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TALLEYRAND
sophie
sait
s'arrêter
à
propos
». Nous verrons à quel point
cette
définition
est juste. Comme
Napoléon
fut le premier à le compren-
dre parce
qu'il
l'avait
constaté,
Talleyrand avait une doctrine
immuable.
Jamais il ne l'a
infléchie,
jamais il ne s'en est
éloigné.
Lorsque
les circonstances l'y contraignirent, il
renonça
provisoire-
ment
à la servir, mais
sans
la renier ni l'oublier. Sa philosophie fut
souvent à
l'arrêt,
mais il ne changea jamais de philosophie. Quatre
textes
concourent à en fournir la preuve. Entre le premier et le
dernier, il y a
près
de
quarante
ans. Or ils
sont
presque
interchan-
geables.
1°
Le 25 novembre 1792, Talleyrand est encore à Londres d'où
il
sera
expulsé
au
début
de 1794
(heureuse
mésaventure, grâce
à
laquelle
il
découvrira l'Amérique
et y
passera
deux ans). Depuis
deux mois, la France est une
république. L'ancien chargé
de
mission
n'a plus aucun
caractère
officiel.
Mais déjà
il se soucie
moins de savoir par qui la France est
gouvernée
que de continuer à
servir
les
mêmes idées,
quel que soit le
régime.
Il
adresse
donc au
premier gouvernement de la
Première République
un
étonnant
mémoire
qui est le prolongement, la suite logique, de son rapport au
dernier gouvernement de la monarchie. Son but est simple :
convaincre les nouveaux gouvernants
d'arrêter
le plus vite possible
la
guerre
qui a
commencé il
y a
sept
mois et
—
pour y parvenir
—
de
renoncer à
toute
annexion, en particulier à l'annexion de la
Belgi-
que ; telle est, en effet, la condition de la
neutralité
anglaise, donc
de la paix. «
Tous
les
agrandissements
de
territoire
—
écrit Talley-
rand
—
ne
sont
que des
jeux
cruels
de la
déraison
politique.
» Cet
avertissement fut
bientôt noyé
dans
la tourmente.
Mais,
en 1815,
vingt-trois
ans
après,
la guerre,
commencée
en
Belgique,
se termi-
nera en Belgique par l'amoindrissement du territoire
français.
Jamais la France ne retrouvera ni le sang ni le rang qu'elle a
perdus.
2°
En
août
1797, Talleyrand, revenu de son
exil
aux Etats-
Unis,
est ministre des
Affaires extérieures.
Le
traité
de Campo-
Formio
vient de donner la Belgique à la France. L'ivresse de la
victoire
règne
à Paris. Or Talleyrand refuse de
céder
à
cette
ivresse.
Ecoutons-le
: « La
querelle
momentanément
assoupie
par la
consternation
du
vaincu
n'est
point
de
nature
à
être définitivement
terminée
par les
armes,
tandis
que la
haine
subsiste...
Qu'est-ce
qu'un
traité
de
paix
?
C'est
celui
qui, en
réglant l'universalité
des
objets
en
contestation,
fait
succéder
non
seulement
l'état
de
paix
à
l'état
de
guerre,
mais
l'amitié
à la
haine.
» Les mots les plus impor-