Exemple de travail 2

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Vietnam : une transition difficile
Le Vietnam :
une transition difficile
Ce travail a été réalisé par
Étienne Prévost et François Rainville
dans le cadre du cours
d’Environnement Économique International
donné par Ruth Dupré
à la session d’hiver 1997
Il est présenté sous sa forme originale
à l’exception des tableaux, images et de la bibliographie
qui ont été omis.
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Vietnam : une transition difficile
Introduction
Depuis quelques années, les pays en voie de développement ont fait la manchette à plusieurs
reprises. Que ce soit pour une croissance économique extraordinaire ou des déboires politiques, sociaux
et économiques, ils alimentent les conversations et poussent les économistes à se poser de nombreuses
questions sur les causes de la croissance économique. Que faut-il à un pays pour croître ? Quels sont les
éléments essentiels à son succès ? Comment éliminer les obstacles à la croissance d’un pays ? La théorie
économique des institutions élaborée par Douglass North permet d’apporter des éléments de solution à
ces interrogations. Cette théorie offre en effet un cadre d’analyse pratique permettant de différencier les
aspects socio-économiques favorisant l’essor économique de ceux qui le défavorisent. C’est à l’aide de
celle-ci que nous analyserons la situation d’un pays qui a fait la manchette plus d’une fois et qui offre des
possibilités de croissance intéressantes, le Vietnam.
Nous présenterons tout d’abord en quoi consiste la théorie de North en démontrant en quoi elle se
distingue du modèle de base néo-classique. Cette démarche est nécessaire puisqu’elle permettra au lecteur
de faire le lien entre la théorie et la pratique, permettant ainsi une meilleure compréhension de l’analyse.
Par la suite, nous procéderons à l’analyse proprement dite en faisant ressortir pour chaque composante du
modèle de North les divers éléments caractérisant la situation qui prévaut au Vietnam.
La théorique économique des institutions, un outil pratique !
Le modèle économique de base, c’est-à-dire le modèle néo-classique, est utilisé depuis longtemps
par les économistes. Toutefois, les hypothèses qui en permettent l’utilisation semblent utopiques. En
effet, le modèle suppose un échange de biens instantané, des produits homogènes ainsi que des individus
parfaitement informés de la nature du bien et des termes de l’échange. Elle suppose même l’existence de
droits de propriété biens définis. Bref, elle suppose que les marchés sont efficients, ce qui est irréaliste
aux yeux de North. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on applique ce modèle à une économie en voie de
développement puisque les structures y sont encore moins développées. Par souci de réalisme, il est donc
nécessaire de relâcher ces hypothèses et d’introduire au modèle des sources de friction, c’est-à-dire des
coûts de transaction. Ce sont des « coûts encourus pour faire fonctionner un système économique dans
lequel l’information n’est pas parfaite mais incomplète et souvent asymétrique »1. Déterminés par les
institutions formelles et informelles que se donnent les humains, les coûts de transaction influencent
l’allocation des ressources. Voilà pourquoi il apparaît primordial d’analyser les institutions qui ont été
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Vietnam : une transition difficile
mises en place au Vietnam puisqu’elles auront une influence déterminante sur sa performance
économique.
Ces institutions peuvent être informelles ou formelles. Les premières représentent les lois non
écrites et touchent des domaines tels que la religion, la culture, l’histoire et la tradition. Les institutions
formelles quant à elles représentent tout ce qui est écrit et qui se retrouve sous forme de « loi ». La
constitution, la législation ainsi que la réglementation en constituent des exemples. On y analyse les
règles politiques et judiciaires, de même que les règles économiques (droits de propriété) et les contrats
individuels. Ces institutions ont une influence directe sur les coûts de transaction comme mentionné plus
haut et une influence indirecte sur les organisations politiques, économiques, sociales et éducatives. En
effet, les organisations, si elles veulent survivre, devront se conformer aux règles du jeu. Puisqu’elles
veulent maximiser leur profit, elles prendront les moyens à leur disposition pour le faire. De ce fait, si les
institutions favorisent l’efficacité économique (en minimisant les coûts de transaction), ce seront les
organisations efficaces qui seront rentables. Par contre, si elles ne favorisent pas l’efficacité économique,
ce seront les organisations inefficaces qui seront rentables. Par exemple, si la rentabilité passe par la
corruption, il y aura prolifération d’organisations utilisant la corruption pour arriver à leurs fins. Nul n’a
besoin d’être très malin pour prédire l’influence négative sur la croissance économique de telles
organisations.
« Des marchés efficients découleront d’institutions capables de minimiser les coûts de transaction
[...] et de fournir des incitatifs pour acquérir des savoirs et des apprentissages, encourager l’innovation, la
créativité et le goût du risque »1. De ce fait, de bonnes institutions favoriseront la productivité et
l’efficience, la concurrence domestique et internationale, ainsi que le respect des droits de propriété. De
mauvaises institutions favoriseront les monopoles au détriment de la concurrence, les activités
redistributives plutôt que productives et décourageront l’entrepreneurship et l’éducation.
Maintenant, passons de la théorie à la pratique et analysons la situation vietnamienne pour
identifier les bonnes et les mauvaises institutions. Nous ferons un tour global des caractéristiques de ce
pays en voie de développement. Nous commencerons par les institutions informelles, ce qui nous
permettra d’effectuer un survol de l’histoire du pays et de repérer les facteurs culturels et religieux
susceptibles d’influencer les variables dont nous parlerons par la suite dans cette analyse. Ainsi, nous
continuerons en élaborant sur les institutions formelles mises sur pied au Vietnam. Par la suite, il nous
sera possible de cerner précisément les coûts de transaction que ces institutions imposent. Enfin, nous
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Vietnam : une transition difficile
terminerons en décrivant les organisations et l’influence des règles du jeu sur leur présence et leur avenir
dans le système économique.
Institutions informelles
L’histoire et son influence
Comme l’historique suivant le démontre, ce qui ressort le plus de l’héritage vietnamien ce sont les
batailles violentes qui eurent lieu contre l’étranger. Les guerres n’ont pas seulement contribué à disperser
les ressources mais elles ont également empêché le gouvernement d’atteindre ses objectifs économiques.
