Vietnam : une transition difficile
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Le Vietnam :
une transition difficile
Ce travail a été réalisé par
Étienne Prévost et François Rainville
dans le cadre du cours
d’Environnement Économique International
donné par Ruth Dupré
à la session d’hiver 1997
Il est présenté sous sa forme originale
à l’exception des tableaux, images et de la bibliographie
qui ont été omis.
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Introduction
Depuis quelques années, les pays en voie de développement ont fait la manchette à plusieurs
reprises. Que ce soit pour une croissance économique extraordinaire ou des déboires politiques, sociaux
et économiques, ils alimentent les conversations et poussent les économistes à se poser de nombreuses
questions sur les causes de la croissance économique. Que faut-il à un pays pour croître ? Quels sont les
éléments essentiels à son succès ? Comment éliminer les obstacles à la croissance d’un pays ? La théorie
économique des institutions élaborée par Douglass North permet d’apporter des éléments de solution à
ces interrogations. Cette théorie offre en effet un cadre d’analyse pratique permettant de différencier les
aspects socio-économiques favorisant l’essor économique de ceux qui le défavorisent. C’est à l’aide de
celle-ci que nous analyserons la situation d’un pays qui a fait la manchette plus d’une fois et qui offre des
possibilités de croissance intéressantes, le Vietnam.
Nous présenterons tout d’abord en quoi consiste la théorie de North en démontrant en quoi elle se
distingue du modèle de base néo-classique. Cette démarche est nécessaire puisqu’elle permettra au lecteur
de faire le lien entre la théorie et la pratique, permettant ainsi une meilleure compréhension de l’analyse.
Par la suite, nous procéderons à l’analyse proprement dite en faisant ressortir pour chaque composante du
modèle de North les divers éléments caractérisant la situation qui prévaut au Vietnam.
La théorique économique des institutions, un outil pratique !
Le modèle économique de base, c’est-à-dire le modèle néo-classique, est utilisé depuis longtemps
par les économistes. Toutefois, les hypothèses qui en permettent l’utilisation semblent utopiques. En
effet, le modèle suppose un échange de biens instantané, des produits homogènes ainsi que des individus
parfaitement informés de la nature du bien et des termes de l’échange. Elle suppose même l’existence de
droits de propriété biens définis. Bref, elle suppose que les marchés sont efficients, ce qui est irréaliste
aux yeux de North. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on applique ce modèle à une économie en voie de
développement puisque les structures y sont encore moins développées. Par souci de réalisme, il est donc
nécessaire de relâcher ces hypothèses et d’introduire au modèle des sources de friction, c’est-à-dire des
coûts de transaction. Ce sont des « coûts encourus pour faire fonctionner un système économique dans
lequel l’information n’est pas parfaite mais incomplète et souvent asymétrique »
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. Déterminés par les
institutions formelles et informelles que se donnent les humains, les coûts de transaction influencent
l’allocation des ressources. Voilà pourquoi il apparaît primordial d’analyser les institutions qui ont été
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mises en place au Vietnam puisqu’elles auront une influence déterminante sur sa performance
économique.
Ces institutions peuvent être informelles ou formelles. Les premières représentent les lois non
écrites et touchent des domaines tels que la religion, la culture, l’histoire et la tradition. Les institutions
formelles quant à elles représentent tout ce qui est écrit et qui se retrouve sous forme de « loi ». La
constitution, la législation ainsi que la réglementation en constituent des exemples. On y analyse les
règles politiques et judiciaires, de même que les règles économiques (droits de propriété) et les contrats
individuels. Ces institutions ont une influence directe sur les coûts de transaction comme mentionné plus
haut et une influence indirecte sur les organisations politiques, économiques, sociales et éducatives. En
effet, les organisations, si elles veulent survivre, devront se conformer aux règles du jeu. Puisqu’elles
veulent maximiser leur profit, elles prendront les moyens à leur disposition pour le faire. De ce fait, si les
institutions favorisent l’efficacité économique (en minimisant les coûts de transaction), ce seront les
organisations efficaces qui seront rentables. Par contre, si elles ne favorisent pas l’efficacité économique,
ce seront les organisations inefficaces qui seront rentables. Par exemple, si la rentabilité passe par la
corruption, il y aura prolifération d’organisations utilisant la corruption pour arriver à leurs fins. Nul n’a
besoin d’être très malin pour prédire l’influence négative sur la croissance économique de telles
organisations.
« Des marchés efficients découleront d’institutions capables de minimiser les coûts de transaction
[...] et de fournir des incitatifs pour acquérir des savoirs et des apprentissages, encourager l’innovation, la
créativité et le goût du risque »1. De ce fait, de bonnes institutions favoriseront la productivité et
l’efficience, la concurrence domestique et internationale, ainsi que le respect des droits de propriété. De
mauvaises institutions favoriseront les monopoles au détriment de la concurrence, les activités
redistributives plutôt que productives et décourageront l’entrepreneurship et l’éducation.
Maintenant, passons de la théorie à la pratique et analysons la situation vietnamienne pour
identifier les bonnes et les mauvaises institutions. Nous ferons un tour global des caractéristiques de ce
pays en voie de développement. Nous commencerons par les institutions informelles, ce qui nous
permettra d’effectuer un survol de l’histoire du pays et de repérer les facteurs culturels et religieux
susceptibles d’influencer les variables dont nous parlerons par la suite dans cette analyse. Ainsi, nous
continuerons en élaborant sur les institutions formelles mises sur pied au Vietnam. Par la suite, il nous
sera possible de cerner précisément les coûts de transaction que ces institutions imposent. Enfin, nous
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terminerons en décrivant les organisations et l’influence des règles du jeu sur leur présence et leur avenir
dans le système économique.
