Lecture des deux ouvrages suivants : o o "Idées directrices pour une phénoménologie" (1913) "Méditations cartésiennes" (1920) La phénoménologie est le fil conducteur des problématiques du 20 ème siècle : voir pour cela Heidegger, l'existentialisme de Sartre, ou de Levinas. C'est l'époque de la priorité des sciences exactes, où la philosophie est reléguée à un rôle révolu, subalterne, accompagnateur dans son énonce clarificateur de certaines thèses scientifiques : elle est la servante des sciences. D'où le courage et le mérite de la phénoménologie qui relance la problématique de nos connaissances, c'est "ce que tout le monde attendait" depuis longtemps : une nouvelle manière de penser avec les droits fondamentaux de la philosophie remis au goût du jour. La lecture de Husserl est ardue et contestable, mais il y a un devoir actuel d'accompagner Husserl cent ans plus tard, et de lui donner plus d'une chance dans l'acceptation de ses prises de position, quitte à congédier notre esprit critique immédiat. En effet, s'appliquer à l'exercice d'approfondissement de l'effort inouï de sauvegarde des droits traditionnels philosophiques husserliens, c'est sauvegarder dans l'urgence ; le philosophe est le "fonctionnaire de l'Humanité" pour reprendre Husserl, une fonction à la fois fondamentalement humble et ferme. Les "Idées directrices pour une phénoménologie" de 1913 sont une synthèse de résultats accumulés, et des pistes directionnelles pour une suite réflexive. Les "médiations cartésiennes de 1920 sont une nouvelle synthèse suite à des conférences parisiennes, dont le point de départ fut le point de vue ouvert en premier par Descartes : la reprise du projet de Descartes laisse entrevoir donc une similarité entre leurs deux tâches. Révolution scientifique, physique et mathématique chez Descartes, main mise de la pensée idéologique scientifique du début 20 ° pour Husserl, mais les "méditations cartésiennes" ne sont pas "le discours de la méthode" !.. En effet, en 1900, les trois branches scientifiques partant du tronc métaphysique cartésien se passent du tronc…! Don quel rapport faut-il penser entre les connaissances philosophiques et la science ? Le point de départ de la phénoménologie est l'effort philosophique devant désormais constituer à prendre la science au sérieux, et à se demander quel effort de pensée fantastique il a fallu pour en arriver là… D'où caractériser les objets de la science en cherchant quel sens ils peuvent avoir pour l'Homme. A partir de là la science va élargir notre expérience du monde : et ceci est une démarche intrinsèquement philosophique ; la phénoménologie de Husserl se veut une philosophie du sens : une table rase de tous préjugés accumulés. "Qu'est-ce qui nous permet de constituer un objet de la manière la plus large et la plus libre de tous préjugés possibles ? Enfin, le sens inclura universellement notre présence au monde : tous les ouvrages de Husserl sont une programmatique sur le travail méticuleux et rigoureux que demandera la phénoménologie au cours de ses recherches, ce n'est donc en rien une doctrine. Exemple d'étude : L'expérience de l'intersubjectivité. C'est le sens de l'expérience en tant que situation impliquant plus qu'un seul sujet. L'intersubjectivité allait de soi chez Kant, comme chez Descartes ; Avec Husserl ce radicalisme est remis en question d'un point de vue transcendantal, et c'est aussi une question ayant une portée considérable dans la situation philosophique de l'époque. Husserl ici initie un rebondissement interne dans la phénoménologie : la question du sens conduit à un univers de pensée absolument nouveau, et d'ailleurs sa phénoménologie sera une démarche centrée sur la question de la subjectivité, notamment avec la théorie de la perception de Husserl. La tradition positiviste ignore tout le mode de connaissance subjectif qui se constitue dans un objet porteur de connaissance. L'originalité de la perception tient au fait d'un regard dirigé en zig zag, un va et vient entre le sujet vivant et le monde des apparences : double mouvement réciproque, se portant sur tout objet : qu'il soit matériel, mathématique, idéologique… etc. C'est l'apprentissage d'un regard nouveau sur des objets échappant à la classification hiérarchique grecque, une expérience ne privilégiant aucune direction : ce que Husserl nomme "l'intuition eidétique" (du