Toutefois, il en ressort une caractéristique positive : les longues années de combat contre l’invasion
étrangère ont contribué à unifier le pays et à forger un sentiment de nationalisme et de fierté.
En 939 avant J.-C., les Chinois furent poussés hors du Vietnam après 1000 années de règne. Les
attaques subséquentes furent également repoussées par les Vietnamiens avec la défaite des armées de
Kublai Khan en 1288, marquant ainsi la fin de l’expansion chinoise au Vietnam. La fois suivante où un
pays étranger assuma le contrôle du Vietnam, il fallut moins de temps pour le repousser. En effet, après
avoir pris possession du Vietnam en 1884 lors de la colonisation, la France quitta le pays 70 ans plus tard,
après sa défaite à Dien Bien Phu en 1954 contre les forces communistes. Le Japon quant à lui est entré au
Vietnam en 1940 et a mis en place un gouvernement dirigé par Bao Dai, ancien empereur d’Annamese.
Face à la montée de la présence japonaise, la ligue pour l’indépendance se mobilisa sous la direction du
leader communiste Ho Chi Minh et força éventuellement le retrait du régime japonais en août 1945. Un
mois plus tard, Ho déclara l’indépendance et mis sur pied la République démocratique du Vietnam
(RDV).
De 1946 à 1954, la France tenta, avec l’aide financière des États-Unis, de combattre la montée du
communisme et de resserrer le contrôle du Vietnam, lui-même appuyé par la Chine et l’Union soviétique,
deux pays communistes. La France fut battue en 1954 et en 1955, avec les Accords de Genève, le
Vietnam fut divisé au 17e parallèle : le communisme au nord, la démocratie au sud. À partir de ce
moment, les États-Unis amplifièrent leur aide militaire au sud du Vietnam afin de combattre le
communisme qui régnait au nord. Enfin, en 1964 ils débutèrent une série d’attaques dévastatrices sur le
nord, lesquelles continuèrent jusqu’à janvier 1973 lorsque les pourparlers de paix furent finalement
conclus. Deux ans plus tard, les troupes du Nord surprirent le Sud avec la prise de Saigon en avril 1975 et
réunifièrent le pays en « République socialiste du Vietnam (RSV)».
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Vietnam : une transition difficile
Ainsi, après avoir avec succès repoussé de nombreuses intrusions étrangères, la fierté et le
nationalisme sont devenus des caractéristiques importantes chez les Vietnamiens. Celles-ci furent
renforcées par une éducation socialiste, laquelle attribuait les victoires des Vietnamiens à la force
nationaliste qui habitait les gens à cette époque. Alors que le système d’éducation tente de se moderniser
présentement, la jeunesse est encore assujettie à la théorie marxiste. Toutefois, bien que les jeunes
Vietnamiens ne soient pas exposés directement à une critique de la performance de leur pays, ils vivent
dans des conditions qui leur rappellent constamment l’échec du modèle socialiste, économiquement à tout
le moins. Enfin, les années de guerre ont forgé chez eux des qualités telles que l’ardeur au travail, la
détermination ainsi que la capacité de reconstruire ce qui fut détruit.
La culture vietnamienne
Les Vietnamiens sont uniques en Asie sur le plan culturel. Les influences françaises, chinoises et
américaines ont fait du Vietnam un pays cosmopolite. L’histoire a contribué à la montée du nationalisme
mais elle a également marqué le pays d’une profonde différenciation entre le nord et le sud du pays 2. Au
nord, la ville principale est Hanoi avec plus de trois millions d’habitants. L’économie y est de type
socialiste marxiste et la religion, bouddhiste. Au sud, la ville principale est Ho Chi Minh Ville.
L’idéologie démocratique y est beaucoup plus présente dû à l’influence française. De plus, les habitants
sont généralement catholiques et parlent souvent le français.
Il existe d’autres différences culturelles entre les deux régions. Physiquement, on ne peut faire la
différence puisque tous se ressemblent. Toutefois, leur dialecte diffère : par exemple, au nord un « r »
sera prononcé comme un « z » alors qu’au sud on entendra véritablement un « r »3. Les Vietnamiens du
Sud parlent de façon plus nasillarde que les habitants du Nord, ce qui devient irritant pour les oreilles
selon les dires de ces derniers. De même, les Vietnamiens du Sud considèrent ceux du Nord comme étant
moins sophistiqués et créatifs.
Bien que ces différences peuvent sembler anodines à première vue, il n’en demeure pas moins
qu’elles s’inscrivent dans la culture du pays et ont des répercussions importantes sur l’unité nationale.
D’ailleurs, on remarque depuis les dernières années une montée en puissance des Vietnamiens du Sud à la
tête de plusieurs ministères, expliquant ainsi en partie l’influence grandissante d’une idéologie
démocratique et de l’introduction de principes de marché. Nous en reparlerons plus en détails lors de
l’analyse du système politique (institutions formelles). Pour l’instant, il est intéressant de mentionner que
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Vietnam : une transition difficile
les Vietnamiens ne sont pas fondamentalement socialistes : ils sont entrepreneurs et préfèrent le
capitalisme qu’ils accueillent à bras ouverts d’ailleurs3.
Toujours sur le plan culturel, la femme occupe une place importante. Avant l’arrivée du
communisme, les idéaux du confucianisme précisaient que les femmes étaient censées posséder les quatre
vertus féminines soient la cuisine, la beauté, le silence et la foi 3. Les Vietnamiennes cuisinent encore,
elles semblent croyantes et peuvent être belles mais le silence ne saurait décrire correctement une
Vietnamienne type à ce jour. En fait, les femmes fonceuses qui parlent beaucoup semblent constituer la
norme au Vietnam. En comparaison avec la plupart des pays d’Asie de l’Est, le respect que l’on accorde à
la femme est impressionnant. La position favorable de celles-ci trouve ses racines dans l’histoire, la
tradition et l’idéologie socialiste. En effet, de nombreuses Vietnamiennes sont devenues héroïques, telles
que les soeurs Trung, lesquelles menèrent l’insurrection contre la Chine de 40 à 43 avant J.-C. Le
socialisme quant à lui contribua à solidifier le statut de la femme en instaurant l’égalité des sexes et en
employant plus de femmes sur le marché du travail comme le démontre la figure suivante. D’ailleurs,
aujourd’hui les Vietnamiennes représentent 80 % de la main-d’œuvre agricole, 46 % des professeurs,
32 % des chercheurs et 8 % des dirigeants d’État.
