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UNIVERSITE MONTESQUIEU-BORDEAUX IV
ESPACE COMMUNAUTAIRE EUROPEEN : UNITE OU
MORCELLEMENT ?
Stephane Virol
Allocataire-Moniteur
IFReDE-IERSO
19 et 20 septembre 2002
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Après plus de quarante ans d’existence, la Communauté Economique Européenne continue
l’approfondissement de l’intégration entre ses membres. Si sur le plan économique ce processus peut
être qualifié de réussi, il reste sans doute, beaucoup à faire tant sur les plans politique, institutionnel ou
social. Mais, le prochain grand défi que l’Europe s’apprête à relever est l’élargissement de ses
frontières à l’Est. L’adhésion des pays de l’Europe centrale et orientale va ainsi accentuer le processus
de construction européenne. Cette prodigieuse dilatation de notre espace de référence va redonner à
l’Europe son assise continentale en donnant vie à un nouvel ensemble beaucoup plus vaste qu’il ne
l’est actuellement. Cet espace européen déjà marqué par des disparités multiples va, de fait, voir sa
diversité existante renforcée. Ainsi, le rôle joué par la politique régionale européenne sera primordial,
de même que la logique d’aménagement du territoire qui l’accompagne. Cette dernière va-t-elle,
comme c’est le cas actuellement, privilégier l’idée de morcellement ? Dans ce cas, l’aménagement de
l’espace européen ne serait que la somme des aménagements des territoires nationaux. Ou bien, va-t-
on choisir la logique de l’unité ? En effet, il apparaît, dans les dernières évolutions de la politique
régionale européenne mais aussi dans les travaux informels (Schéma de Développement de l’Espace
Communautaire), une volonté de considérer l’espace européen, non plus comme la somme des Etats le
composant, mais comme une entité propre. Dès lors, ne doit-on pas spatialiser la politique régionale
européenne ? Il conviendrait, alors, de déterminer les impacts que l’introduction de ce facteur spatial
peut avoir dans l’élaboration de cette politique. En outre, si l’espace européen est appréhender dans
son ensemble, c'est-à-dire que nous nous plaçons dans une logique d’unité, alors, ne devrions-nous pas
déterminer une nouvel espace d’action pour cette politique ?
Ainsi, il nous est apparu pertinent d’élaborer un historique de la relation entre le processus
d’intégration économique et la politique régionale européenne afin de bien montrer la tension qui a
existait entre ces deux mouvements. Cet historique, nous l’avons mené à la lumière de l’évolution des
théories sous-jacentes de ces deux objets. Or, dans les derniers développements de la politique
régionale européenne, apparaît la volon de considérer l’espace européen dans son ensemble. Cette
nouvelle orientation nous a conduit à construire une analyse multi-niveaux de cet espace nous
permettant, de ce fait, de mettre en évidences ses différentes caractéristiques. Hormis les analyses
interne et externe, il y a surtout une tentative d’anticipation de ce que pourrait être l’espace européen
de demain. Nous avons ainsi traiter de l’élargissement à l’Est et de ses conséquences, mais aussi et
surtout, de la logique de macro-territoires comme possible espace d’action de la politique régionale
européenne. Ce raisonnement en termes de macro-territoires semble d’autant plus justifié que
l’élargissement risque d’amplifier les difficultés quant à l’aménagement de ce nouvel espace.
I 1 Plus que le libre échange, l’intégration
Pour les fondateurs de la communauté européenne, la seule constitution d’une zone de libre-
échange n’était pas une fin en soi, ils voulaient aller plus loin dans leur expérience d’intégration. Ces
précurseurs attendaient de l’intégration économique un gain d’efficacité provenant d’une meilleure
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allocation des ressources productives et de l’exploitation d’économies d’échelle favorisées par
l’élargissement du marché. Ainsi, après l’instauration du libre-échange, le second pas vers cette
intégration a été la mise en place d’une union douanière qui devait augmenter le bien-être, sans le
maximiser
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. En outre, la communauté européenne n’a eu de cesse d’augmenter le niveau d’intégration
entre ses membres pour arriver, à terme, à l’intégration économique totale (BALASSA, 1975) et à la
mise en place d’une monnaie unique, l’euro.
