Bonnes pratiques et bientraitance

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Bonnes pratiques Bientraitance
La responsabilité que prennent les professionnels du secteur social et médico-social dans
l’accompagnement d’un jeune dépend du fait qu’ils y ont été autorisés par la société au travers
des textes de loi, autorisés au titre de leur diplôme et par le biais de l’autorisation de
fonctionner qu’à reçu l’établissement. C’est le cadre symbolique dans lequel ils travaillent, ce
qui en fait le caractère opératoire, l’efficience de leur action.
Leurs actes professionnels se réfèrent à un code de conduite aujourd’hui qualifié de bientraitant.
Il importe de définir positivement cette prescription alors qu’elle a été initialement attachée à la
dénonciation de maltraitances institutionnelles.
De la prévention de la maltraitance aux recommandations de bientraitance
La question de la maltraitance a médiatiquement émergé à la fin du 20ème siècle, à l’occasion de la
révélation de mauvais traitements sur des personnes, enfants ou adultes, accueillis en
établissement. Non pas qu’il y avait plus de maltraitances qu’auparavant mais que l’opinion
publique s’y montrait plus sensible. Cela correspond notamment à un besoin sociétal de renforcer
les codes sociaux en temps de dérégulation économique. C’est sans doute lié aussi à une
exigence accrue de l’opinion publique en matière de protection de l’intégrité corporelle, exigence
consécutive à l’amélioration sanitaire globale (progrès de la médecine) à une attente de maîtrise
des risques de l’existence (principe de précaution), et peut-être à la généralisation d’un niveau
d’étude qui induit le refus de la fatalité sociale.
Rappelons qu’entre deux guerres des campagnes médiatiques avaient dénoncé les traitements
que subissaient les enfants dans certains orphelinats et l’exploitation dont ils étaient victimes dans
certains placements nourriciers.
La loi du 2 janvier 2002 est venue confirmer cette attente sociétale en énonçant les dispositions
relatives aux droits des usagers comme une garantie contre les risques de maltraitance : « Afin de
garantir l'exercice effectif des droits mentionnés à l'article L. 311-3 et notamment de prévenir tout
risque de maltraitance, lors de son accueil dans un établissement ou dans un service social ou
médico-social, il est remis à la personne ou à son représentant légal un livret d'accueil auquel sont
annexés… »
La formulation par la négative (contre « tout risque de maltraitance ») est juridiquement
inhabituelle. Hors dispositions pénales, les textes de loi définissent plutôt les normes en termes
positifs. En l’occurrence, la formulation « afin de garantir la bientraitance » aurait été plus
heureuse.
Protéger, soigner, ne relève pas de la prévention de la maltraitance mais de la bientraitance. Le
rapport bientraitance/maltraitance n’est pas concevable comme l’opposition de termes d’égale
valeur. Une conception constitutive de cohésion sociale définit une valeur – la bientraitance – et
son défaut – la maltraitance – dans un rapport de norme à insuffisance et non d’opposition entre
termes de même niveau.
1
Définition de la maltraitance
Auparavant, dans le secteur social et médico-social, on qualifiait de maltraitance les sévices
corporels et abus sexuels subis par des mineurs dans leur familles ou commis par des
professionnels en établissement.
Le terme est aujourd’hui Insuffisamment délimité. Dans la littérature professionnelle et les
recommandations de bonnes pratiques, il en vient à couvrir un continuum qui va de l’abus sexuel
et de la violence physique jusqu’à la carence de dispositions qui portent atteinte involontairement
ou indirectement à l’intégrité de la personne ainsi qu’à des mesures de contentions ou d’isolement
motivées par sa protection.
La typologie établie par le Conseil de l’Europe en 1992 est elle-même relativement polymorphe.
Elle regroupe

des actes d’une extrême gravité, allant jusqu’à entraîner la mort,

des actes relevant d’une insuffisance de moyens ou d’une omission entraînant des gênes
d’importance variable pour la personne,

