Chapitre 1 : La monnaie : Rôle et forme
par Maximin Assoune
Tout le monde connaît l'histoire du chasseur de daim et du chapelier. Ce chasseur n'avait eu aucun mal à trouver
d'autres personnes aimant suffisamment le gibier pour en accepter un ou plusieurs en échange de la chaise, du
sel ou des flèches qu'il désirait. Mais un jour le chasseur n'eut pas de chance : un chapelier ne voulait lui céder le
chapeau qu’il convoitait. Ce jour-là, l'humanité tout entière fit un grand pas en avant : le chasseur eut l'idée de la
monnaie. Un bien ayant une valeur reconnue par tous - coquillage, bétail, noix de coco, etc. -, capable d'être
stocké en conservant cette valeur et servant d'intermédiaire entre les échangistes pour rompre le troc, frein
majeur à la multiplication des échanges. La valeur d'usage du bien en question se muait en une valeur
d'échange, étalon permettant de mesurer universellement l'ensemble des autres biens (et services) proposés à
l'échange par les producteurs.
Cette histoire ou une semblable, les manuels, les livres d'initiation à l'économie en sont pleins. Cette monnaie
marchandise est devenue plus tard monnaie métallique, de cuivre, d'argent ou d'or. Ces métaux précieux
nécessitent un travail assez complexe qui leur assure une « réserve de valeur » suffisamment constante dans le
temps pour inciter les gens à s'en servir, et suffisamment difficile à contrefaire pour que le faux-monnayage soit
réduit. Et comme, en outre, ces métaux peuvent se diviser, ils ont permis à la monnaie de franchir une nouvelle
étape : de monnaie de compte qu'était l'unité de bétail ou le coquillage précieux, le métal permet à la monnaie de
devenir monnaie de règlement. Le troc est rompu, définitivement, puisque la monnaie n'est plus seulement une
référence extérieure, un instrument de mesure, mais la contrepartie de l'échange. Au terme de ce premier
processus de complexification, elle aurait ainsi conquis ses trois rôles primordiaux.
Ce n'est pas tout. Parallèlement à sa complexification, la monnaie s'est dématérialisée au fil du temps. Des
monnaies marchandises initiales, on est passé aux monnaies métalliques, émises uniquement par le prince seul
susceptible d’attester de la qualité du métal et du poids des pièces. Puis, de la monnaie métallique, on passa à la
monnaie billet, puis à la monnaie fiduciaire (le papier-monnaie non convertible en or ou en argent), à la monnaie
scripturale, celle qui est gérée par la banque et enfin, à la monnaie électronique - autre forme de monnaie
fiduciaire qui paraît, à ce jour, comme la forme la plus achevée de cette dématérialisation.
La monnaie est en fait à la fois un crédit et une dette. Un crédit, parce qu'elle suppose que les utilisateurs lui
accordent confiance - crédit vient de « croire ». L'autorité qui émet la monnaie dispose d'un pouvoir : elle peut
exiger des membres de la société qu'ils lui fassent crédit.
Mais ce crédit n'a d'intérêt - et de sens - que s'il est utilisé, c'est-à-dire s'il circule. Or, ce faisant, les utilisateurs de
la monnaie transfèrent la dette sur laquelle elle repose. Ainsi, le crédit que la banque a accordé à une personne,
et que cette dernière utilise pour effectuer ses paiements, est en fait une dette de la banque vis-à-vis des
bénéficiaires successifs de ces paiements : à tout moment, l'un d'entre eux est libre de se présenter à la banque
(ou à une de ses concurrentes, qui se retournera vers celle qui a émis le crédit initial) pour en demander le
remboursement en argent liquide. Ce jour-là, la dette de la banque est soldée et la création de monnaie
remboursée. Justement, c'est parce qu'à tout moment la dette qui a donné naissance à la monnaie peut être
remboursée que la monnaie peut circuler.
I- Notion de monnaie et de liquidité.
On définit traditionnellement la monnaie par les fonctions qu'elle exerce :
La monnaie est un étalon avec des valeurs (ou unité de compte ) en ce qu'elle sert à exprimer la valeur ou le
prix des marchandises.
Elle est intermédiaire des échanges, car en s'interposant dans l'échange de marchandises, elle permet de
remédier aux contraintes du troc.
Elle est réserve de valeur car elle peut être conservée sous la forme d'un pouvoir d'achat.
