La contribution significative des intellectuels et des intermédiaires français
Sur les campus universitaires américains plongés dans l’effervescence de la contestation, dans les
enceintes des colloques et des conférences, plus rarement dans les coulisses des lieux du pouvoir
exécutif et législatif, plusieurs intellectuels français spécialistes du Vietnam à divers degrés – dont
Paul Mus, Bernard Fall, Jean Chesneaux, Philippe Devillers ou même Jean Lacouture –, ont
sensibilisé leurs auditoires lassés par la propagande officielle, à l’histoire du nationalisme et du
communisme vietnamiens, à l’urgente nécessité de « ré-humaniser » l’adversaire. Les témoignages
recueillis auprès de certains anciens étudiants, diplomates ou journalistes américains, montrent que
l’influence des « vietnamologues » français s’est parfois révélée décisive dans leur prise de
conscience des responsabilités particulières de la France et des États-Unis dans la guerre, et dans
leur décision de s’engager dans le mouvement anti-guerre. Tout un réseau franco-américain a pris
corps, non seulement aux États-Unis mais aussi en France où ce mouvement bénéficiait d’un
consensus beaucoup plus large dans l’opinion, même si le militantisme y est resté circonscrit à une
poignée d’intellectuels et de militants issus pour la plupart de l’extrême gauche, du christianisme
social ou de la haute bourgeoisie américaine exilée en France (essentiellement, pour cette dernière,
au sein d’un comité méconnu : le PACS ou Paris American to Stop War).
Certains Français ont même contribué plus directement à l’ouverture et à la poursuite du dialogue
entre les belligérants. On peut en distinguer deux catégories. D’abord, les diplomates de profession,
et plus particulièrement les directeurs d’Asie au Quai, Etienne Manac’h puis Henri Froment-Meurice,
dont les Américains eux-mêmes ont reconnu la compétence et le dévouement. Le premier, Manac’h a
établi des filières de contact privilégiées avec les représentants de la délégation générale de la RDV à
Paris et du FNL du Sud-Vietnam, et certains conseillers de l’ambassadeur des États-Unis. À plusieurs
reprises dans le cadre des négociations privées ou secrètes, ses conseils sont entendus… et parfois
suivis. Cependant, les dirigeants éprouvent aussi le besoin de s’extraire des pesanteurs
bureaucratiques en sollicitant la contribution discrète de non-diplomates qui, par leurs réseaux
personnels ou leurs activités professionnelles, bénéficient de facilités d’accès aux plus hauts
dirigeants vietnamiens. Connue sous son nom de code Pennsylvania, une filière de contact secrète,
indirecte mais de haut niveau, s’est ainsi ouverte, en juin 1967, grâce au concours de Raymond
Aubrac et Herbert Marcovich. Sans déboucher sur l’ouverture de pourparlers directs, elle sera
néanmoins reconnue comme l’une des tentatives qui s’en est le plus approchée. En février 1968, le
professeur André Roussel est secrètement mandaté par l’Elysée pour sonder Pham Van Dong,
Premier ministre de la RDV, sur l’idée d’une conférence de la paix à Paris : il en revient avec une
exhortation à prendre l’initiative qui confortera le général de Gaulle dans sa volonté de faire de Paris
la capitale de la paix. Enfin, c’est à Jean Sainteny, l’ancien délégué général à Hanoi, que Nixon fait
appel, en juillet 1969, pour organiser la première rencontre secrète et directe entre Henry Kissinger et
les négociateurs nord-vietnamiens, puis transmettre des messages à Hanoi. Parallèlement à
l’incessante activité de la direction d’Asie, ces intermédiaires ont joué un rôle discret mais réel en
faveur de l’ouverture de véritables négociations.
Les limites de l’influence française sur le processus de paix
Bien sûr, l’influence de ces tiers sur un processus de paix aussi laborieux et complexe a été d’autant
plus limitée que la France était dépourvue de tout moyen de pression efficace sur les Américains,
profondément irrités par les sempiternelles critiques de leur impertinent allié, comme sur les
Vietnamiens, toujours méfiants à l’égard des initiatives de l’ancienne puissance coloniale. Et pourtant,
la quête de transitivité du général de Gaulle, et plus particulièrement sa décision d’œuvrer au
rapprochement avec la RDV, ont sans aucun doute facilité le choix et le rôle des intermédiaires
français, au moins jusqu’en 1968, sinon jusqu’en 1975. Dans le contenu des accords auxquels les
négociations ont abouti, la marque française est évidemment moins prégnante, mais elle n’est pas
nulle : certaines clauses de l’accord de Paris signé le 27 janvier 1973 renvoient à des principes
défendus de longue date par le gouvernement français ; d’autres reprennent des formules de
compromis suggérées par la direction d’Asie dans le cadre de nombreux entretiens avec les
représentants américains et vietnamiens. En revanche, une fois entériné le départ de toutes les
troupes américaines, les Français ne peuvent que déplorer leur impuissance à convaincre les frères
ennemis vietnamiens de concrétiser les clauses politiques et militaires de l’accord. Car, à Hanoi
comme à Saigon, voire à Washington, la diplomatie n’est encore conçue qu’en complément de l’action
militaire et la logique de guerre prévaut jusqu’au printemps 1975. Malgré ses efforts, la diplomatie