grec "essence"), commençant et finissant par le regard. Donc aucun compte rendu par un monde suffisamment riche pour donner, assumer son propre accomplissement. La démarche est contemplative : épuisement des richesses du monde des apparences (à l'inverse du doute des apparences chez Descartes), son sens et son contenu seront l'objet de la méthode de l'intuition eidétique. o Descartes prend tout objet et élimine ce qui est sujet au doute, à l'instabilité : l'Esprit légifère. o Husserl prend tout en compte, où le sens du monde peut être clarifié. Rien ne nous assure que tel objet sera éliminable grâce à un doute lui-même instable. La philosophie du regard s'oppose alors à la tradition philosophique ; elle n'est ni idéaliste, ni rationaliste, n'a pas d'étiquette traditionnelle. -Chapitre 2 / Section 20Chapitre polémique, qui se distingue des autres car il se préoccupe des autres philosophies entourant Husserl qui souhaite une philosophie phénoménologique privilégiant tous les points de vue : une démarche se penchant sur tout le champ de tous les champs du donné intuitif… "…Cela même qui est antérieur à tout point de vue, tout le champ du donné intuitif…" C'est à dire tout ce qu'on peut voir et saisir immédiatement. (cf. la Gaieté nietzschéenne des retrouvailles avec un monde complet et donné par l'œil intuitif) La phénoménologie est donc composée selon Husserl de vrais positivistes (donné saisi de façon originaire), mais les positivistes en tant que tels refusent une telle définition du positivisme. Husserl entend une "nudité riche" du donné immédiat tel qu'il se présente, il a d'emblée valeur de droit. Ce regard antérieur à tout point de vue (toute théorie) ouvre vers une saisie originaire de l'expérience, la phénoménologie cherche à sauver la Raison de son anéantissement en élargissant sa portée. --------------------------------------Le regard phénoménologique introduit à tous les autres regards. C'est une philosophie transcendantale, donc réfléchissant aux conditions nécessaires de la possibilité de l'expérience. Une méthode rigoureuse, systématique : les intuitions eidétiques peuvent être traduites en langage quasi scientifique. C'est une philosophie du vécu, de la facticité, du regard pluriel et multiplié. La psychologie dirait que j’internalise en moi la totalité du monde, c’est une particularité humaine : capacité à former des images, d’où l’explication causale du monde existant dans mon esprit. Cependant, le rapport causal au monde ne peut être l’unique dans le potentiel phénoménologique. La mission phénoménologique sera de baliser le champ de l’intuition donnée, pour y inclure tous les autres regards. A ce titre, les "méditations cartésiennes " sont un peu une phénoménologie de la phénoménologie, où l’on étudie la genèse phénoménologique de l’apparition des intuitions eidétiques au sein de la connaissance. La phénoménologie c’est donc un mouvement intime à beaucoup d’autres philosophies : Hegel, Descartes, Freud, Marx (matérialité porteuse de sens), Nietzsche… La description est la première consigne phénoménologique : sans discrimination, une explication, une analyse psycho-descriptive. La science du 17 ° siècle se libère de tout anthropomorphisme (où l’on projette sur le monde des propriétés spécifiques à l’Homme), c’est un effort considérable d’apprendre le monde en allant vers un point où je ne suis pas (le soleil = centre de l’univers, voir révolution copernicienne) ; Les mathématiques sont le moyen immatériel d’y parvenir ; il y eut une correction des données terrestres en revenant à une pure élimination de ces données immédiates dans leur essence : le fait. Mais la science parallèlement à son énorme contribution à la connaissance phénoménologique du monde est une perte originaire de celui-ci. C’est un fossé que la science ne peut combler, par le fait même, volontaire, de sa méthode : la vérité scientifique se gagne au prix de la perte de la connaissance véritable (perception), à cause de cette position minimaliste qui ne la fait avancer qu’en tant que science (… une fuite en avant). La phénoménologie reprend le sujet vivant : une vue qui est mienne. L’expérience immédiate n’est pas aussi naïve que ce que le scientifique veut nous faire croire. Le jeune enfant même nous rapporte au monde en un mélange de réception et d’explication primaire du monde. L’accès