Poly Dr Schmidt - Otalgies - polys-ENC

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Pascal SCHMIDT
Praticien hospitalier, Service d'ORL et de chirurgie cervico-faciale
Hôpital Robert Debré, CHRU de REIMS
[email protected]
4/18/17
OTALGIES
Otalgie / Otodynie
La douleur d'oreille est un symptôme fréquent, dont les causes possibles sont très variées.
Le point de départ de la douleur n'est pas forcément l'oreille, par le phénomène de "douleur
projetée", connu également dans d'autres endroits du corps.
On devrait, en principe, dire "otodynie" quand la cause est auriculaire, et "otalgie" quand la cause
est extra auriculaire. Sachez cependant que dans la pratique tout le monde dit "otalgie" à chaque
fois!
Innervation
Pour des raisons embryologiques, l'innervation de la région auriculaire est complexe et riche,
expliquant que de nombreux sites puissent être à l'origine d'une douleur projetée à l'oreille.
Le IX, nerf glosso pharyngien, innerve (par le nerf de Jacobson) la caisse du tympan (=
otodynie vraie, dans ce cas). Mais il innerve aussi un vaste territoire muqueux dans le pharynx. (=
otalgie de cause pharyngée)
Le V, nerf trijumeau, par son tronc mandibulaire (V3), donne le nerf auriculo temporal qui
innerve les téguments pré et sus auriculaires. Mais il s'occupe aussi de l'innervation de l'articulation
temporo-mandibulaire immédiatement voisine, et de son équipement musculo ligamentaire, et une
partie de la cavité buccale, notamment la région des dents de sagesse.
(= otalgie des dysfonctionnements d'ATM et des affections dentaires)
Le VII, nerf facial, est surtout le nerf moteur du 2è arc branchial, mais par les fibres sensitives
du VII bis il est également responsable d'un petit territoire cutané dans l'oreille externe (zone de
Ramsay Hunt). (= otodynie des otites externes, et otalgie des paralysies faciales)
Le plexus cervical par la racine C2 notamment, innerve les téguments rétro et sous
auriculaires. (= otalgies des névralgies cervicales)
Le groupe X-XI, vago-spinal, véhicule une partie de l'innervation pharyngée et, par les
nombreuses anastomoses pharyngées, peut lui aussi véhiculer une otalgie en cas de lésion de l'oro et
hypopharynx, et de la margelle laryngée)
Conséquence
Une otalgie peut théoriquement provenir de n'importe quel point du très vaste territoire sensitif
dépendant de ces nerfs, depuis (bien sûr) l'oreille, jusqu'à l'hypopharynx et au larynx, voire la glande
thyroïde (qui dérive de la base de la langue)!!
1
Orientation Diagnostique devant une Otalgie
Circonstances déclenchantes (+++)
Rhinite/pharyngite oreille moyenne probablement : OMA ou réchauffement d’otite chronique
Contact ou mobilisation du pavillon--> oreille externe presque à coup sûr
Déglutition-->pharynx
Mastication, ouverture buccale--> ATM surtout mais aussi CAE qui est à son contact
Topographie et irradiations (cf.infra)
Irradiation temporo-massétérine-->V (ATM principalement)
Irradiation cervico-pharyngée-->IX,X (pharynx)
Signes associés (+++)
Pulsatilité--> inflammation aiguë, souvent de cause infectieuse
Acouphène, surdité, otorrhée--> cause auriculaire
PF--> en général PF a frigore, mais n'oubliez pas zona, cholestéatome, cancer, otite externe dite
"maligne", (en fait: otite externe avec ostéite) qui sont plus rares mais plus graves
Dysphagie, dysphonie, ADP cervicale, alcool et tabac--> lésion (Kc) du pharynx ou du larynx
1°
Les Otodynies
Leur cause est auriculaire: le diagnostic est fait à l'examen auriculaire qui est anormal, parfois de
manière évidente.
Otodynies d'Oreille externe
Otohématome traumatique
C'est un hématome entre la peau antérieure et le cartilage du pavillon (chute, rixe, sports de combat,
rugby). Le pavillon est tuméfié, épaissi et douloureux. Le danger est la surinfection: périchondrite
puis chondrite, souvent à pseudomonas aeruginosa, bactérie souvent présente dans l'oreille et
friande de cartilage. La tuméfaction devient chaude, inflammatoire, très douloureuse. Le résultat final
est une fonte irrégulière de celui-ci: aspect en chou-fleur ou en oreille de cocker.
