Médecine & enfance Otalgie ORL M. François, service ORL hôpital Robert-Debré, Paris Les manifestations d’une otalgie, l’appréciation de son intensité, ses étiologies possibles et donc sa prise en charge diffèrent selon l’âge du patient [1]. Nous envisagerons successivement l’otalgie du nourrisson et de l’enfant de moins de quatre ans, puis de l’enfant de plus de quatre ans, avant d’aborder les otalgies survenant dans un contexte particulier, facile à repérer comme un bain en piscine, un voyage en avion ou un traumatisme. CHEZ LE NOURRISSON ET L’ENFANT DE MOINS DE QUATRE ANS zéro à sept ans est très simple d’utilisation et permet de suivre l’évolution spontanée de la douleur et aussi après administration d’antalgiques [4]. ÉTIOLOGIES DES OTALGIES MANIFESTATIONS DE L’OTALGIE Rubrique dirigée par M. François Ces enfants ne savent pas encore (bien) parler pour exprimer et décrire leur douleur. Les parents sont alertés par les pleurs ou les cris, surtout s’ils surviennent la nuit, alors que l’enfant s’était endormi tranquillement. Les cris et pleurs d’un nourrisson ne sont pas toujours dus à la douleur : ils peuvent être motivés par la faim, par la peur, par le besoin d’attirer l’attention [2, 3]. Les cris dus à la douleur seraient un peu plus aigus que les autres cris. Mais en fait l’analyse spectrographique des pleurs ne permet pas de distinguer avec une spécificité suffisante les diverses étiologies. En pratique, les parents, qui connaissent bien leur enfant et savent comment il réagit, font inconsciemment l’analyse du cri, éventuellement testent les autres hypothèses (ils prennent l’enfant dans leurs bras, le bercent ou lui chantent une chanson, lui proposent un biberon d’eau…) et arrivent à la conclusion que l’enfant a mal. L’intensité de la douleur chez un nourrisson est difficile à évaluer. Il faut se fonder sur des signes comme les pleurs ou cris ou gémissements, la mimique de l’enfant, ses mouvements, la position qu’il adopte… L’échelle Evendol, qui a été validée pour les douleurs aiguës chez des enfants de juin 2014 page 173 Maintenant, à quoi est due cette douleur ? Les parents vérifient que l’enfant ne s’est pas blessé (doigt coincé dans la sangle d’un jouet, cheveu entortillé sur un doigt ou un orteil, membre coincé entre les barreaux du lit…) et tâtent la température cutanée au front ou sur le ventre, peu importe. La palpation est en effet infidèle, mais c’est cependant celle-ci qui alerte et incite les parents à prendre la température de l’enfant. L’association fièvre et douleur chez un nourrisson qui par ailleurs ne tousse pas, ne vomit pas et n’a pas de diarrhée évoque en premier lieu, par argument de fréquence, une otite moyenne aiguë, surtout si l’enfant se frotte l’oreille (mais ce signe est très inconstant). Il est reconnu que l’association fièvre et douleur incite les parents à consulter un médecin en urgence, plus que l’association toux et fièvre ou toux et nez qui coule [5]. L’examen des tympans est systématique en cas de fièvre chez un nourrisson, mais l’examen clinique ne se limite pas à cela : il faut aussi ausculter, palper l’abdomen, vérifier l’absence d’éruption cutanée ou muqueuse… L’aspect du tympan joint à l’association d’une fièvre et de manifestations douloureuses permet de porter le diagnostic d’otite Médecine & enfance moyenne. Selon l’aspect du tympan, on distingue l’otite congestive, où la membrane tympanique est rouge mais plate, de l’otite moyenne aiguë collectée, où la membrane tympanique est opaque, pas forcément rouge et surtout bombée au moins dans le quadrant postérosupérieur (figure 1) [6, 7]. A signaler qu’en cas d’otorrhée (figure 2), l’enfant n’a généralement pas (ou plus) mal et que souvent la température baisse (tableau I). Figure 1 Otite moyenne aiguë collectée. Figure 2 Otorrhée d’une otite moyenne aiguë perforée spontanément. PRISE EN CHARGE D’UNE OTALGIE AIGUË CHEZ L’ENFANT DE MOINS DE QUATRE ANS La prise en charge de la douleur commence par des moyens non médicamenteux, mis en œuvre spontanément par les parents (prendre l’enfant