à toute réalité se fait sans réflexion théorique explicite. Que faire de ce matériau qui nous est donné ? Pour comprendre celui-ci de manière phénoménologique, il faut se demander ce qui rattache toujours l’expérience à une réalité effective : se distinguent ainsi trois concepts équivalents : o o o L’Etre vrai L’Etre réel L’Etre dans le monde L’intuition en essence est la source donatrice, commune par exemple à : - l’expérience sensible du bleu o o la fréquence d’ondulation du bleu au bleu artistique. Cette multitude d’explications très distinctes est le fruit d’un niveau antérieur, réservoir originaire de toute expérience et théorie du monde. Et cependant elles sont assez profondes pour se rejoindre dans la phénoménologie, méthode qui rendra compte de l’intuition donatrice, où la chose se donne "en chair et en os ". Ainsi, la science ne supplante plus toutes nos autres connaissances dans leur mode d’intelligibilité. Pour autant que nous la privilégiions, on peut poser la loi d’équivalence des trois concepts, là on pour exemple la science pose le bleu en valeur numérique d’une longueur d’onde, qui est la cause de cette perception du bleu. Donc elle postule en parallèle que cette perception sensible du bleu est pure contingence : la cause seule est importante, l’effet est méprisable. La phénoménologie remet en cause l’évidence scientifique que le sujet est dans le monde : le sujet phénoménologique est un réservoir d’intuitions actif, capable d’attribuer un sens à un Etre réel et un Etre vrai. Tout le monde scientifique causal est remis en cause dans le sens large que veut donner Husserl au champ de l’intuition. La genèse du sens est dans l’Intuition donatrice qui implique à la fois l’expérience esthétique, l’expérience ordinaire, et la loi scientifique. Le sujet donne un mouvement à l’objet, en l’animant de sens ; celui-ci n’a de sens que pour le sujet vivant donc (d’où le problème de l’intersubjectivité). On voit bien que la notion de sens est la notion clef du projet phénoménologique. " L’intentionnalité " caractérise le sujet vivant (possible similarité avec les conditions de possibilité kantiennes…), elle est le mouvement subjectif de constitution d’un objet de sens. EXE : le triangle n’a d’existence que par ce qu’il fait sens, où le mathématicien construit du sens au travers des objets mathématiques. Le projet de la phénoménologie se scinde en deux étapes : 1. La constitution du sens par le sujet vivant pour tout le champ de l’expérience ? 2. Au sein de chaque expérience, quelle constitution phénoménologique ? Le sens y fait figure de notion ontologique de l’objet, et l’intentionnalité y est le rapport d’un sujet vivant à un objet faisant sens. Le sujet vivant est un MOI qui procède activement à la constitution du sens de l’objet, un MOI qui peut (intentionnalité). Je dois, et j’en suis conscient. L’expérience vécue est un donné, donnant lieu à un monde intégrant un verre, dans lequel je peux boire. Une unité traverse le réservoir de l’intuition par la conscience de l’expérience première : je bois, je peux boire. Ce réservoir ne cesse de grandir avec le champ de l’expérience (à l’inverse de la théorie scientifique de l’Etre qui naît avec une telle possibilité). L’expérience constitutive de l’Etre fonde en même temps l’expérience constitutive du monde, c’est à dire que l’expérience première n’est pas l’acte de boire, mais être conscient de l’acte de boire. L’objet n’a de sens que dans la mesure où j’en fonde un le sens pour moi, donc l’existence d’un objet est corrélative au sens. Le travail de constitution du sens va être beaucoup plus délicat dans la constitution du sens d’autrui (cf. "intropathie " en psychologie : capacité à se représenter en un monde pour entrer avec lui en sympathie avec ses émotions… etc.). Il y a dons deux types de perception : - certaines sont originaires, comme le verre sensé me permettre de boire. o d’autres ne le sont pas, comme pour autrui. La terminologie de Husserl est la suivante : 1) objet sous leur forme originaire : "présentation à moi " 2 ) o b j e t n o n o r i g i n a i r e : " s e p r é s e n t i f i e à m o i " ( m é d i a t i o n s u j e t / o b j e t ) L’expérience vécue, primaire, unitaire, incluse absolument le "je peux ", le MOI comme sujet, même dans le rêve : c’est une des modalités de sens en effet que de se