Les costumes de la liberté
Un soir, dans le salon du Luxembourg, comme les amies de Joséphine exhibent un décolletage provocant, le Premier Consul Bonaparte fait sa crise de
pudeur : « Vous voyez bien que ces femmes sont nues ! »On se le tiendra pour dit et les robes ne tarderont pas à changer d’allure.
Gisèle d’Assailly, Les 15 révolutions de la mode
Il est une période assez courte dans l’histoire de la mode qui marque une curieuse parenthèse dans l’évolution du vêtement en France. Une période
dont Marivaux n’aura pas été témoin mais qui donne pourtant un écho singulier au vent de liberté traversant la Régence… qui voit les jeunes gens
des Serments indiscrets aspirer à une plus grande indépendance.
C’est le joli temps de la Régence / Où l’on fit tout, excepté pénitence dit la chanson populaire.
La société rompt alors avec la pesante politique absolutiste de Louis XIV, les pruderies et l’austérité. C’est le règne de la fête, du libertinage… mais
aussi le grand retour de la comédie italienne interdite car jugée licencieuse. Un souffle qui libèrera les esprits, animera les arts et lettres mais
n’atteindra pas encore la mode. Il faudra attendre la fin du siècle pour qu’une ère nouvelle vienne transformer les costumes.
Circonscrite autour de la Révolution Française, celle-ci s’est annoncée avant 1789 en réaction à l’attitude presque boulimique de la reine (et de la
cour à sa suite) vis-à-vis de sa toilette : alors que le peuple crie famine, Marie-Antoinette gaspille des fortunes en joyaux, en ornements et en étoffes
et fait de Paris la Mecque de la mode 1.
Le mouvement qui nous intéresse s’inspire de courants nés avant la Révolution tout à la fois pour les contourner, les dénoncer ou les pousser à
l’extrême ; la mode se fera messagère d’un nouvel état d’esprit, d’une idéologie tout en s’adaptant à une société en pleine mutation.
Le retour au naturel, l’éloge de la simplicité, les exaltations romaines qu’illustraient déjà, avant 1789, les peintres et les sculpteurs, s’épanouissent dans
le vêtir des hommes comme dans celui des femmes.2
Le luxe tombe et les ornements sont abandonnés. La silhouette s’en trouve assouplie qui perd de sa dignité, de sa raideur. Dans la mode féminine on
note un goût prononcé pour le blanc et une ligne à l’antique, collante et transparente. De généreux décolletés mettent toujours la poitrine à
l’honneur mais l’on se défait des corsets et autres dessous rigides… Les hommes abandonnent de nombreux accessoires, les couleurs de leurs
vêtements s’assombrissent, ils portent des cravates qui se ferment par un gros nœud sous le menton, des culottes serrées à l’écuyère, des fracs
laissés ouverts et des bottes à revers. L’uniforme devient également objet de mode et, même lorsqu’on ne le porte pas, on donne parfois à son
costume quotidien une allure martiale.
Les plus sérieux, les plus moroses, lisent dans ces changements l’annonce de catastrophes probables et de calamités imminentes.3