« Transformation et innovations économiques et sociales en Europe

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« Transformation et innovations économiques et sociales en Europe : quelles sorties de crise ?
Regards interdisciplinaires »
Charleroi 9 et 10 septembre 2010 - Proposition de communication
Sortie de crise : La coopérative, une forme
organisationnelle innovante pour l’entreprise
Délila Allam & Sabine Monnier
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Centre dEconomie de la Sorbonne
Résumé :
Nous voudrions analyser la perspective dun entrepreneuriat collectif construit par la
volonté singulière des dirigeants de PME dans le contexte de la crise actuelle. Linnovation
portée par la mise en commun des ressources et dans un partage non capitaliste, offre
dautres perspectives managériales. Elle met au centre de lorganisation des activités
économiques les besoins humains et non le gain monétaire. Et cela se fait sans ignorer les
contraintes defficacité et de développement économique.
La coopérative relève pour certains dune « utopie » et, pour dautres, demeure assez
« marginale » pour ne pas dire réservée au seul monde agricole. Or, ce constat traduit soit
un biais idéologique soit lignorance dune réalité empirique enracinée. Une terre de
prédilection de laventure capitaliste comme les Etats-Unis, compte parmi les pays ayant le
plus de coopératives et mutuelles au classement Global 300. Par ailleurs, The International
Cooperative Alliance recense 224 coopératives réparties dans 87 pays, issues de tous les
secteurs dactivité. En 2007, cest plus de 800 millions de personnes à travers le monde. A
la lumière de ces quelques éléments empiriques est-il encore possible daborder la
coopérative, à laide dun microscope ou dévoquer un conte pour enfants, confinant son
existence dans une marginalité non vérifiée ?
Mots clés : droits économiques, capitalisme financier, fonds propres, propriété, liberté
entrepreneuriale et organisation du travail
Sortie de crise : La coopérative,
une forme organisationnelle innovante pour l’entreprise
Lobjectif ici est de montrer les atouts de la coopérative comme vecteur de changement
pour les entreprises dans la crise actuelle. Malgré son grand âge (150 ans), la coopérative
offre une autre expression entrepreneuriale face aux contraintes économiques. En effet, de
nouvelles formes de régulation modifient lenvironnement économique (financement et
stratégie de développement) des PME. Lentrepreneuriat collectif construit par la volonté
singulière des dirigeants peut alors être pensé. Linnovation par la mise en commun des
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ressources, dans un partage non capitaliste, met l’accent sur les besoins humains sans
renoncer à efficacité économique.
Pour certains, la coopérative serait réservée au monde agricole. Or, une terre de
prédilection de laventure capitaliste comme les Etats-Unis, compte parmi les pays ayant le
plus de coopératives et mutuelles au classement Global 300. Par ailleurs, the International
Cooperative Alliance recense 224 coopératives réparties dans 87 pays, issues de tous les
secteurs dactivité. En 2007, cest plus de 800 millions de personnes à travers le monde.
Est-il encore possible daborder la coopérative, à laide dun microscope ou dévoquer un
conte pour enfants, confinant son existence dans une marginalité non vérifiée ?
Les vingt dernières années se caractérisent par la financiarisation des activités
économiques, au sens les acteurs adoptent une optique financière (la tyrannie du Return
On Equity) pour l’ensemble des activités économiques (Boyer, 2009). Ce regard sous
l’influence des marchés financiers est un regard de myope, à court terme (Orléan, 2009).
Les banques dans le mouvement de déréglementation et de désintermédiation, associé à une
hausse des taux d’intérêt réels, ont été fragilisées. La réponse des Autorités Monétaires va
se traduire par l’adoption de règles prudentielles en particulier une exigence d’un niveau de
Fonds Propres (Bâle I). Cette exigence sera renforcée (Bâle II) en demandant aux banques
une adéquation permanente de leur Fonds Propres en fonction de l’évolution du risque
anticipé sur chaque client. Les indicateurs les plus fréquemment retenus seront le ratio de
rentabilité financière, le ROE et la capacité de l’entreprise à générer de la valeur par la
méthode Economic Value Added (EVA).
On parle alors de capitalisme financier (Batsch, 2002), actionnarial (Plihon, 2001),
patrimonial (Aglietta et Berrebi, 2007) ou de capitalisme oisif (Keynes, 1936).
La crise actuelle en a révélé les limites d’abord dans la crise financière (utilisation perverse
et abusive des marchés dérivés), puis dans la crise bancaire (perte de confiance au travers
de la crise de liquidité) et enfin dans la crise économique (incapacité du système à s’auto-
réguler).
En nous concentrons sur le tissu des PME et des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI),
nous distinguons trois temps dans les avancées de la crise. D’abord les entreprises vont
subir de plein fouet la fragilisation des banques qui, par manque de ressources propres,
s’exprimera par une révision de l’analyse du risque-client et des exigences plus fortes sur la
qualité de l’entreprise.
Ensuite, la crise économique va toucher directement les entreprises par la perte de
débouchés, la nécessaire compression des coûts face à la concurrence, les retards de
paiement et les difficultés de trésorerie qui en découlent.