tromper, l’erreur ne supprime pas le sens. La phénoménologie se veut donc une articulation critique et complète de la constitution du sens. 4 premiers § du chapitre 1 Attirent notre attention sur la nécessité de rejeter le réalisme naïf, évident, ordinaire : o o L’expérience ordinaire fait sens à tous ceux qui la vivent Nous sommes tout tournés vers l’objet : occupation du langage pour les noms communs o Les choses ne se présentent pas comme elles sont, mais plutôt comme ce qu’elles signifient. o Les choses ont des significations que nous n’inventons pas. Nous les rencontrons par signification dans l’expérience vécue (chaise = pour s’asseoir), ce sont des "objet-siginification ", et saisir une signification revient à objectiver. …à l’inverse de la science posant les choses de manière individuelle, susceptibles de se soumettre à des variations sans changer d’essence : ce que nous fait comprendre le formalisme mathématique par le cadre spatio-temporel. Comprendre le réel en science mathématique revient à le dépasser, le mettant en relation avec d’autres choses : on imagine plusieurs monde, et l’on décide que le réel est l’un de ces mondes possibles. L’expression mathématique d’une loi est intemporelle, universelle, dépasse la chose pour la comprendre, dépasse la contingence du phénomène pour en dégager la loi qui le fait exister. Les objets sont réglés par les lois de cause à effets, et l’essence mathématique ignore consciemment la contingence et la facticité circonstancielle. Chaque fait cependant, en vertu de sa propre essence, pourrait être autre : c’est à dire que par son sens, tout ce qui est contingent admet une essence, c’est la spécificité d’un objet en tant qu’il est tel qu’en luimême. Il y a possibilité (qui est en elle-même essence) de poser l’essence d’un individu en idée. La chose se donne originairement comme présentation de ce qui pourrait être autre (je suis conscient de l’existence de la chose), et derrière la perception de l’altérité il y a une autre conscience que moi-même. Ce n’est plus la perception originaire, il y a un fossé entre "autre " et "moi "… ainsi le sens de la constitution d’autrui ne marche pas dans ce cas-là… La vision essentielle, c’est l’expérience ordinaire : une vision unitaire objet + moi, et en outre il y a une distance entre moi et l’expérience telle qu’elle s’est produite ; je vois les choses, ainsi que les relations qu’elles ont entre elles. EXE : BOIRE = VERRE + LIQUIDE. J’y vois la relation de l’un à l’autre : je ne vois pas qu’un verre, et un liquide, mais le verre plein. Ou encore je vois une table petite, une table grande, je vois aussi une table plus grande que l’autre : nous en déduisons qu’il y une insémination, une injection de l’idée dans la chose perçue. Etude des 4 premiers chapitres : " Idées directrices pour une phénoménologie ". L’imagination Le § 3 concerne l’intuition eidétique : l’idée qui emplit l’objet, à distinguer d’un "monde des idées " tel que celui de PLATON. L’essence est une idée perçue directement et présentée sous diverses perspectives. L’objet phénoménologique n’est pas un objet différent, mais un type différent d’Etre au monde (-> intuition donatrice). On passe de l’idée (intuition donatrice), à l’essence (vision essentielle), par une double détermination de l’objet : c’est l’un dans le multiple. Mais la vision des essences n’est jamais séparable de l’intuition donatrice, il n’y a donc pas de monde eidétique à part comme chez PLATON. On voit autrement le même monde en se retournant vers ce qui fait sa rationalité. La différence ou la similarité entre deux objets sont internes aux objets mêmes, qui peuvent être intuitions en essence. Il n’y a de connaissance que parce que l’a priori des choses va au donné, grâce à l’intuition eidétique Il y a une entre – appartenance des objets entre eux dans le fonctionnement de la conscience, un seul monde, où l’intuition donatrice se convertit en vision des essences : un "sens pur ", grâce auquel on peut saisir la rationalité. Dans l’unité idéale, "la chose se présente enveloppée dans son essence ", ce qui permet cette double donation est l’insémination de l’une par l’autre (une attitude naturelle et théorique) : elle se donne de manière originaire dans le cadre d’une attitude naturelle (plus tard nous rencontrerons une problématique du MOI, comme implicitement une attitude