Cette approche fonctionnelle de la monnaie permet une définition commode. Mais elle soulève des problèmes
pratiques sur la nature même de la monnaie c'est-à-dire ce qu'elle est véritablement. Telle est la raison pour
laquelle a été dressée une liste des actifs que l'on peut considérer comme étant de la monnaie : les agrégats
monétaires.
A - les agrégats et contreparties.
Le contenu des agrégats monétaires prête à discussion et est périodiquement remodelé notamment lorsque
surgissent des innovations financières.
Les agrégats monétaires sont des indicateurs statistiques de la quantité de monnaies en circulation ; ils reflètent
la capacité de dépense des agents non financiers résidents. Il s'agit des moyens de paiement de ces agents,
classés selon leur degré de liquidité (transformable en monnaie).
Les agrégats sont au nombre de quatre : M1, M2, M3, et M4. Ils intègrent les actifs de plus en plus nombreux et
de moins en moins liquides.
Ces agrégats donnent aux autorités monétaires une indication sur l'évolution des différentes liquidités de manière
à adapter la politique monétaire et éviter des dérapages tels que l'inflation.
B- La monnaie sous d'autres concepts.
1) Les agrégats de placement.
Depuis 1991 on calcule en parallèle aux agrégats monétaires des indicateurs représentatifs d'autres catégories
de placements financiers détenus par des agents non financiers. Ces placements correspondent à une intention
d'épargne durable.
Il existe trois agrégats de placement : P1, P2, P3. Les actifs P1 sont les plus proches des agrégats monétaires
tels que les sommes placés sur plans d'épargne logement et les actifs P3 sont les plus éloignés comme les
actions.
2) Les produits dérivés.
Les produits dérivés sont un ensemble de produits et d'instruments financiers qui se traduisent par un contrat
d'achat ou de vente d'une certaine quantité d'un actif à une date future mais selon un prix fixé immédiatement.
Leur avantage réside dans la possibilité de se couvrir d'une variation de prix ou de pouvoir spéculer.
Sans entrer dans le détail on peut distinguer principalement :
Les contrats à terme qui sont des engagements de livrer ou de recevoir une certaine quantité d'actifs
financiers sous-jacents (bons du trésor, obligations, devises etc...);
les options qui confèrent à leurs détenteurs le droit d'acheter ou de vendre l'actif considéré à un prix donné
jusqu'à une date donnée
Les swaps d'intérêt ou de devises qui consistent à échanger entre deux agents leurs charges de financement
respectives.
C - Les contreparties de la masse monétaire.
Les agrégats mesurent la masse monétaire en fonction d'un critère de liquidité et/ou de monétarité, mais ils ne
permettent pas de rendre compte de l'origine de la création de monnaie. Or la création de monnaie, c'est la
transformation de créances en moyen de paiement. On appelle donc contrepartie de la masse monétaire les
créances correspondant aux agrégats. Il existe trois grands types de créances :
les devises étrangères ou créances sur l’extérieur,
les crédits à l'économie,
Les crédits à l'Etat.
1) Les créances sur l'extérieur
Elles mesurent « l'incidence du solde des transactions courantes de la balance des paiements et du solde des
mouvements de capitaux à court et à long terme des agents non financiers sur les avoirs monétaires des
résidents » : les exportateurs français payés en devises cèdent l'essentiel de ces avoirs aux banques, qui en
échange créditent leur compte en euros, mettant ainsi en circulation une quantité de monnaie nationale
supplémentaire. Cette contrepartie répercute l'impact du solde commercial : un déficit entraîne une demande
accrue de devises par rapport à l’euro, pour payer les importations. L'opération joue alors en sens inverse.
2) Les créances sur l'économie
Elles correspondent à l'essentiel des contreparties de la masse monétaire. Elles représentent l'ensemble des
crédits accordés aux entreprises, que ce soit pour leur besoin de trésorerie ou pour financer des investissements,
et l'ensemble des prêts accordés aux ménages. La banque, là encore, met en circulation de nouveaux moyens de
paiement. À l'échéance des effets, la banque détruit de la monnaie en exigeant leur remboursement. En période
de croissance, les opérations de création dépassent celles de destruction, et il y a donc accroissement de la
masse monétaire.
