Un monde de systèmes (résumé et traduction française)

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Coburn, W.J.(2002). A World of Systems : the Role of Systemic Patterns of Experience in
the Therapeutic Process. Psychoanalytic Inquiry, 22(5) : 655-677
Un monde de systèmes…
Traduit et résumé par Annette Richard
Un thème central de cet article : la distinction cruciale de deux niveaux conceptuels pour
comprendre les phénomènes psychologiques et l’action thérapeutique =
Il est important de noter que nous ne faisons pas nécessairement l’expérience du monde de la
manière qu’il semble fonctionner…. Il y a une division conceptuelle importante entre les
systèmes vivants qui s’interpénètrent (niveau conceptuel explicatif de l’expérience) et
l’expérience vécue individuelle actuelle (niveau conceptuel descriptif de l’expérience). (Pp. 10 et
12)
Introduction
Les théoriciens parlent moins maintenant de la transformation des principes organisateurs « à
l’intérieur » du patient, mais mettent l’accent davantage sur la coalescence et l’évolution des
principes organisateurs dont l’auteur et le propriétaire est la dyade analytique ou le système.
 On parle des phénomènes psychologiques comme étant de propriété ambiguë, qui
se manifestent au niveau local de l’esprit individuel (rêves, fantaisies, etc.); une
perspective anti-« représentation mentale ».
 On reconsidère ici l’idée de l’exploration du monde subjectif du patient. La
question est posée : c’est quoi exactement qui est « analysé » et potentiellement
transformé?
1er thème de l’article : élaboration de la théorie des systèmes intersubjectifs plus spécifiquement
en tant qu’appliquée aux concepts de contexte et d’interpénétration des systèmes. Cette
élaboration met en lumière la tension perceptuelle persistante dans la théorie psychanalytique
dans les tentatives de comprendre les phénomènes psychologiques par l’utilisation des modèles à
1 ou 2 personnes en alternance avec l’utilisation d’une lentille de mise en contexte ou de
systèmes, selon les besoins momentanés et particuliers du théoricien. Une tension due en large
part à la confusion entre les deux niveaux :
 explicatifs (de l’expérience)
 phénoménologiques (descriptifs de l’expérience)
dans les concepts clés, tels que self, transfert, processus intrapsychiques, individualité,
autonomie, représentation de soi et des objets et autres réifications (prendre la description d’une
expérience pour une chose qui explique l’expérience) de l’expérience personnelle vécue.
2e thème de l’article: l’idée des principes organisateurs dérivés des systèmes.
Utilité clinique de comprendre et d’articuler ces principes de cette manière là :
 la conceptualisation des patterns d’expérience qui sont réitérés ou « distribués » à
travers des mondes expérientiels multiples dans la vie du patient;
 et la conceptualisation des phénomènes psychologiques en tant qu’émergents non
pas seulement à l’intérieur d’un contexte du système non linéaire (ou dynamique),
mais aussi à l’intérieur d’un supra système de systèmes(ou mondes subjectifs)
multiples qui s’interpénètrent, lesquels vont et viennent sans cesse et de manière
continue en relation les uns aux autres,
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mènent à un élargissement de nos idées au sujet du changement en thérapie.
De la structure à la complexité : une perspective de systèmes complexes en développement
Intersubjectivité
 N’est pas une catégorie spécifique d’expérience
 Mais réfère au contexte plus large de l’action perceptuelle, de l’interaction et de
l’experiencing humains. Un contexte qui est une précondition sans laquelle
aucune expérience ne peut exister.
Principes fondateurs de la théorie des systèmes intersubjectifs :
1. l’étude de la subjectivité et de l’expérience subjective;
2. le concept du champ intersubjectif : le phénomène psychologique ne peut être compris en
dehors du contexte intersubjectif dans lequel il se cristallise;
3. l’idée que nous, humains, avons tendance à organiser des stimuli non familiers en patterns
d’expériences significatives et ensuite à concrétiser ces patterns à travers la vie de tous les
jours = les principes organisateurs invariants (ou les structures psychologiques) qui
organisent l’expérience de soi et du monde. Le transfert= l’activité organisatrice.
4. La centralité de l’affect : l’organisation des patterns significatifs d’expérience se
développe via les régulations de soi et interactive, mutuelles et réciproques qui mènent à
l’organisation de patterns relationnels spécifiques.
5. L’accent mis sur l’interaction entre ressemblances humaines et différences humaines = les
conjonctions et disjonctions intersubjectives.
6. Le concept des trois domaines de l’inconscient, i.e. le préréflexif, le non validé, et le
dynamique.
