I. « L’HOMO MENSURA », ou du rapport à l’altérité.
A. Présentation générale de l’homme du sens commun.
Reprendre la formule fameuse du sophiste Protagoras selon laquelle « l’homme est
mesure de toutes choses »
peut nous orienter sur la conception cusaine de la connaissance
inadéquate
du monde sensible. L’homme est ainsi le principe déterminant de ce qui est, et par
là il ne peut conquérir qu’une connaissance relative ( sur la base d’un relativisme
phénoménal) et donc qu’une connaissance subjective. L’identité entre pensée et être reste
proprement dépendante de l’activité humaine. L’universel est insaisissable, et seule la
variabilité de la nature peut servir de support cognitif à l’homme.
En effet, Le monde se présente tout d’abord et nécessairement à nous par les sens
comme une pluralité d’objets finis et opposés en contraires. Chaque objet se définit par
rapport à sa contradiction, et donc toute qualité d’une chose n’est qu’au regard de son autre. Il
règne ainsi dans le monde une perpétuelle métamorphose, un changement incessant
déterminant les choses selon différentes qualités : le chaud se transforme en froid, et
inversement, le solide en liquide etc. Ainsi, ici-bas, les hommes sont plus enclin à des
« conjectures », à des efforts de représentations vraisemblables du réel, qu’à la vérité. Car
toute chose, en tant qu’elle participe au processus de variation et de changement, se voit
altérée et ne donne pas à l’homme une assise sûre concernant sa quiddité. Il a dès lors toujours
déjà face à lui de l’autre, des objets indépendants qui ne cessent d’être travaillés par le temps.
Et la pensée, bien que dépendante des corps, peut exercer par l’expérience de l’abstraction son
détachement, et entrevoir par là qu’il y a des formes immuables, mais toujours perverties dans
le milieu naturel. Il est par conséquent impossible de trouver deux choses identiques dans la
nature
, quand bien même dans la pensée conceptuelle cela est possible. Ainsi, « que les
La formule complète est la suivante : « L’homme est la mesure de toutes choses, des choses qui sont, qu’elles
sont, des choses qui ne sont pas, qu’elles ne sont pas » (La vérité). Il est important de voir que Protagoras utilise
le terme chrêma, et non celui de pragma pour désigner la chose. Le terme chrêma désigne une chose dont on se
sert, une chose utile. Et le terme métron désigne la mesure ou le critère. Ainsi l’homme (anthrôpos) règle les
choses. Nous verrons par la suite que Nicolas de Cues n’est pas tout à fait étranger à cette formule qui, loin de
n’exprimer qu’un simple relativisme sceptique, évoque l’action inhérente à l’homme sur les choses.
« Inadéquate » ici révèle plus un caractère de moindre importance dans la connaissance, mais ne signifie pas
pour autant que l’homme, comme principe mesurant, soit aux antipodes de la possibilité d’une connaissance plus
essentielle. Car c’est dans le chemin de la quête spirituelle que la valeur suprême du sensible apparaît, en tant
que révélation visible de l’invisible.
Principe qu’il n’y a pas deux choses identiques dans le monde. Et cette idée se retrouvera dans la pensée
leibnizienne, dans son principe des indiscernables, suivant lequel deux êtres réels diffèrent toujours par des
caractères intrinsèques, et non pas seulement par leurs positions dans le temps ou l’espace ; ainsi « il n’y a jamais