LE DISCOURS RAPPORTÉ
Il existe plusieurs moyens de rapporter la parole des autres dans un énoncé : c'est ce qu'on
appelle en particulier le discours direct ou le discours indirect.
Remarque : nous utiliserons le mot parole, et quelquefois le mot voix, au sens large, c'est-à-dire
qu'il peut s'agir de paroles véritables, ou de pensées.
Ce qu'on appelle discours rapporté, c'est la superposition de deux énoncés (au moins) : l'énoncé
d'un premier locuteur est rapporté par un second locuteur, et ce n'est pas forcément terminé ; en
fin de compte, le dernier locuteur, c'est l'auteur. Bien sûr, si on superpose trop d'énoncés, le
lecteur ne comprend plus rien (X raconte que Y a raconté que Z a raconté que...) !
On peut dire qu'un passage de roman superpose des voix : c'est pourquoi l'on parle parfois de
polyphonie. Un auteur peut faire exprès de mêler des voix jusqu'à les rendre indistinctes ; dans
une étude littéraire, il est essentiel de distinguer ces subtilités.
Il existe trois formes de discours rapportés, avec des différences sur plusieurs niveaux
grammaticaux.
I - LE DISCOURS DIRECT
Un personnage ou un auteur se fait le porte-parole d'un autre locuteur. Cela peut être très simple,
sans fioritures, sans aucun élément d'interprétation :
Groucho Marx a dit : "Je ne voudrais pour rien au monde faire partie d'un club qui serait
disposé à m'accepter comme membre."
A priori, le locuteur-rapporteur ne modifie en rien la parole historique du premier locuteur.
1) Caractéristiques du discours direct
A l'écrit, la citation se reconnaît aux guillemets, qui correspond à une pause orale, avec
élévation mélodique, après le verbe introducteur. Quand il s'agit d'un dialogue, on utilise
des tirets. Cette ponctuation a surtout été utilisée à partir du XIXème siècle (jusqu'au
XVIIIème, souvent, pas de guillemets). La ponctuation, avec la mise à la ligne, signale
l'indépendance syntaxique du discours direct par rapport au verbe introducteur, quand il
y en a un. Ce verbe est assez souvent placé avant les paroles, et suivi de deux points ; il
peut aussi être incis (intercalé) dans les paroles (ex : ..., dit-il,...), ou placé à la fin d'une
phrase, quand elle est courte. Syntaxiquement, il n'y a aucune liaison entre ce verbe et le
contenu des paroles. Toutefois, on peut considérer que les propos entiers du personnage,
quels qu'en soient le contenu et la longueur, sont en situation de COD par rapport à un
verbe de parole ; sinon, on serait souvent en présence d'un verbe qui aurait un COI 2nd
sans avoir de COD 1er :
Il lui dit : "Passe-moi le sel !" (lui = COI 2nd)
Caractéristique essentielle en ce qui nous concerne : le discours direct contient tous les
indices de l'énonciation, tous les embrayeurs, pronoms personnels, indication de lieu et
de temps relatives au locuteur, temps des verbes centrés sur le présent, etc. Il faudra
envisager ce que deviennent ces indices dans le discours indirect.
La ponctuation à l'intérieur des paroles retranscrit le ton du personnage (ponctuation
interrogative, exclamative, points de suspension, etc.). [modalités d'énonciation]
Le discours direct n'est pas forcément constitué de phrases. On retranscrit les
interjections, les termes agrammaticaux, les phrases incomplètes et toutes les maladresses
d'un langage approximatif ; également, les termes étrangers, les accents, etc. :
Alors, faisant de ses mains un porte-voix, il mugit de nouveau : "Méli-e-e !" Du fond de la cour
sa femme répondit :
"Qué qu'y a ?
- Ousqu'il est saint Blanc ! Je l'trouve pu dans l'bûcher."
Alors, Mélie jeta cette explication :
"C'est-y pas celui qu't'as pris l'aut'e semaine pour boucher l'trou d'la cabane à lapins ?"