Viendra enfin le temps les entreprises devront envisager le financement des
investissements de sortie de crise et la difficulté à obtenir l’accord des établissements
financiers. On s’attend, en effet, à une contrainte forte de la part du Comité de Bâle (un
accord Bâle III) pour que les banques limitent leurs activités de transformation (de
ressources courtes en financements longs) et que les crédits à long terme soient
systématiquement adossés à des ressources longues, sauf si les banques s’engagent à
augmenter encore leur niveau de fonds propres et à provisionner.
Lambition de notre communication est de soutenir lentreprise coopérative comme
réponse à la crise. En effet, l’entreprise PME-ETI isolée suffoque dans lenvironnement
international actuel. Plusieurs pistes soffrent alors :
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- sassocier à dautres PME en vue de partager certains coûts. Par exemple, les coopératives
de transports partagent une agence de frets, centralisant et rationalisant les flux dactivités
auparavant individuels réalisés par des PME ;
- repenser la stratégie de développement en changeant de forme organisationnelle et opter
pour le statut de coopérative. Cette question se pose avec une grande acuité dans le
contexte de reprise-transmission dans de nombreuses économies développées.
Notre papier se déroulera en deux temps. En premier lieu, nous montrerons les spécificités
financières de la gouvernance coopérative pour une entreprise, attachée à son autonomie.
En dautres termes, comment une entreprise peut-elle sémanciper des logiques
exclusivement financières tout en assurant son développement et sa pérennité économique
et sociale ? Dans un second temps, nous analyserons les principales justifications
managériales de la coopérative. Le management dun collectif non hiérarchisé - soit par des
statuts juridiques soit par des liens financiers - a toujours été considéré inefficace et
notamment très peu incitatif par certaines théories contemporaines de la firme.
Section 1. Les atouts de la Société Coopérative ou comment
s’émanciper des logiques financières.
Nous souhaitons démontrer que la coopérative présente des atouts qui sont ignorés dans le
système financier actuel. On cherche à banaliser son statut, à coucher la coopérative dans le
lit de Procuste du libéralisme monétariste. Nous nous attacherons d’abord à mettre en
valeur dans le statut même de la coopérative ce qui la distingue de la société capitaliste
(1.1), pour nous attacher ensuite à distinguer la nature de ses fonds propres (1.2) et enfin
montrer sa profonde différence d’avec la société capitaliste dans l’affectation de son
produit (1.3).
1.1. Le cadre juridique et le principe de lentreprise coopérative
Au plan international, lAlliance Coopérative Internationale (instance représentative des
coopératives au niveau mondial) a révisé en 1995 la Déclaration sur lidentité coopérative,
formulée dès 1937 et a adopté le texte suivante : «Une coopérative est un association
autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins
économiques, sociaux et culturels communs au moyen dune entreprise dont la propriété
est collective et le pouvoir est exercé démocratiquement » (Rapport Annuel, 2007).
Cette définition a été accompagnée de valeurs et principes afin dincarner ces pratiques
coopératives.
Cette forme dorganisation de lactivité productive existe dans de nombreux secteurs. Au
niveau international, le palmarès Global Top 300 indique que les activités agricoles
représentent 32,6%, le commerce 24,7 et les services bancaires et financier 21,8% (Rapport
annuel, 2006, autres sources par grandes familles de l’économie sociale sont disponibles
sur www.scop.coop et www.entreprises.coop).
Règles affirmées dans le statut de la Société Coopérative Européenne (soulignons par nous)
« Les coopératives agissent dans l’intérêt de leurs membres, qui sont en même temps des
utilisateurs, et ne sont pas gérées au profit d’investisseurs extérieurs. Les bénéfices sont
perçus par les membres en proportion de leurs transactions avec la coopérative, les réserves
et les actifs sont détenus en commun, impartageables et consacrés aux intérêts communs
des membres. Les droits de vote ne sont pas nécessairement proportionnels aux parts
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détenues «à chacun une voix» . » (Commission Européenne - Communication 18, 23-02-
2004 ).
Ce cadre général révèle les caractéristiques financières de la coopérative, sur la structure du
capital et l’utilisation des résultats financiers, qui méritent une analyse particulière.
1.2. La structure du capital indépendante des marchés financiers
Nous voudrions montrer ici la pertinence de la coopérative face aux défis de la
mondialisation financière caractérisée rapidement par le diktat des marchés financiers et les
réglementations de plus en plus rigides imposées aux banques dans la gestion du crédit.
Le statut de la société coopérative doit être analysé en le différenciant de celui de la société
anonyme. Trop souvent les parts sociales sont assimilées à des actions. Dans le tableau
suivant nous essayons de distinguer les deux formes d’entreprises afin de souligner le
caractère a-capitaliste et a-financier de la coopérative.
Statut de l’entreprise
Société capitaliste, S.A. SARL.
