2
1 - Gouvernance, la pluralité des acceptions
1.1 La notion de gouvernance est fréquemment utilisée, et dans des sens fort variés, par les
spécialistes des relations internationales, par les experts des systèmes politico-
administratifs, par des politologues, des sociologues et des économistes. Sous le
qualificatif de «bonne gouvernance», elle est même devenue un label distribué par les
organisations internationales.
1.2 Multiplicité des utilisateurs et multiplicité des usages, donc multiplicité du sens et des
définitions possibles, la notion de gouvernance est parfois convoquée pour rendre compte
de réalités opposées. Par exemple chez certains économistes
, promoteurs de cette
notion il y a quelques décennies, elle qualifie les modes de coordination de la firme lui
permettant d’échapper aux coûts de transaction que lui impose le marché. Sous la
formulation «corporate governance», gouvernance d’entreprise, elle est apparue dans les
années quatre-vingt-dix lors de la révélation des nombreux scandales financiers (cf. Enron)
pour réaffirmer la nécessité d’un contrôle des mandants (les actionnaires) sur les
mandataires (les instances de management). Dans son usage plus récent par les
politologues, elle désigne une action publique qui déploie des formes de partenariat public-
privé afin de mieux intégrer les mécanismes du marché (voir en particulier les sociétés à
capital mixte, les délégations et concessions de services publics, etc ). Bref, la
gouvernance, notion commune à plusieurs disciplines ne désigne pas forcément la même
réalité, le même objet de recherche et ne donne donc pas naissance à une définition
stricte partagée et adoptée par tous.
1.3 Pour la science politique, la sociologie, voire la géographie et l’urbanisme, disciplines qui
nous intéressent plus particulièrement ici, la notion de gouvernance qualifie un processus
de transformation et de recomposition des modes d’action publique mettant en jeu la
construction de mécanismes de régulation des acteurs au sein des sociétés locales. Le
succès de cette notion se manifeste en accompagnant deux mouvements concomitants :
d’une part, un retrait relatif des pouvoirs centraux et des formes traditionnelles de
gouvernement et, d’autre part, une montée en puissance des collectivités territoriales et de
leurs instruments (sociétés d’économie mixte, agences, etc.), au sein des régions et
notamment des grandes villes, d’où la notion de gouvernance urbaine. Cette notion qui
souvent s’articule et parfois s’oppose aux modes traditionnels de gouvernement
(centralisés, hiérarchisés, descendants «top-down», procéduraux) postule et parfois
promeut une approche fondée sur des réseaux d’action publique et des mécanismes de
coopération, de régulation, voire d’intégration dans des systèmes et dispositifs d’action
d’une large diversité d’acteurs publics et privés (systèmes polycentrés, réticulaires,
horizontaux, transversaux, processuels, ascendants «bottom-up»)
1.4 Dans cette dernière formulation intégrative, la gouvernance est à rapprocher de la première
définition donnée par les économistes en matière de coûts de transaction. Mais alors qu’il
s’agit pour eux, grâce aux firmes, de créer un espace à l’abri des coûts de transaction, pour
les autorités publiques, il s’agit au contraire de nouer précisément des relations avec
d’autres acteurs présents sur les marchés (cf. partenariat public-privé). La perspective est
bien une meilleure coordination des acteurs publics et privés qui opèrent de manière
relativement autonome sur un territoire et dans des champs de contraintes qui leur sont
propres. Cette intégration est souvent l’objectif poursuivi par les nouvelles politiques
urbaines, politiques partenariales, transversales et territoriales qui cherchent à dépasser la
traditionnelle sectorisation de l’action publique ainsi que les logiques bureaucratiques et
corporatistes qui la caractérise. Ces politiques visent la coproduction de la ville par les
acteurs urbains, quels qu’ils soient. Il faut mentionner toutefois que peu nombreuses sont
les définitions politiques de la gouvernance qui font explicitement référence aux
mécanismes démocratiques que pourtant la seconde définition de la gouvernance
suggérée par les économistes (contrôle des mandataires par les mandants, contrôle et
régulation des pouvoirs et des intérêts potentiellement en conflit).
1.5 Esquissons une définition large de la gouvernance permettant de regrouper différentes
variations sur ce thème. La gouvernance serait la constitution délibérée de coalitions
- COASE, Ronald.H (1991).- The Nature of the Firm.- in «The nature of the firm : origins, evolution and
development» edited by Oliver E. Williamson, Sidney G. Winter, New York : Oxford University Press, 235 p.