Le processus d’intégration
Lorsque est mise en place une union douanière, des modifications sont à apporter aux
conclusions néo-classiques dans le cas d’un libre-échange total. Cette nouvelle situation se caractérise
par la suppression des obstacles à la libre circulation des marchandises entre les pays membres de
l’intégration avec l’instauration d’un tarif extérieur commun vis-à-vis du reste du monde. Ainsi, nous
nous baserons sur la théorie des unions douanières développée par VINER en 1950. Celle-ci va nous
permettre de préciser l’impact de l’intégration sur la localisation des productions et sur le commerce
international entre les pays membres et entre ceux-ci et les pays tiers. La modification de la protection
douanière découlant de l’instauration d’un tarif extérieur commun va entraîner une modification des
flux d’échanges internationaux, non seulement à l’intérieur de l’union mais aussi et surtout entre
l’union et l’extérieur, réallouant ainsi les ressources productives. VINER identifie alors les deux effets
que sont la création de commerce et le détournement de commerce. Il détermine trois configurations
possibles concernant l’apparition simultanée ou non de ces deux effets. En outre, à ces deux effets qui
sont qualifiés d’effets statiques, s’ajoutent des effets dynamiques qui sont d’une part les effets
d’économie d’échelle et de concurrence accrue stimulant l’évolution technique et d’autre part la
spécialisation intra-branche des économies des pays membres.
Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons connaître les implications de la création de l’union
douanière européenne sur le commerce mondial. Les méthodes d’estimation, variables selon les
auteurs (BALASSA (1975), KREININ (1972), VERDOORN et SCHWARTZ (1972)), aboutissent à des
résultats différents mais la plupart des travaux concluent que les effets de création de commerce ont
été largement supérieurs à ceux de détournement de trafic dans la communauté. En ce qui concerne les
effets dynamiques, l’intégration (ici la constitution d’une union douanière) semble permettre une plus
grande utilisation des économies d’échelle et est bien un des facteurs explicatifs du développement de
la spécialisation intra-branche. La proximité géographique et le caractère relativement comparable des
demandes nationales peuvent être, eux aussi, pris comme facteurs explicatifs.
Comme nous l’avons souligné, le degré d’intégration souhaité par les bâtisseurs de l’Europe va
bien au-delà d’un simple marché commun, et requière, en effet, la constitution d’une véritable union
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Optimum de second rang par rapport au libre-échange sans aucune barrière.
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économique et monétaire. En faisant référence à la théorie des zones monétaires optimales, nous
pouvons déterminer le degré d’intégration que le processus européen a atteint.
Les premiers travaux sur le concept de zone monétaire optimale date de 1961 et sont dus à
MUNDELL. Selon cet auteur, la mobilité des facteurs de production, et en particulier celle du facteur
travail, est un élément déterminant dans la délimitation d’une zone monétaire optimale vis à vis du
reste du monde avec lequel perdurent des relations de change flottant. Cela signifie qu’un groupe de
pays a intérêt à constituer une zone monétaire unique si et seulement si la mobilité des facteurs qui y
existe est plus importante que celle qui apparaît avec l’extérieur. A l’évidence en ce qui concerne la
Communauté, les critères de MUNDELL montrent qu’il ne peut s’agir d’une zone monétaire optimale,
tant est faible la mobilité du facteur travail entre les pays membres. Une seconde approche du concept
de zone monétaire optimale est due à McKINNON en 1963. Selon lui, l’avantage d’une union
monétaire n’est pas tant fonction de la mobilité des facteurs de production que du degré d’ouverture
des économies considérées. Il définit ce degré d’ouverture par « le rapport entre les biens échangeables
internationalement et le produit national brut »
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. Ainsi, plus ce rapport prendra une valeur importante,
plus ces pays auront intérêt à avoir des taux de change stables qui faciliteront le développement des
échanges. Le critère de McKINNON semble être beaucoup plus favorable à la Communauté et dans ce
cas l’union monétaire européenne pourrait être considérée comme une zone monétaire optimale.
