Innov conc croiss Gurgand

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Innovation et politique de la concurrence
Ecole d’Economie de Paris
Les 29 et 30 janvier 2007
INNOVATION, CONCURRENCE ET CROISSANCE
par Marc Gurgand,
Économiste-chercheur à l’Ecole d’économie de Paris.
Il faut partir de l’histoire économique très connue, et pourtant extra-ordinaire, celle de
la stabilité depuis 1860, du taux de croissance du revenu par tête, aux Etats-Unis.
Log
(Y/hab.)
Temps
La présentation générale des relations entre l’innovation, la concurrence et la
croissance, s’attache à rendre compte de ce fait stylisé. Comment fut-ce, comment est-ce
encore possible ?
Deux niveaux complémentaires d’analyse sont requis pour proposer des éléments de
réponse : il faut d’une part observer les mécanismes économiques en jeu, montrer ensuite le
rôle fondamental, car au moins propitiatoire sinon systématiquement indispensable, de
certaines institutions socio-économiques.
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Ecole d’Economie de Paris
Les 29 et 30 janvier 2007
I. LES MECANISMES
On part de l’interrogation de Robert Solow (1956). La croissance continue du niveau
de vie relève-t-elle exclusivement d‘une logique d’accumulation du capital ? Ou bien, faut-il
mobiliser aussi le progrès technique, l’innovation ?
Exposé des principaux modèles :
A. SOLOW1
On bute sur le caractère finalement stationnaire du modèle d’accumulation de capital
strictement technique. En effet, le ratio K/L (l’intensité capitalistique) devient stable car le
rendement marginal du capital est décroissant.
I = s.f (K)
a
c
c
u
A = a.K
K
Point
d’équilibre
Présentation :
L’investissement I et l’amortissement A sont tous deux fonctions du facteur capital
(l’investissement à travers l’épargne, l’amortissement pour une proportion). Si
l’amortissement est une fonction linéaire (une droite), l’investissement est une
fonction plus complexe, paramétrée par le taux d’épargne (s), à dérivée seconde2
négative (les rendements marginaux sont décroissants). La courbe est concave.
Fonctionnement :
Au début, l’investissement I est supérieur à l’amortissement A : il y accumulation,
croissance du capital par tête (K/L). Puis vient le point d’équilibre, auquel
In “Une contribution à la théorie de la croissance économique”, traduction française dans Problématiques de la
croissance, vol.1, pp.39-67.
2
La dérivée première est positive: la fonction est croissante.
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l’investissement ne vient que remplacer la destruction de capital. Il n’est alors
plus rationnel d’utiliser davantage de capital en input (intrant). Il n’y a plus de
croissance du revenu par tête3.
Conclusion :
Le modèle rend bien compte des processus de démarrage de la croissance, mais
bien sûr, pas de sa poursuite sur le long terme. Ceci implique donc que le cœur de
la croissance (au-delà du point d’équilibre de l’accumulation capitalistique) se
trouve ailleurs. L’hypothèse émise est celle du progrès technique, de l’innovation.
C’est le fameux résidu de Solow. Ainsi, entre 1909 et 1949, la productivité du
travail a été multipliée par 2. Solow estime que seuls 12,5 % de cette augmentation
proviennent de l’accumulation. Par conséquent, 87,5 % sont posés comme
émanant du progrès technique.
B. Croissance endogène
Ces modèles sont construits dans les années 1980- 1990.
Objectif : produire un modèle économique du progrès technique (PT), qui permette
alors de déduire des implications de politique économique.
Le PT doit venir de l’investissement, donc de capital.
Mais si les rendements du PT sont également décroissants, la croissance de long
terme n’est pas mieux expliquée.
Il faut donc trouver des justifications à l’existence de rendements constants.
Le paradigme de ces derniers est formulé ainsi :
Variation K = a.K,
de telle sorte qu’il ne devient pas de plus en plus difficile de rendre compte de
l’intérêt économique à l’investissement, dans quelque chose qui favorise encore
(c'est-à-dire après le point d’équilibre) la croissance.
Trois modèles principaux sont présentés :
 LUCAS R. (1988)4 : le capital humain
(dans la mouvance de Gary Becker)
Var K = u.H
avec U : le temps passé à se former ; H : le capital humain
Si je rajoute du capital, je peux toujours augmenter mon produit de variation H.
