l`algerie jusqu`en 1914

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L’ALGERIE JUSQU’EN 1914
INTRO :
Etudier l’Algérie et plus exactement les territoires algériens jusqu’en 1914 revient à analyser les grands
bouleversements qui ont déterminé le passage d’une société séculaire tribale et désordonnée à l’idée que les
Algériens forment une nation. L’histoire de cette période est donc marquée par le passage de la diversité, de
la pluralité à l’unité. Elle révèle la genèse des identités algériennes et la construction progressive de
l’unification des territoires qui fait que l’on s’achemine vers une Algérie et que l’on ne parle plus de
territoires algériens, même s’il faut comprendre que l’Algérie est en réalité une création coloniale bâtie ex
nihilo.
En effet, la confrontation avec l’occupant français au moment de la colonisation précipite les interrogations
sur l’identité algérienne car cette présence étrangère suscite une crise identitaire qui oblige les Algériens à se
poser la question Qui sommes-nous ?
Ainsi, nous pouvons mesurer en quoi le nationalisme se crée au regard de la présence étrangère. C’est
pourquoi nous étudierons de quelle façon s’est progressivement construite la représentation nationale et
identitaire des territoires algériens, qui place la population algérienne entre tradition et modernité. Cette
confrontation l’oblige à adopter une posture de repli sur les valeurs arabo-islamiques pour mieux se
construire face au colonisateur et légitimer la démarche de rupture d’avec la France mais paradoxalement,
entreprendre une telle démarche signifie être perméable à certaines idées occidentales et donc faire preuve
d’ouverture pour être en mesure de s’approprier les concepts politiques occidentaux afin de mettre la France
en porte à faux avec ses propres principes.
C’est pourquoi nous devons observer en quoi l’Algérie d’aujourd’hui est le résultat de la colonisation car
l’indépendance a été le moyen ultime utilisé pour transformer enfin l’indigène en citoyen.
I- Comment l’Algérie devient française ?
1) Les territoires algériens d’avant les Français
- Une société mosaïque marquée par l’organisation tribale
Depuis 1555, les territoires algériens sont sous domination ottomane et forment une régence. Or, les sujets du
dey ne sont pas tous rassemblés, il n’y a pas de véritable cohésion populaire et l’Algérien se définit selon la
région qu’il habite et surtout selon la tribu à laquelle il appartient. Ainsi, il n’y a pas à proprement parler
d’identité du peuple algérien avant la colonisation. Cette notion se construit au fur et à mesure, en rapport à la
présence étrangère française. Le socle identitaire des Algériens est donc avant tout lié au lien tribal.
- Pas d’unité territoriale
Les territoires algériens sont compartimentés selon la vision tribale ce qui ne favorise ni la cohésion ni
l’intégrité territoriale. C’est pourquoi il n’est pas encore possible de parler d’Algérie, le mot arabe utilisé
signifie le pays natal, la patrie « el watan » mais en réalité cette terminologie particularise les habitants du
pays et rend compte d’une organisation territoriale fragmentée. Cela explique les difficultés pour le dey
d’établir son autorité, celle-ci s’exerce pleinement sur Alger et ses alentours mais à mesure que l’on pénètre
dans les terres de l’intérieur et que l’on s’éloigne d’Alger le maillage administratif tissé par les Turcs devient
plus lâche.Aussi, les autorités ottomanes préfèrent laisser les choses en l’état sans chercher à s’étendre ou à
s’imposer à tous en raison de l’organisation sociale algérienne très clivée qui rend difficile toute forme de
contrôle.
Régence d’Alger = embryon de pouvoir central qui participe au maintien d’une société encore dominée par
l’ordre de la tribu
- L’amorce de la présence française dans les territoires algériens
La France avant la colonisation était déjà présente grâce aux comptoirs algériens. Or, il est nécessaire pour
établir un comptoir de passer un accord ce qui suppose de vivre en bonne intelligence avec les populations et
autorités locales. En effet, le comptoir résulte de logiques commerciales qui font que la recherche de profit
prime sur la volonté de conquête et d’annexions territoriales.