Mathieu tressaillit : "Nom d'un tonnerre, ça s'peut bien !"
(Maupassant, Un Normand)
"Je vous prierai, matame, de fous lever et de tescentre pour qu'on fous foie. (...) Che ne tolérerai
bas d'insolence. Si fous ne fous levez pas de ponne volonté, che trouverai pien un moyen de fous
faire bromener toute seule." (Maupassant, La Folle)
On peut considérer que le discours direct est mimétique : il imite le comportement du
personnage, le ton sur lequel il parle...
2) Modalisation du discours direct
Pourtant, cette fidélité littérale au discours rapporté n'est en fait qu'apparente :
On ne retranscrit pas forcément les hésitations, les bafouillages fréquents dans le langage
parlé, les euh... , les blancs, etc. Un auteur peut faire exprès de les transcrire, ce qui est
déjà une sorte d'interprétation, de commentaire invisible sur le personnage ; bref, ce n'est
pas neutre. Le langage parlé est aussi riche en répétitions, qu'on éliminera en
retranscrivant.
Si on laissait tout cela, ça ferait un mauvais roman, ou un mauvais film (dialogues), ou un
mauvais article (interview). On peut dire que la littéralité (exactitude) du discours direct ne
concerne que la teneur du discours.
Les dialogues sont introduits par des verbes. Or, le choix du verbe n'est pas innocent ; il
peut indiquer l'attitude, le ton (ex : vociférer), le sentiment, d'un personnage, ce qui relève
du choix de l'auteur. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un verbe de parole : un auteur peut
introduire des paroles par un verbe qui montre un geste :
Dès qu'elle m'eut laissé seul avec son mari, il me prit les mains, les serrant à les broyer :
"Voici longtemps, cher monsieur, que je veux aller vous voir. Ma femme m'a tant parlé de
vous..." (Maupassant, Ce cochon de Morin)
Le verbe de présentation, à lui seul, parvient souvent à "modaliser", interpréter les propos qui
sont transmis : il en évalue la vérité ou la fausseté par exemple, comme les verbes reconnaître ou
prétendre, sans compter tous les sous-entendus, comme le verbe insinuer.
Ce verbe est aussi souvent accompagné d'un commentaire qui sert justement à modaliser, à
montrer la distance que prend le rapporteur par rapport au personnage, ou son point de vue :
"Hélas ! lui dis-je, avec un soupir parti du fond du cœur, votre compassion doit être excessive,
mon cher Tiberge..." (Abbé Prévost)
Le personnage qui rapporte ses propres paroles se décrit bien sûr à son avantage.
Le texte suivant de Queneau montre bien l'ensemble de ces aspects : verbes de parole, ton et
attitude des personnages, etc., et le point de vue de l'auteur, la modalisation :
- Que vois-je ! s'écria le roi assis sous son chêne, n'est-ce point là mon bien aimé Auge qui
s'avance ?
- Lui-même, sire, répondit le hobereau en s'inclinant bien bas. Mes respects, ajouta-t-il.
- Je suis heureux de te voir en florissante santé, dit le roi. Comment va ta petite famille ?
- Ma femme est morte, sire.
- Tu ne l'as pas tuée, au moins ? Avec toi, on ne sait jamais.
Le roi sourit de sa bénévole indulgence et la flotte qui l'entourait ne l'en admira que plus.
(R. Queneau, Les Fleurs bleues)
Le réalisme, la neutralité, le rapport exact, c'est ici un moyen pour l'auteur de montrer son ironie,
comme chez Voltaire.
II - LE DISCOURS INDIRECT
Dans le discours indirect, les propos d'un locuteur sont intégrés dans ceux d'un autre locuteur,
une énonciation est intégrée dans une autre, avec une ligne de démarcation qui est celle de la
subordination : la "traduction" des paroles se fait à l'aide de subordonnées, presque toujours.
L'étude des différences avec le discours direct va donc nous indiquer ce que deviennent les
embrayeurs du discours originel.
