Débat n°1
- 2 -
Un de ces débats opposa Godescalc à Jean Scot Erigène dans de vives querelles verbales.
DE GODESCALC ET DE LA PREDESTINATION DIVINE.
Le moine saxon Godescalc fut trouvé dans un couvent. Adulte, il réclama à son abbé, Raban
Maur, de disposer librement de lui-même, mais celui-ci refusa catégoriquement. Plus tard, en
829, il fut autorisé par le synode de Mayence (Mainz) à quitter le couvent (le synode est
l’assemblée ecclésiastique qui se réunit pour traiter des affaires du diocèse ou de la paroisse).
Dans ces recherches personnelles, il découvrit la théorie de la prédestination qu’Augustin
avait soutenue à la fin de sa vie. La volonté de Dieu a décidé depuis toujours si tel homme ira
au royaume de Dieu ou à celui de Satan. L’homme ne peut rien faire pour infléchir sa
destinée, certains sont voués au mal et au péché. Le Christ ne serait donc pas mort pour tous
les hommes, mais seulement pour quelques élus. Voilà qui ruine les efforts des successeurs
d’Alcuin : à quoi servent alors les missionnaires et le prosélytisme, propres à l’empire de
Charlemagne ? C’est toute l’organisation de l’église qui est menacée.
Un synode réuni à Mayence en 848, présidé par son ancien abbé Raban Maur devenu
archevêque, condamna Godescalc à être fouetté devant l’assemblée des évêques, et à être
emprisonné au couvent d’Orbais, où il passa le reste de ces jours. Mais, dans cet empire
occidental où la vie intellectuelle était devenue plus active, la querelle s’envenima. Autour de
Lyon de fins connaisseurs d’Augustin, sans pour autant approuver Godescalc, critiquèrent son
emprisonnement. L’évêque Hincmar de Reims, à qui Godescalc avait été livré, demanda à
Jean Scot Erigène un rapport sur toute cette affaire. Or ce moine érudit irlandais provenait
d’une troisième tradition intellectuelle.
Faisons le point à ce propos. Vers 850, on se trouve en présence 1) de l’école d’Alcuin, en
Allemagne et dans le centre et le Nord de la France (zone anglo-saxonne). 2) A Lyon et à
Troyes, la tendance dominante est plus proche d’Augustin. 3) La zone d’influence irlandaise,
celle d’Erigène.
DU RAPPORT D’ERIGENE ET DE LA LIBERTE INDIVIDUELLE.
La thèse d’Erigène est simple : Dieu est unique, atemporel, infiniment bon. Il ne saurait
prédestiner les hommes au mal. Le mal, d’ailleurs, n’existe pas vraiment, il n’est qu’un
manque d’être, l’incomplétude d’un être qui n’est pas parfait. L’enfer doit être compris au
sens figuré, il signifie le remords du pécheur, il n’existe qu’en imagination. Erigène s’appuie,
tout comme Godescalc,, sur Augustin, mais dans des textes plus anciens, où l’influence de
Platon est plus forte. Son rapport fit scandale, et son livre fut condamné. Erigène adopte,
comme Godescalc, une démarche rationnelle. Son interprétation d’Augustin lui fait refuser
l’idée d’un homme prédestiné. Dieu ne peut logiquement pas créer un homme sans liberté,
l’homme doit être pensé comme volonté libre, qui a la possibilité de se diriger vers le bien.
Protégé par le Roi, Erigène ne fut pas inquiété. Beaucoup plus tard, cependant (1210), son
œuvre sera condamnée. Détenir ou lire son livre De la division de la réalité sera punit de
mort.