Traitement: drainage aseptique des gros hématomes collectés et pansement compressif,
plus antibiothérapie (générale et locale: aminoside en lavage de la plaie) en cas de périchondrite.
Préventivement: bien désinfecter les plaies de pavillon et faire un pansement compressif moulant bien
tous les creux et reliefs.
Diagnostics différentiels: l'inflammation non traumatique, spontanée, de la face externe du
pavillon par piqûre d'arthropode (on voit souvent le petit point de la piqûre), ou la poussée
fluxionnaire récidivante et spontanément régressive du pavillon en entier sauf le lobule, qui est le signe
révélateur d'une connectivite: polychondrite atrophiante chronique. Diagnostic par biopsie de
cartilage!
2
Otites externes infectieuses (fréquent)
Affections inflammatoires de la peau du conduit auditif externe. Le CAE fait très très mal...
*** La majoration de la douleur par la pression du tragus ou la mobilisation du pavillon est
quasi constante, et pathognomonique d'une otite externe.
L'otite externe aiguë donne une douleur très intense, insomniante, avec souvent une très petite
otorrhée purulente. Tant que le conduit n'est pas obstrué, l'audition est respectée.
Tout contact avec le CAE est hyperalgique. Sa peau est tuméfiée, rouge, suintante. Il y a
souvent une petite adénite sensible pré, sous ou rétro-auriculaire. L'introduction douce du spéculum
montre un conduit de calibre rétréci encombré d'un peu de sécrétions purulentes. Le tympan est
normal mais difficile à voir à cause des sécrétions et de la douleur.
Le traitement: gouttes (antibiotiques + corticoïdes +/- lidocaïne= Panotile* par exemple) pour
8-10 jours, antalgiques par voie générale, éventuellement antibiothérapie générale. Une petite mèche
dans le CAE pour 1 ou 2 jours assure une meilleure efficacité des gouttes et a un bon effet antalgique.
Variante clinique: le furoncle du CAE, situé sur un follicule pileux au 1/3 latéral du CAE,
avec une douleur exquise à son contact alors que le reste du CAE est normal. Ici, l'antibiothérapie
sera orientée sur le Staphylocoque aureus. Ne pas triturer!
Terrain cutané des otites externes: L'otite externe survient souvent sur un conduit "normal"
et est alors souvent déclenchée par une baignade ou par une otorrhée d'oreille moyenne qui se
prolonge et fait macérer la peau. Mais les conduits pathologiques sont plus fragiles: étroitesse
anormale, affections telles qu'eczéma chronique du méat auditif ou plus souvent parakératose
(apparentée aux dartres et au psoriasis et entraînant un prurit et des squames sèches). Le traitement
d'entretien dépend de chaque cas: soins locaux émollients ou asséchants, quelquefois chirurgie
d'élargissement du CAE.
Mycoses du CAE: Les terrains cutanés particuliers précités (et aussi l'usage trop prolongé
des antibio-corticoïdes locaux) favorisent l'éclosion des mycoses du CAE. Cela fait beaucoup moins
mal qu'une otite externe aiguë, c'est davantage une sensation de gêne, mais qui dure beaucoup plus
longtemps.
L'aspect clinique est parfois évocateur (aspect de buvard mouillé, de peau rouge et comme
saupoudrée de sucre, ou de filaments de "moisi") mais la seule notion de récidive rapide après
traitement d'une otite externe suffit à faire suspecter la mycose (prélèvement pour confirmation
mycologique). Il s'agit soit d'Aspergillus soit de Candida. Traitement: antifungiques locaux pendant au
moins trois à quatre semaines.
ATTENTION A L'OTITE EXTERNE "MALIGNE"!
C'est une forme rare et grave d'otite externe, presque toujours à Pyocyanique, qui se voit surtout en
cas de diabète (ou parfois, d'immunodépression). L'infection résiste au traitement standard et
dépasse la peau (on voit un petit pertuis aux bords granulomateux, suintant du pus, sur le plancher du
CAE). C'est donc une chondrite puis une ostéite d'évolution spontanément gravissime.