7. La présence des fondements philosophiques spécifiques : l’existentialisme , la
phénoménologie, le structuralisme et l’herméneutique.
La théorie de l’intersubjectivité telle que formulée comme un structuralisme moderne
(Atwood et Stolorow, 1984) dans les années 80 : anticipait l’esprit de la théorie des systèmes
dynamiques non linéaires :
 Le structuralisme implique d’abord un intérêt pour les relations entre les
phénomènes explorés plutôt que pour un phénomène pris isolément.
 …n’est pas préoccupé par l’identification des connexions cause à effet, mais
cherche à comprendre les interrelations qui lient les différents phénomènes en
unités ou totalités structurales.
 Les structures n’ont pas d’existence en dehors des phénomènes dans lesquels ils
sont discernés…
 Le champ empirique d’une exploration structuraliste ne possède pas les
caractéristiques d’un système causal fermé et peut de fait être ouvert et donc,
imprévisible de façon inhérente. (pp.31-32)
Visions des systèmes complexes :
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La structure ou le pattern est vue comme émergeant des « processus auto organisateurs des
systèmes vivants continuellement actifs » (Thelen et Smith, 1994). La formation de la structure
émergente à l’intérieur d’un système dynamique se développe à partir de l’inter coordination ou
de l’interaction coopérative de ses éléments ou sous- systèmes quand ils se regroupent en pattern
auto organisateur.
Propriétés globales des systèmes complexes (Thelen et Smith) :
 On différencie les systèmes ouverts et les systèmes fermés (équilibre entropique
stable).
 Les systèmes ouverts : « stables mais loin de l’équilibre thermodynamique »; une
condition « maintenue par le flot continuel d’énergie et de matière libres dans et
hors du système ». …lorsque suffisamment d’énergie est pompée dans ces
systèmes, de nouvelles structures ordonnées peuvent spontanément apparaître
alors qu’elles n’étaient pas visibles au préalable ».
 Il y a interaction non linéaire et non homogène entre les éléments. Cependant, les
éléments peuvent se stabiliser temporairement dans un pattern nouveau= le
système arrive alors à un état attracteur… (ex.: les personnes qui se placent dans
la même position après être passées d’une salle à une autre…).
 Le développement et la transformation des systèmes ouverts : fluide, dynamique,
désordonné (messy), sensible au contexte, relativement imprévisible,
apparemment chaotique, apparemment au hasard.
 Donc, le changement est émergent et sans plan a priori :
 les apparences et la trajectoire du développement d’un système sont
déterminées par les composantes mutuellement organisatrices de ce
système et leurs configurations continuellement changeantes;
 les résultats de ce processus non linéaire et dynamique du système
enfreignent les attentes de développement linéaire, ordonné, qui ont été
longtemps soutenus par les théories du développement qui présumaient une
progression téléologique et épigénétique.
Description de la complexité (ou des systèmes complexes) par Cilliers emprunté à Edelman (sa
description des réseaux neuroniques du cerveau) et à Prigogine:
La difficulté du projet d’un modèle des systèmes : le modèle doit être aussi complexe que l’objet
du modèle…
Une vision de systèmes « dans laquelle il y a plus de possibilités que ce qui peut être actualisé ».
Ses caractéristiques :
1. les systèmes complexes (SC) comprennent un grand nombre d’éléments (aspect
nécessaire mais non suffisant).
2. Les éléments doivent interagir d’une manière dynamique : pas nécessairement physique
mais pouvant impliquer un transfert d’informations d’un élément à l’autre;
3. De telles interactions doivent être riches (tout élément dans le système influence et est
influencé par plusieurs autres).
4. Les interactions sont non-linéaires (petite cause= grand résultat et vice versa).
5. Les interactions non linéaires ont souvent une portée réduite : mais même si elles sont
limitées à un effet immédiat proximal, elles ont une influence plus large aussi sur les
éléments plus distants.
6. Les éléments dans un SC partagent une qualité de récurrence, un effet de feedback.
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7. Les SC sont ouverts c.a.d. capables d’interagir avec leur environnement.
8. L’étendue d’un système est déterminé par le cadrage de l’observateur ou par le but de la
description du système. Le cadrage : une manière de définir des systèmes spécifiques
comme étant un système, un sous système, ou un supra système selon la perspective de
l’observateur.
9. Les SC ouverts fonctionnent dans des conditions éloignées de l’équilibre. L’équilibre
équivaut à la mort.
10. Les SC ont une histoire : leur passé est co responsable de leur comportement présent (Vs
naïveté du ici et maintenant).
