La démocratie sanitaire en panne dans la future loi Touraine Un avant-projet de loi sur la santé circule largement. Il doit être examiné prochainement par le Conseil des ministres avant d'être déposé devant l'Assemblée nationale. Il expose de réelles ambitions nouvelles pour permettre à chacun de se réapproprier sa santé. Ainsi, il consacre l'approche des questions de santé publique dans une dynamique de promotion de la santé. Ce n'est pas rien. Du moins si les agences régionales de santé, assez mal emmanchées dès que l'on sort du soin au sens strict, se montrent capables d'impliquer les « gens » plutôt que les seuls professionnels de santé. L'exposé des motifs de cette future « loi Touraine » ambitionne de marcher sur les brisées de la loi Kouchner qui constitua une première étape de ce que l'on appelle en France la démocratie sanitaire. D'où vient alors que les militants restent circonspects pour ne pas dire déçus ? D'abord, parce que marteler que la démocratie sanitaire est le « troisième pilier » de la stratégie nationale de santé de la France réclame d'impliquer un peu mieux et un peu plus les représentants des usagers et des patients. Ensuite, parce que l'on ne peut pas invoquer cette même démocratie sanitaire et éviter de répondre aux exigences que cela suppose en termes de droits individuels, de droits collectifs, de lieux et de processus de décision et, last but not the least, d'autonomie des personnes. Sur ces quatre aspects, il y a matière à aller beaucoup plus loin que ne le propose l'avant-projet de loi. Premier sujet donc, les droits individuels. Même si nous avions été comblés par la loi Kouchner, des retouches étaient attendues, comme sur les modalités d'accès au dossier médical à l'hôpital. Ce n'est pas le cas. Pire, la loi se propose de défaire ce que prévoyait la loi de 2004 qui créait le dossier médical personnel électronique auquel le patient pouvait accéder en ligne. Elle le remplace par un dossier médical partagé, toujours électronique, dont on comprend qu'il n'appartient plus au patient et dont la gestion est confiée à l'Assurance maladie. Confier de telles données, alors qu'elles ne donnent pas toutes lieu à remboursement à un assureur, fut-il public, est-ce bien normal ? La loi supprime aussi l'accès en temps réel aux données de ce nouveau dossier. Dans le monde de l'Internet, tel qu'il s'est imposé, il faudra donc expliquer aux patients qu'il faut faire un courrier postal pour accéder aux données de son dossier médical électronique partagé ! On marche sur la tête. Enfin, le droit à l'oubli, ou droit au masquage si l'on veut mieux se faire comprendre, auquel les patients s'étaient montrés si attachés disparaît en pratique du nouveau dossier. Autant dire que l'on revient en arrière sur des fondamentaux. Ajoutons à cela, car c'est encore une question de droits individuels, que l'avant-projet de loi renonce à l'harmonisation des consentements aux multiples dossiers électroniques qui se créent. Consentement exprès, non opposition, remise de la carte Vitale : autant de modes de consentement différents auxquels nos concitoyens ne comprennent plus rien, quand on ne collecte pas tout bonnement des données « à l'insu de leur plein gré » ! Protéger le citoyen c'est d'abord clarifier les procédures. Sait-il par exemple que son médecin peut consulter l'historique des actes et prestations qui leur ont été remboursés par l'Assurance maladie parce qu'il lui a remis sa carte Vitale ? Sait-il ce que les opérateurs privés font des données collectées sur des sites de e-santé dont l'approche « patient » dissimule trop souvent des intérêts marchands : échangées, vendues et revendues leurs données... Consentir, selon un mode unique et de façon éclairée, c'est le premier pas du respect des droits individuels. Deuxième sujet, les droits collectifs. L'horizon était à refondre, tant la rédaction de la loi de 2002 les avait mal « fagotés ». Mais, il n'y a pas un mot pour répondre aux attentes des acteurs associatifs qui ont pourtant reçu mission, eux et eux seuls, de représenter les usagers du système de santé. Le sujet est pourtant simple : pas de démocratie sans moyens équitables pour faire valoir son point de vue. Or, si les autres parties prenantes du système de santé disposent toutes d'un modèle économique pour tenir leur place dans les instances de démocratie sanitaire, c'est loin d'être le cas des acteurs associatifs. Comme si l'on pouvait se satisfaire de voir qu'au fil du temps les bénévoles se découragent et renoncent de plus en plus souvent à siéger dans les instances où ils représentent les usagers, les patients ou encore les victimes. Pas étonnant en l'absence d'un statut facilitant l'exercice de leur mandat comme cela existe pour l'élu politique ou le représentant syndical. Sur ce plan, rien ne bouge. Le projet de loi reste aussi étonnamment silencieux sur la création d'une union des associations d'usagers ... alors