3) Les créances sur le Trésor
Elles mesurent la contrepartie sur l'État, qui peut faire appel au système bancaire pour se refinancer à court
terme. Cette possibilité est interdite auprès de la Banque de France, en raison du Traité de Maastricht qui interdit
le financement du déficit auprès de la Banque centrale. Mais l'État peut placer des titres courts auprès des
banques commerciales : bons du Trésor en compte courant ou avances en comptes, comme pour une entreprise.
Les banques, pour financer ces apports, peuvent puiser dans leur fonds, mais aussi créditer le compte du Trésor
par un simple jeu d'écriture. L'état par ailleurs peut transformer lui-même des créances sur le Trésor en monnaie
par l'intermédiaire des CCP.
II - La création monétaire.
A) Qui crée la monnaie ?
Contrairement à une opinion communément répandue la monnaie n'est pas crée par la Banque Centrale. Elle est
crée par les banques commerciales lors de leurs opérations de crédit.
Ces crédits ne sont possibles que grâce aux financements que la clientèle de ces banques souhaite obtenir. La
Banque centrale n'intervient qu'indirectement dans cette affaire, lorsque les banques commerciales ne disposent
pas de suffisamment de liquidités. On dit alors qu'il y a refinancement par la Banque Centrale.
Il est donc faux de croire que l'Euro est crée par la Banque Centrale Européenne, l'euro est crée, comme l'a été le
Franc ou le Mark par les banques de second rang.
Certes on ne peut nier que la Banque centrale fabrique des pièces et des billets qui constituent une des
composantes de M1. En fait ces pièces et billets ne font que se substituer à la monnaie scripturale gérée et émise
par les banques. En somme la composition de M1 n'est modifiée que lors des retraits d'espèces. La quantité de
monnaie fiduciaire en circulation augmente alors et la quantité de monnaie scripturale diminue. Toutefois son
montant n'est pas modifié pour autant. La Banque Centrale ne crée donc pas de monnaie supplémentaire.
B) Les limites au pouvoir de création monétaire des banques commerciales.
Les banques créent de la monnaie par leurs opérations de crédit. Elles sont à ce titre tributaires de la demande
de financement des agents. Si l'activité économique est dynamique, cette demande sera forte. Elle sera destinée
à couvrir les besoins de consommation des ménages ou d'investissement des entreprises.
En cas de morosité économique la demande de crédit sera faible. Notons également que les grandes entreprises
peuvent lever des capitaux directement sur les marchés financiers ou monétaires.
a) En créant de la monnaie, les banques doivent être attentives à un certain nombre de paramètres :
la solvabilité des emprunteurs,
la quantité de monnaie dont elles disposent (leur liquidité),
La gestion des crédits octroyés. Plus une banque finance les agents, plus elle aura besoin de locaux, de
personnel, d'agences, de guichets etc...
Les règles de prudence élémentaires telles que la détention de fonds propres.
Ces paramètres sont autant d'éléments susceptibles de grever leur rentabilité. N'oublions pas que les banques
sont des entreprises qui cherchent aussi les profits, même lorsqu'il s'agit de banques nationalisées.
b) La Banque Centrale peut imposer à chaque banque de maintenir sur son compte Banque centrale une somme
non rémunérée qui constitue une réserve obligatoire. Ce montant décidé par la Banque centrale ne peut être
utilisé par les banques de second rang pour l'octroi de crédit.
c) Par ailleurs, chaque fois qu'une banque accorde un crédit à un agent économique il y a création monétaire
puisque les moyens de paiement mis à la disposition de l'économie sont augmentés d'autant. Parallèlement les
agents disposent à tout moment des dépôts qu'ils ont dans leurs banques. Ceux-ci sachant qu'une faible partie
de ces dépôts (monnaie scripturale) fera l'objet de retrait (conversion en monnaie fiduciaire), s'en serviront
comme base d'un nouveau crédit à d'autres clients. Il y a ainsi un effet multiplicateur qui n'est pas sans danger.
C) Le multiplicateur du crédit.
Cette théorie exprime un mécanisme par lequel l'augmentation d'une grandeur économique entraîne un
accroissement plus important d'une autre grandeur.
Le multiplicateur de crédit désigne donc le coefficient multiplicateur reliant l'augmentation de la monnaie Banque
centrale à l'augmentation plus importante de la masse monétaire.
Soit K le coefficient multiplicateur. Il s'exprime par la formule :
1
K=-----------------
r+b-rb
où r est le coefficient de réserve obligatoire et b la proportion de monnaie scripturale à convertir en billets.
