elle accepte que la monnaie banque centrale finance directement des dépenses privées, selon le mécanisme du QE
pour le peuple décrit plus haut.
Revue Banque - Propos recueillis par Sophie Gauvent, le 7 mars 2016
Le roi Draghi est nu, vive la relance budgétaire!
La BCE a encore annoncé une série de mesures destinées à renforcer une croissance anémique. Elle a poussé ses
taux d’intérêts encore plus bas, en-dessous de zéro, et elle a décidé d’augmenter encore la masse de monnaie, déjà
pléthorique. Les marchés financiers sont contents, ils ont de quoi jouer. Mais il est de plus en plus difficile de croire
que ce genre de mesures va produire des effets tangibles. En vérité, la BCE et les autres banques centrales sont arri-
vées au bout de ce qu’elles peuvent faire. On ne peut pas en dire autant des gouvernements.
Le crédo de base de la politique monétaire est qu’elle soutient l’activité économique en abaissant les taux d’intérêt.
Cela réduit le coût du crédit et encourage les dépenses financées par l’emprunt. Cela fait monter les cours boursiers,
ce qui permet aux entreprises de lever des capitaux à bon compte pour financer l’achat d’équipements productifs.
Cela a aussi tendance à faire baisser le taux de change, ce qui dope les exportations. Mais que faire lorsque le taux
d’intérêt est arrivé à 0% ?
Autrefois, on considérait que zéro est une limite inférieure infranchissable par les taux d’intérêt. Acculées à ce niveau
plancher, de nombreuses banques centrales ont entrepris l’impossible, descendre encore plus bas. Un taux d’intérêt
négatif signifie qu’on vous paie pour que vous empruntiez. Cela n’a aucun sens, sinon que c’est censé encourager les
emprunts, l’objectif classique de la politique monétaire. Désormais, les banques reçoivent un taux négatif sur leurs
dépôts à la banque centrale. Que peuvent-elles faire ? Elles peuvent prêter cet argent qui fond, c’est l’objectif recher-
ché. Mais, quoi qu’on en dise officiellement, après la crise financière, nombreuses sont les banques qui ont encore
bien des cadavres dans leurs placards. Alors faire des prêts, par nature toujours risqués, n’est pas à l’ordre du jour.
Elles peuvent se refaire une santé en instaurant des taux négatifs sur les dépôts de leurs clients. Dans l’idéal, ceux-ci
préféreraient dépenser leur argent, ce qui relancerait la croissance. Mais, dans cette ambiance morose, on ne voit pas
les déposants vider leurs comptes pour dépenser plus. Pire, ils pourraient retirer l’argent des banques pour cacher des
billets – qui rapportent 0%, c’est mieux qu’un taux négatif – et les cacher sous le matelas. C’est le cauchemar des
banques centrales parce que ça fragiliserait encore plus les banques. Quant aux liquidités que les banques centrales
injectent dans l’économie, elles arrivent sur les dépôts des banques commerciales auprès de leurs banques centrales,
qui reçoivent un taux négatif. Tout cela est bizarre, mais pas vraiment utile.
Pourquoi la BCE et d’autres banques centrales (Danemark, Japon, Suisse, Suède) se sont-elles lancées dans cette ex-
périmentation hasardeuse ? Par désespoir. Elles ont toutes pour mission de maintenir l’inflation basse, mais positive.
Or, quand l’activité économique est insuffisante pendant longtemps, les prix cessent d’augmenter et en viennent
même à baisser. Du coup, les banques centrales ne remplissent plus leur mission. Elles ont absolument besoin de
redynamiser l’activité pour faire remonter l’inflation, mais elles n’ont plus d’instruments.
Ce qui est consternant, c’est que c’est très facile de relancer l’activité. L’instrument qui marche à tous les coups, c’est
la politique budgétaire. Un peu plus de dépenses publiques, des baisses d’impôts, ou les deux, et ça repart. Mais il
n’en est pas question parce que les gouvernements sont engagés dans une stratégie de baisse des dettes publiques.
C’est vrai que les dettes publiques sont un peu partout excessives, mais tout est toujours une question de choisir le
bon moment. Aujourd’hui, la relance doit être prioritaire, demain ce sera le moment de faire redescendre les dettes.
On emprunte quand on est en difficulté et on rembourse quand tout va bien, c’est aussi simple que ça.
Et bien, non. On nous explique que les gouvernements font toujours la même chose : ils empruntent, beaucoup,
mais ne remboursent jamais. C’est bien pour cela que les dettes publiques sont excessives. Les encourager à faire plus
de déficits aujourd’hui est criminel, nous dit-on. Aussi logique qu’il paraisse, cet argument est faux. Les déficits se
creusent automatiquement en période de basses eaux, tout simplement parce que les recettes fiscales sont en berne.
Vouloir réduire les déficits dans une période de non-croissance revient à bloquer la reprise. C’est exactement ce qui
s’est passé dans la zone euro depuis 2010 et, malgré les efforts héroïques de la BCE après 2012, l’économie stagne,
sans surprise, les déficits ne sont pas comblés et la dette publique continue à grimper.
Cela dit, il est vrai que les gouvernements ont beaucoup fauté dans le passé et qu’il faut une solide dose de naïveté
pour croire qu’ils rembourseront leurs dettes cette fois ci. Deux réponses existent, cependant. La première est que
l’on peut changer les lois budgétaires. Plusieurs pays, dont l’Allemagne et la Suisse, ont adopté des lois qui imposent
la discipline budgétaire, non pas année après année, mais sur une longue période qui recouvre les hauts et les bas
conjoncturels. Inscrire une telle exigence dans la constitution est bien plus sain que d’y parler de déchéance de natio-
nalité. Ensuite, il y a dépense publique et dépense publique. Emprunter pour financer des dépenses improductives
signifie qu’il sera pénible de rembourser la dette. Emprunter pour financer des dépenses productives a pour effet de
doper la croissance à long terme et ainsi générer automatiquement des revenus fiscaux qui rendront la baisse de la
dette indolore. Parmi les dépenses improductives, on peut citer les hausses de salaire des fonctionnaires, le traitement
social du chômage, les niches fiscales, les aides aux entreprises en déclin, etc. Parmi les dépenses productives, on peut
citer les infrastructures, l’éducation et la recherche (mais pas les embauches chères aux syndicats), la réhabilitation des