvement ), dans lesquelles il exposait les résultats de recherches
minutieuses sur l’effet stroboscopique. Sur le plan technique, le mérite principal de
Wertheimer fut d’utiliser des systèmes de stimulation simplifiés (deux segments de droite, par
exemple) permettant une analyse détaillée des conditions spatio-temporelles du phénomène.
Sur le plan théorique, ses recherches constituèrent le point de départ expérimental décisif de la
Gestalttheorie. Pour comprendre la portée de ses travaux, il est indispensable de situer ceux-ci
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par rapport aux développements de la psychologie allemande au cours des quatre dernières
décennies du XIXe siècle.
Un double courant originel: Wilhelm Wundt et Franz Brentano
La psychologie moderne, à ses origines, est représentée par deux noms de première
importance: Wilhelm Wundt (1832-1920) et Franz Brentano (1838-1917). Wundt est le
fondateur de la psychologie expérimentale, qui s’assigne alors pour tâche de reconstruire
scientifiquement la conscience en tentant d’appliquer les méthodes physiologiques de l’époque
aux «éléments» qu’elle suppose pouvoir différencier par l’introspection. Elle représente un
essai de synthèse fondé sur l’analyse associative des contenus de conscience. Wundt la
présente pour ces raisons comme une psychologie physiologique et entend lui conférer une
rigueur comparable à celle des sciences de la nature. Brentano est le promoteur de la
«psychologie de l’acte». Selon lui, les phénomènes psychiques eux-mêmes doivent être conçus
comme des actes: le contenu n’est jamais immanent à lui-même et n’acquiert de consistance
que par l’intentionnalité de l’acte même. La couleur ou la forme d’un objet, par exemple, ne
possèdent pas d’existence propre dans l’acte perceptif; elles ne sont présentes à la conscience
que par une référence d’intentionnalité. Il n’est pas possible de concevoir un acte qui ne soit
pas dirigé vers un objet. Tout phénomène psychique se définit donc comme un acte caractérisé
par une férence extrinsèque à un objet. Un phénomène physique, par contre, est
intrinsèquement complet, vu qu’il ne suppose, pour être défini en soi, aucune référence
intentionnelle à un autre objet.
Ces deux orientations fondamentales de la psychologie détermineront deux
problématiques très différentes qui influenceront ultérieurement les développements de la
psychologie actuelle. La tendance purement scientifique de Wundt est à l’origine de la
psychologie de laboratoire, qui trouve également ses fondements dans la psychophysique de
Fechner dont l’œuvre essentielle, Elemente der Psychophysik (Éléments de psychophysique),
paraît en 1860. La psychologie de Brentano inaugure le mouvement phénoménologique, dont
le théoricien et véritable fondateur sera Edmund Husserl. Elle a, en outre, déterminé le
développement d’un groupe moins connu, celui de l’école autrichienne, dont les principaux
représentants appartiennent à un cercle généralement désigné sous le nom décole de Graz :
Christian von Ehrenfels (1859-1932), Alexius Meinong (1853-1920), Stefan Witasek (1870-
1915) et Vittorio Benussi (1878-1927). Il convient d’ajouter à cette liste les noms d’Ernst
Mach (1838-1916) et de Carl Stumpf (1848-1936). Edmund Husserl (1859-1938) se rattache
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indirectement à ce groupe par les recherches qu’il effectue sous la direction de Stumpf. C’est
seulement à partir de la publication de ses Logische Untersuchungen (Recherches logiques,
1901) qu’il s’écarte résolument de la psychologie pour s’orienter vers la phénoménologie
transcendantale.