que pas moins de trois rapports publics l'ont recommandée : dès 2003, en 2011 et au début de cette année-même ! Donner un mandat public et légal à une telle union aurait pourtant été l'occasion de répondre à l'attente sur le statut de représentant des usagers autant que de clarifier de multiples questions comme celles du rôle attendu des associations en matière de démocratie sanitaire ou encore, plus prosaïquement, de l'agrément des associations auquel plus personne ne comprend rien à force d'incohérences dans son attribution. Troisième sujet, les lieux et les processus de décision, après une série de scandales sanitaires, les militants attendaient mieux que ce qui est proposé. Ils resteront exclus du cœur de la prise en charge thérapeutique : absents du Comité économique des produits de santé, de la Commission de la transparence, et du collège de la Haute autorité de santé. C'està-dire des principaux lieux de décision sur le prix et l'admission au remboursement d'un médicament et la qualité de la prise en charge. C'est un peu too much ! Comme si, décidément, dans l'histoire tumultueuse et malheureusement si souvent judiciaire du médicament en France, nos décideurs tenaient encore à l'entre-soi médico-administratif. Quant à la Conférence nationale de santé (CNS), que la loi de 2002 avait judicieusement transformée en Conseil national de santé avant qu'une autre loi ne revienne en arrière, il n'est même pas proposé de la rendre autonome. De quoi avons-nous peur dans ce pays ? Si l'on veut vraiment un exercice démocratique en santé, cette instance doit disposer des mêmes moyens que ceux dévolus au Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie ou au Haut conseil de santé publique. C'est loin d'être le cas. Pas étonnant que le taux d'absentéisme à la CNS, instance par ailleurs pléthorique, soit vertigineux, au point de fragiliser plus encore un travail qui n'est pas toujours suffisamment à distance de la main publique. On pourra objecter que l'avant projet de loi prévoit désormais que la stratégie nationale de santé résulte d'une consultation publique. Encore faudrait-il quelques garanties légales, car nous venons de vivre un épisode inouï qui a vu un comité des sages présider à l'établissement d'une stratégie nationale de santé dont ont été exclus autant les parlementaires que les représentants des usagers du système de santé ! Quatrième sujet, l'autonomie des personnes. Domaine où il ne pouvait y avoir que des avancées tant nous partons de loin. Certes, l'avant-projet de loi se propose de résoudre le lancinant défi de l'information en santé des usagers et des patients en mobilisant l'ensemble des services et des agences sanitaires pour créer un nouveau service public de l'information en santé. Certes, l'avant-projet envisage aussi d'étendre la « class-action » pour offrir aux victimes des scandales sanitaires une réponse mieux adaptée. Mais, nous attendions beaucoup plus. Ainsi, la médiation en santé ne figure pas dans l'avant-projet de loi. Elle est pourtant essentielle pour ceux qui sont les plus éloignés du système de santé. Dans un contexte de contraintes économiques et de montée des inégalités, maintenant bien perçu de tous et qui n'est pas prêt de cesser, il s'agit d'aider tous ceux qui malgré l'existence d'un droit universel à la santé ont tant de peine à accéder aux soins. L'importante avancée que constitue la dispense d'avance de frais ne saurait constituer le seul horizon. Dans ces conditions, comment comprendre que l'on renonce à la médiation en santé porteuse de tant d'espoirs pour tant de nos concitoyens ? Les acteurs associatifs ne comprennent pas plus que l'on renonce aussi à faire de l'accompagnement des patients un authentique sujet de démocratie sanitaire. Le dispositif figurant dans l'avant-projet de loi ne dit pas en quoi il serait différent de ce business as usual dont est coutumier notre système de santé toujours aussi peu centré sur le patient et pratiquant tout aussi peu l'approche globale des personnes. Souvenons-nous des promesses de l'éducation thérapeutique récemment inscrite par la loi au code de la santé publique. Cinq après, le bilan est désastreux : les malades sont en ville et les programmes sont à l'hôpital, et les associations seules à même de véritablement se porter au devant des malades sont quasiment exclues de ces programmes. Allons-nous répéter cet échec avec l'accompagnement des patients ? Ce serait désastreux. Avec courage, la ministre de la santé et des affaires sociales, a choisi d'élever la démocratie sanitaire au rang de « troisième pilier » de notre stratégie nationale de santé. Cela ne peut pas être qu'un discours. Les héritiers des mobilisations qui ont conduit aux Etats généraux de la santé et à l'importante loi Kouchner, avant que plus rien ne bouge plus d'une décennie durant, attendaient mieux. C'est au nom de cet héritage qu'ils réclament que l'on réponde à leurs attentes.