Le savoir accumulé élargit toujours indéfiniment, le potentiel d’apprentissage. Il
n’y a pas d’épuisement du processus
Ce qui n’empêche pas bien sûr des ajustements nécessaires (investir davantage) en raison d’une éventuelle
croissance démographique
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In « On the Mechanics of Economic Development », Journal Political Economy, vol. 94, pp.3-42, 1988.
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 ROMER P. (1990)5 : la technologie elle-même
A est l’efficacité technologique, non plus du capital.
Var A = bL .A avec A: quantité de travail affectée à la recherche ; b= efficacité
Le savoir accumulé élargit toujours la capacité d’innovation. Il n’existe pas
d’épuisement du phénomène.
Justification des hypothèses : elle réside dans la double nature des connaissances
(ici techniques) :
- elles sont, une fois produites, à la fois contrôlables –appropriables (privatives),
et exclusives (la facturation est possible).
- elles sont en même temps non rivales : la consommation par un agent
n’empêche et ne diminue pas celle d’un autre. Elles sont exploitables sans
limite. Les rendements de l’investissement dans la technologie sont constants.
Dès lors, la contradiction entre l’appropriation privée et l’intérêt collectif est
levée. La politique économique est, du même coup, justifiée. C’est parce que les
entreprises ne se préoccupent pas du fait que leurs innovations successives forment
le socle des innovations futures, qu’elles n’internalisent pas les spills over, les
retombées, les externalités, qu’elles établissent un niveau d’investissement sousoptimal dans la recherche et la technologie. Seule l’intervention publique va
permettre de faire converger l’économie vers son niveau potentiel de croissance6.
Ainsi, dans la réalité économique, un tiers de la recherche américaine est publique,
un peu plus dans l’Union Européenne dans laquelle les entreprises privées sous–
investissent beaucoup plus (investissent encore moins au regard de l’optimalité).
 AGHION P. et HOWITT P. (1992)7 : la croissance schumpétérienne
C’est un modèle de croissance endogène plus complexe, avec des implications
de politique économique plus nuancées, plus affinées.
Il s’agit en quelque sorte de rechercher les fondements micro-économique de la
croissance comme résultats de la destruction créatrice : les entreprises
investissent dans la Recherche et le Développement (RD), ce qui augmente la
probabilité de trouver des innovations. Le résultat est que les entreprises
innovantes supplantent les entreprises déjà présentes.
Commentaire : ce modèle rend bien compte des effets classiques de sousinvestissement des entreprises dans la RD. Cependant, il met également en
évidence un effet possible inverse, de sur-investissement. En effet, par le processus
de « course – des entreprises- aux brevets », il existe un risque de rotation trop
rapide des innovations. Cet « emballement » aboutit alors à la sous-exploitation
collective (ou publique, sociale).
5
In Endogenous Technological Change », Journal Political Economy, vol. 98, pp.S71-S102, 1990.
Il s’agit dune politique de croissance qui cherche à augmenter le potentiel de croissance de moyen te long
terme. On ne la confondra pas avec une politique conjoncturelle de soutien à la demande, visant la convergence
de l’économie vers le taux de croissance potentielle.
7
In A Model of Growth through Creative Destruction”, Econometrica 60 (2), pp. 323-351, 1992.
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Ici, deux éléments institutionnels apparaissent prépondérants pour expliquer les relations entre
la croissance économique et l’innovation : « classiquement », le cadre concurrentiel dans
lequel les agents adoptent leurs comportements stratégiques ; mais également, et de façon
inédite, l’ « obsolescence sociale » de l’innovation, contre-productive pour le potentiel de
croissance.
Il faut donc analyser avec acuité les relations de la croissance avec les institutions.
II. LES INSTITUTIONS
A. Monopole et innovation
Pour l’analyse néo-classique, il y a bien une inefficacité du monopole, mais elle est
exclusivement statique. On ne sait rien de la dynamique, du passage d’un état à un autre. La
conception schumpétérienne est ici nettement plus réaliste, puisque précisément elle raisonne
en dynamique, en termes d’évolution. L’effet de l’innovation est alors de passer d’une
situation de nature concurrentielle à un monopole, … temporaire.