11. Nature des SC est telle que « chaque élément dans le système est ignorant du
comportement du système dans son entier; il répond seulement à l’information qui est
disponible localement…. » (sinon toute la complexité devrait être présente dans cet
élément).
La pertinence de la complexité pour comprendre les phénomènes psychologiques et l’action
thérapeutique
Contradictions dans les formulations de la TI des années 80 :
 Est-ce l’organisation de l’expérience du patient qui est saisie et articulée ou sontce les configurations expérientielles dérivées du système qui sont explorées?
Dans les années 90 :
 Une mise en contexte plus radicale : le sujet de la psychanalyse= les patterns
d’expériences dérivées du système qui semblent souvent se manifester au niveau
local de l’individu. L’intrapsychique - le niveau local- mis en contexte.
Autres contradictions (Trop et al. 1999) :
 L’utilisation du structuralisme dans l’idée des structures ou principes invariants.
 Ils proposent à la place : « patterns expérientiels perçus » (concept plus près de
l’expérience) ou « états attracteurs » (concept plus loin de l’expérience, plus
abstrait) VS « structures de subjectivité » et « principes organisateurs »(concepts
réifiants).
 Mais perçus par qui? Comment exactement, les contours de l’expérience sontelles explorés, et comment le patient et l’analyste arrivent-ils collaborativement à
des visions consensuelles de l’expérience et des significations (Coburn, 2001)?
D’autres applications de la théorie des systèmes ouverts non linéaires à la psychanalyse :
 Arnetoli (1999) » le connexionnisme, le processing parallèle distribué, et le
concept du réseau empathique…
 Sucharov (2002): concept de contact empathique…
Essentiellement, ces perspectives comprennent les phénomènes psychologiques sous toutes leurs
formes (rêves, expérience émotionnelle, etc,) comme étant distribués à travers un réseau duquel
l’individu n’est qu’une partie. Les phénomènes psychologiques sont ainsi conceptualisés
 comme potentiellement émergent au niveau local (i.e. dans le domaine
expérientiel, peut-être, mais pas nécessairement d’une personne seulement),
 et comme un événement également généré de manière dyadique ou par le
système.
EX : Selon le cadrage, le phénomène psychologique peut être conçu comme distribué à travers le
réseau neuronal (plutôt que localisé à l’intérieur d’un neurone spécifique ou d’un ensemble de
neurone) d’un cerveau singulier, à travers de multiples réseaux neuronaux (par opposition à
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localisé) dans un cerveau singulier, OU à travers de multiples systèmes de réseaux neuronaux
(par opposition à un seul système dyadique ou un champ intersubjectif). Dans l’esprit de la TC,
ces phénomènes sont compris
 comme émergeant des interactions auto organisatrices non linéaires entre
 l’histoire du système
 l’état actuel du système
 et l’environnement du système.
Les phénomènes psychologiques sont vus (à travers la TC) comme étant de propriété ambiguë :
 Anetoli : ils sont localisés et subjectifs mais aussi systémiques et
distribués parallèlement.
 Sucharov : l’interpénétration de l’expérience dans la rencontre
analytique déloge l’expérience de son compartiment bien défini de
l’espace intrapsychique pour le répandre à travers le champ
relationnel.
 Illustration par Ringstrom : l’expérience émergente, spontanée de la
relation improvisée…
Ces expansions récentes de la Théorie des systèmes intersubjectifs (TSI), en mettant l’accent sur
l’exploration des origines de l’expérience subjective, commencent à clarifier une vision plus
spécifique et moins contradictoire des ORIGINES de l’expérience subjective, et particulièrement
en ce que cette vision s’applique à notre compréhension de L’ACTION THÉRAPEUTIQUE :
 Un concept de systèmes qui s’interpénètrent, un construit hypothétique qui vise à
conceptualiser un cadre de référence plus large et nécessairement plus complexe
pour comprendre l’expérience émotionnelle et le changement émotionnel (thème
élaboré plus loin).
Donc, le sujet de l’exploration thérapeutique pourrait être revu comme incluant, non seulement
l’expérience vécue subjective du patient, mais aussi les interactions systémiques qui constituent
la forme de cette expérience. Voici une distinction importante :
 Ces modalités de mises en pattern (auto-organisation) de l’expérience (i.e. les
interactions systémiques) ou les « contours de l’expérience » n’opèrent pas en
arrière plan pour faire surgir l’expérience personnelle elle-même, mais elles
SONT l’expérience émergente, unique, actuelle et proximale.
 Il est utile sur un plan conceptuel de ne pas dichotomiser les patterns de
l’expérience (les contours) et les expériences elles-mêmes…(ce ne sont pas
comme la rivière et ses rives, deux entités distinctes). L’expérience émotionnelle
et ses contours spécifiques sont inséparables, ils sont une seule et même chose.