des actes relevant de l’irrespect, du manque d’égard, de la négligence relationnelle.
Définition de la violence par le Conseil de l’Europe
Coups, brûlures, ligotages, violences sexuelles, meurtres (dont euthanasie)
Toutes formes de sévices, abus, abandons, manquements pratiqués avec la conscience de nuire.
Vols, escroqueries diverses.
Manque de soins de base, non prise en compte de la douleur.
Non information sur les traitements ou les soins, abus de traitements sédatifs ou neuroleptiques,
défaut de soins de rééducation, soins brusques sans information ou préparation, non satisfaction
des demandes pour des besoins physiologiques,
chantages, abus d’autorité, exigence de pourboires, locaux inadaptés.
Négligences relevant de l’ignorance, de l’inattention de l’entourage.
Limitation de la liberté de la personne, privation de l’exercice des droits civiques, d’une pratique
religieuse.
Langage irrespectueux ou dévalorisant, absence de considération, comportements d’infantilisation,
non respect de l’intimité, injonctions paradoxales.
La définition générale de 1987 était plus restrictive et elle me semble plus adéquate à la
formulation de la sanction pénale de la violence à autrui. «Tout acte ou omission commis par une
personne s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre
personne, ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité
financière».
Il faut distinguer différents types d’actes, sinon toute intervention comportant une part de directivité
peut-être interprétée comme une intention de nuire, un acte de maltraitance.

1/ Les actes comportant une intention de nuire justifient une sanction pénale, ils sont
susceptibles de se produire en situation de travail comme dans le domaine privé. En tant
2
que tels, ils ne relèvent pas du procès de travail mais d’une conduite transgressive
personnelle, aggravée par l’ascendant moral relatif à l’interaction d’aide ou d’éducation, ce
qui conduit à la qualifier d’abus d’autorité relatif à mission conférée. Ils tombent sous le
coup de la loi et exigent que ceux qui en sont témoins exercent leur responsabilité
d’assistance à personne en danger, notamment par le signalement.

2/ Certains actes relèvent de l’insuffisance de moyens ou de l’insuffisance de vigilance, de
précaution, autrement dit, d’une part, de l’obligation de moyens partagée par les pouvoirs
publics et le gestionnaire de l’établissement, d’autre part, des professionnels eux-mêmes
en ce qu’il doivent mettre en œuvre les moyens disponibles, assurer les responsabilités
relevant de leurs compétences et signaler si nécessaire l’insuffisance de moyens
susceptible de porter atteinte à l’intégrité des personnes.

3/ Certains actes relèvent de la négligence des professionnels au contact du public. Sans
qu’ils soient motivés par une intention de nuire, ils engagent la responsabilité des
professionnels incriminés et de leur encadrement, qui encourent des sanctions
disciplinaires voire pénales.