La question est de savoir quels effets cette situation monopolistique particulière, génère en
retour sur l’innovation, en particulier en termes d’incitations. C’est une « boite noire » qu’il
convient d’explorer, ce que font les modèles schumpetériens : une part, plus ou moins
importante, des dépenses de RD est irrécupérable (on parle de sunk costs). C’est un risque de
perte, que seul le monopole est à même de supporter, de compenser, justement en raison des
surprofits, préalablement engrangés, de même que probablement dans le futur.
Mais en amont, quelle est l’origine de la rente ? C’est la faible substituabilité des anciens
produits à l’innovation. L’élasticité-prix du produit nouveau est faible. Il est demandé même
s’il est cher.
Problématique complémentaire : quelle est l'ampleur de la rente de monopole ?
Si le produit est peu substituable, c'est à dire si le marché est peu concurrentiel, alors
l’incitation à la prise de risque est augmentée. Il y aura d’autant plus de RD, donc
d’innovations, donc de rentes… en théorie.
Car survient ici un problème scientifique majeur : les travaux empiriques ne montrent pas une
telle corrélation positive entre le caractère monopolistique d’un marché et l’innovation. C’est
même le contraire : ce sont les secteurs les plus concurrentiels qui apparaissent à l’étude, les
plus innovants. C’est un paradoxe objecté à la théorie, notamment par les travaux du
britannique Nickell en 1996, à partir de l’analyse d’un panel de 4000 entreprises britanniques,
avec une mesure de la concurrence par le niveau de la rente (Prix de vente - coût marginal), et
un indice de concentration sectorielle.
Comment surmonter alors cette contradiction ?
Par le modèle Neck to neck (du coude à coude).
Il s’agit d’une situation concurrentielle dans laquelle les entreprises sont très proches les unes
des autres en terme de maîtrise technologique, de capacité d’innovation. Elles effectuent donc
des efforts permanents sur ce plan : on aboutit à une situation de type oligopolistique. Ce
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modèle rend bien compte de la production d’innovations dites non drastiques ou
incrémentales, des améliorations de produits déjà existants.
A l’inverse, si une entreprise est très dominante sur son marché, et que son (ses) concurrent(s)
se trouve(nt) loin derrière, elle n’effectuera des investissements en RD que si la rente de
monopole escomptée est très importante. Cette anticipation est plus rare.
Au total, il y a bien une tension entre le caractère sous-optimal du monopole, quant à
l’allocation des ressources en statique (à un moment donné), et son caractère incitatif pour
l’innovation. Le monopole apparaît comme le « prix à payer » pour la croissance
économique.
B. Synthèse : la concurrence comme libre entrée
 En fait, il s’agit de retenir la situation de concurrence sous deux aspects ici
essentiels : forte élasticité-prix des produits (leur grande substituabilité), et
l’absence (ou la faiblesse) de barrières à l’entrée pour les « outsiders » de
marché.
Un exemple de barrière à l’entrée est constitué par les externalités de réseau. Il y a
externalité de réseau lorsque la valeur d’usage d’un produit dépend du nombre des autres
utilisateurs-consommateurs de ce produit, sans lesquels il n’est pas utile. Lorsque ce nombre
est important, les nouveaux consommateurs se tournent a priori vers ce produit, sans autre
considération économique. Sa diffusion s’effectue alors de façon quasi exclusive (et pourraiton dire « mécanique »), au détriment d’éventuels produits concurrents, qui pourraient
pourtant, intrinsèquement, s'avérer supérieurs sur le plan technique.
Ainsi, dans le domaine de l’informatique, le logiciel de navigation Internet Explorer du
système d’exploitation Windows de l’entreprise Microsoft, a bénéficié initialement,
d’externalités de réseau. En effet, en raison de sa position très dominante sur le marché des
systèmes d’exploitation, l’entreprise avait commencé de diffuser massivement son logiciel de
navigation, qu’elle proposait (imposait) simultanément. Du coup, son concurrent Netscape
Navigator du système Java de l’entreprise Sun Microsystem n’avait que peu de possibilités
d’accéder au marché. Les consommateurs utilisaient Internet Explorer, du fait du réseau
Windows. Après maints rebondissements judiciaires, un accord à l'amiable a été passé avec le
gouvernement américain, par lequel Microsoft s’est engagé à rendre compatible son système
avec l’usage de logiciels produits par d’autres entreprises. Il existe ainsi désormais des
passerelles techniques entre les deux systèmes. La barrière à l’entrée est tombée.