1) La subordination
L'énoncé originel perd son indépendance syntaxique : il se transcrit à l'aide de subordonnées qui
sont compléments d'un verbe de communication, ou de pensée ; on peut en effet transcrire des
pensées, ce qui correspond à une 2ème transcription, car la pensée véritable ne se formule pas au
départ avec des mots (quand on l'exprime avec des phrases, on la transforme en parole, en
monologue, ou dialogue avec soi-même).
La perte de l'indépendance syntaxique se manifeste aussi par la disparition de la ponctuation
directe : les deux points, les guillemets. Il n'y a même pas une virgule, pour séparer le verbe de la
subordonnée, parce que celle-ci est COD de ce verbe.
On remarquera que les verbes qui introduisent les subordonnées ne sont pas exactement les
mêmes que ceux du discours direct. Ex :
Il l'interrogea : "Connaissiez-vous la victime ?" / Il lui demanda s'il connaissait la victime.
Sur le plan syntaxique, les paroles sont le plus souvent transformées en subordonnées
conjonctives pures, ou subordonnées interrogatives, compléments d'objet :
Il fit pourtant réflexion qu'on lui avait dit que les noyés pouvaient revenir à la vie. (Musset)
2 sub. conj. pures introduites par que ; la 2ème est COD de dire ; la 1ère est complément d'une locution verbale, on
peut analyser formellement comme COD de cette locution, ou complément du nom réflexion, dont le sens indique
que cette réflexion se fait à haute voix.
Personne ne me demanda qui j'étais, d'où je venais. (Chateaubriand)
2 sub. interr. partielles, la 1ère introduite par un pronom interrogatif, la 2nde par un adverbe interrogatif.
Elle vient sans tarder, lui demande ce qu'il faut faire. (La Fontaine)
sub. interr. partielle, introduite par le pronom interrogatif ce que.
J'ai compris, répondit-il. Vous me demandez pourquoi je vous ai sauvée. (Hugo)
sub. interr. partielle introduite par un adverbe interrogatif.
On lui demanda d'abord s'il avait jamais lu quelque livre. (Voltaire)
Sub. interr. totale, introduite par la conjonction interrogative si.
Toutes ces subordonnées sont COD.
On voit dans les exemples précédents ce que deviennent les phrases assertives et interrogatives :
des subordonnées conjonctives pures, ou des subordonnées interrogatives.
Les phrases injonctives connaissent un sort particulier :
Le caporal leur ordonna : "Couchez-vous à plat ventre, et rampez sous les barbelés !"
Le caporal leur ordonna de se coucher à plat ventre et de ramper sous les barbelés.
On obtient un infinitif introduit par de. Soit on considère que cet infinitif est complément d'objet
du verbe injonctif ordonner (souvent : dire), COI de préférence (certains analysent comme
COD) ; soit on considère qu'il s'agit d'une subordonnée infinitive, dont le sujet est leur, pronom
personnel qui se trouve pourtant à une forme régime indirect.
Donc, on se trouve ou non dans la subordination au sens strict, mais on est dans la subordination
au sens large : un élément subordonné est un élément complément. Comme au départ la parole
s'exprime à l'aide de phrases, celles-ci se transposent tout naturellement en éléments phrastiques,
en propositions.
On peut d'ailleurs à l'occasion trouver une conjonctive introduite par que :
Il leur dit (ordonna) qu'ils fassent... (lourd)
Les subordonnées exclamatives indirectes existent aussi, bien qu'elles soient rares et de
constructions limitées :
Nous admirâmes [comme ils avaient bien su rénover cette vieille demeure si délabrée autrefois].
Ceci renforce l'impression que la phrase exclamative est un type de phrase ambigu.
2) Le verbe de la subordonnée
Dans le discours direct, les verbes sont, si l'on peut dire, à un temps et à un mode "naturels",
nécessités par le sens de la communication ; le temps de base, c'est le présent ; le mode de base,
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