Les différences culturelles ont toujours constitué un obstacle dans les relations d’affaires entre les
étrangers et les Vietnamiens. Si elles ne sont pas comprises et bien « gérées », elles peuvent contribuer à
mettre fin à un projet d’affaires. Les Vietnamiens voudront s’asseoir pour discuter et prendre le thé avec
le partenaire potentiel. Par la suite, ils peuvent l’inviter à souper et à danser, contrairement aux
Nord-Américains qui désirent parler « affaires » immédiatement parce qu’ils doivent prendre leur avion
pour 14h00.3 D’ailleurs, dans la plupart des pays asiatiques, on ne fait des affaires que lorsqu’une relation
de confiance mutuelle s’est installée entre les deux partenaires commerciaux. Toutefois, les Vietnamiens
sont différents des Japonais ou des Chinois. Les formalités culturelles sont beaucoup moins importantes :
nul n’a besoin d’échanger sa carte d’affaires avec les deux mains ou de suivre des façons de faire
spécifiques à table. De même, les Vietnamiens sont directs et rancuniers alors que la plupart des
Asiatiques sont implicites dans leur façon de démontrer leur mécontentement, de peur d’offenser les gens
et de mal paraître. Enfin, bien qu’ils soient plutôt flexibles et tolérants en affaires avec les étrangers, la
politesse et le respect de l’autorité sont pour eux très importants. Même après des décennies de guerres et
de souffrance, les Vietnamiens demeurent gentils, amicaux et hospitaliers mais ils sont de farouches et de
puissants négociateurs. Il s’agit donc de bien se tenir et de comprendre les aspects importants de la culture
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Vietnam : une transition difficile
vietnamienne pour avoir de bonnes relations d’affaires avec eux. D’ailleurs, il n’est pas surprenant que
plusieurs livres énumèrent les normes d’éthique à adopter.
La religion : bouddhisme vs catholicisme
Plusieurs religions sont pratiquées au Vietnam mais la plupart des Vietnamiens se considèrent
comme bouddhistes (80 %). Les catholiques romains représentent quant à eux 7 % de la population. Très
croyants, ils ont un culte pour les morts qu’ils consultent et honorent 4. La religion influence beaucoup la
vie des Vietnamiens. Le mahayana est la version chinoise du bouddhisme et fut adopté par la plupart des
Vietnamiens, plus spécifiquement au Nord. Avant l’expansion du bouddhisme, le Vietnam était
fondamentalement une société confucianiste. Les pratiques traditionnelles combinaient le folklore, le
confucianisme, le taoïsme et l’animisme dans des cérémonies majestueuses 4. La religion catholique acquit
également une importance substantielle durant le règne de la colonisation française et est présentement la
deuxième religion la plus pratiquée au Vietnam. Après les Philippines, les deux millions de catholiques
constituent le plus important pourcentage de la population dans le Sud-Est asiatique. Il est à mentionner
que, dû à la migration après 1954, il y a deux fois plus de catholiques au sud qu’au nord.
La religion n’est toutefois pas aussi contraignante que dans les autres pays du Sud-Est asiatique.
D’ailleurs, la constitution de la République socialiste du Vietnam mentionne que «les citoyens ont la
pleine liberté d’exprimer leurs préférences religieuses»3. Les Vietnamiens semblent fonctionner selon les
principes du confucianisme, mettant l’emphase sur la personnalité des individus. Ils respectent
énormément leurs aînés et la famille est pour eux une valeur très importante. Marqués d’un sens profond
de la hiérarchie, ils prônent le respect, l’ordre et la rigueur.
Les institutions formelles
Nous aborderons respectivement les trois types d’institutions formelles, soient les règles
politiques et judiciaires (constitutions, législations, réglementations), les règles économiques (droits de
propriété) ainsi que les contrats individuels. De plus, nous ferons des liens entre ces trois types à
l’occasion.
Règles politiques et judiciaires
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Vietnam : une transition difficile
Selon la Constitution, l’Assemblée nationale est la plus haute autorité législative au Vietnam.
Élue par suffrage universel pour un mandat de cinq ans, ses membres se réunissent deux fois par année ;
le tiers de ceux-ci forment l’appareil législatif où siège le Premier ministre. C’est l’Assemblée nationale
qui détient le pouvoir législatif et qui élit le Président de la République et le Premier ministre. En pratique
toutefois, l’Assemblée nationale et son Comité permanent agissent seulement à titre d’observateur (bien
que depuis l’adoption de la Constitution de 1992, l’Assemblée nationale s’est avérée plus présente et plus
influente dans la mise sur pied de certaines politiques). La législation provient présentement des
composantes du parti ou du gouvernement, formellement appelé le Conseil des ministres, lequel constitue
l’appareil exécutif et administratif. Le gouvernement légifère principalement sous forme de décrets et de
directives, lesquels sont ensuite acheminés à l’Assemblée nationale pour éventuellement devenir loi. Le
pouvoir siège au Cabinet qui est formé entre autres de 20 ministres et du Gouverneur de la Banque
centrale. La figure suivante illustre plus en détails la structure gouvernementale.
Le gouvernement est devenu impliqué dans toutes les facettes de l’économie. Toutefois, depuis
1986, celui-ci a accepté de diminuer quelque peu ses interventions. Le but de cette diminution était de
procurer aux entreprises plus d’autonomie en ce qui concerne la coentreprise, de leur permettre de
renouveler leur machinerie et de vendre ou de louer leurs moyens de production (par la propriété privée
des moyens de production). En pratique toutefois, le gouvernement centralisé maintient encore un
contrôle serré des finances et des profits des entreprises privées. Alors que les sociétés d’État peuvent
procéder comme ils le désirent d’un côté, de l’autre le gouvernement poursuit des objectifs qui limitent
l’autonomie de l’entreprise privée. Les sociétés d’État profitent d’un meilleur accès au crédit et ont droit
à des taux d’intérêt inférieurs. De plus, le gouvernement encourage les investisseurs étrangers à former
des joint venture avec des entreprises du secteur public et la plupart d’entre eux optent effectivement pour
une entreprise d’État dans le but de diminuer le risque. Voilà qui semble aller en sens inverse de la
politique de libéralisation et de privatisation mise en place par le gouvernement ces dernières années.
