Alexandre Dallemagne Conférence de David Colon
Fiche de lecture pour le 5 janvier 2006 Avènement des régimes modernes
Charles Maurice de Talleyrand de Périgord est avant tout un noble. De son éducation sous l’Ancien
Régime, il gardera la certitude de la prééminence de son rang et un orgueil tout aristocratique. Mais les doutes de
l’origine de sa famille ainsi que les difficultés financières de ses parents marqueront cet enfant humilié. Malgré
sa position d’aîné, il est destiné à rentrer dans les ordres et éloigné d‘une carrière militaire en raison d‘une
maladie aux pieds qui le rang boiteux. Il sera plus tard ordonné prêtre à Reims. Il vit cette vocation imposée très
mal, se repliant sur sa jalousie, sa frustration et son humiliation. De cette époque date son art de l’absence qu’il
élèvera au rang de science en diplomatie et ses capacités exceptionnelles de patience et de dissimulation.
Résigné, il suit des études au grand séminaire, à St Sulpice, et espère faire carrière dans le clergé, l’attrait de la
fortune et l’ambition en sont sûrement la cause. De cette période, il fait sienne cette maxime, le « bon maintien »,
une façon discrète, bienveillante et courtoise d’être en société, à laquelle il sera fidèle toute sa vie. De la date du
sacre de Louis XVI datent ses premières liaisons amoureuses ou ses intimes amitiés avec la gente féminine, une
constante habitude tout au long de sa vie, qui lui vaudra la légende du prêtre dépravé ou d’évêque défroqué. Sa
paresse, son indolence, qu’il développera comme art diplomatique, cachent un travailleur acharné capable de
passer des nuits sans dormir. Il commence à servir le clergé en travaillant à l’Agence générale afin de faciliter sa
promotion à l’épiscopat. A ce poste, il est à l’origine de la plupart des grandes réformes de l’Église des dix
dernières années de la monarchie, pratiquant la politique du céder pour subsister, empreinte de la modération
comme arme de négociation, l‘abbé se révèle diplomate. Cette position fait de lui l’homme le mieux informer
des affaires du clergé, expérience précieuse à l’aube de la Révolution…
Cet homme mondain ne négligeant ni le monde, ni les salons, où l’on flatte les grâces de son esprit. Il
est un hôte régulier au Palais-Royal, où il est très proche du duc d’Orléans qui l’aurait initié à la franc-
maçonnerie. Tout en tissant des relations plus tard fortes utiles, il se découvre une passion pour le jeu. La culture
du whist, auquel il s‘adonne, est avant tout celle de l‘évaluation et de l‘anticipation. Ce goût du risque et le jeu
façonnent son caractère. A cette époque, il espère le poste plus politique d’évêque, mais doit attendre trois ans
avant d’être nommé évêque d’Autun en 1788. Pendant ce temps, il profite de son expérience financière au sein
de l’Église pour s’intéresser à la pratique et à la théorique financière qui allient à merveille plaisir du jeu et
rigueur d’esprit. Il découvre les idées de la liberté de commerce grâce à un anglophile, et commence à s’initier à
la prise de risque en spéculant. Connaître les rumeurs est un moyen sûr pour s’enrichir, chose que n’oubliera
Talleyrand, qui toute sa vie sera placée à la source de l’information, par des espions ou par son intérêt pour les
rumeurs des cercles de pouvoir. Une fois évêque, il inspire largement les cahiers du clergé de Bourgogne,
développant des idées libérales, proposant l’égalité devant l’impôt, le respect des libertés et une monarchie
contrôlée, militant en faveur de la tolérance intellectuelle et religieuse, et de l’élaboration d’une charte ou
constitution pour garantir ces droits.
Il participe aux États généraux de 1789, qui sonne le glas du certain « plaisir de vivre » qu’illustre
l’Ancien Régime à ses yeux. Le 26 juin, il rallie la salle commune où siège le tiers, contre les ordres du roi. Il est
l’un des premiers à avoir compris que l’ère des révolutions et des masses dans lequel il entre est inexorable. Le
digne prélat devient alors le « monstre mitré » de la Révolution, début d’une légende noire que Waresquiel tente
de se défaire et d’éclaircir. C’est lui qui engage le roi à se rendre à l’Assemblée et à retirer ses troupes de Paris.
Toujours la même méthode: désamorcer la crise pour mieux en profiter et se placer. Depuis le 14 juillet, il est
l’un des 8 membres du comité de Constitution avec Sieyès, Le Chapelier, et apportera de son libéralisme sincère
à cette réalisation. Avant tout pragmatique, la politique étant selon lui « l’art du possible », il admet que la
Constitution doit prendre en compte les nécessités du temps, et plaide pour une monarchie conventionnelle.
Face aux problèmes des crédits de l’État, l’ex-agent général fait voter la confiscation des biens de l ’Église, ce
qui lui vaudra pendant toute sa vie les foudres du clergé qui répand la légende noire du traître, de l’apostolat et
du diable boiteux. Mieux encore, il célèbre la messe de la Fédération du 14 juillet 1790. A Lafayette qu’il croise
en gravissant l‘autel, il lance: « ne me faites pas rire. » Pour parachever le tout, il consacre les premiers évêques
constitutionnels. Accusé de parjure et de sacrilèges, il est suspendu de l’ordre épiscopal et menacé par le pape
d’excommunication s’il ne se rétracte. Charles Maurice restera d’une indifférence polie jusqu’à l’ultime
négociation avec Église, quelques jours avant sa mort. Pendant la Révolution, sa richesse, qui s’accroît
considérablement, a le charme du mystère. Il est accusé d’affairisme, ce qui en somme est probable. S’il siège
discrètement en août 1791 au comité de révision de la Constitution, il se fait remarquer par un audacieux
Rapports sur l’instruction publique, réforme de l’éducation révolutionnaire et visionnaire sous certains aspects,
qui marquent l’attachement de l’homme au rationalisme optimiste des Lumières et au libéralisme.
Avec la dissolution de l’Assemblée constituante, le flair du « sphinx » sent le vent tourner, et Talleyrand
se fait secrètement mandater par des financiers français et anglais pour étendre le traité de commerce de 1786. Il
part donc pour Londres où il débutera une riche carrière diplomatique, sans pour autant renoncer à la finance, sa
première passion. Il obtient du gouvernement anglais une déclaration de neutralité quant au problème des
colonies espagnoles, un succès pour la Gironde et ses journaux. Le climat parisien le pousse à rester en