4/ Certains actes relèvent de la contention ou de la limitation de liberté (isolement) pour
assurer la protection de la personne (ex : empêchement de se blesser) et la sécurité
relative à son environnement (ex : consignes de sécurité) et sont paradoxalement motivés
par la bientraitance.
L’amalgame de différentes conduites est d’autant plus problématique que la maltraitance y devient
la figure inversée des bonnes pratiques. celles-ci sont alors définies par défaut de maltraitance,
sous la forme de normes injonctives ou/et d’un moralisme culpabilisant, dénués de portée pratique
et jetant l’opprobre sur un corps professionnel.
Ainsi, la recommandation de l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation sociale et médico-sociale)
relative au « Rôle de l’encadrement dans la prévention et le traitement de la maltraitance »
(décembre 2008) entretient-elle la confusion en abordant la maltraitance comme « un risque
incontournable, consubstantiel des pratiques pour tous les professionnels au contact des
personnes vulnérables ». Or consubstantiel signifie par nature, constitutif en soi. Le qualificatif
induit l’idée que la volonté de maltraitance accompagne a priori la motivation à l’origine de l’activité
professionnelle.
Certes, la relation d’aide est asymétrique, inégalitaire. Mais pourquoi la penser, par nature, comme
une relation de dépendance ou de domination. Il est dangereux de considérer comme
consubstantiel ce qui est une perversion à combattre. Une telle conception situe la bientraitance,
non pas comme une qualité en soi, dénaturée par certaines conduites, mais comme le simple
opposé d’un défaut relevant de la nature même de l’interaction d’aide voire la considère comme
l’effort à soutenir pour lutter contre une tendance naturelle.
Déclarer la maltraitance comme un risque consubstantiel de l’existence des établissements
sociaux et médico-sociaux, c’est déplacer les responsabilités, dissimuler les facteurs de
vulnérabilité (l’exclusion économique, la discrimination par les capacités fonctionnelles, les
problématiques socio-éducatives familiales) qui occasionnent la nécessité de interaction d’aide. S’il
y a maltraitance consubstantielle, ce n’est pas dans l’interaction consécutive à la vulnérabilité mais
dans les processus à l’origine de cette vulnérabilité.
3
La dimension pénale de la maltraitance
Il faut donc dissocier catégoriquement la bientraitance de la maltraitance, il faut opposer la
bientraitance non à la maltraitance mais à la non-bientraitance, à l’absence ou l’insuffisance de
bientraitance. Cela implique en premier lieu de délimiter précisément la maltraitance : c’est un acte
atteignant à l’intégrité physique ou psychique, motivé par une intention de nuire ou consécutif à
une négligence grave et qui fait l’objet de qualifications pénales circonstanciées et des sanctions
qui en découlent.
Est juridiquement inexact et relève d’un conditionnement moraliste la façon dont l’ANESM rappelle
les professionnels à leur « responsabilité pénale, civile et professionnelle envers les usagers qu’ils
accompagnent » et à « une responsabilité morale à part entière ».
Jusqu’alors n’était évoquée dans les textes relatifs à la maltraitance que la double responsabilité
professionnelle et personnelle : chaque salarié est responsable du signalement d’une maltraitance
en tant que professionnel auprès d’usagers mais aussi en tant que personne au titre de
l’assistance à personne en danger.
L’invocation de la responsabilité morale relève, elle, d’un essentialisme social1 contre lequel Paul
Ricœur met en garde et qui amalgame dans une prescription culpabilisante la responsabilité
professionnelle du salarié et la responsabilité personnelle du citoyen.
La responsabilité civile, quant à elle, est aujourd’hui couverte par le dispositif assurantiel, la
responsabilité pénale suppose une intention de nuire, autrement dit ne relève pas du registre
professionnel.
Une recommandation de bonne pratique est un document de référence de caractère professionnel
et non judiciaire, elle porte sur l’exercice professionnel pas sur la condition de justiciable. La
culpabilité d’un professionnel auteur d’un acte de maltraitance relève de la compétence de la
