
d’échange monétaire, et, de ce fait, l’homme libre et agissant constitue son sujet fondamental. Les
principes méthodologiques sur lesquels la faire reposer doivent intégrer correctement ces spécificités.
On aurait tort de considérer ces débats sur la méthodologie économique ou l’épistémologie économique
comme relevant de l’étude stérile de questions scolastiques, sans aucune importance pour la clarification
de nos vues sur la science économique et la résolution des problèmes auxquels elle se voit confrontée.
L’objet de la science économique étant de déceler l’existence de lois économiques, c’est-à-dire de rapports
de causalité entre des phénomènes économiques, il est indispensable de savoir comment ces lois peuvent
être observées, comprises, et prouvées.
En somme, la méthodologie économique est une branche de la science économique et de la philosophie
des sciences qui a pour objet de définir les conditions par lesquelles il est possible d’obtenir des vérités
économiques, et celles par lesquelles il ne l’est pas. Elle n’enseigne pas aux économistes pourquoi il faut
étudier tel ou tel phénomène économique mais comment il faut l’aborder si l’on souhaite procéder de
manière rigoureuse. Elle traite donc non pas des théories économiques de manière spécifique, mais des
moyens d’études les plus appropriés pour l’obtention de vérités dans la science économique.
Malgré son utilité, la méthodologie économique occupe une position tout à fait dérangeante, et les
économistes rejettent souvent ses conclusions. Que le méthodologiste soit lui-même ou non un économiste,
c’est généralement avec peu de sympathie qu’est accueilli son travail critique. Pourtant, la méthodologie
économique n’est pas un moyen détourné de remettre en cause les conclusions théoriques et pratiques
auxquelles la recherche économique a abouti. Elle ne s’intéresse pas au contenu direct des théories
économiques et ne se prononce pas sur leur validité. Il ne s’agit pas de dire qu’il soit inintéressant de
s’interroger sur la validité des théories économiques, mais la raison d’être de la méthodologie économique
ne réside pas dans cet objectif ; bien plus, elle se désintéresse explicitement de ces questions. L’une des
conclusions de cet état de fait est que, dans ce livre, nous ne considérerons jamais les théories
économiques qu’en tant que résultats de processus de recherche et d’étude, et ce sont ces processus que
nous analyserons.
Comme nous l’avons signalé, la méthodologie économique s’apparente à la philosophie des sciences et
constitue une partie de la philosophie des sciences, mais elle n’est pas la philosophie des sciences à
proprement parler. La méthode de recherche valable en chimie est certes intéressante à considérer à des
fins comparatives, mais la science sur laquelle la méthodologie économique se penche est l’économie, et
elle seule. 2
Pour autant, ce livre n’est pas un traité sur l’épistémologie économique. Ces questions ont connu un
regain d’intérêt au cours des soixante dernières années, mais je n’ignore pas le peu d’écho qu’ont reçu ces
débats dans notre pays. Il m’a donc semblé qu’une introduction aux principes méthodologiques de la
science économique était plus pertinente. La structuration et la faible longueur de ce livre découle de cet
objectif premier.
Les grands économistes ont accordé à ces questions une attention variable. Bien qu’on puisse trouver
des raisonnements économiques depuis les temps reculés de la Grèce antique, ce n’est qu’à partir du début
du XIXe siècle que nous trouvons les premiers méthodologistes de l’économie. Comme nous l’étudierons
en détail dans le premier chapitre, les travaux des anglais Nassau Senior, John Stuart Mill et John Cairnes,
posèrent les bases d’une méthodologie aprioriste et déductive qui constitua pendant des décennies la
référence pour toute la communauté des économistes. Intensément débattues au tournant du siècle après
l’éclosion de l’École Historique Allemande, ces questions méthodologiques reçurent les contributions des
économistes John Neville Keynes, Ludwig von Mises, puis Lionel Robbins. Chacun d’entre eux contribua
à la solidification de l’orthodoxie classique.
Plus récemment, cette orthodoxie a été très sévèrement attaquée. Dès 1938, Terence Hutchison publia
The Signifiance and Basic Postulates of Economic Theory, dans lequel il expliqua que la science
économique devait reprendre la méthodologie en vigueur dans les sciences naturelles. Cette position fut
défendue par des économistes aussi renommés que Paul Samuelson, Milton Friedman, Fritz Machlup, ou
Mark Blaug. La mathématisation progressive de la science économique, ainsi que l’attention portée à la «
falsification » poppérienne de ses résultats, fut le fruit de leurs efforts.
Dans un premier temps, j’essaierai de développer les problématiques liées à cette discipline qu’est la
méthodologie économique en évoquant son histoire et ce qui, en la matière, constitua son orthodoxie
jusqu’au début du vingtième siècle. Cela me permettra de poursuivre sur la « bataille des méthodes » entre
l’École Historique Allemande et l’École Autrichienne, ainsi que sur l’apport fondamental de cette seconde