Le traitement repose sur la restauration d'un équilibre glycémique scrupuleux et (après
prélèvement bactério) une bi ou tri antibiothérapie anti-pseudomonas massive et très prolongée
(hospitalisation). Sans traitement, cette affection est potentiellement mortelle par extension de l'ostéite
à la base du crâne. Méfiez vous des otites externes des diabétiques!
Une otite externe qui n'est pas guérie en 8 à 10 jours de traitement est à priori suspecte!
Une otite externe qui traîne sans diabète connu? faites mesurer la glycémie...
3
Zona auriculaire
Le zona du VII donne une paralysie faciale périphérique accompagnée (voire précédée) d'otalgie et,
dans les formes typiques, d'une éruption zostérienne de la zone de Ramsay Hunt.
Cela dit, l'éruption est bien souvent minime (quelques croûtelles, léger suintement cutané) ou absente,
faisant alors croire à une PF à frigore. A l'inverse, le zona auriculaire peut "dépasser" le VII et toucher
aussi le VIII: PF + vertige périphérique et surdité de perception.(zona otitique complet de Sicard)
La PF du zona est classiquement de mauvais pronostic, récupérant souvent mal et lentement.
Traitement: comme pour toute PFP, il faut protéger l'oeil d'abord! Le ttt médical fait appel aux
vasodilatateurs +/- corticoïdes, et au Zovirax* ou Zelitrex* à dose élevée. La kinésithérapie faciale est
importante. Elle n'a pas pour but d'accélérer la récupération (erreur fréquente qui conduit à faire
grimacer le patient) mais de l'attendre en gardant les muscles en état, évitant si possible les
contractures, spasmes et syncinésies.
Otodynies d'Oreille moyenne
Pavillon et CAE sont normaux, et le tympan est anormal.
En pratique, cette situation est très courante: ce sont surtout les otites moyennes aiguës, au
premier rang desquelles la si banale otite congestive, et les poussées de réchauffement des otites
chroniques, surtout la très fréquente otite séro-muqueuse chronique de l'enfant dont les otalgies
répétées peuvent être un signe révélateur.
Une oreille moyenne n'est, en règle, pas douloureuse quand le tympan est ouvert
L'exemple typique est l'otite moyenne aiguë suppurée simple: la douleur cède si le tympan se
perfore et que l'otorrhée se produit.
Quand des épisodes d'otalgie réapparaissent chez un enfant qui a eu des aérateurs trans
tympaniques pour une otite séro-muqueuse, cela traduit en général que 1°: les aérateurs sont
certainement bouchés ou expulsés, et 2°: l'otite séro muqueuse est toujours active!
Une otalgie, avec un tympan perforé, (ou un aérateur), doit vous inciter à la méfiance et donc
à rechercher une éventuelle autre étiologie régionale. Un train peut en cacher un autre...
Dans un autre ordre d'idées, n'oublions pas non plus qu'une tumeur du cavum (cancer
indifférencié, lymphome, angiofibrome nasopharyngien de l'adolescent) peut se révéler par l'apparition
d'une otalgie et/ou une otite séreuse unilatérales. On doit être alerté par le fait anormal que ces
symptômes apparaissent chez quelqu'un qui n'a pas de passé pathologique auriculaire (+++).
2°
Les Otalgies projetées (parfois nommées otalgies "réflexe")
CAE et tympan sont normaux. La douleur provient d'autre part, et ses circonstances de
déclenchement ont souvent beaucoup de valeur pour orienter le diagnostic.
Otalgie d'origine pharyngée
L' Otalgie est déclenchée à la déglutition !!! C'est un critère essentiel qui vous oriente vers le
pharynx: l'otalgie à la déglutition est l'équivalent d'une dysphagie douloureuse (odynophagie).
Toute lésion siégeant sur le voile du palais, la paroi du pharynx, la base de langue,
l'amygdale palatine, voire l'hypopharynx (sinus piriforme) ou la margelle laryngée peut
occasionner une telle otalgie.
L'examen de ces régions (cavité buccale et oropharynx à l'abaisse-langue, hypopharynx et
larynx en laryngoscopie indirecte au miroir laryngé) permet d'identifier la cause.
4
En contexte aigu récent
Il s'agit le plus souvent d'une inflammation aiguë (angine, pharyngite, phlegmon péri-amygdalien
avec trismus...), en contexte fébrile, ou de lésions ulcérantes (aphtes, pharyngites vésiculeuses
d'origine virale volontiers très douloureuses...). Rarement : bulles rompues  érosions superficielles
du palais des dermatoses bulleuses.