non-naturelle…). Cette faculté de double donation est qualifiée par Husserl d’auto donation ; le mode de donation de la table par exemple, est à la fois en elle-même en tant que chose, et essence de table… Les propriétés physiques particulières de la table s’effacent au profit de la chose table. Les qualités de la table ainsi que la table sont d’un seul et même monde, elles donnent la table en table-chose et en table-ici, celle que je perçois. Husserl ici cherche à bien montrer que l’intuition sensible est elle-même une intuition essentielle : cette dernière est fondée sur l’intuition empirique (qui finalement se suffit à elle-même)… l’objet n’est pas posé, il est donné. On met en œuvre ainsi l’idée d’un individu par l’idéation, qui tourne la conscience vers l’essence dans le fait (l’eidos). L’individu n’est ni saisi ni posé comme une réalité, mais donné en même temps que son essence. § 4 : L’intuition eidétique peut se donner autant à des objets réels qu’à des objets imaginaires. En effet, l’essence ; étant dans l’objet, se convertit en idée (c’est un a priori concret). Comment accède-t-on à cet a priori concret ? 1. C’est déjà un besoin… puisqu’on ne pose pas l’objet. 2. L’essence est libre de tout lien avec la facticité : le pouvoir de l’imagination est de détruire l’individualité, c’est un processus fictif de phénomènes plus ou moins complexes qui nous présente l’eidos du phénomène, son essence ; une monstration de la nécessité intrinsèque de la chose. A partir du fait donné, nous pouvons imaginer un fait possible, mais pas son eidos ! qui est seul capable de fonder l’existence de l’objet. L’imagination s’accroît lorsque le même objet est vu sous différentes perspectives : " l’eidos n’a de sens que tant qu’il remplit une possibilité eidétique ". Le fait vient s’installer dans la possibilité eidétique, et la tire de son néant. Dans l’imagination, nous modifions une expérience vécue. L’imagination eidétique ne me fait pas revivre ce que j’ai vécu, mais je reproduis une nouvelle présence. La vision de l’essence est comme une nouvelle présence, car au fil du temps de la vie courante les choses perdent en présentation, et changent. L’imagination justement ressuscite et compense la perte de présence en la remémorant, elle détruit la présence originaire et produit de nouveau pas une autre : alors l’individu est un exemplaire, échantillon d’une classe de choses. Il ne faut pas concevoir l’imagination eidétique comme une perception faible, ou diminuée ; L’image ici a autant de force comme image qu’une perception peut avoir de force comme perception, elle est reconnue comme un mode d’existence (absolu ?) permis par ma conscience imagante. Lecture des § 23, 27 L’intuition des essences peut s’appeler "réduction eidétique ". Cette notion est une attitude radicalisante de la vision essentielle. L’interprétation de la chose, la théorisation même, vont être mises en suspend. Dans l’attitude naturelle, la composante théorique est écartée, c’est une intention de restriction en tant que mode d’accès aux choses (Réduction = là où va la source). Husserl procède à l’examen des intentions pour ce qu’elles sont, en tant que tel. Pourquoi une telle mise en suspend, cette radicale nécessité phénoménologique ? Elle résulte du fait que, quand nous décrivons notre expérience de quelque chose, notre point de vue se déplace : point de vue détaché de l’observateur par rapport à l’évènement ; il se produit une inversion, c’est l’expression de cette expérience qui devient première et conduit à ce que la reconstruction de l’expérience première tende à disparaître. Et ce mode de raisonnement est dangereux selon l’auteur : le sujet vivant ne se retrouvera au milieu de ces raccourcis. Ne porter son regard que sur la description revient à perdre l’essence de l’intention première dans l’expérience vécue. Face au fait, le sujet risque de perdre le monde comme univers d’applications (d’essence qu’il aura oubliée). Or, dans l’attitude naturelle, on va chercher à retrouver par volonté les intentions premières, et pour ce faire il y a suspension de la théorisation. Le monde, dans l’attitude naturelle, est un arrière-fond de monde, auquel je ne prête pas forcément attention. Je sais que ces choses sont là, entelle place, environnantes (voir comparaison p 88 / 89). Dans l’attitude naturelle, le monde est là