De même, le clavier QWERTY8 n’était pas d’un point de vue strictement technique, le plus
efficace d’utilisation. Pourtant, en raison du fait qu’il s’était initialement diffusé largement,
toute innovation l’améliorant ne pouvait recevoir de validation du marché. QWERTY n’était
pas le meilleur, mais le premier. Il avait pris le statut de convention sociale, en dépit de sa
faible efficacité économique intrinsèque. L’incitation à l’innovation était quasiment nulle.
Pour étayer plus encore la pertinence de cette approche, on peut observer un contre-exemple :
le « e-phone » d’Apple, alliant les service du téléphone portable et du lecteur de musique
numérique téléchargée. Il devrait recevoir rapidement des « attaques » concurrentielles, étant
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Cf. DAVID Paul, « Clio and the Economics of QWERTY”, American Economic Review, 75(2), pp 332-337,
mai 1985.
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donné la possibilité d’autres producteurs d’entrer sur ce nouveau marché, en présentant des
biens fortement substituables. Nous sommes bien dans le cas de figure d’une lutte « au coude
à coude », avec des possibilités d’innovations incrémentales-marginales, continues.
Au fond, la structure du marché est celle d’une concurrence monopolistique, dont un
compétiteur va pouvoir sortir pour se retrouver en situation de monopole …temporairement.
La structure concurrentielle du marché détermine ainsi fortement la probabilité de survenance,
d’occurrence de l’innovation. A son tour, cette dernière, elle-même une fois introduite,
remodèle la structure du marché.
 Sur le plan désormais de la politique concurrentielle, quels sont les effets attendus de
la libre entrée ?
Il faut distinguer deux situations :
- dans les pays développés, il s’agit de favoriser l’incitation à
l’innovation
- dans les pays en développement, il s’agit plutôt de favoriser
l’assimilation, l’imitation des produits déjà existants
Dès lors, l’institution du Brevet9 présente un rôle ambivalent : à la fois instrument de
protection (pour satisfaire le caractère appropriable de l’innovation) et de divulgation (pour
permettre les effet positifs liés à son caractère non-rival).
En effet, si l’innovation est source de fortes externalités, alors il existe un arbitrage politique
entre la promotion des effets d‘incitation10 (par le Brevet) à innover maintenant, et celle du
développement des innovations futures. Il faut veiller, tout en protégeant l’innovateur, à ne
pas brider le potentiel de croissance future, en freinant, voire empêchant celui des
innovations à venir.
Il faut également prendre en compte les échecs du marché. A ce titre, aux externalités,
s’ajoute l’insuffisant développement financier qui fait peser une contrainte de crédit excessive
sur les innovateurs potentiels11. Il faut donc qu’une révolution financière accompagne la
révolution technologique, pour lever un tant soit peu la contrainte de crédit.
Enfin, les phénomènes de coopération non marchande, construisant des externalités locales,
comme dans la Silicon Valley sont à favoriser. En effet, les ingénieurs, les chercheurs y
travaillent souvent pour plusieurs entreprises, en rotation rapide, voire simultanément. S’y
développent aussi des échanges informels fréquents et intenses, hors des lieux de travail. Une
telle activité, rarement aussi importante « spontanément », implique que la puissance publique
joue ou fasse jouer le rôle essentiel d’incitateur et de coordonnateur local12.
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Le brevet est différent bien sûr, du secret de fabrication qui interdit au sens strict, toute concurrence potentielle.
Cf. Kenneth ARROW en 1962 sur l’incitation à innover et la politique industrielle. Son modèle est présenté
succinctement par Christian LE BAS, « Economie de l’innovation », Economica, 1995, p.48.
11
Les faibles disponibilité financières peuvent très bien s’expliquer par des défauts d’information à la disposition
des banques, qui sont alors réticentes car risquant l’aléa moral.
12
Les collectivités locales s’emploient par exemple à cette mise en relations. Voir ainsi la politique d’innovation
du Conseil Régional d’Aquitaine, in l’Aquitaine, n° 23, février-mars 2007, p.6.
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