Institutions informelles
L’histoire et son influence
Comme l’historique suivant le démontre, ce qui ressort le plus de l’héritage vietnamien ce sont les
batailles violentes qui eurent lieu contre l’étranger. Les guerres n’ont pas seulement contribué à disperser
les ressources mais elles ont également empêché le gouvernement d’atteindre ses objectifs économiques.
Toutefois, il en ressort une caractéristique positive : les longues années de combat contre l’invasion
étrangère ont contribué à unifier le pays et à forger un sentiment de nationalisme et de fierté.
En 939 avant J.-C., les Chinois furent poussés hors du Vietnam après 1000 années de règne. Les
attaques subséquentes furent également repoussées par les Vietnamiens avec la défaite des armées de
Kublai Khan en 1288, marquant ainsi la fin de l’expansion chinoise au Vietnam. La fois suivante un
pays étranger assuma le contrôle du Vietnam, il fallut moins de temps pour le repousser. En effet, après
avoir pris possession du Vietnam en 1884 lors de la colonisation, la France quitta le pays 70 ans plus tard,
après sa défaite à Dien Bien Phu en 1954 contre les forces communistes. Le Japon quant à lui est entré au
Vietnam en 1940 et a mis en place un gouvernement dirigé par Bao Dai, ancien empereur d’Annamese.
Face à la montée de la présence japonaise, la ligue pour l’indépendance se mobilisa sous la direction du
leader communiste Ho Chi Minh et força éventuellement le retrait du régime japonais en août 1945. Un
mois plus tard, Ho déclara l’indépendance et mis sur pied la République démocratique du Vietnam
(RDV).
De 1946 à 1954, la France tenta, avec l’aide financière des États-Unis, de combattre la montée du
communisme et de resserrer le contrôle du Vietnam, lui-même appuyé par la Chine et l’Union soviétique,
deux pays communistes. La France fut battue en 1954 et en 1955, avec les Accords de Genève, le
Vietnam fut divisé au 17e parallèle : le communisme au nord, la démocratie au sud. À partir de ce
moment, les États-Unis amplifièrent leur aide militaire au sud du Vietnam afin de combattre le
communisme qui régnait au nord. Enfin, en 1964 ils débutèrent une série d’attaques dévastatrices sur le
nord, lesquelles continuèrent jusqu’à janvier 1973 lorsque les pourparlers de paix furent finalement
conclus. Deux ans plus tard, les troupes du Nord surprirent le Sud avec la prise de Saigon en avril 1975 et
réunifièrent le pays en « République socialiste du Vietnam (RSV)».
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Ainsi, après avoir avec succès repoussé de nombreuses intrusions étrangères, la fierté et le
nationalisme sont devenus des caractéristiques importantes chez les Vietnamiens. Celles-ci furent
renforcées par une éducation socialiste, laquelle attribuait les victoires des Vietnamiens à la force
nationaliste qui habitait les gens à cette époque. Alors que le système d’éducation tente de se moderniser
présentement, la jeunesse est encore assujettie à la théorie marxiste. Toutefois, bien que les jeunes
Vietnamiens ne soient pas exposés directement à une critique de la performance de leur pays, ils vivent
dans des conditions qui leur rappellent constamment l’échec du modèle socialiste, économiquement à tout
le moins. Enfin, les années de guerre ont forgé chez eux des qualités telles que l’ardeur au travail, la
détermination ainsi que la capacité de reconstruire ce qui fut détruit.
La culture vietnamienne
Les Vietnamiens sont uniques en Asie sur le plan culturel. Les influences françaises, chinoises et
américaines ont fait du Vietnam un pays cosmopolite. L’histoire a contribué à la montée du nationalisme
mais elle a également marqué le pays d’une profonde différenciation entre le nord et le sud du pays
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. Au
nord, la ville principale est Hanoi avec plus de trois millions d’habitants. L’économie y est de type
socialiste marxiste et la religion, bouddhiste. Au sud, la ville principale est Ho Chi Minh Ville.
L’idéologie démocratique y est beaucoup plus présente à l’influence française. De plus, les habitants
sont généralement catholiques et parlent souvent le français.
Il existe d’autres différences culturelles entre les deux régions. Physiquement, on ne peut faire la
différence puisque tous se ressemblent. Toutefois, leur dialecte diffère : par exemple, au nord un « r »
sera prononcé comme un « z » alors qu’au sud on entendra véritablement un « r »3. Les Vietnamiens du
Sud parlent de façon plus nasillarde que les habitants du Nord, ce qui devient irritant pour les oreilles
selon les dires de ces derniers. De même, les Vietnamiens du Sud considèrent ceux du Nord comme étant
moins sophistiqués et créatifs.
Bien que ces différences peuvent sembler anodines à première vue, il n’en demeure pas moins
qu’elles s’inscrivent dans la culture du pays et ont des répercussions importantes sur l’unité nationale.
D’ailleurs, on remarque depuis les dernières années une montée en puissance des Vietnamiens du Sud à la
tête de plusieurs ministères, expliquant ainsi en partie l’influence grandissante d’une idéologie
démocratique et de l’introduction de principes de marché. Nous en reparlerons plus en détails lors de
l’analyse du système politique (institutions formelles). Pour l’instant, il est intéressant de mentionner que
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