malgré tout, malgré un regard de ma part ou pas. Le monde est là avant moi, mais avant tout pour moi : il y a un monde situé là indépendamment de moi, nécessairement, mais aussi les objets ne sont ordonnés l’un à l’autre qu’en tant que je pose mon regard dessus. Mon rôle de sujet va se trouver troublé par l’appréhension d’autre monde (rêve, mathématique), où je suis un sujet-fonction (donc non naturel) du monde que je me suis constitué moi-même. Pour Husserl, cet "ego transcendantal " qui fabrique un monde peut se nommer un "moi pur ". Donc, dans l’attitude naturelle, le monde mathématique est intermittent, il n’est pas là nécessairement ; ainsi l’harmonie de mon attitude naturelle semble se disloquer. § 30, 31 L'attitude naturelle ne peut se comprendre elle-même que si elle se pose elle-même en position de chose… Elle secrète donc une attitude métaphysique, qui est intrinsèquement destructrice de l'attitude naturelle : cette autodestruction de l'attitude naturelle donne lieu à une autre attitude : l'attitude phénoménologique. Dans l'organisation Espace / Temps, la structure d'un monde se présente avant tout au sujet, elle est "anté - prédiquée" (avant tout jugement). L'attitude naturelle est forcée de se détruire, car le rôle du sujet est "sujet-fonction", comme dans le monde mathématique : sans sujet, il n'y a pas de monde. D'où cette dislocation de l'attitude naturelle conséquente de ce comportement. § 30 : Nous y découvrons une description de l'attitude naturelle, corrélative à un fort préjugé : c'est la "position de l'attitude naturelle"… autant le fait est là, autant le principe unificateur du monde dans le sujet le valide. "Le monde est toujours là comme réalité", malgré une possibilité de remettre en cause le monde tel qu'il apparaît : c'est donc bien implicitement une attitude métaphysique. Un monde est là (réellement), un sujet l'enregistre (passivement) et l'accueille tel quel ("ici", intérieurement), et pour comprendre cet "ici", il faut comprendre le "là" : c'est le monde qui commande. Il faut y découvrir là, la cause de mon expérience vécue (c'est le seuil de la phénoménologie). Cette position de l'attitude phénoménologique est appelée la "critique". Si je me construis un cendrier pour fumer dans un endroit non-fumeur, cet objet n'est ni totalement dans le monde objectif, ni totalement dans ma tête (où je l'ai inventé), puisque je peux l'utiliser là : un tel objet est là pour l'expérience vécue du sujet, atteste de l'omniprésence de l'attitude naturelle. Husserl cherche à se débarrasser de la dualité objet / abstraction. § 31: Concerne la solution de la question du sens et de la validité de la transcendance d'un objet dans l'attitude naturelle. Même si l'objet n'est pas extérieur à la conscience, sa réalité cependant est impliquée dans l'expérience primitive, mais sous forme non-thématique. Ici le doute est exercé sur l'existence potentielle, prédicative, donc naturelle dans l'attitude naturelle (à l'inverse de Descartes où le doute est porté sur l'apparence). C'est une seconde manière d'opérer un doute radical, exercé de manière subsidiaire pour mettre en relief le phénomène comme "enveloppé dans son essence". Quel statut est donc accordé à la transcendance de l'objet ? L'auteur se réfère à une position d'être (croyance en un sujet donnant un monde) qu'il remet en question : la croyance en l'être ne se manifeste que dans les objets, mais non pas dans le monde en tant que tel. Aucun objet ne correspond à cette croyance en l'être. Je m'abstiens de toute participation au phénomène dans la réduction phénoménologique, de toute croyance en l'être : - Dans la réflexion naturelle (A. naturelle) il n'est jamais question de remise en cause de l'objet et de sa validité. o La réflexion phénoménologique met en évidence une thématisation de tout acte de conscience orientée vers l'objet. La croyance en un monde est mise entre parenthèses, mais sans négation du monde : je me ferme à tout jugement sur l'Etre du monde afin de le laisser dans un état indécidé, mais je ne doute pas de lui. Je mets entre parenthèses la position de l'attitude naturelle, mais non l'attitude naturelle elle-même. Que devient donc le monde, sans jugement de ma part ? Il est dans un état indécidé, car notre croyance en son existence est neutralisée. Ce n'est donc plus du tout une dialectique Etre / non-être, mais la limité de l'Etre et du non-être : voici le seuil de la phénoménologie. Un objet tel que le cendrier est un objet de ce type : nous sommes à la limité de l'induction de l'Etre avec le non-être, je ne suis ni dans l'un, ni dans l'autre. La réduction phénoménologique exigera de faire de même avec tout le monde : regarder à nouveau le monde, le reconsidérer en le reconstituant, mais seulement avec une attitude de réduction universelle. Pour l'instant le monde est indécidé ; la réduction phénoménologique ferme la lampe pour éteindre la lampe sur le monde, ce qui ne conduit pas nécessairement à une absence de monde. C'est une transformation radicale du monde à partir d'un acte éminemment libre, la liberté d'un sujet capable de comprendre un monde selon un mode d'intelligibilité distinct de celui de la tradition, un geste volontaire de volte-face. § 32 : Il faut cependant limiter l'universalité de la réduction phénoménologique, qui affecte également le sujet : d'une certaine façon le sujet doit bien échapper à cette réduction, en mettant provisoirement l'ego à part... Que devient alors la conscience dans la réduction phénoménologique ? CHAPITRE 2 : Le résidu d'ego sera "la conscience pure" § 33 : Cette conscience pure ne peut être laissée dans l'indécision, il faudra en déceler la structure par la technique eidétique qui montrera que la conscience pure a un Etre propre. C'est un résidu phénoménologique, nouvelle région de l'Etre que représente l'Etre de la conscience : c'est un nouveau type d'Etre. Après la réduction, il reste TOUT du monde : en tant qu'expérience vécue à ce moment là exactement, c'est même chose que la conscience pure, puisque toute subjectivité mise à part l'objet et la conscience de l'objet sont même et leur rapport est absolu (c'est à dire que le mode d' Etre des choses est différent et pur, se donnant à la conscience). § 34, 35, 36 : La conscience est caractérisée par l'intentionnalité en rapport au monde. "Il n'y a pas de conscience qui ne soit conscience de quelque chose" (l'intentionnel n'est donc pas l'indécidé). La conscience pure est la conscience de quelque chose, sans concession. La pensée ici n'est alors pas une substance comme chez Descartes, isolée et sans obligation d'objet. "L'acte et l'objet" sont l'acte cognitif typique de la conscience pure, ou la manière dont l'objet fonctionne dans l'expérience du sujet. L'acte "est" dans la mesure où il "fonctionne" dans l'expérience du sujet. Les autres objets, eux, demeurent, flous, dans une certitude de leur existence primitive. Ainsi pour Husserl, dans tout acte de cogito il y intention, donc un acte inconscient est fondamentalement impossible : l'acte manqué n'existe pas en phénoménologie car je ne me rapporte au monde que par intention. Cette conscience inclus des objets hors d'intention, préservé toujours à porté d'intention comme des contenus neutres. Nous empêchons juste qu'ils "ne viennent à nous", mais ils sont toujours là, pas coprésence. Un champ flou d'objets neutres enveloppe un noyau de réduction. § 38 : Comment rendre compte phénoménologiquement de ce flou neutre ? Il y a : - un vécu immanent (l'objet intentionnel) - Un vécu transcendant (en tant que dirigé vers un objet neutre, non une conscience active, ou "conscience de") Est-ce une perception transcendante ? (Voir aussi § 41, texte sur la perception : équivalent au texte cartésien du morceau de cire ) La stabilité de l'objet neutre dans la conscience intentionnelle est permise par "l'esquisse", c'est la jonction objet intentionnel / objet neutre. L'organisation des esquisses permet la perception transcendante dans l'Etre immanent : un lien subtil mais purement humain immanence / transcendance. Husserl aboutit au § 39 : caractérisation du MOI au niveau de l'attitude naturelle, habitude à percevoir les choses telles qu'elles sont… donc c'est un percevoir "inessentiel", tel un regard vide en direction de l'objet même. § 40 : La science peut-elle donc nous tirer d'affaire ? Elle nous dit que nous vivons dans un monde trompeur où les apparences nous cachent les choses. Mais le paradoxe tient au fait qu'elle va devenir inévitablement de plus en plus abstraite ! L'expérience scientifique est une perception rapportée à sa valeur numérique ou géométrique. § 41 : Pour la première fois, "l'époqué" entre en action. Son utilisation y est effective (acte libre de la réflexion) : dans notre conscience d'objet, bien qu'objet lié au sujet, l'objet transcendant ne peut s'aliéner la subjectivité, sinon la perception devient vide. 1. Transcendance constituée au sein de la conscience réductrice : conscience réductrice, neutralisante. 