Science et phénoménologie
La contribution de l’école autrichienne a porté principalement sur les phénomènes de
la perception, qui y sont abordés selon une méthode rompant avec les principes de l’école
élémentariste. En écartant toute idée de réduire ces phénomènes à des agrégats de sensations et
en refusant les perspectives associationnistes, l’école autrichienne, on le voit dès maintenant,
aura fait beaucoup pour dégager la perception de la conscience-contenu et pour l’amener à
l’ordre propre de la phénoménalité. Ce changement de perspective était d’ailleurs préparé par
les enseignements de la psychologie de Brentano: si l’acte intentionnel de la conscience prend
le pas sur l’analyse de la conscience considérée comme objet d’investigation, il n’est pas
étonnant que se veloppe par la suite une approche phénoménologique. Cette approche prit
d’abord une allure expérimentale chez Carl Stumpf et rejoignit ensuite, avec Husserl, le
domaine de l’épistémologie fondamentale et de la réflexion transcendantale. Qu’on aborde la
perception par le biais des qualités formelles, comme Ehrenfels, ou sous l’angle du caractère
constitutif de la subjectivité, comme Husserl, il s’agit toujours de traiter les phénomènes pour
eux-mêmes. Dans cette perspective, l’école autrichienne représente la transition entre
l’élémentarisme et la Gestalttheorie, et cette dernière fait à son tour la transition entre la
phénoménologie expérimentale de Stumpf et la phénoménologie transcendantale de Husserl.
De toute façon, le divorce entre l’intériorité et l’extériorité inauguré par Descartes et confirmé
par la psychologie de Wundt trouve sa résolution dans l’instauration d’une psychologie
nouvelle, qui abandonne les phénomènes supposés de la conscience immanente pour les
phénomènes tels qu’ils se présentent dans l’expérience vécue des objets. C’est en ce sens que
la pensée phénoménologique abolit la dichotomie objectif-subjectif.
Wundt avait publié la première partie de sa Physiologische Psychologie (Psychologie
physiologique ) en 1873. La seconde partie est éditée en 1874, de même que la Psychologie
vom empirischen Standpunkt (Psychologie du point de vue empirique) de Brentano. L’année
1874 est donc décisive pour l’avenir de la psychologie: elle voit paraître deux œuvres
fondamentales qui font l’une et l’autre une place importante à l’expérience, en des sens très
différents toutefois. Pour Wundt, la seule psychologie scientifique est expérimentale, selon la
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signification que la physiologie donne à ce terme. Pour Brentano, le mot empirique désigne
avant tout une action contre le dogmatisme et une volonté d’organiser la psychologie en
dehors des options philosophiques. Néanmoins, il n’indique nullement que son auteur entende
engager la science nouvelle dans la voie de la seule expérimentation de laboratoire. Brentano
tend à organiser tout son système autour du concept d’acte, et, en refusant d’accorder à
l’expérimentation une importance décisive, il sera amené à traiter de l’expérience sur un mode
déductif. L’œuvre de Wundt est celle d’un psychologue épris de physiologie; celle de Brentano
traduit les aspirations d’un philosophe épris d’expérience.
2. Les théories de l’école de Graz
Les conceptions défendues par l’école autrichienne sont des théories de transition. De
Wundt et de l’école de Leipzig, elle hérite la théorie des sensations et du contenu de
conscience. Cependant, sa tendance générale se comprend avant tout par référence à l’œuvre de
Brentano.
Ernst Mach: les formes temporelles et spatiales
Ernst Mach et Christian von Ehrenfels représentent le lien essentiel entre la
psychologie de la sensation et celle qui procède de l’école autrichienne. Mach publie en 1886
son œuvre capitale Die Analyse der Empfindungen und das Verhältnis des Physischen zum
Psychischen (L’Analyse des sensations et la relation du physique au psychique) et en 1905
Erkenntnis und Irrtum (La Connaissance et l’erreur), qui développe les thèmes
épistémologiques abordés dans le premier ouvrage.
Mach, qui contribuera au développement du positivisme logique (Carnap, Feigl),
élargit le concept de sensation en lui conférant, à partir des théories développées dans
L’Analyse, une signification à la fois plus radicale et plus extensive. Les sensations constituent
pour lui le donné premier de toute science; elles constituent donc le point de départ de la
physique autant que de la psychologie. L’apport décisif de Mach a été d’intégrer l’espace et le
temps à l’ordre même de la sensation. C’est ce qui amènera Külpe à ajouter aux attributs que
l’école élémentariste reconnaissait à cette dernière (la qualiet l’intensité) ceux d’espace et de
temps. En ce sens, l’œuvre de Mach couronne et complète l’œuvre des élémentaristes. On peut
modifier la couleur et la grandeur d’un cercle sans changer son caractère circulaire: la forme
est donc indépendante de la qualité. De même, on peut transposer une mélodie sans altérer sa
forme temporelle. Comme tout est réductible à des sensations, il est légitime d’admettre
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