dans les bras, dériver son attention en le berçant, en lui parlant doucement avec une voix monotone ou en lui chantant une berceuse). D’autres moyens peuvent être utilisés, comme la chaleur : prendre un gant de toilette, le tremper dans l’eau chaude, l’essorer, vérifier sur soi que la température n’est pas excessive et appliquer sur la région auriculaire. Les gouttes auriculaires tièdes ont toujours été utilisées dans cette indication : huile d’olive ou beurre clarifié selon les civilisations. La pharmacopée a évolué. Il existe des gouttes auriculaires contenant des antalgiques ou des antalgiques et des anti-inflammatoires qui, instillées dans l’oreille douloureuse, calment très vite la douleur [8-10]. Il s’agit d’un traitement de la douleur, pas d’un traitement curatif de l’otite, qui suivant l’âge de l’enfant et d’éventuelles comorbidités pourra ou non justifier une antibiothérapie générale. Rappelons que l’antibiothérapie locale n’a aucun intérêt en cas d’otite moyenne aiguë [11, 12] : soit le tympan est fermé et les gouttes ne traversent pas la membrane tympanique, soit le tympan s’est perforé du fait de la pression du pus dans l’oreille moyenne et les gouttes ne vont pas remonter le courant ! La prise en charge médicamenteuse fait appel au paracétamol (15 mg/kg x 4/j). La codéine n’est plus autorisée à cet âge [13]. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont efficaces sur l’otalgie [14]. Figure 3 Otite séreuse : tympan opaque, coulée d’épiderme postéro-supérieure se prolongeant sur le conduit auditif externe. CHEZ L’ENFANT DE PLUS DE QUATRE ANS MANIFESTATIONS DE L’OTALGIE L’enfant de plus de quatre ans est habituellement capable de signaler qu’il a mal à l’oreille, de préciser l’ancienneté de l’otalgie et quelles sont les circonstances qui exacerbent ou au contraire soulagent la douleur. L’intensité de la douleur peut être cotée avec une échelle visuelle analogique par exemple. ÉTIOLOGIE DES OTALGIES Les otites moyennes aiguës sont rares après l’âge de quatre ans. Les otites exjuin 2014 page 174 Figure 4 Perforation traumatique du tympan, récente car il y a encore un peu de sang rouge sur le tympan autour de la perforation. ternes surviennent dans des circonstances particulières (voir plus loin). En bref, la plupart des otalgies aiguës de l’enfant de plus de quatre ans sont dues à des angines. La douleur irradie dans une ou les deux oreilles. Elle est exacerbée par la déglutition. L’examen de l’oropharynx permet de la rapporter facilement à sa cause [1]. Plus difficiles sont les otalgies peu intenses, fugaces, mais répétées. La première question à se poser est celle de l’organicité du trouble. Il est alors bien utile pour les parents d’avoir un placebo pour différencier les douleurs qui nécessitent une enquête étiologique, donc une consultation médicale, des « douleurs » symptômes d’un mal-être de l’enfant, qui Médecine & enfance Tableau I Otalgie aiguë du nourrisson et de l’enfant de moins de quatre ans Fièvre Intensité de l’otalgie Signes accompagnateurs éventuels Fréquence Otite moyenne aiguë congestive ++ ++ Rhinite, toux ++++ Otite moyenne aiguë collectée ++ ++/+++ Rhinite, toux +++ Otite moyenne aiguë perforée Pas ou peu de fièvre 0à+ Otorrhée purulente + Angine ++ 0 à ++ Dysphagie Exceptionnelle avant 3 ans Primo-infection herpétique ++ 0 à ++ Aphagie + Tableau II Etiologie des otalgies aiguës chez l’enfant de plus de trois ou quatre ans Evolution Intensité de l’otalgie Signes d’accompagnement Fréquence Angine Aiguë Modérée Fièvre, dysphagie +++ Otite séreuse Fugace, répétée Faible Hypoacousie +++ Troubles de l’articulation temporo-mandibulaire Douleurs répétées Modérée Craquements Rare Reflux gastro-œsophagien Douleurs répétées Faible Régurgitations fréquentes, torticolis rare souhaite attirer l’attention et que l’on s’occupe de lui… Le médecin, s’il est sollicité, va examiner les oreilles, mais aussi le pharynx, le cou et l’articulation temporo-mandibulaire [15] (tableau II). Le reflux gastro-œsophagien est en fait une cause exceptionnelle d’otalgie [16]. TRAITEMENT Un traitement antalgique par voie générale est proposé en cas de douleur dont la cotation est supérieure à 3/10. Certaines étiologies, comme les angines ou les otites, permettent d’envisager une antalgie locale. La prise en charge est aussi fonction de la cause de l’otalgie retrouvée à l’examen : antibiotiques en cas d’angine à strepto-test positif ; consultation chez un ORL pour audiogramme et appréciation de l’opportunité d’un traitement en cas d’otite séreuse ; consultation chez un orthodontiste en cas de dysfonctionnement de l’articulation temporo-mandibulaire… CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES APRÈS BAINS Une otalgie survenue juste après une douche, un shampoing ou un bain évoque avant tout un bouchon de cérumen devenu obstructif. La symptomatologie d’un bouchon de cérumen est très juin 2014 page 175 riche et peut varier chez un même patient d’un épisode à l’autre : vertiges, hypoacousie, dysphagie… Quant à l’otalgie, elle peut être très vive et explique des demandes de consultation en urgence. Le traitement est l’ablation du bouchon par lavage d’oreille. La douleur disparaît immédiatement après retrait du bouchon. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a une otite moyenne aiguë ou une otite externe qui étaient masquées par le bouchon de cérumen. Une otalgie aiguë survenant après bains en mer ou en piscine, surtout l’été, évoque une otite externe [17, 18]. Il y a un signe qui ne trompe pas chez le petit enfant : il recule la tête si on fait mine de s’approcher de l’oreille atteinte, alors qu’il ne bouge pas lorsque l’on examine l’autre côté. Cela vient du fait que tout attouchement et encore plus toute manipulation du pavillon de l’oreille exacerbent la douleur. La douleur s’accentue en quelques heures, pouvant devenir insomniante. Le diagnostic est évident à l’aspect du conduit auditif externe, qui est œdématié, parfois recouvert d’une pellicule de pus, avec un tympan macéré. Le traitement consiste en l’instillation répétée deux fois par jour de gouttes auriculaires contenant des antibiotiques [11, 12, 19]. Mais il faut aussi y adjoindre des antalgiques par voie générale, en évitant les AINS réputés favoriser l’extension de l’infection. APRÈS VOYAGE EN AVION : OTITE BAROTRAUMATIQUE La douleur survient à l’atterrissage, précédée d’une sensation d’oreille bouchée [20, 21]. Elle est due à une hypopression de l’air dans la caisse du tympan par rapport à l’air dans le conduit auditif externe, du fait d’une insuffisance d’admission d’air dans l’oreille moyenne au fur et à mesure de la descente de l’avion. Si les manœuvres de déglutition, puis de Valsalva (effort d’expiration forcée, bouche fermée et nez pincé), puis de Toynbee (déglutition à vide, bouche fermée et nez pincé) ne suffisent pas à rééquilibrer les pressions, il faut prescrire une cure courte de corticoïdes. En cas d’échec, la solution est la paracentèse (sous anesthésie Médecine & enfance locale ou mieux sous MEOPA). La prévention des otites barotraumatiques est le port à l’atterrissage de bouchons d’oreille TGV/avion, en vente en pharmacie et chez les audioprothésistes, qui comportent un filtre donnant plus de temps au sujet pour rééquilibrer les pressions par les manœuvres sus-citées. APRÈS TRAUMATISME Un corps étranger pointu introduit dans le conduit auditif externe peut provo- Références [1] SHAH R.K., BLEVINS N.H. : « Otalgia », Otolaryngol. Clin. North Am., 2003 ; 36 : 1137-51. [2] FULLER B.F. : « Acoustic discrimination of three types of infant cries », Nurs. Res., 1991 ; 40 : 156-60. [3] SOLTIS J. : « The signal functions of early infant crying », Behav. Brain Sci., 2004 ; 27 : 443-58. [4] FOURNIER-CHARRIÈRE E., TOURNIAIRE B., CARBAJAL R., CIMERMAN P., LASSAUGE F. et al. : « EVENDOL, a new behavioral pain scale for children ages 0 to 7 years in the emergency department : design and validation », Pain, 2012 ; 153 : 1573-82. [5] ERTMANN R.K., SIERSMA V., REVENTLOW S., SÖDERSTRÖM M. : « Infants’ symptoms of illness assessed by parents : impact and implications », Scand. J. Prim. Health Care, 2011 ; 29 : 67-74. [6] PARADISE J.L. : « On classifying otitis media as suppurative or nonsuppurative, with a suggested clinical schema », J. Pediatr., 1987 ; 111 : 948-51. [7] LEGENT F. : « Définition et nosologie des otites », Rev. Prat. (Paris), 1998 ; 48 : 829-32. [8] FRANÇOIS M. : « Efficacité et tolérance d’une application locale de phénazone et de chlorhydrate de lidocaïne (Otipax®) dans les otites congestives du nourrisson et de l’enfant », Ann. Pédiatr. (Paris), 1993 ; 40 : 481-4. quer une otalgie [22, 23]. Si les parents n’ont pas assisté à l’accident et que l’enfant ne sait pas dire ce qui s’est passé, le signe d’appel est l’otorragie. Le problème est de savoir s’il y a ou non une perforation tympanique (figure 4). Il est donc nécessaire que l’enfant soit examiné par un ORL pour otoscopie et, s’il y a perforation tympanique, audiométrie. La douleur, très vive et parfois syncopale, cesse spontanément en quelques minutes. En cas de plaie du conduit, aucun traitement n’est à proposer : l’hémostase se fait spontanément et la cicatrisation est rapide. En cas de perforation traumatique du tympan, il faut proscrire les bains et conseiller des précautions lors des shampoings jusqu’à cicatrisation de la membrane tympanique. Il ne faut pas prescrire de gouttes auriculaires. Il ne faut pas prescrire d’antibiothérapie. L’enfant sera revu un mois plus tard pour vérifier la cicatrisation et 첸 la normalisation de l’audition. [9] WOLDMAN S. : « Treating ear pain in children with acute otitis media », Arch. Pediatr. Adolesc. Med., 1998 ; 152 : 102. [10] ADAM D., FEDERSPIL P., LUKES M., PETROWICZ O. : « Therapeutic properties and tolerance of procaine and phenazone containing ear drops in infants and very young children », Arzneimittelforschung, 2009 ; 59 : 504-12. [11] SFORL : « Utilisation des gouttes et poudres à usage auriculaires », 2001 ; www.orlfrance.org > Recommandations. [12] AFSSAPS : « Antibiothérapie locale en ORL », http://www. ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/5d94 993eac351de87e7d2b03fe48d2d5.txt. [13] http://ansm.sante.fr/S-informer/Travaux-de-l-Agence-Euro peenne-des-Medicaments-EMA-Comite-pour-l-evaluation-desrisques-en-matiere-de-pharmacovigilance-PRAC/Medicamentsa-base-de-tetrazepam-d-almitrine-de-ranelate-de-strontium-etde-codeine-chez-l-enfant-Retour-d-information-sur-le-PRAC. [14] PORTMANN M., PORTMANN D., ROHOU S., POLLET M., COLSON J. et al. : « Efficacité-tolérance du morniflumate dans l’otite aiguë du nourrisson : résultat d’une étude randomisée vs placebo », Rev. Laryngol. Otol. Rhinol. (Bord.), 1990 ; 111 : 507-10. [15] ISRAEL H.A., DAVILA L.J. : « The essential role of the otolaryngologist in the diagnosis and management of temporomandibular joint and chronic oral, head, and facial pain disorders », Otolaryngol. Clin. North Am., 2014 ; 47 : 301-31. [16] ANDREWS T.M., OROBELLO N. : « Histologic versus pH probe results in pediatric laryngopharyngeal reflux », Int. J. Pediatr. Otorhinolaryngol., 2013 ; 77 : 813-6. [17] DUBREUIL C. : « Les otites externes de l’été », La Lettre de l’ORL, 2005 ; 298 : 5-6. [18] WADE T.J., SAMS E.A., BEACH M.J., COLLIER S.A., DUFOUR A.P. : « The incidence and health burden of earaches attributable to recreational swimming in natural waters : a prospective cohort study », Environ. Health, 2013 ; 12 : 67. [19] KAUSHIK V., MALIK T., SAEED S.R. : « Interventions for acute otitis externa », Cochrane Database Syst. Rev., 2010 ; 1 : CD004740. [20] ISHIYAMA A. : « Why does air travel cause earache ? », West. J. Med., 1999 ; 171 : 106. [21] MIRZA S., RICHARDSON H. : « Otic barotrauma from air travel », J. Otol., 2005 ; 119 : 366-70. [22] DUBOIS M., FRANÇOIS M., HAMRIOUI R. : « Corps étrangers de l’oreille : à propos d’une série de 40 cas », Arch. Pédiatr., 1998 ; 5 : 970-3. [23] HEMPEL J.M., BECKER A., MÜLLER J., KRAUSE E., BERGHAUS A., BRAUN T. : « Traumatic tympanic membrane perforations : clinical and audiometric findings in 198 patients », Otol. Neurotol., 2012 ; 33 : 1357-62. juin 2014 page 176