Les contours de l’expérience ne résident pas dans l’inconscient du patient ou
celui du thérapeute, mais plutôt à l’interface des myriades de composantes auto
organisatrices dont le patient et le thérapeute n’en représentent que quelquesunes.
Alors, qu’est ce qui suscite l’expérience subjective vécue? Quelles sont les origines de
l’expérience personnelle vécue?
Une réponse prometteuse : la compréhension de l’activité/capacité auto organisatrice d’une
multitude de systèmes complexes qui s’interpénètrent et leurs composantes variées.
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Ces composantes : en elles-mêmes, elles ne « contiennent » pas des expériences –
tout comme les neurones individuelles ne contiennent pas de mémoires
spécifiques (Edelman, 1992).
 Nous avons tendance à penser que la personne « contient » l’expérience (modèle
cartésien de l’esprit isolé); après tout, qui fait l’expérience?
 Nous comprenons maintenant qu’il n’y aurait pas d’expérience sans l’interaction
des systèmes qui s’interpénètrent dont la personne –avec beaucoup d’autres- n’en
est qu’une partie. (Le fait qu’on est parfois physiquement seul, et même qu’on
fait l’expérience d’être isolé à certains moments, n’empêche pas que nous avons
une histoire systémique relationnelle, et que nous sommes toujours enchâssés
dans un monde contextuel spécifique. L’expérience d’être isolé a toujours son
origine des, est maintenue par, et est modifiée à l’intérieur des systèmes
intersubjectifs.)
Donc, les phénomènes psychologiques :
-ont leur origine à partir des,
-sont maintenus par,
Systèmes Intersubjectifs
-et sont modifiés en réponse aux
 I.E. dans toute situation, les individus sont continuellement affectés par des SI qui
s’interpénètrent, passés et présents, et sont toujours façonnés et soutenus par leur
environnement courant, humain et non humain également.
 Toute autre vision décontextualise la personne, la séparant des systèmes dans
lesquels elle est enchâssée et la réduit d’un statut de composante d’un système
complexe à être simplement un membre d’un système compliqué dans lequel le
tout peut être réduit à la somme de ses parties.
Donc, l’expérience prend forme et continue à se transformer dynamiquement à partir des
systèmes multiples qui s’interpénètrent.
 Donc, l’expérience émotionnelle ne peut jamais être formée par les vicissitudes
d’un seul système (pas plus qu’un seul neurone ne détermine la distribution et le
caractère du déclenchement neuronal à travers un réseau neuronal. Edelman
1992).
 Par ex., l’expérience émotionnelle, même si elle semble se développer « dans » le
contexte de la relation psychanalytique « durant » une séance particulière, elle
survient et est à tout moment « DE » contextes multiples simultanément (les mises
en acte relationnelles : lorsque comprises comme des répétitions des patterns
relationnels archaïques, vident la relation patient/thérapeute de son caractère
sensible au contexte, non linéaire, dynamique et unique).
 Les systèmes, même s’ils peuvent disparaître en fond, ne meurent jamais. Nous
continuons d’être « DE » tous ceux-ci, en tant que composantes vivantes, et sur
une base continuelle. C’est exactement ce que signifie l’interpénétration des
systèmes complexes multiples.
 En plus, les systèmes ne sont pas seulement interpénétrant, ils sont également
interactifs, dans le sens qu’un ou plusieurs systèmes aident à façonner et à former
les dynamiques des autres, et vice versa.
 Une question se pose - lorsque le patient et le thérapeute explorent l’expérience
émotionnelle et les significations du monde subjectif du patient et qu’ils
organisent leurs conclusions au sujet du monde subjectif du patient d’un moment
à l’autre : est-ce utile d’utiliser le cadrage pour penser en termes de certains
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systèmes plutôt que d’autres, i.e. les systèmes qui semblent, pour les deux
participants, plus centraux, plus en saillie et plus pertinents?