Depuis les politiques adoptées en 1986, l’importance des entreprises publiques n’a pas diminué et celle
des entreprises privées n’a que quelque peu augmenté, aux dépens des coopératives. La stratégie de
libéralisation ne semble donc pas fonctionner très efficacement.
Une des caractéristiques importantes de l’appareil gouvernemental est qu’il n’y a qu’un seul parti.
Il n’y a donc aucun parti à l’opposition. Présentement, c’est le Parti communiste qui est à la tête de l’État
et c’est lui qui s’occupe de faire appliquer les lois. La responsabilité de faire respecter les lois est
également déléguée aux autorités locales. Pour que ce système fonctionne efficacement, il doit y avoir
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Vietnam : une transition difficile
synergie entre les deux paliers de gouvernement, ce qui n’est pas le cas au Vietnam présentement. En
effet, les lois sont appliquées différemment selon les provinces et les localités. Parfois, l’État sanctionne
les provinces pour la mauvaise application des lois nationales. Les autorités locales peuvent s’approprier
un certain pouvoir et établir des politiques indépendantes de celles du gouvernement central. Il leur arrive
même d’aller jusqu’à défier les principes des lois existantes.
Les politiques mises sur pied lors du « renouveau économique » en 1986, appelé le Doi Moi, ont
contribué à augmenter l’autonomie des provinces en décentralisant le processus de création des lois. Une
des raisons qui explique ce retournement du pouvoir est que les Comités populaires (autorités
provinciales) contrôlent les permis pour les terrains. Les investisseurs étrangers se doivent donc
d’entretenir de bonnes relations avec le Comité populaire de la province s’ils veulent réaliser leurs projets
dans un court laps de temps et sans trop de difficultés. Les autorités locales possèdent ainsi un pouvoir
considérable et c’est pourquoi les pots-de-vin et la corruption font leur apparition.
On assiste donc à une décentralisation du pouvoir et les politiques économiques adoptées
récemment vont dans ce sens. Jusqu’en 1992, la Constitution affirmant les principes de l’économie
planifiée était en contradiction avec les nouvelles orientations du Doi Moi, telles que mises en œuvre dans
la loi sur les investissements étrangers de 1987 et la loi sur les entreprises privées de 1990. Sa révision en
1992 a introduit la reconnaissance de la libre entreprise et de la propriété privée des moyens de
production, à l’exception du sol et du sous-sol dont la loi foncière votée en juillet 1993 a réaffirmé la
propriété collective et la gestion par l’État.5 Des garanties constitutionnelles, législatives et
conventionnelles furent accordées. Parmi celles-ci on retrouve la prohibition de l’expropriation et
l’assurance d’un traitement juste et équitable. Le régime juridique se libéralise de manière continue au fur
et à mesure des modifications apportées à la loi, lesquelles sont très fréquentes d’ailleurs. « De même, la
loi offre des possibilités d’investissement selon des formes différentes et très libérales telles que
l’investissement à 100 % étranger et l’absence de seuil minimum de participation vietnamienne dans les
coentreprises ».5 Enfin, les dispositions légales laissent le champ à une liberté contractuelle étendue, à la
souplesse et à la négociation. Bien sûr, la plupart de ces dispositions contribuent à l’efficacité
économique puisqu’elles permettent de réduire les coûts de transaction et d’offrir un cadre
d’investissement plus sécuritaire et plus étendue. Toutefois, il ne faut pas se leurrer ! Les garanties
accordées demeurent théoriques en l’absence d’un système judiciaire efficace et de voies de recours
contre les actes de l’administration : que les lois soient écrites ne signifie en rien qu’elles soient
appliquées ! De même, les modifications aux lois sont fréquentes et donnent lieu à un environnement
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Vietnam : une transition difficile
juridique instable. Comment alors se fier à ce qui est écrit présentement si la loi peut changer du jour au
lendemain ? Qui plus est, les textes de loi sont « volontairement vagues et ne constituent qu’un cadre
général à l’intérieur duquel les dispositions sont précisées et modifiées par voie de décret, en procédant
par tâtonnements et réajustements périodiques, ce qui donne évidemment l’impression d’un cadre
juridique changeant ».5 Certes, le pays est marqué par de nombreux changements puisqu’il passe d’une
économie planifiée à une économie de marché. Cela donne lieu à quelques changements juridiques bien
sûr. Toutefois, lorsque ceux-ci deviennent trop fréquents et que la faible qualité des textes donne lieu à
des divergences d’interprétation, cela crée un risque juridique et l’efficacité économique peut
difficilement être atteinte dû à des coûts de transaction élevés. Enfin, bien que les entreprises à capitaux
étrangers soient autorisées, elles ne le sont que pour une durée déterminée et au terme de celle-ci, aucune
garantie de renouvellement de la licence n’est assurée. L’investisseur étranger investira-t-il s’il ne sait pas
si sa licence sera renouvelée dans dix ans ?
Le code des investissements étrangers comprend à ce jour 90 textes environ, auxquels s’ajoutent
des textes régissant des secteurs spécifiques : pétrole et gaz, pêche, bois, pierres précieuses, aviation,
banque. D’autres textes sont en cours d’élaboration ou font encore défaut : loi sur les faillites, code
commercial, code du travail, loi sur les assurances, sur les copyrights, sur les hypothèques et sur
l’application des décisions de justice étrangères.5 C’est là le principal problème avec les institutions
formelles au Vietnam : les lois sont écrites et on croit percevoir une réelle intention d’améliorer les
conditions et lorsque vient le temps de les appliquer, les investisseurs sont soumis à des autorisations
multiples qui rendent théorique la reconnaissance de la libre entreprise et permettent les lenteurs et
problèmes administratifs. Nous en reparlerons d’ailleurs plus précisément dans la section sur les coûts de
transaction.