justice ; la responsabilité d’un gestionnaire associatif, d’un directeur, d’un cadre de proximité, d’un
professionnel de terrain, porte sur le signalement d’une situation de maltraitance dont il est le
témoin.
La bientraitance
La première recommandation de l’ANESM, relative à la bientraitance2, s’inscrit dans une
perspective autrement pertinente. Elle formule les exigences avec une considération bienveillante
des acteurs concernés. Le terme de repère employé pour énoncer les bonnes pratiques apparaît
particulièrement judicieux entre précision et latitude. Il implique en effet un point fixe, une référence
et en même temps suppose de la part du professionnel un positionnement relatif – contextuel – à
cette énonciation assertive.
Si la formulation de références pour guider l’action de terrain est nécessaire, celles-ci sont parfois
appréhendées – et assenées – comme des assertions d’autorité, sans relativité aux situations
rencontrées, sans considération de leur complexité, de leur singularité irréductible. La
1
2
« Avant la loi morale, l’éthique », Encyclopaedia Universalis, Symposium, Les enjeux, 1988.
La bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre, juin 2008.
4
bientraitance se réduit alors à des mots d’ordre et les professionnels, au lieu de penser en fonction
de leur contexte d’action, semblent se soumettre à des injonctions : « On nous a dit que… ».
Le professionnalisme en action sociale ne consiste pas à se conformer à des recommandations
générales mais à penser la singularité de chaque situation pour que les pratiques ne deviennent
pas des procédés, des actes effectués sans réflexion critique sur le sens qu’ils sont susceptibles
de prendre pour la personne. Cela implique d’aborder toute problématique à partir de références
générales mais en considérant les caractéristiques singulières de la situation. Il ne s’agit pas
d’automatiser des conduites d’accompagnement à partir de généralités conformes mais d’utiliser
des références pour ce qu’elles ont d’approprié aux spécificités de la personne.
Le terme de bonnes pratiques risque d’induire l’idée qu’il n’est pas nécessaire d’adopter, d’inventer
une conduite spécifique à la situation rencontrée, que la solution est prédéfinie. Pour ne pas
basculer dans l’application de recommandations comme autant de procédés, il faut développer
une réflexion d’équipe. C’est la médiation de l’équipe, l’élaboration collective, qui fait la qualité
clinique de ses membres, votre capacité à inventer en situation à partir des « repères » que
constituent les recommandations.
La bientraitance n’est pas un catalogue de recommandations préventives de la maltraitance, elle
ne se réduit pas à la prévention des risques au sein d’un établissement ou d’un service. Elle doit
être conçue en soi et non comme l’inverse de la maltraitance. Elle ne consiste pas à être obsédé
par la crainte d’une maltraitance mais à s’interroger sur la pertinence d’un acte, à se demander si
cet acte prend en compte à la fois les contraintes de la situation et la singularité de la
problématique de la personne, de ses besoins propres et de ses choix d’existence.
Des conduites professionnelles sont parfois interprétées par le professionnel concerné comme
relevant de la maltraitance, alors que, imposées par les circonstances, protectrices dans leur
intention, expliquées à la personne, elles relèvent au contraire de la bientraitance.
Quelques exemples.
La contention physique ou la mise à l’écart du groupe d’un jeune qui manifeste des
comportements violents constitue une bientraitance à son égard et à l’égard d’autrui. Ne pas
intervenir au prétexte de ne pas le contraindre ou de risquer d’exercer à son égard une forme de
coercition ou d’exclusion de son groupe de pairs, constitue au contraire une non-bientraitance, une
carence de protection.
L’existence d’une échelle de sanction dans le règlement de fonctionnement d’un établissement
accueillant des enfants ou des adolescents n’est pas une disposition coercitive maltraitante. Bien
au contraire, elle constitue l’énonciation des seules mesures à disposition des professionnels,
excluant ainsi toute autre forme de sanction.
Comme le déclinent les textes règlementaires s’appliquant dans les établissements scolaires3, la
sanction doit en effet obéir à divers principes :