La fusion (coalescence) de l’expérience
Une autre métaphore utile pour certains phénomènes psychologiques, surtout les perceptions non
formulées,: l’idée de totalité et de l’ordre impliqué de Bohm (1980). Parce qu’une importante
facette de l’exploration analytique réside non seulement dans l’éclairage des contours de
l’expérience d’un individu mais aussi dans la reconnaissance que ces contours existent dans des
degrés variables de formulation et de clarté, i.e. de conscience. Le modèle de Bohm offre un
modèle qui peut utilement incorporé ces dimensions moins claires de l’expérience, i.e. les
expériences qui semblent « dormantes » dans un médium de potentialités non différenciées, ce
que certains auteurs ont appelé l’expérience relationnelle non formulée (Stern) et disformulée
(Stolorow, Orange, Atwood, 2001) (VS de voir ces expériences comme enfouies dans le
psychisme isolé du patient)
L’essentiel de la pensée de Bohm (Godwin (1991) en ce qui a trait à l’impliqué, l’expliqué et la
totalité, suggère de nouvelles manières de conceptualiser l’évolution de l’expérience personnelle
à partir d’une perspective de systèmes:
 Peut-être la découverte la plus significative de la physique quantique c’est la
révélation d’un domaine fondamental d’une totalité intacte sous jacente à notre
monde perçu de séparation et de fragmentation apparente. Plutôt que d’analyser
l’univers en partie et ensuite d’essayer d’en faire un tout « additionné » à partir de
leur interaction, Bohm commence avec cette notion d’une totalité sous jacente,
non divisée, et tente après de montrer comment dans cette totalité, il peut exister
des « sous totalités relativement durables » accessibles à nos sens et aux
instruments scientifiques. Le langage devient ici problématique parce que le biais
profondément dualiste dans sa structure sujet, verbe, objet présuppose un univers
de parties individuelles en relation externe l’une à l’autre.
 L’ordre expliqué (ou l’ordre dévoilé): cet ordre externe décrit par le langage
conventionnel;
 L’ordre impliqué (ou l’ordre enveloppé) : l’ordre préalable et fondamental de
l’univers sous jacent à l’ordre expliqué : la mer multidimensionnelle vaste du
potentiel quantique qui forme le fondement commun de l’univers manifeste se
déployant continuellement. Cet ordre existe en « un mouvement coulant non
divisible sans frontières » et ce qui semble stable à nos sens est simplement une
succession itérative rapide de formes semblables.
 Une vision postmoderne, différente de la physique et du fonctionnement de
l’univers ayant des implications pour l’étude de la conscience : « … la teneur
générale de l’ordre impliqué suppose que ce qui arrive dans notre propre
conscience et ce qui arrive dans la nature ne sont pas fondamentalement différent
dans leur forme. Donc la pensée et la matière ont une grande similitude d’ordre »
(Bohm, 1980 cité par Godwin, 1991, p.630)
Applications au contexte thérapeutique (rejoint les visions de fluidité, de dynamisme et d’absence
de structures préformées et fixes de la TC):
 Nous pourrions dire que l’ordre expliqué comprend ces expériences
émotionnelles qui sont ressenties comme contenant des significations et sur
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lesquelles les participants thérapeutiques restent centrés d’un moment à l’autre,
i.e. les contours actuels et systémiquement dérivés de l’expérience émotionnelle.
 Par contraste, l’ordre impliqué suggère une gamme infinie de perceptions et de
perceptions potentielles qui ne sont pas couramment au point dans le sens de
contenir de l’intérêt et une signification émotionnels. Une perspective utile :
l’expérience qui reste « dormante » ou non formulée peut être utilement comprise
comme résidant dans « une mer multidimensionnelle et vaste de potentialités
[psychologiques] », plutôt qu’entièrement non existante ou dans un état de
refoulement inconscient, concret et réifié dans le sens freudien.
Le concept de l’impliqué chez Bohm offre une métaphore puissante pour conceptualiser
l’interpénétration de tous les systèmes comme un tout, en même temps que son idée de l’expliqué
nous aide à saisir la nature hautement particularisée de l’expérience personnelle d’un moment à
l’autre.
L’action thérapeutique
D’abord une distinction importante entre l’action thérapeutique et le changement thérapeutique :
 L’action thérapeutique dénote les actions commises par et survenant entre le
patient et le thérapeute qui mènent à des changements développementaux positifs.
 Le changement thérapeutique réfère aux résultats de l’action thérapeutique qui
sont considérés par le patient et le thérapeute comme étant utiles à l’avancement
du monde expérientiel du patient dans une direction positive. A noter : l’absence
de spécificité dans les termes « utiles » et « positifs ». I.E. le changement
thérapeutique est un phénomène qui ne peut être décrit de manière particulière
qu’ a posteriori et sur une base individuelle, et non de manière prescriptive
préalablement.
