
mesure en tension avec celles qu'ont produites les précédentes vagues d'informatisation,
pilotées par la logique gestionnaire des organisations et le mouvement de libéralisation
des marchés.
L'individualisation du travail
Dans les entreprises, l'équipement en informatique personnelle a accompagné un
mouvement d'autonomisation des "travailleurs du savoir", invités à organiser leur propre
travail, à travailler en "mode projet", à s'impliquer et innover, à collaborer avec leurs
clients et partenaires extérieurs, sous contrôle d'objectifs et de critères de performance.
Cette autonomisation contribue à transformer les collectifs de travail : mobilité
croissante, multiplication et interpénétration d'équipes projets, rythmes imposés par les
clients avec lesquels une part croissante des salariés se trouve en relation directe, fin de
l'unité de temps et de lieu… et en définitive, individualisation des trajectoires
professionnelles elles-mêmes.
Cependant, l'autonomisation ne fait pas toujours bon ménage avec les contraintes des
systèmes d'information : en témoignent les difficultés rencontrées lors de la mise en
œuvre des progiciels de gestion intégrés dans les entreprises, ou encore, au quotidien, le
conflit constant entre les directions informatiques et les "utilisateurs" qui cherchent à se
libérer des contraintes qui leur sont imposées.
La conjugaison de ces facteurs apparaît parfois comme une forme d'"injonction
paradoxale", où chaque individu est sommé d'agir en entrepreneur, tout en étant
étroitement contrôlé et plus lourdement chargé qu'auparavant de tâches non directement
productives.
L'explosion des pratiques numériques personnelles… et sociales
L'explosion des usages numériques personnels, particulièrement depuis l'ouverture de
l'internet au public (1995), a des conséquences économiques multiples. La première est
la part croissante des dépenses de communication, des appareils électroniques, des
consommations numériques, dans la consommation des ménages. La seconde est la
croissance des canaux de communication et de distribution numériques dans un grand
nombre de secteurs. A la faveur du développement de l'e-commerce, des positions
concurrentielles changent, des modèles d'affaires différents s'expérimentent et se
concurrencent, de nouveaux géants émergent tels qu'Amazon, eBay, ou Apple/iTunes.
Le développement du numérique grand public s'appuie cependant, avant tout, sur les
pratiques de communication, interpersonnelle, communautaire et collective. La primauté
des usages communicationnels crée également des transformations souvent difficiles à
saisir pour les entreprises : échanges "pirates" de contenus ; circulation très rapide des
informations comme des rumeurs ; flou des distinctions entre espaces et temps
personnels, professionnels, publics ; émergence de vastes espaces d'expression, de
discussion et d'évaluation. Les marchés deviennent "bavards", surinformés plutôt que
transparents ; les consommateurs n'y sont plus seuls face aux entreprises ; et ces
dernières doivent repenser la manière dont elles défendent leur réputation, développent
leurs marques, attirent et fidélisent leurs clients.
Communautés et collaboration
Cet outillage individuel et social résonne avec l'"individualisme en réseau" que décrivait
Manuel Castells au tout début de l'internet. Il suscite et exprime, sous des formes
successives différentes, une aspiration active à se saisir du numérique pour rééquilibrer
les relations entre individus et organisations/pouvoirs : la "cyberculture" des débuts, les
mobilisations Facebook plus récentes, la demande récurrente de "transparence" ou
encore, les projets tendant à rendre aux individus la maîtrise de leurs données
personnelles, vont dans ce sens.
De l'individu au groupe, cependant, l'échelle des usages "sociaux" comprend de
nombreux degrés. Clay Shirky en distingue quatre, qui ont des incidences différentes sur
les organisations et les marchés :
Personnel : l'échange est son propre but, il entretient le lien et l'estime de soi.
La communauté : l'échange produit une valeur commune pour ceux qui y participent.