2) Les circonstances de la Prise d’Alger en 1830
- Cette opération résulte d’une vision stratégique géopolitique car la conqûete coloniale est synonyme de
grandeur et fonctionne comme une sorte de catalyseur de la réaffirmation française. Le facteur politique est
ainsi déterminant pour expliquer l’expansion coloniale. Même si l’expédition d’Alger a pour prétexte de
réparer l’affront infligé au consul de France Derval par le dey Hussein le 29 avril 1827, le fameux « coup
d’éventail » est un casus belli anecdotique car en réalité, le débarquement à Sidi Ferruch est le résultat de la
politique de prestige dirigée par le gouvernement Polignac qui tente de redorer le blason de la France. En
effet, Charles X veut faire taire l’opposition libérale de plus en plus critique par une victoire militaire. Il
s’agit donc de renforcer le pouvoir fragile de Charles X par une politique extérieure brillante qui fait que le
problème algérien se greffe sur les enjeux de la politique intérieure française.
- Une occupation restreinte et la tentative de l’impérialisme indirect
La monarchie de Juillet hérite de la question algérienne ; elle renonce à évacuer car ce geste serait perçu
comme une preuve de faiblesse sur la scène internationale. Ainsi en 1834 la régence d’Alger est
officiellement annexée au territoire français mais l’occupation se fait a minima car elle doit coûter le moins
cher possible (ce qui explique pourquoi dans un premier temps la colonisation est orientée seulement vers les
plaines côtières et les grandes villes). La France tente d’asseoir une domination indirecte et choisit l’émir
Abd El Kader comme chef arabe sur lequel s’appuyer (traité de Tafna de 1837). Elle le laisse plus ou moins
rallier les tribus pour elle et lui fournit même des armes pour combattre. Or, dès que l’émir parvient à
constituer des forces militaires conséquentes, il retourne ses armes contre la France car ABDK est en réalité
le porte parole de l’Algérie protestataire des bédouins et des montagnards. Il se présente comme le
commandeur des croyants et s’inspire du nizam jadid ottoman pour diriger la résistance. Cependant, il ne
peut pas incarner véritablement la conscience de la population algérienne car il est rejeté par les populations
urbaines. De plus, il donne à sa lutte, qui est l’expression du refus de l’occupation étrangère, le caractère du
combat pour la foi et même si l’identité religieuse est mise en avant comme argument fédérateur, il ne
parviendra jamais à mener une politique permettant d’unifier la société. Ainsi, aucun projet n’existe pour
permettre la cohésion nationale d’autant plus que les rivalités et les divisions entre les diverses tribus font
obstacle à une résistance organisée et cohérente.
3) Napoléon III et le royaume arabe
Selon Tocqueville, le modèle de l’implantation devait être celui de l’association mais à l’inverse le début de
l’installation des colons en Algérie s’établie dans l’indifférence et l’ignorance de la population locale.
Néanmoins, la politique de Napoléon III porte les prémisses de l’assimilation et favorise les compromis
politiques pour faciliter la cohabitation entre les colons et les Arabes. Cette attitude s’explique par
l’ « arabophilie » de Napoléon qui est entouré de Saint Simoniens (dont Ismaël Urbain) plutôt sensibles à la
question algérienne. Ainsi, il souhaite sauvegarder la société arabe car il a besoin de l’appui de la population
afin d’établir son projet civilisateur qui résulte d’une politique de prestige visant à inscrire les territoires
algériens dans une perspective géostratégique plus large en Méditerranée.
En effet, la France du Second Empire se donne pour mission de prendre l’initiative en Algérie d’accoucher
d’une nation orientale en devenant selon le colonel Lapasset « le lieu de réconciliation entre le chapeau et le
turban, la croix et le croissant ».Cette politique est à l’origine de la mise en place des sénatus-consultes de
1863 et 1865 qui ont pour but de protéger les terres algériennes des appétits des colons européens. Or, le
morcellement des terres des tribus en douars qui devait favoriser la propriété individuelle a en réalité pour
principal effet de favoriser l’éclatement des bases de l’encadrement tribal et de précipiter la société arabe
dans une crise identitaire profonde.
II- Quelle identité pour l’Algérie au temps de la colonisation française ?
1) La défaite de 1870 et ses conséquences
La défaite de Sedan déchaîne les passions antimilitaristes chez les colons qui réclament la fin du régime du
sabre car la défaite de 1870 marque la fin du régime militaire (cf.révolte Moqrani en réaction à ce passage)
et la politique d’ouverture favorisée par l’armée française plutôt « indigénophile » du Second Empire est
rejetée. De nombreuses mesures en faveur des colons sont octroyées ce qui accroît les troubles de plus en
plus perceptibles chez la population algérienne. Cependant la métropole tente de préserver l’équilibre entre la
société indigène et coloniale; ainsi, la première fonction du code de l’indigénat de 1881 est de concilier droit
français et droit musulman pour éviter que les Arabes soient systématiquement battus dans les affaires
juridiques. Or, le problème est que les Français d’Algérie veulent contrôler les commissions juridiques, et de
ce fait, le code de l’indigénat devient une arme et un instrument de l’exploitation de la population algérienne
alors qu’à l’origine, le code vise à établir la liste des droits et devoirs des Algériens pour leur offrir une
certaine protection face aux colons mais leurs droits ont été oubliés tandis que leurs devoirs ont été aggravés.