 Problème quand on ne distingue pas ces deux phénomènes : ex. de Friedman qui
définit trois modalités d’action thérapeutique : l’insight, l’attachement (ou de
nouvelles expériences relationnelles) et l’intégration psychologique. Les deux
premiers : des exemples d’action thérapeutique, et le troisième : un changement
thérapeutique. Coburn propose qu’un élément vital impliqué dans l’action
thérapeutique, c’est la fusion (coalescence) du sens du réel. Voici un exemple
d’une combinaison des termes d’action et de changement thérapeutique, parce que
la coalescence du sens du réel représente à la fois un élément transformateur
(action) et le résultat d’une telle transformation (changement). De même dans le
concept d’Aron (2000) de capacité auto réflexive.
Qu’est-ce que nos idées au sujet de l’intersubjectivité et de la théorie de la complexité
peuvent nous dire au sujet de l’action et du changement thérapeutique? De la technique
thérapeutique?
p.669 Quelques questions re : action et changement thérapeutique…
 Par ex. : action thérapeutique : est-ce un processus par lequel de nouveaux patterns
systémiques d’expérience du contexte thérapeutique sont « généralisés » à d’autres
contextes « à l’extérieur » de la thérapie?
 En d’autres mots, est-ce que nous « portons » nos principes d’organisation ou contours
d’expérience en nous, dans le sens cartésien de porter en nous notre vie
intrapsychique, fantaisies, etc.?
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
Est-ce que nous portons des attentes relationnelles ou des représentations d’objet en
nous?
 OU est-ce qu’il y aurait des alternatives pour comprendre l’apparition de patterns
d’expérience thématisés de manière similaire dans des contextes multiples? (ce qui a
été conceptualisé traditionnellement comme un transfert)
 De plus, si les principes organisateurs ou contours d’expérience explorés dans la
situation analytique sont nécessairement systémiques, coconstitués dans la dyade
analytique, comment pouvons-nous atteindre et saisir ceux qui sont particulièrement
reliés à l’histoire du patient et à son contexte historique? Quelle est la différence
théoriquement entre ceux qui sont issus du contexte systémique de la relation
thérapeutique, et ceux provenant de l’histoire du patient? Est-ce une fausse
distinction?
Quelques réponses…
 Mitchell et Aron : le sujet de la psychanalyse : pas seulement la subjectivité du patient
mais celle de l’analyste aussi, i.e. configuration transfert/contretransfert.
 Une autre approche radicalement contextualiste va beaucoup plus loin : tous les
phénomènes psychologiques sont toujours le produit
 de l’histoire du système,
 de son état courant
 et de son environnement actuel,
et les lignes de démarcation entre ces trois sources d’expérience émotionnelle ne
peuvent être qu’indéterminées.
Implications :
 L’explication traditionnelle (behaviorale) de l’apparence de généralisation des changements
thérapeutiques « de l’intérieur » de la thérapie vers « l’extérieur » ne peut plus tenir: nous ne
pouvons plus parler en termes de changement individuel mais plutôt de changement à
l’intérieur d’ un système qui a des répercussions profondes à travers les autres systèmes
d’expérience, les autres relations dans le monde du patient.
 Les gens ne changent pas seuls, les systèmes changent, et ce, à des niveaux multiples.
 Le changement apparent est réitéré ou distribué à travers tous les systèmes et leur
composantes respectives, de la même manière que ces composantes soutiennent ou sont
responsables de ces changements en premier lieu. La TC éclaire donc les vicissitudes des
mondes expérientiels multiples.
 La distribution du changement à travers les systèmes mêmes qui le soutiennent, évolue de
manière non linéaire et est influencée par la richesse des interactions (petites
perturbations/grands effets et grandes interventions/peu d’effets…)
Distinction importante entre deux niveaux d’abstractions :
 Au niveau phénoménologique (ordre expliqué de Bohm): nous nous vivons nousmêmes et les autres comme ayant changés, comme étant différents de ce que nous
étions;
 Au niveau explicatif (ordre impliqué de Bohm): nous devons comprendre le
changement comme survenant toujours à travers les systèmes, i.e. le processus par
lequel les composantes des systèmes multiples s’organisent et se réorganisent
continuellement en patterns différents (comme les boules sur un jeu de billard).
Le changement chez une personne peut alors être compris comme étant une
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modification dans un système complexe (dont le nombre de composantes est
indéterminé) et qui se manifeste au niveau local de l’individu (le patient), de la
même manière que tout phénomène psychologique (sentiments, rêves, fantaisies,
etc.) qu’on dit survenir à l’intérieur d’un individu est lui-même un produit et une
composante émergente d’un système plus large, donc quelque chose de propriété
ambiguë (Sucharov, 2002). Le changement thérapeutique chez un patient est donc
compris ici comme une propriété émergente d’un système plus grand ou de
systèmes multiples. Si nous parlons d’un changement comme survenant dans une
personne, nous créons un construit artificiel qui extrait nécessairement l’individu
de son contexte plus large.