3
principe de légalité : conformité à la loi (nature de la sanction respectueuse de
l’intégrité et de la dignité de la personne), publicité (inscrite dans le règlement de
fonctionnement), recours (auprès d’un échelon hiérarchique supérieur à celui qui
prononce la sanction), non-rétroactivité (formulation de la sanction antérieure à l’acte
sanctionné) ;
Décret n°2000-620 du 5 juillet 2000, Circulaire n°2000-106 du 11 juillet 2000.
5

principe du contradictoire (une instance dédiée à l’écoute des raisons respectives du
professionnel et du jeune) ;

principe de la proportionnalité à la gravité de la faute (détermination de la valeur de
l’objet de la transgression) ;

principe de l’individualisation (degré de responsabilité du jeune en relation avec son
âge, sa maturité, ses capacités de discernement).
La non-bientraitance consisterait à laisser dans l’indétermination les sanctions susceptibles d’être
prononcées par les professionnels. Cela entraîne leur arbitraire, soumet les jeunes à l’appréciation
subjective de leurs comportements, induit leur passivité par absence de repères et de recours. La
bientraitance consiste au contraire à assumer les responsabilités conférées à tout adulte chargé
d’éducation, à expliciter ce qui motive les exigences comportementales, à énoncer, pour les
délimiter, les dispositions sanctionnant les transgressions.
Par nature, ces dispositions comportent une pénibilité, de même que toute mesure sociale
réprimant les comportements jugés transgressifs au regard du vivre ensemble. Cette pénibilité
n’est pas maltraitance en ce qu’elle n’est pas aujourd’hui considérée comme une atteinte à
l’intégrité de la personne (châtiment corporel, privation de nourriture, isolement générateur
d’angoisse), elle vise à inculquer des comportements requis par l’intégration sociale du jeune ou à
le protéger d’actes susceptibles de le mettre en danger.
La bientraitance n’est donc ni une crispation inquiète, culpabilisée ou soupçonneuse, ni l’absence
de tout acte contraignant, contenant, sanctionnant. C’est l’articulation entre d’une part les réalités –
matérielles et normatives – qui constituent l’environnement du jeune accompagnée, et d’autre part
la singularité de sa problématique et de ses choix de vie. C’est consubstantiellement le savoir-faire
des professionnels du secteur social et médico-social.
Recommandations de pratiques : conditions nécessaires à l’interaction
L’interaction développée par un professionnel et la personne qu’il accompagne relève à la fois
d’une technicité propre à un métier et de la relation développée à cette occasion. Les bonnes
pratiques ne portent ni sur l’une ni sur l’autre. Elles ne définissent pas les contours de la technicité
développée (pas plus éducative ou pédagogique que thérapeutique ou rééducative), qui relève de
corpus formatifs homologués par des textes légaux. Elles ne déterminent pas la relation car celleci relève de l’usage de soi du professionnel, de son engagement dans l’interaction. Les bonnes
pratiques formulent les conditions de l’interaction : conditions de réalisation de l’action, conditions
de l’engagement relationnel. Elles disent les modalités nécessaires à cette interaction, établissant
ainsi le professionnalisme en action sociale et médico-sociale, autrement dit le comportement
professionnel d’acteurs disposant de technicités homologuées et engagés dans une relation.
Les recommandations ne définissent ni la technicité des professions, ni l’investissement relation
des professionnels, mais transversalement les conditions dans lesquelles ils doivent mettre en
œuvre leur technicité, s’engager dans une interaction propre à cette technicité.
Un secteur d’action professionnelle n’existe pas sans édiction de références. Il se constitue dans
un processus normatif, une architecture de principes généraux. Evolutives, les références ont
d’ailleurs toujours existé en matière d’action sociale et médico-sociale. Mais elles étaient implicites
– encore que largement commentées dans la littérature professionnelle. Les recommandations
dites de bonnes pratiques les explicitent. Ce serait une erreur de supposer a priori qu’elles
6
viennent formater les pratiques professionnelles. Elles constituent au contraire des repères utiles
contre certaines dérives technocratiques ou marchandes. Elles authentifient l’existence d’un
secteur plus coutumier de son autocritique et d’une revendication d’originalité indéfinissable que
forment unité autour d’un socle partagé. C’est la revendication d’un champ d’activité
professionnelle, avec ses références et ses savoir-faire, qui assure la validité de son action.
Banalité des recommandations
Les recommandations sont élaborées selon une méthodologie reposant soit sur le consensus
formalisé, soit sur le consensus simple : recueil de données par une revue de littérature et
entretiens d’experts, de professionnels, d’usagers ; groupe de travail, groupe de lecture, tandis
que, pour le consensus formalisé, s’ajoute un groupe de cotation (dont la fonction est de dégager
une majorité sur des questions qui ne font pas consensus).
Cela explique qu’elles semblent déjà connues plutôt que novatrices. La banalité qui leur est parfois
reprochée vient de ce qu’elles sont issues du secteur social et médico-social et non édictées par
une expertise abstraite. C’est vous qui leur donnez vie, qui les incarnez dans la singularité des
situations. Elles énoncent des pratiques relativement homogènes, élaborées par les acteurs d’un
secteur d’activité professionnelle en prise avec des réalités proches, et y développant en
conséquence des modalités d’action beaucoup plus communes qu’on ne le suppose souvent.
C’est leur mérite de révéler une certaine unité de pensée et non de prétendre l’inventer. Les
pratiques innovantes ne se prédéterminent pas, elles émergent empiriquement au cœur des
situations qui les induisent et dans un contexte qui leur est favorable.
Etat des représentations sociales d’une époque et des pratiques reconnues par un milieu
professionnel
Conjointement, les recommandations se situent dans un horizon plus large que celui du seul
secteur social et médico-social : droit international, principes énoncés par l’ONU et l’Union
européenne, mais aussi dans un contexte politique, social, économique et institutionnel donné :
d’une part, elles s’adossent à des fondamentaux, d’autre part, elles s’inscrivent dans la
contemporanéité d’une société dont les représentations évoluent.
L’action sociale et médico-sociale est définie comme « une tentative d’articuler le plus justement
possible les situations les plus singulières avec les valeurs les plus partagées. »4 Parce qu’elles
reflètent l’état des représentations sociales d’une époque et des pratiques reconnues par un milieu
professionnel, elles formulent des orientations autour desquelles se déploient une réflexion et des
pratiques spécifiques à des contextes.
Il faut les penser non comme un catalogue à appliquer mais une ressource dans laquelle puiser
pour nourrir la réflexion. L’insuffisante précision qu’on leur a parfois reprochée est justement leur
qualité : ne pas prétendre déterminer les actes sans reste et considérer que les pratiques s’initient
« La bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre », juillet 2008. Les citations qui suivent sont
également tirés de cette recommandation.
4
7
au contact des situations, ne pas verser dans une approche à dominante procédurale, l’illusion de
procédés d’application standardisée et automatique.
La première des recommandations, relative à la bientraitance, délimite utilement la nature de
l’ensemble des recommandations, elle borde leur fonction, situe leur légitimité. Ainsi des énoncés
suivants.