Règles économiques
En ce qui concerne les droits de propriété, bien qu’ils aient été reconnus par la Constitution de
1992 pour les moyens de production, ce ne fut pas le cas pour le sol et le sous-sol. La nouvelle loi
foncière, votée par l’Assemblée nationale en juillet 1993 et entrée en vigueur en octobre 1993, réaffirme
le principe de la propriété collective du sol sous administration de l’État. C’est plutôt un droit d’usage qui
est attribué, et ce en général pour une longue durée : de 20 à 50 ans. Ce droit donne la possibilité
d’échanger, de louer, de transférer et d’hypothéquer le droit d’usage. « Cependant, la possibilité de
réaliser des hypothèques demeure théorique puisqu’en l’absence de textes et de moyens d’application, les
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Vietnam : une transition difficile
saisies ne peuvent être mises en œuvre. »5 Voilà qui démontre que le vide juridique présent au Vietnam
contribue à paralyser l’activité économique puisqu’il hausse les coûts de transaction.
Chaque terrain est destiné à une utilisation spécifique, définie par le droit d’usage. Ainsi, le droit
de transférer les surfaces agricoles et forestières est très restreint puisqu’il est nécessaire d’obtenir une
autorisation du Comité populaire pour pouvoir modifier le statut d’un terrain. De plus, bien que
l’investissement à 100 % étranger soit autorisé comme nous l’avons mentionné précédemment, il demeure
qu’en ce qui concerne les droits de propriété des terrains il se présente certains obstacles. Les étrangers
résidant au Vietnam ne peuvent ni détenir un droit d’usage ni posséder des bâtiments, même d’habitation.
En effet, le droit d’acheter une résidence affirmé par l’ordonnance sur les habitations résidentielles
demeure à ce jour théorique en l’absence de réglementation d’application et de précédents. Seule une
société créée au Vietnam, à capital étranger, a la possibilité de posséder d’autres types de bâtiments :
hôtels, bureaux, usines. Voilà pourquoi dans le cas d’une coentreprise les terrains et les bâtiments
constituent souvent l’essentiel de l’apport de la partie vietnamienne et de sa raison d’être en tant que
partenaire d’une coentreprise. La création d’une coentreprise est le moyen de surmonter les restrictions et
il est courant de voir une association avec l’organisme étatique qui détient le droit d’usage sur le terrain
convoité, en particulier les fameux Comités populaires, le ministère de la Construction et l’armée qui sont
les principaux détenteurs des droits d’usage. De même, « il devient judicieux d’obtenir un terrain déjà
affecté à l’usage nécessaire au projet d’investissement ».5 Cela constitue une contrainte pour
l’investissement étranger puisque dans un tel cas, le seul moyen qui paraisse efficace s’avère être le
partenariat. L’autorisation d’utiliser plusieurs véhicules d’investissement selon la Constitution de 1992
s’avère donc théorique puisqu’en réalité le choix est restreint.
Contrats individuels
Il s’avère nécessaire dans un contexte juridique changeant de prévoir des clauses contractuelles.
Étant donné que le cadre juridique laisse une grande place à la liberté contractuelle, le nombre de clauses
spécifiant les inconvénients pouvant survenir suite à des changements dans les lois ou à quelque autre
facteur que ce soit sera important. C’est alors qu’interviennent les coûts de transaction. Le processus de
mise en contrat s’avérera long et parfois pénible, décourageant ainsi l’investissement. Quand on sait que
le cadre juridique est à ce point instable, il est permis d’avoir des doutes sur la validité et l’application des
contrats. En effet, s’il y a des coûts d’évaluation, il y a également des coûts d’application et parfois ceuxci peuvent être beaucoup plus importants que les premiers.
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Vietnam : une transition difficile
Les coûts de transaction
Maintenant, analysons plus en profondeur les différents coûts de transaction engendrés par les
institutions formelles et informelles. Cette analyse nous permettra ensuite d’apporter des éléments de
solution aux questions que nous nous posions au tout début.
Comme nous l’avons vu, ce sont les institutions qui forment les règles du jeu au Vietnam. Ces
mêmes institutions entraînent conséquemment des coûts de transaction lorsque l’information est trop
partielle et imparfaite par rapport à la situation réelle. C’est cette « fameuse différence » dont on parle
souvent entre la théorie et la pratique. Les coûts de transaction sont très importants au Vietnam et ils
causent de ce fait un manque d’efficacité nuisant au développement économique. Ils se présentent sous
différentes formes telles que pots-de-vin, pertes de temps et incertitude.
Tout d’abord, lorsqu’on parle d’information, les médias sont souvent concernés. En effet,
puisqu’ils sont contrôlés et supervisés par l’État, ils empêchent parfois la circulation de la vérité. Ainsi,
l’information s’avère difficilement accessible et pour l’obtenir, il faut savoir l’acquérir. Cette intervention
gouvernementale nuit donc à l’efficacité économique puisqu’en présence d’une information imparfaite,
l’incertitude règne. Celle-ci est tellement présente, autant parmi les institutions formelles qu’informelles,
que d’importants coûts de transaction en découlent.
Des mesures « théoriques » semblent être prises par l’État afin de réduire éventuellement
l’incertitude sous toutes ses formes. Mais en pratique, ces mesures font défaut. Le vide juridique laisse
une trop grande place à des interventions nuisibles du gouvernement et celui-ci en profite. En effet, il ne
faut pas oublier que la transition entre une économie planifiée et une économie de marché peut être
longue et pénible. Pour que le changement soit plus rapide, l’État doit accepter de laisser les marchés
fonctionner d’eux-mêmes. Toutefois, il semble que le gouvernement vietnamien soit réticent à laisser plus
de liberté aux agents économiques tels que les entreprises et les consommateurs : soit qu’il est incertain
du résultat, soit qu’il ne veut pas presser le pas (c’est tout de même un parti communiste qui est au
pouvoir !). On a l’impression que le gouvernement sent qu’il doit constamment intervenir et cela nuit à
l’efficacité économique.
L’incertitude relève d’un État où la bureaucratie y est très élevée et où obtenir des permis
d’exploitation n’a plus d’aboutissement. Il faut détenir un réseau de connaissances et convaincre les gens
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Vietnam : une transition difficile
importants. Mais une fois un permis en main, rien n’assure la procuration des autres permis nécessaires.