CONCLUSION
 Une fois que nous devenons d’un contexte, nous sommes et resterons toujours d’un contexte
sous une forme ou une autre. Ce qui semble être la super imposition de l’influence d’un
système d’expérience subjective (celui de la dyade thérapeutique) sur ou dessus les autres (les
autres mondes expérientiels habités par le patient) reflète le fait que nous sommes et resterons
toujours d’un contexte, qu’il soit ou non physiquement présent ou absent, qu’il soit actuel ou
passé. (Ceci correspond à l’idée que nous ne pouvons pas dissoudre des principes
organisateurs anciens et familiers, mais que nous pouvons en développer de nouveaux plus
utiles).
 Au niveau explicatif : tous les phénomènes psychologiques doivent être compris comme
prenant leur origine et se développant à l’intérieur d’un ou des systèmes. Mais jusqu’à quel
point la nature de ces expériences peuvent être identifiés comme portant le sceau d’un
participant particulier?
 Au niveau phénoménologique : la réponse dépend de la perspective spécifique de la personne
qui en fait l’expérience à un moment donné dans le temps. Lorsque nous disons à nos
patients : « c’est comme ça que tu sembles te sentir… c’est ça que ça semble signifier pour
toi », c’est parce que nous sommes là pour explorer le monde subjectif du patient –but
traditionnel de la psychanalyse et de la thérapie.
 Au niveau explicatif : nous explorons nécessairement les phénomènes psychologiques qui
émanent non pas d’un, ni même de deux subjectivités, mais plutôt d’un ensemble de mondes
d’expériences qui s’interpénètrent, refluant et affluant (ou s’auto organisant) de manière
continue dans une mer de potentialités non formulées (le domaine de l’impliqué). (« Le
patient et l’analyste forment ensemble un système psychologique indissoluble et c’est ce
système qui constitue le domaine empirique de la psychanalyse », Atwood et Stolorow, 1984).
Même s’il semble(niveau phénoménologique) que ce sont nos subjectivités propres qui
choisissent d’organiser comment les choses nous « semblent », même ces « choix » sont les
produits et les composantes des systèmes qui s’interpénètrent opérant en arrière plan de notre
expérience émotionnelle (l’impliqué). Une expérience qui est ressenti comme portant le
sceau d’un individu, aussi unique est-elle, est néanmoins distribuée et soutenue à travers une
multitude de systèmes qui interagissent ou de mondes d’expérience.
 Application à la psychanalyse et à la thérapie: l’individualité peut être comprise comme étant
distribuée ou réitérée, et soutenue, par de multiples systèmes qui s’interpénètrent, la plupart
restant en dehors de notre conscience. Implications provocantes quant aux concepts
d’autonomie, d’individualité, de liberté, (de responsabilité).
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Modifications de notre compréhension de l’action et du changement thérapeutique issues de la
TIS et la TC
 Par l’utilisation du cadrage chez l’observateur (une délimitation artificielle mais
nécessaire de sa perspective pour examiner les constituants spécifiques dans un
système plus large), nous disons que :
 Nous avons appris qu’en explorant les contours de l’expérience qui semblent
immédiatement saillants et significatifs, les patients se sentent compris = une
des pierres angulaires de l’action thérapeutique et du changement positif
(Distinct de l’insight par le patient qui comprend quelque chose= une condition
importante mais non suffisante pour la continuité du traitement mais pas pour
le changement);
 Impact positif / changement thérapeutique quand le patient ressent la volonté
du thérapeute de saisir son rôle constitutif dans la coalescence de son
expérience vécue.
 Insight et attachement : inextricablement lié à l’action thérapeutique.
 Un « sens du réel » émerge de cet engagement thérapeutique.
 Donc, l’action thérapeutique :
 Ne peut plus être vue comme une série d’interventions basées soit sur la
génération d’insights, soit une expérience d’attachement, ou soit une forme de
fonction intégrative, ou une combinaison quelconque de celles-ci résultant en
changements émotionnels dans celui qui les reçoit (le patient).
 Elle est plutôt un jeu intersubjectif continuel avec les significations qui a des
réverbérations à travers les mondes expérientiels multiples. Donc d’un point de
vue de la TC, le jeu intersubjectif et les significations qui émergent sont autant
distribués à travers de multiples systèmes qui s’interpénètrent que le sont les
raisons qui amènent les patients en traitement en premier lieu (un exemple de
récurrence sur une échelle très large).
Comment cette sensibilité à la complexité peut-elle modifier ce que nous pensons être
thérapeutique, et ce que nous pourrions faire ou ne pas faire cliniquement?
