Comment se vit le
changement en entreprise
par Patrice Girard le 10/03/2012
La vie en entreprise est ponctuée de pertes et de ruptures : arrivée, départ, déménagement,
réorganisation, abandon de projet … Elles sont vécues souvent comme des épreuves. Elles
créent des tensions, du stress et perturbent le bon fonctionnement des organisations. Si l’on
comprend que derrière tout changement, il y a rupture, cela permet de beaucoup mieux com-
prendre les difcultés que rencontrent les entreprises.
Dans la rupture, ce qui est en jeu, ce sont des peurs inconscientes : la peur de la séparation,
d’être abandonné, de se sentir coupable, d’être confronté à ses limites, à l’inconnu car on ne
sait pas ce qu’il y a derrière.
Par exemple, dans les décentralisations, les personnes qui vont être éloignées du centre
ont des réactions du type « sommes-nous les enfants abandonnés ? ». Chaque centre se vit
comme celui qui est mis de côté et qui n’est pas investi. La jalousie et la rivalité apparaissent
alors entre les différents centres.
C’est également vrai à l’occasion du départ de la personne, celui qui va être licencié. Le groupe
peut l’agresser. Et alors s’il part de son plein gré, il en prend plein la gure. Oui, le groupe, le
manager vivent cela comme une trahison – « on est dans des chantiers durs et t’en protes
pour partir, tu nous laisses tout, à cause de toi, on va être dans la m... ». Il y a tout ce discours
culpabilisateur, avec ce sentiment d’être abandonné, que celui qui part en préfère d’autres.
Derrière ces comportements, il y a un fantasme infantile : « s’il nous quitte, c’est pour aller voir
d’autres personnes », cela veut dire que « si on n’a pas réussi à le retenir, c’est qu’on n’est pas
assez bon » ou « si nous avons été rachetés, c’est que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait ».
Cela veut dire qu’on en veut à l’autre de nous confronter à nos propres limites, sur le fait que
nous ne sommes pas « tout-puissant ».
Tous les niveaux de l’organisation sont traversés par ces mêmes mécanismes : le salarié,
l’équipe, le manager et l’entreprise car nous sommes des être humains.
Les ruptures, les séparations ont besoin d’être intériorisées. D’où l’importance des rituels tels
que le pot de départ. Si les enterrements existent, c’est parce que ce sont des rituels. Le para-
digme dont il faut parler, c’est le deuil, c’est la mort. Lorsque les personnes y ont été confron-
tées, tout en est ensuite inspiré et cela suscite en elles tous ces mécanismes. Les rituels, c’est
extrêmement important de les faire avec le groupe. Le deuil, on ne peut pas le faire seul, il
faut être plusieurs.
Le travail de deuil permet à la personne de retirer petit à petit l’investissement qu’elle a mis
dans l’autre (personne, projet, entreprise,...), comme l’argent placé dans le coffre fort de
l’autre et cela prend du temps. Pour reprendre l’idée de la banque, il y également cette idée
d’intérêts, de dette, que l’autre nous doit en plus quelque chose. Cela veut dire renoncer à
l’inuence qu’on croit avoir sur l’autre. L’autre peut vivre indépendamment de nous.
Comment créer les conditions pour que les changements soient vécus de manière positive par
les personnes et les organisations ? En préparant la question en groupe et en respectant un
certain processus : l’expression des affects, l’intériorisation pour reprendre, le renoncement
pour laisser partir et la construction d’un scenario acceptable du changement.
Les tensions générées par ces changements peuvent ainsi être transformées et orienter vers
un nouveau but.
PATRICE GIRARD
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