Par exemple, l’entrepreneur doit se procurer un permis d’utilisation de terrain par le Comité populaire
avant d’obtenir un permis de construction. Toutefois, l’obtention de ce permis de construction n’est pas
assurée. Ainsi, l’entrepreneur pourrait se retrouver avec un permis d’utilisation perdant son utilité réelle
sans permission de construire. Il est difficile de comprendre cette façon de procéder quand on sait que
l’État a apporté à sa Constitution en 1992 des changements importants qui reconnaissent la libre
entreprise et tente de la favoriser.
Le système bancaire n’aide pas à la situation en omettant d’appuyer les investisseurs domestiques
et étrangers. Sans un accord du Comité populaire, l’investisseur étranger ne peut ouvrir un compte
bancaire. De ce fait, celui qui ne possédera pas son compte bancaire devra posséder sur soi une large
somme d’argent s’il veut débuter son projet. De plus, les Vietnamiens obtiennent des prêts à court terme à
des taux élevés de près de 30 %.3 Par contre, pour les sociétés d’État, le crédit est beaucoup moins
coûteux. Il y a donc encore un illogisme entre les objectifs de marché que poursuit théoriquement l’État et
le fait de rendre le crédit plus accessible aux entreprises d’État. Bien entendu, on fait alors face à un
cercle vicieux. Le gouvernement complique la vie aux investisseurs privés, ce qui diminue leur chance de
succès. Puisque le risque d’un projet privé devient plus grand, le crédit y est plus dispendieux. Et plus le
crédit est dispendieux, moins l’entrepreneurship et la croissance économique sont élevés.
Conséquemment, les entreprises seront seulement fondées dans le cas où l’investisseur possédera les
fonds nécessaires. On imagine ainsi pourquoi il y a si peu d’entreprises dynamiques et concurrentielles
dans le système économique vietnamien.
L’investissement domestique quant à lui est négligé car les manufactures sont taxées à 40 % et
même 50 %.3 Plusieurs projets doivent suivre un processus long et complexe puisqu’ils doivent parfois
être approuvés par les plus hauts fonctionnaires. Par exemple, onze comités ont dû approuver le projet de
BBI Investment Group pour développer un terrain en 1994. Pourquoi alors la corruption ne pourrait-elle
pas faire son apparition pour accélérer le processus si les avantages retirés de celle-ci pouvaient s’avérer
substantiels ?
Au niveau de la main-d’œuvre, on peut dire que l’État empêche sa mobilité par le biais de
certaines lois. Des agences de main-d’œuvre sont créées mais l’accès à celles-ci est défendu à certaines
entreprises. Il peut arriver que des Vietnamiens y soient recrutés et que le gouvernement décide, un peu
plus tard, de les « rapatrier » sous divers prétextes et ce sans avertissement. Le taux horaire n’entraîne pas
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Vietnam : une transition difficile
la motivation et les mouvements de personnel sont défendus entre employeurs publics. Par exemple, une
organisation reçoit en moyenne 14 demandes par jour pour un poste de secrétaire en Amérique, tandis
qu’elle en recevra seulement trois ou quatre au Vietnam.3 Ce nombre restreint est principalement relié à
un manque de motivation à travailler. D’ailleurs, le salaire mensuel minimum au Vietnam est un des plus
bas en Asie comme le démontre la figure suivante. Il n’est pas surprenant de constater alors que malgré le
sentiment nationaliste qui les habite, beaucoup de Vietnamiens rêvent de partir en Occident.
Récapitulons. Parce qu’il y de l’information imparfaite et des règles du jeu mal définies ou
inefficaces, certains sont alors tentés d’emprunter des comportements opportunistes et cela crée un climat
propice à la corruption. L’État centralisé n’encourage pas réellement une législation fiable et l’ambiguïté
des lois est coûteuse. Les droits de propriété sont vagues, imprécis. Ils laissent donc une grande place à
l’interprétation et de ce fait à la corruption. De même, avec la lenteur du système législatif, des pots-devin sont donnés aux fonctionnaires afin d’accélérer le processus. Enfin, non seulement les lois ne sont pas
claires mais l’État ne prend pas les mesures nécessaires afin de les faire respecter.
Les coûts de transaction sont dus à plusieurs causes. Dans un pays en voie de développement
comme le Vietnam, l’État aurait avantage à favoriser l’investissement étranger pour améliorer la qualité
de vie. Mais la réalité est toute autre. « Le sous-développement, la permanence du système communiste et
la transition d’une économie planifiée vers une économie de marché créent un contexte très difficile pour
l’investissement [et entraînent des coûts de transaction élevés]. Il y a encore peu de conditions tangibles
favorables aux investisseurs ».5 Bien que la loi semble évoluer dans le bon sens malgré un vide juridique
important, il n’en est pas ainsi des comportements : spéculation, corruption, désorganisation
administrative. « L’absence d’État de droit autorise l’anarchie et l’arbitraire et la volonté affichée par les
autorités est de contrôler plutôt que de promouvoir ». De plus, les conflits entre le gouvernement central
et les autorités locales ainsi qu’entre le Nord et le Sud contribuent à augmenter l’incertitude de
l’investissement. Une structure de pouvoir en réseaux concurrents favorisant la corruption présente
parfois une certaine opacité pour les étrangers, si bien qu’il est difficile d’en comprendre les mécanismes
à l’occasion. « La multiplication des niveaux de décision et le manque de coordination engendrent de
grandes incertitudes quant à la stabilité du cadre juridique ». À ce changement constant et à un vide
juridique s’ajoutent des règles contractuelles multiples qui freinent l’entrepreneurship. C’est pour toutes
ces raisons que les investisseurs doivent miser plutôt sur une rentabilité à long terme.
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Vietnam : une transition difficile
Qui plus est, l’influence des institutions informelles est importante et très présente. La culture
vietnamienne freine de nombreuses coopérations étrangères alors que ce sont les Vietnamiens qui ont
besoin d’aide. Les guerres ont encore leurs mémoires et les Vietnamiens ne semblent pas vouloir grandir
avec des étrangers. La religion y est également pour quelque chose. Elle interdit plusieurs importations et
exportations nuisibles au bouddhisme et est très difficile à cerner pour les investisseurs étrangers.