 Elle suggère une vision élargie de l’inconscient et de comment nous nous approchons
du monde affectif de nos patients. Clairement, cela change nos subjectivités
personnelles :
 Cela nous invite à imaginer qu’il y a toujours de multiples sources de
l’expérience individuelle, peut-être trop nombreuses pour les concevoir, et que,
peut-être, de manière non formulée, nous pouvons être conscient de cela = une
sorte de conscience préréflexive des systèmes.
 Implique cliniquement que, tout en tentant de rester en accordage affectif aux
significations et aux nuances du monde expérientiel du patient, nous restons
toujours ouverts à des perspectives alternatives au sujet des origines de ce
monde *. Cela signifie que :
 nous tenons légèrement à nos conclusions élaborées de manière
collaborative au sujet de pourquoi et de comment le monde du patient
est organisée de la manière qu’il semble l’être;
 nous ne nous arrêtons pas à la conclusion que l’expérience d’un
individu donné est fondamentalement le résultat
o Ou de la contribution du thérapeute,
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o Ou de l’histoire relationnelle du patient,
o Ou de l’état neurobiologique.
Mais nous demeurons réceptifs à considérer des contributions
additionnelles provenant de d’autres sources d’expérience
émotionnelle qui seraient dérivés des multiples systèmes auto
organisateurs et de leurs composantes.
*(Les patients cherchent souvent des certitudes, un « bottom line » -« c’est parce que… telle
chose »- parce que l’ambiguïté et l’incertitude ne sont pas faciles à tolérer, en dépit de leur utilité
clinique. Cela mène la dyade à fermer prématurément le système et la compréhension des
sources potentielles de l’expérience, une compréhension qui pourrait être cruciale pour
l’élaboration et la transformation du monde subjectif du patient.)
Une critique possible de l’utilisation de la TC: pourquoi utiliser des paradigmes qui semblent
loin de l’expérience pour comprendre des phénomènes proches de l’expérience :
 Nous ne faisons pas l’expérience du monde de la manière qu’il semble
fonctionner. Afin de développer une compréhension plus large des phénomènes
psychologiques, nous nous fions à des distinctions conceptuelles très variables,
dont celle qui ressort le plus : la reconnaissance de la division conceptuelle
fondamentale entre :
 Les systèmes vivants qui s’interpénètrent
 Et l’expérience vécue actuelle de la personne.
Conclusion :
 L’ironie ultime de notre tentative de rester aussi proche que possible de
l’expérience dans notre exploration et théorisation des phénomènes
psychologiques se situe dans le fait que nous devons aussi comprendre notre sujet
d’étude comme fondamentalement enchâssé dans des construits hypothétiques
distants de l’expérience comme les systèmes complexes, lesquels ne peuvent être
dits comme comportant des expériences…
 Ce que nous vivons (faisons l’expérience de…) ne sont ni des systèmes, ni des
champs intersubjectifs, mais de la curiosité, de la perplexité, de la compréhension,
de l’amour, de la fatigue, de l’irritation, du calme, de la fierté, ou de
l’émerveillement. Ce que nous vivons dans nos cœurs, ce n’est pas de la non
linéarité, de la complexité, ou du chaos (quoique ça dépend des jours pour ce
dernier!), mais un désir de comprendre, de connexion émotionnelle, un souhait
d’être vu, ou peut-être pas vu, un désir de rester anonyme lorsque nous sommes
humiliés par l’émergence de nos fragilités, une émotivité qui n’a peut-être pas été
dans le passé accueillie à bras ouverts.
 Nous pouvons nous sentir entiers, figés, l’esprit clair, résolus, déterminés, et vrais,
ou nous pouvons nous sentir clivés et faux, nous pouvons vivre des disjonctions,
des états du soi multiples, de l’incohérence, des divergences, et de l’indécision.
Nous pouvons nous sentir entendus, et alors irrévocablement transformés. Nous
pouvons être plongés dans la noirceur par une simple parole, ou nous pouvons
nous sentir réchauffés et réconfortés par un signe de tête, un sourcil relevé. Et
nous pouvons ressentir de la passion.
 C’est de ça dont les transformations sont faites, autour desquelles la vie humaine
se ramasse. Non pas des systèmes ou des champs.
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Peut-être donc, est-ce notre sort à court terme, à nous théoriciens, de parler en
terminologie explicative dans notre recherche constante de compréhension des nuances de
l’expérience humaine et des changements positifs. Ce faisant, je crois, c’est éclairer
utilement ce qu’autrement seuls les poètes peuvent vraiment saisir.
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