Les recommandations ne constituent ni « une liste exhaustive et définitive d’exigences », ni
« une série de normes opposables ».

Même si la définition de la bientraitance comporte des « dimensions incontournables et ne
peut donc relever d’un choix arbitraire », elle est contextuelle à une société et requiert un
aller-retour entre la pensée et l’action.

« C’est une culture de questionnement permanent, y compris au regard des évolutions des
savoirs et des découvertes des sciences humaines, sociales et médicales. »

La bientraitance est une « dynamique d’exigence collective », appréhendée par
l’établissement ou le service « selon ses spécificités et ses missions ».

Les recommandations ont vocation de médiation entre les textes de loi, « les projets
institutionnels et les pratiques professionnelles concrètes qui pourront les incarner au
quotidien ».
La hiérarchie des termes est intéressante : la loi (la mission), les recommandations, le projet
institutionnelles, les pratiques singulières en situation. Chaque terme doit être développé en luimême mais en référence au terme supérieur et chaque terme peut faire recours au terme
supérieur à celui qui lui est immédiatement supérieur. Autrement dit les pratiques singulières en
situation peuvent faire appel aux bonnes pratiques si projet institutionnel se trouve en désaccord
avec ces pratiques singulières en situation et le projet institutionnel peut faire recours à la loi si les
bonnes pratiques se trouvent en désaccord avec le projet institutionnel.
Conclusion
L’énonciation de pratiques professionnelles partagées contribue à la construction identitaire d’un
corps de métier. Les recommandations ne sont sans doute pas indemnes d’une phraséologie qui
dissimule des imprécisions et entretient des confusions. Cette phraséologie est le reflet des
stéréotypes et confusions conceptuelles qui demeurent dans le secteur social et médico-social.
Il ne s’agit donc pas d’être dupe d’une vision irénique, ignorante des enjeux socio-économiques et
des processus d’exclusion et de ségrégation dont témoigne l’existence même du secteur social et
médico-social. Mais la formulation de références est toujours préférable à son absence car elle
permet de s’en réclamer ou/et de les critiquer, elle constitue une intention validée dont les
décideurs doivent tenir compte.
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