Comprendre en profondeur la culture d’un tel pays n’est pas une mince tâche.
En bref, la finalisation d’un projet au Vietnam est d’une longue durée ; de 6 mois à 2 ans.5 Un
projet nécessite aussi un énorme investissement personnel, sans garantie d’aboutir. La présence sur place
des investisseurs étrangers est donc essentielle. De plus, il est difficile d’obtenir des informations fiables
sur les entreprises vietnamiennes, les états financiers n’étant même pas publiés. Pour débuter un projet,
une procédure complexe est parfois cause d’importants retards comme le démontre la figure suivante.
Ces lenteurs dans la réalisation d’un projet illustrent un certain nombre d’obstacles rencontrés par
les investisseurs. Et les dysfonctionnements entre les autorités locales et centrales créent des obstacles
supplémentaires. Si les progrès déjà réalisés sont énormes et les évolutions globalement favorables,
beaucoup reste à faire au Vietnam.
Les organisations
Nous avons vu que les institutions représentent en quelque sorte les règles du jeu. Les
organisations, elles, sont plutôt les joueurs qui interagissent entre eux tout en tenant compte de ces
institutions. Ils sont en fait des regroupements d’individus qui ont un but précis et collectif. Bien entendu,
il y a plusieurs types d’organisations au Vietnam. Parmi les organisations politiques, on retrouve entre
autres le Parti communiste vietnamien (PCV), le Comité d’État à la coopération et aux investissements
(CECI) et le Comité populaire de chaque localité. Les entreprises publiques, privées et les investisseurs
font partie quant à eux des joueurs économiques alors que les entreprises sociales se rapportent plutôt à la
religion et à l’éducation.
Toutes ces organisations sont influencées par les institutions formelles et informelles. Elles
doivent donc évoluer en fonction d’elles et s’adapter constamment. C’est la condition de base pour
demeurer dans le jeu ! Puisque ces organisations cherchent à maximiser leurs profits, elles doivent
répondre aux incitatifs provenant des institutions. Si celles-ci font en sorte que la rentabilité passe par
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Vietnam : une transition difficile
l’efficacité, alors les organisations mettront tout en œuvre pour être efficaces. Et puisque les organisations
qui ne seront pas efficaces ne seront pas rentables, elles disparaîtront. La conséquence ultime sera qu’il ne
subsistera que des organisations efficaces, lesquelles favoriseront l’essor économique du pays.
Cette influence n’est pas unidirectionnelle mais plutôt réciproque. En effet, les organisations
peuvent devenir des sources de changement ou de stabilité du cadre institutionnel. En effet, lorsque ce
cadre institutionnel permet à une organisation de définir les règles du jeu en sa faveur, le changement
institutionnel peut être très lent ou quasiment nul si les institutions actuelles profitent à l’organisation en
question. Au Vietnam, le PCV est une organisation qui se retrouve dans cette position. En effet, puisqu’il
n’y a qu’un seul parti au sein de la structure politique, celui-ci en profite et instaure, avec l’approbation
de l’Assemblée générale, des règles du jeu qui le favorisent. Voilà qui explique en partie la volonté du
PCV de garder le contrôle sur les finances et les profits des entreprises privées.
Cela explique également le fait que les entreprises privées ne soient pas si nombreuses. La mise
sur pied est difficile puisque les institutions formelles ont créé une procédure longue et complexe,
susceptible de décourager l’entrepreneurship. De plus, le contrôle serré exercé par le PCV sur les profits
des entreprises privées et les taux d’imposition élevés dont elles font face ne favorisent pas leur
prolifération. Toutefois, certains entrepreneurs arrivent tout de même à leurs fins et il faut avouer que la
vie leur est tout de même plus facile qu’il y a quelques années, avant la reconnaissance de la libre
entreprise.
Quant à l’investissement étranger, il est en pratique restreint au partenariat avec des entreprises
publiques, quand ce n’est pas directement avec le gouvernement. En effet, la difficulté d’obtention du
droit d’usage d’un terrain amène la prolifération de coentreprises pour les raisons que nous avons
mentionnées dans la section sur les règles économiques. Toutefois, la question est de savoir qu’est-ce qui
assure que cette forme d’investissement étranger (la plus simple relativement aux autres) est la plus
efficace ?
Enfin, en ce qui concerne les coopératives, elles sont appelées à diminuer en importance, comme
en fait foi le graphique suivant où l’on observe la baisse de son importance en pourcentage du PIB, au
détriment de l’entreprise privée.
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Vietnam : une transition difficile
Dans tout cela, il ne faut pas oublier que le Parti communiste n’aurait probablement plus sa raison
d’être si les principes de marché étaient appliqués efficacement. En effet, afin de conserver un certain
pouvoir, le PCV se doit de ralentir le processus de libéralisation des marchés, ce qui nuit bien sûr à
l’efficacité économique avec toutes les conséquences que cela implique.
Ce même Parti communiste « agit par le biais des organisations de masse (syndicats, Front de la
patrie...), des Comités populaires et de l’Armée populaire vietnamienne, qui, si elle n’est pas
officiellement associée à la procédure d’autorisation des investissements, intervient souvent en égard à
son rôle historique dans le pays ».5 C’est conséquemment le gouvernement en place qui joue un grand
rôle sur les agissements des autres joueurs. On peut donc dire que les entreprises sont victimes du
dysfonctionnement de l’État et que les organisations privées qui sont efficaces et rentables sont souvent
celles qui œuvrent dans le noir et qui voient en la corruption un moyen d’arriver à leurs fins. Ce
dysfonctionnement de l’État provient entre autres de la résistance des Comités populaires des autorités
locales. En effet, il arrive souvent que le Comité populaire d’une province n’applique pas les lois
adoptées par le gouvernement central. Cette situation est possible dû au fait que chaque autorité locale est
responsable des permis pour les terrains, ce qui lui procure un pouvoir considérable comme nous le
mentionnions précédemment. Par ce non conformisme, le Comité populaire s’assure plus de pouvoir en
profitant d’institutions formelles qui le favorisent.