Le calcul du pouvoir de création monétaire (M) d'une banque s'opère de la manière suivante :
P= KxBM où BM est la base monétaire.
Voir tableau page suivante
Période 1
Période 2
Période 3
Période 4
Période 5
Réserve excédentaire en euros
1000
720
518.4
373.72
268,67
Fuite provoquée par la demande de
monnaie Banque centrale (billets)
b=20%
200
544
103.7
74,64
Dépôts monnaie scripturale laissée
en banque
800
576
414.17
298.56
Réserve obligatoire r=10%
80
57.6
41.47
29,86
III- La monnaie, instrument de politique économique
L'ensemble des actions des autorités monétaires pour influer sur l'évolution de la masse monétaire constitue ce
qu'on appelle la politique monétaire. Son objectif premier est de lutter contre l'inflation. Sa réussite suppose un
contrôle de la masse monétaire donc de la création de la monnaie. Cependant une politique monétaire influe
également sur l'emploi et la production. Une politique restrictive ralentit la hausse des prix et crée du chômage,
une politique expansive stimule la croissance économique mais génère de l'inflation.
A) Les approches théoriques.
Les auteurs classiques et néo-classiques antérieurs à Keynes sont partisans de la thèse selon laquelle les
grandeurs réelles de l'économie (production, volume de l'emploi, prix) sont totalement indépendantes du secteur
monétaire. Elles se contentent d'expliquer les grandeurs nominales (valeur de la production, prix monétaires
etc...). Pour ces auteurs, la monnaie est neutre. Elle n'est selon J.B SAY « qu'un voile posé sur l'économie » et
ne fait que faciliter les échanges sans modifier quoi que ce soit.
Cette approche débouche sur la théorie quantitative de la monnaie, à savoir qu'ajouter de la monnaie ne modifie
en rien l'activité économique réelle. Cela va simplement affecter les grandeurs nominales. Pour les
quantitativistes, l'inflation est donc d'origine monétaire.
Keynes quant à lui a une approche plus intégrée. Sa théorie octroie un rôle déterminant à la monnaie dans le
fonctionnement de l'économie. Pour Keynes c'est la monnaie créée par les banques qui financent la production..
Il n'y a donc pas de production sans monnaie et parler de production réelle est un non-sens ! La production est
monétaire.
Dans cette approche la confrontation de l'offre et de la demande de monnaie fixe le taux d'intérêt (prix de la
monnaie). Le taux d'intérêt, combiné à l'efficacité marginale du capital - c'est-à-dire la rentabilité du capital - va
déterminer le niveau de l'investissement. Par conséquent la monnaie doit être abondante pour faire baisser les
taux d'intérêt de manière à permettre l'investissement. Investissement et demande globale sont alors les deux
variables d'un équilibre macro-économique.
L'analyse monétariste (Karl Brunner, Milton Friedman) repose sur une stabilité de la fonction de demande de
monnaie. Toute création excessive de celle-ci va séquilibrer la composition du patrimoine des agents. Ils
détiendront trop de monnaie par rapport à d'autres valeurs. Les agents vont donc vouloir compenser ce
déséquilibre en « déversant » sur le marché le trop plein de monnaie et en remplaçant celle-ci par des biens, des
services ou des titres.
Si dans un premier temps cette attitude peut avoir un effet bénéfique sur l'économie, à terme elle provoquera de
l'inflation par inélasticité de la production. Friedman renoue ainsi avec la théorie quantitative des auteurs
classiques et condamne le pouvoir de « nuisance » des banquiers.
La thèse la plus récente est celle de la Nouvelle Economie Classique. Elle adopte l'hypothèse des anticipations
rationnelles. Brièvement résumée, cette théorie se base sur un comportement avisé, éclairé et réfléchi des
agents. Ceux-ci sont capables d'anticiper les effets de la politique menée par les gouvernants en se basant sur
leurs expériences passées. Les agents savent qu'une création monétaire excessive provoquera l'inflation, ils vont
donc intégrer cette variable dans leurs calculs économiques. Augmentation des prix et revendications salariales
apparaîtront avant même les effets d'une politique monétaire. Celle-ci est donc inutile car inefficace.
Ce résultat est connu sous le nom de théorème d'inefficacité de la politique économique.
B) Les instruments de la politique monétaire.
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