2. Epoqué : moyen de libérer une certaine générosité de la conscience : l'Etre du monde va reposer sur la conscience qui le vise ; libération du potentiel de la conscience après l'époqué. A propos de cette libération, Husserl distingue ce qui dirige la conscience vers son objet (intentionnalité), la composante réelle de cette perception, de ce qui est éprouvé. Le moment de l'intentionnalité La perception apparaît toujours par esquisses, ou par profil :c'est une nécessité caractéristique de l'acte de percevoir. Donc "toute détermination comporte son système d'esquisses." Le percevoir dirige le sujet percevant vers quelque chose qui est toujours le même. Pour l'auteur, il n'y a pas vraiment de problème de la perception (sauf du point de vue de l'attitude naturelle), il y a coprésence de l'Etre et du multiple, et non une alternative (dualité) constitutive de la perception dans l'un vis à vis du multiple. Le problème du rapport sujet / monde est le problème de l'essence de la perception : une conscience capable de s'ouvrir au monde sans s'y aliéner. Il y a d'un côté la perception de la table (vécu changeant), et de l'autre la table perçue (demeurant identique) : quel est le pont reliant ces deux choses eidétiquement nécessaires ? La table s'esquisse, s'ébauche, dans une multiplicité de vécus, qui ne sont pas une représentation de cette table. Le vécu se dépasse au profit de la perception de la table ( = générosité de la conscience transcendantale) et ouvre à la présence de la table. En chaque esquisse la table est présente (mais ce n'est pas une représentation), c'est l'équivalent en peinture de l'esquisse qui est déjà le tableau qu'elle deviendra : on peut déjà le voir en l'esquisse, qui l'annonce et nous l'ouvre. Mais elle n'est pas encore le tableau qu'elle devient : ce qu'elle est c'est le moment réel de la perception, ce qu'elle devient c'est l'intention. Elle s'efface au profit de l'objet, et en même temps l'efface, car elle en diffère. Cela répond donc à l'interrogation méthodologique du départ : il fallait préserver la transcendance de l'objet sans pour autant tomber dans l'objectivation mathématique. "On ne peut parler de réalité comme telle dans la mesure où elle est une totalité" : c'est le postulat implicite de la tradition philosophique. Selon ce modèle la perception devient inévitablement de l'ordre de l'intellection, qui donne la chose de manière adéquate, c'est une possession sans reste. Pour Husserl, "Etre" et "Totalité" ne sont pas la même chose, selon la théorie des esquisses. Si la perception saisit la chose, c'est qu'elle n'y est jamais présente toute entière : il y a une présence en personne avec une esquisse partielle, qui ne s'opposent pas mais s'appellent. Pour Husserl, si l'on veut que la chose soit toute entière, il faudrait y ajouter quelque chose comme l'intellection. Donc il y a plutôt appel mutuel entre l'Un et le Multiple. Une chose n'est véritablement donnée en elle-même que partiellement. L'essence de la chose se donne par esquisse, l'essence du vécu est l'identité de l'Etre et de l'Apparaître. Mais l'esquisse monte l'objet (et en diffère) en étant infiniment loin et proche de celui-ci. Alors faut-il un infini des vécus nécessaire ? L'esquisse ne peut vraiment se penser qu'à travers le temps. L'ambiguïté de la perception chez Husserl est en fait peut-être le fruit d'une ambiguïté bien plus vieille dans la philosophie, celle du temps (ce qui se traduira en conséquence par des ouvrages comme "Etre et Temps" de Heideger) . Le plan de la réalité est fondé sur l'entièreté de l'Etre vécu, en plus des esquisses : distinction entre esquisse et figuration. Jusqu'à présent la description de la table est trop abstraite ; L'auteur veut rendre compte d'un contenu par un acte (un "Je peux"). - Composition de la perception : esquisse = vécu sensible, matière de la sensation, qui n'est pas la chose dans sa totalité mais assure la dimension intuitive de la perception. Comment l'esquisse assure-t-elle la transition ? [www.JURAVER.net] [Pôle de ressources gratuites]