Ainsi, les critères de MUNDELL et de McKINNON sont plus « axés sur l’arbitrage entre changes
fixes changes flexibles que vers le problème de constitution d’une véritable union monétaire telle
qu’elle se pose à l’Europe. Une autre dimension doit être introduite »
3
. Le concept de zone
monétaire optimale peut être appréhendé dans une troisième approche, qui en introduisant un
« indicateur d’opportunité »
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, pondère les critères de MUNDELL et de McKINNON. L’idée
sous-jacente est la suivante : s’il n’existe pas un consensus entre les membres d’une zone
économique intégrée, sur les objectifs clés d’une politique économique, il semble impossible
de mettre en place une monnaie unique, donc de réaliser une zone monétaire optimale. Ce
critère est celui des préférences homogènes établit par KINDLEBERGER en 1986. Ce mode
d’intégration monétaire nous renvoie à celui de l’intégration économique définit comme suit
par CELIMENE et LACOUR (1997) : « l’intégration par la coordination des stratégies
globales : l’harmonisation ». « Dans cette forme, on travaille surtout sur des temporalités
longues, les exemplarités et on instille régulièrement et quotidiennement de l’intégration
jusqu’à des points de non-retour »
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. La définition donnée par ces auteurs à cette forme
d’intégration correspond clairement à celle pratiquée par l’Union. Ainsi, il est clair que, si
nous considérons les atermoiements du processus de construction monétaire européenne et de
son cheminement vers l’intégration de ces dernières décennies, l’explication de la constitution
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YVARS (1997, 343).
3
BOURGUINAT (1997, 596).
4
BOURGUINAT (1997, 596).
5
CELIMENE, LACOUR (1997, 27).
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d’une zone monétaire optimale par la convergence des préférences homogènes de
KINDLEBERGER paraît correspondre à la réalité européenne.
Les limites de ce processus
Ces limites sont tout d’abord intrinsèques à la théorie néo-classique. En effet, les hypothèses
de concurrence pure et parfaite et de rendements d’échelle constants semblent difficilement
soutenables. Ensuite, en modifiant les hypothèses néo-classiques , la nouvelle économie géographique
a permis d’apporter de nouvelles conclusions, notamment quant aux conséquences d’un processus
d’intégration sur la répartition géographique du système productif.
Ainsi, l'intégration européenne renforcée par l'achèvement du Marché unique, devait selon la théorie
néoclassique permettre une convergence des Etats et une répartition équilibrée de la production sur
l'ensemble du territoire. C'était ignorer le fait que, en réduisant la protection géographique des
entreprises, le Marché unique allait accentuer la différenciation des produits et le commerce intra-
branche. La disparition des barrières tarifaires et la baisses des coûts de transferts risquaient de
renforcer la logique de polarisation. Si jusqu'à lors, l'existence d'Etats nationaux puissants en Europe
avait permis le maintien d'activités diverses au sein de chaque territoire, la disparition des frontières à
l'intérieur de l'Union européenne était susceptible de conduire à une spécialisation accrue des espaces
nationaux mais surtout la constitution d'espace régionaux privilégiés (Fatas, 1997). A ce sujet,
Krugman et Venables (1996) ont construit un modèle afin d'étudier les conséquences de l'intégration
européenne sur la localisation de l'activité industrielle. Pour eux, ce modèle peut être considéré, à la
base, comme une représentation des plus frappantes différences qui existent entre la localisation de
l'industrie aux Etats-Unis et en Europe. La concentration géographique qui en émane est le résultat du
degré d'intégration prévalant, historiquement, sur ces deux territoires. Ils aboutissent à trois
configurations possibles : l’immobilisme, l’intégration sans modification de la géographie productive
ou l’agglomération totale. Martin et Ottaviano (1996), quant à eux, examinent les problèmes posés par
l'intégration multi-vitesses en Europe, ceci du point de vue de la localisation des activités
économiques. Ils montrent que deux scénarii sont envisageables, selon que les mécanismes
d'agglomération, qui proviennent de la migration du capital humain ("fuite des cerveaux") pendant la
phase de transition, sont possibles ou non. Ils indiquent qu'une approche séquentielle de l'intégration
commerciale et monétaire peut mettre en danger le processus même d'intégration.
Alors que la marche en avant pour la création d’une Europe intégrée prenait corps, la prise de
conscience de l’importance et par-même du danger des disparités régionales de développement,
apparaissait aux dirigeants européens. Les autorités se basant sur la théorie néo-classique, furent
convaincues de l’influence positive de l’intégration sur la réduction des disparités existantes. Devant la
persistance, voir l’augmentation, de ces disparités, il fut décidé de mettre en place une politique
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