Toutefois, le PCV conserve quand même l’essentiel du pouvoir. Il possède le contrôle des
entreprises publiques et de la Banque centrale. La banque est un joueur qui agira aussi selon ses intérêts
et ceux du PCV. C’est une organisation qui répond aux règles du jeu et qui est rentable dans ces
circonstances. Mais elle peut s’avérer non efficace dans la situation vietnamienne, là où l’objectif est le
développement économique. Le problème ici provient du fait qu’une organisation, en l’occurrence le
PCV, contrôle une autre organisation, la Banque centrale, joueur déterminant dans la croissance
économique. Celle-ci, exigeant des taux d’intérêt supérieurs et adoptant des conditions de crédit plus
serrées pour les entreprises privées, fait en sorte que les fonds leur soient plus difficile d’accès (seulement
3 % des prêts). Quant aux entreprises publiques, elles ont la facilité d’obtenir des fonds gouvernementaux
mais vendent souvent à perte puisqu’elles ont des coûts de production élevés. Voilà un bel exemple
d’inefficacité n’est-ce pas ? Puisque les coûts de transaction s’avèrent moins élevés pour les entreprises
publiques cela favorise leur prolifération. Tout cela contribue ainsi à ralentir le processus de libéralisation
de l’économie, ce qui est tout à l’avantage du Parti communiste.
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Vietnam : une transition difficile
Le contexte économique dont les institutions sont responsables fait en sorte que peu d’employés
sont syndiqués, ce qui est nettement à l’avantage du gouvernement dans sa quête de contrôle. Par
exemple, seulement 28 entreprises sur 180 à Hô Chi Minh sont syndiquées. 6 Le institutions formelles font
en sorte que ces organisations préfèrent rester dans l’ombre.
Les temples et les églises représentent quant à eux l’essentiel des organisations sociales au
Vietnam. Ces lieux demeurent en effet des endroits privilégiés pour les Vietnamiens. Toutefois, ces
organisations répondent de moins en moins aux règles du jeu : avec la venue du capitalisme, les discours
religieux ne semblent plus adaptés à cette nouvelle situation et déjà la participation des regroupements
religieux se fait sentir.7 En effet, les églises véhiculent des messages non propices à l’économie de
marché et pourront de ce fait devenir un obstacle à l’expansion économique du pays. Par exemple, comme
nous le mentionnions dans la section portant sur les coûts de transaction, certains produits ne peuvent être
exportés et/ou importés sous prétexte qu’ils sont nuisibles au maintien de la religion. Bien que pour
l’instant les regroupements religieux constituent une entrave à l’ouverture des marchés, il se pourrait que
certains d’entre eux soient appelés à disparaître suite à la transition de l’économie planifiée à l’économie
de marché.
Quant aux organisations éducatives, elles semblent avoir été quand même très encouragées par le
gouvernement dans le passé. La population est jeune et elle s’est d’ailleurs grandement alphabétisée ces
dernières décennies comme en fait foi les graphiques suivants.
Par contre, il y a pénurie par rapport à l’enseignement aujourd’hui et le système scolaire fait face
à d’énormes coupures. Il y aussi une hausse du taux d’absentéisme à cause de l’instauration d’un
enseignement payant, d’une crise morale et d’une remise en question des valeurs. Pour un enseignant, il
est plus avantageux de se concentrer sur la recherche que d’enseigner. En effet, le salaire d’un professeur
est environ le 1/8 de celui d’un ouvrier du secteur privé. De plus, les diplômés universitaires ne répondent
pas vraiment aux critères du marché.8
Conclusion
La théorie économique nous a permis de repérer les facteurs clés à l’efficacité et à l’inefficacité
du système économique vietnamien. Nous avons pu constater que beaucoup d’institutions ne favorisent
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Vietnam : une transition difficile
pas l’efficacité chez les organisations puisqu’elles leur imposent de nombreux coûts de transaction
influençant l’allocation des ressources. En rendant la vie difficile aux entrepreneurs, l’État représente un
frein à la croissance économique. Bien que depuis 1987, les autorités vietnamiennes aient manifesté leur
volonté de promouvoir les investissements étrangers et de favoriser la libre entreprise, il demeure que
dans les faits il y a très peu d’applications de ces concepts. Une organisation importante détient le
pouvoir : le Parti communiste vietnamien. Celui-ci profite d’une structure gouvernementale instaurée en
sa faveur. Il n’a donc pas intérêt à lui apporter des changements. Ainsi, pour survivre, le PCV tentera de
ralentir le processus de libéralisation des marchés, nuisant ainsi à la croissance économique du pays.
Les lois, volontairement vagues, laissent place à l’interprétation et par conséquent à la corruption.
Le vide juridique se comble progressivement mais entre-temps, il change constamment et constitue de ce
fait une source d’incertitude majeure à un point tel que les investisseurs se demandent s’il est préférable
d’investir maintenant au Vietnam, de grandir avec lui, ou d’attendre que le pays surmonte ses difficultés
avant de s’y aventurer.
Si les progrès déjà réalisés sont énormes et les évolutions globalement
très favorables, beaucoup reste encore à faire. Il ne faut pas espérer
avant le moyen ou long terme l’assimilation des règles et des
pratiques nécessaires au bon fonctionnement d’une économie de
marché, la formation des cadres, la sécurité juridique et l’efficacité.5
Il y a donc tout un monde entre la théorie et la pratique. Le passage d’une économie planifiée à
une économie de marché ne se fait pas du jour au lendemain. Entre-temps, si de bonnes institutions ne
sont pas instaurées rapidement, le processus de changement pourrait s’avérer très long.
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Vietnam : une transition difficile
1
Dupré, R., « La théorie économique des institutions de Douglass North », janvier 1996.
Blancard, Michel ; Le Vietnam ; Éditions Arthaud ; 1993.
3
Texte anglais.
4
La grande encyclopédie du monde ; Édition Atlas ; vol. VIII.
5
Voir texte à la réserve.
6
Pour un développement durable du Vietnam ; Le Monde diplomatique ; avril 1993.
7
Winkl, Gertrude ; Saigon, une rénovation sans projet ; Le Monde diplomatique ; juillet 1995.
8
Nguyen, Duc Nhuan ; Le Vietnam tourne la page ; Le Monde diplomatique ; avril 1994.
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