Cependant, en dépit de ses insuffisances épistémologiques, le gestaltisme a dominé la
psychologie expérimentale jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et a manifesté une vigueur
créatrice étonnante. Son influence a été profonde dans l’étude du comportement animal, depuis
les travaux remarquables de W. Köhler sur l’intelligence des singes supérieurs. De même,
l’étude éthologique des stimuli-signes a trouvé son principe directeur dans l’analyse gestaltiste
des structures perceptives. Enfin, les théoriciens de l’art et de l’architecture se sont souvent
inspirés de la Gestaltpsychologie et ont cru découvrir dans celle-ci le fondement d’une
esthétique nouvelle. Le gestaltisme apparaît en définitive comme une phénoménologie
expérimentale, qui s’intéresse moins à la saisie des essences qu’à la description de phénomènes
combinatoires régionaux en raison de son obédience, suspecte aux yeux de certains, aux
dogmes de la psychologie scientifique.
1. Les précurseurs
En 1830, le physicien belge Joseph Plateau construisit un dispositif qu’il destinait à
l’étude des lois de la vision. Cet appareil, appelé «phénakistiscope», était constitué de deux
disques parallèles. L’un, divisé en secteurs, portait les images successives d’un personnage en
mouvement; l’autre, percé de fentes radiales, permettait de voir le personnage exécuter de
façon continue les mouvements représentés, si l’on imprimait une rotation au dispositif. Vers la
même époque, le Viennois Stampfer imagina un appareil similaire qu’il baptisa «stroboscope».
Plateau et Stampfer avaient découvert la possibilité de produire un mouvement apparent, c’est-
à-dire un procédé procurant une impression continue de mouvement à partir de la combinaison
temporelle d’images immobiles. Cette découverte ne fut pas seulement à l’origine de
l’invention capitale du cinématographe par les frères Lumière et des multiples travaux sur
l’analyse des mouvements qui lui succédèrent. Elle devait inaugurer, à long terme, l’un des
chapitres les plus importants de la psychologie des perceptions. En 1912, Max Wertheimer
publia ses Experimentelle Studien über das Sehen von Bewegung (Études expérimentales sur
la perception du mouvement ), dans lesquelles il exposait les résultats de recherches
minutieuses sur l’effet stroboscopique. Sur le plan technique, le mérite principal de
Wertheimer fut d’utiliser des systèmes de stimulation simplifiés (deux segments de droite, par
exemple) permettant une analyse détaillée des conditions spatio-temporelles du phénomène.
Sur le plan théorique, ses recherches constituèrent le point de départ expérimental décisif de la
Gestalttheorie. Pour comprendre la portée de ses travaux, il est indispensable de situer ceux-ci