Dès que c'est chronique ou récidivant
Il faut penser d'abord à éliminer une lésion néoplasique débutante, surtout chez l'adulte fumeur
et/ou buveur. Ceci nécessite un examen minutieux des muqueuses, et souvent en cas de négativité on
n'hésite pas à recourir à un examen (laryngoscopie directe) sous anesthésie. L'otalgie isolée peut
précéder tous les autres symptômes et il serait dommage de manquer un diagnostic précoce.
N'oublions pas quand même les otalgies projetées des accidents d'évolution des dents de
sagesse, volontiers accompagnées de trismus.
Otalgie d'origine pré-auriculaire
Une affection douloureuse de la parotide donne en général d'autre signes associés: douleur
et tuméfaction unilatérale lors des repas (obstacle à la salivation tel qu'une lithiase), douleur et
tuméfaction inflammatoire avec salive purulente (parotidites suppurées), douleur et tuméfaction
nodulaire unilatérale voire PF associée (cancer parotidien).
Une petite adénopathie inflammatoire pré-tragienne, sensible à la palpation, est souvent
satellite d'une inflammation cutanée voisine, temporale ou du CAE.
Les douleurs d'articulation temporo-mandibulaire sont courantes, et peuvent se présenter
comme une otalgie isolée, parfois majorée à la mastication, l'ouverture buccale forcée, la pression sur
l’ATM en avant du tragus... L'examen clinique cherche une subluxation ou des craquements à
l'ouverture buccale, une anomalie de l'articulé dentaire. Ce diagnostic n'est pas toujours facile à
affirmer et sans doute bon nombre d'otalgies sans étiquette correspondent elles à cette étiologie, qui
est véritablement fréquente.
Otalgie d'origine rétro-auriculaire
Une adénite mastoïdienne palpable peut être satellite d'une affection quelconque du CAE ou
de la peau auriculaire ou temporale. Elle donne une petite tuméfaction rétro-auriculaire, posée sur l'os
mastoïdien, sensible, sans modification du pli rétro-auriculaire qui reste bien dessiné
(Ceci fait la différence avec une mastoïdite extériorisée: brutalement chez un nourrisson douloureux et
fébrile, apparition d'un comblement inflammatoire du sillon rétro-auriculaire comblé, avec des signes généraux
d'infection marqués et un gros syndrome inflammatoire biologique. Tympan d'OMAP voire otorrhée purulente
sans que douleur ni fièvre ne diminuent).
Otalgie d'origine temporale
Il faut penser aux algies temporales de la maladie de Horton ! (âge, VS, hyperesthésie du
cuir chevelu: signe du peigne, palpation; la biopsie d'artère temporale est le juge de paix+++). En
réalité leur présentation clinique est rarement celle d'une otalgie au premier plan, plutôt une céphalée.
Les fréquentes douleurs d'ATM déjà citées ont souvent aussi une irradiation temporale, dans
la patte des cheveux (hypertonie du muscle temporal).
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Autres causes d'otalgie
On a déjà vu une otalgie à la déglutition révéler une thyroïdite subaiguë! C'est rare... L'examen clinique
est négatif, sauf la palpation de la thyroïde qui est anormale et douloureuse, ce qui oriente le
diagnostic.
Egalement, les schwannomes du rocher sont volontiers accompagnés de douleurs, même si elles ne
sont pas forcément au premier plan : neurinome du VIII, schwannomes du VII.
Conclusion
Le diagnostic étiologique des otalgies est d'abord et surtout orienté par les données cliniques:
l'otoscopie (normale ou pas: otalgie/otodynie), les circonstances de survenue, (contexte infectieux,
mobiliser l'oreille externe, déglutition) et un bon examen loco régional, cervical et des cavités ORL.
La circonstance la plus difficile (et pas si exceptionnelle) est l'otalgie isolée à
examen clinique négatif: il faut alors réexaminer le patient (et le montrer à l'ORL) si
le symptôme persiste, dans le souci de ne pas méconnaître une affection
néoplasique débutante, et en tout cas ne pas se contenter du diagnostic d’ « otite »
quand l’examen de l’oreille est normal.
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