SCOP
Dénomination du capital
Action
Part sociale
Définition
Titre de propriété juridique
Engagement financier dans
une propriété collective
Rémunération
Dividende et plus value
Revenu limité légalement
Cession
Pas de remboursement
Négociable sur le marché
boursier
Remboursement
conditionnel au-delà de la
partie non remboursable et
des réserves impartageables
Valeur de cession
A la hausse ou à la baisse
Instable
A la valeur nominale
Stable
Variabilité
Fonction de la liquidité
Faible liquidité
Droit de vote
Proportionnel au capital investi
Un homme, une voix
Stabilité du contrôle
Non
Oui
Possibilité de rachat des
titres par l’entreprise
Oui
Conditionnelle
Une première critique systématique à l’encontre des coopératives porte sur la variabilité du
capital compte tenu de la possibilité des sociétaires de demander le remboursement de leur
part.
Il faut noter d’abord, que cela concerne qu’une partie du capital et ensuite que le
remboursement est conditionnel. Il doit être accepté en assemblée générale et selon les
pays, il doit être transmis à un autre membre ou à un nouveau membre, ou bien, quand c’est
possible, repris par la coopérative elle-même. La part sociale change de main mais sa
valeur reste inchangée.
En outre, le capital remboursé au nominal n’intègre aucune plus value. Au sens de Walras,
rendre le capital remboursable, c’est empêcher l’accumulation capitaliste comme le cite
Espagne (2006). Dans cette étude, Espagne mène un débat rigoureux sur la variabilité au
sens des normes IAS. Nous pensons qu’il faut le compléter en insistant sur la variabilité des
Fonds Propres de la SA, constitués d’actions évaluées à la valeur de marché, la fair value,
non pas seulement variable mais volatile! (Artus et Viard, 2005).
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Une seconde critique souligne l’affaiblissement financier de la coopérative si le capital est
repris par la direction. En effet, pour rembourser les parts sociales, la direction doit utiliser
une partie de sa trésorerie ce qui la fragilise.
Cet argument vaut aussi pour les Sociétés Anonymes qui peuvent soutenir le cours de leur
titre en rachetant leurs propres actions soit avec la trésorerie soit en s’endettant auprès des
banques. La fragilité est du même ordre, voire supérieure car la valeur du capital de la SA
subit les fluctuations permanentes de la valeur de marché. Enfin le capital et le contrôle
peuvent changer de mains, par OPE ou fusion-acquisition.
Le détenteur de la part sociale est dans un rapport l’affectio societatis l’emporte
largement sur l’obtention du dividende. L’entreprise coopérative est socialement
responsable par son l’implication locale, la proximité territoriale avec les parties prenantes
de la vie de l’entreprise. Information, partage des responsabilités, proximité des managers
et des salariés apparaissent comme des réponses adaptées aux dérèglements de la finance.
Aujourd’hui dans le capitalisme actuel, l’actionnaire loin du manager (logique
d’entreprise), garde son regard rivé sur le cours de bourse (logique spéculative) sans
rapport avec l’activité de production de l’entreprise.
Où la gouvernance coopérative rejoint la logique des stakeholders par opposition aux
shareholders.
1.3. L’affectation des résultats
Les acteurs financiers assimilent les parts sociales à des actions rémunérées par un
dividende (et une plus-value) ou à des dettes assorties d’un taux d’intérêt. Or, les parts
sociales sont un engagement financier du sociétaire/salarié-consommateur-épargnant pour
constituer une entreprise afin de «satisfaire leurs aspirations et besoins économiques,
sociaux et culturels communs» (statut de la SCE, Europa 2003). Le sociétaire, dés son
engagement, n’attend pas une rémunération ou une valorisation financière de son titre
même s’il en aura un jour le remboursement.
Ainsi la faible rémunération des parts sociales (intérêt de la part sociale plafonné au
rendement du titre obligataire public) permet d’affecter la quasi-totalité du résultat en
réserves pour autofinancer les investissements. Le capital impartageable et les réserves sont
un atout pour se lancer dans des investissements à rendement non- immédiat.
Nous sommes très loin de la logique capitaliste dont la plus grosse partie des profits est
affectée à la distribution des dividendes. La part des dividendes dans le total des profits
(avant taxes) pour les sociétés non financières (hors agriculture) aux Etats-Unis représente
entre 75 et 80% du total depuis 2000 (Aglietta et Rebérioux, 2005).
Enfin, nous répondrons à une dernière réserve évoquée par les banques à propos de
l’évaluation du risque de la coopérative. Selon les normes comptables IAS 32, les parts
sociales sont des capitaux propres si l’entité a le droit inconditionnel de refuser le
remboursement des parts sociales, (JO de l’UE, 2008). Ainsi, seuls sont comptabilisés dans
les fonds propres de la coopérative le capital et les réserves impartageables. Le niveau des
fonds propres est estimé à son niveau minimal, aggravant le risque analysé par la banque.
Cette approche restrictive sur la variabilité des fonds propres de la coopérative du fait de la
possibilité de remboursement a été déjà évoquée dans la section précédente et relève d’une
vision quantitative des fonds propres biaisant le regard des banques.
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