2) La culture coloniale des Européens d’Algérie
- Progressivement se met en place le parti colonial ; il s’agit d’un lobby politique puissant et organisé autour
d’Eugène Etienne dont le but est de veiller à ce que les affaires coloniales algériennes restent aux mains des
coloniaux. C’est la raison pour laquelle ils tentent d’empêcher toute mesure jugée trop favorable aux
Algériens qui pourrait menacer leurs intérêts et qu’ils cherchent à tenir la métropole la plus éloignée possible
des questions coloniales.
- Ainsi, les colons développent de plus en plus une attitude de défiance face à la métropole et une partie des
Français d’Algérie souhaiterait que le pays prenne son indépendance dans le cadre d’une société ségrégée. Ce
sentiment des Français d’Algérie d’être différents des Français de métropole augmente avec l’importance du
nombre de natifs en Algérie au sein de la population européenne.
- Les années 1880 sont marquées par le début de l’émigration kabyle vers la France. Cette vague
d’émigration s’explique par l’explosion démographique due à l’augmentation générale du niveau de vie
permis par les apports coloniaux en matière d’hygiénisme. Or, la superficie des terres cultivables ne change
pas et cette pression démographique explique le départ de nombreux Algériens vers la France ainsi que le
conflit qui se noue entre les Algériens et les Français au sujet des terres car la colonisation lie son avenir
économique presque uniquement sur l’agriculture. Ainsi avec la loi Warnier de 1873 une grande partie des
terres passent sous contrôle français, or le démembrement et la spoliation des terres par les Français violent
un ensemble complexe de droits d’usage qui bouleversent la société. L’effet principal de l’application de lois
françaises et des mesures de cantonnement est à l’origine de la déstabilisation profonde voire de la
destruction des unités tribales en Algérie, ce qui renforce la crise identitaire vécue par la population.
3) La question de la personnalité civile
- A l’origine problème : la naissance d’une société coloniale hétérogène car cette société est un melting-pot
européen constitué de Maltais, d’Italiens, d’Espagnols et de Français qui sont plus ou moins riches. Or, ce
sont ceux qui n’ont q’un lopin de terre réduit qui développent une mentalité de blanc sudiste en refusant tout
changement dans l’administration des populations de peur de perdre leurs acquis économiques et sociaux.
- Avec l’ « algérisation » de la population européenne (part des natifs, cad des Français nés en Algérie, est de
plus en plus importante) et la fusion des Européens entre eux par des mariages, les colons ont le sentiment de
former une communauté spécifique plutôt détachée, ce qui explique le rapport ambigu des colons vis-à-vis de
la métropole.
1895 : Dessoliers publie L’Algérie libre où il expose son rêve de voir l’Algérie se gouverner elle-même en se
débarrassant des fonctionnaires métropolitains même si en réalité les colons ne peuvent pas se passer de la
métropole pour continuer à se développer en Algérie.
- Loi du 19 décembre 1900 : réaction de la métropole face à ces courants autonomistes qui définit le territoire
algérien comme étant le prolongement de la France mais qui la dote, avec la loi de la personnalité civile,
d’une assemblée avec des représentants élus (dès 1881 Ben Badis avait réclamé que l’Algérie puisse avoir ses
propres représentants).
III- L’éveil des nationalismes algériens et le tournant de la modernité
1) L’essor du mouvement Jeunes Algériens
Ce mouvement reflète la première prise de conscience politique solide de la part de la nouvelle génération
algérienne qui a grandi sous la conquête coloniale française. Cette génération n’exprime plus de rejet viscéral
face au colonisateur mais cherche à s’affirmer en se distinguant des Européens. C’est la première fois que
l’émancipation est pensée dans le cadre de la modernité puisqu’il s’agit de mieux s’approprier les principes et
valeurs politiques de la métropole pour les retourner ensuite contre elle.
Ce courant s’oppose au mouvement réactionnaire des Vieux Turbans qui est un mouvement enfermé dans la
tradition car les Vieux Turbans sont tournés vers un passé idéalisé, le but étant pour eux de savoir comment
ressusciter la société tribale d’avant les Français.
Depuis l’origine, la présence française est contestée par les populations arabes dont le réflexe identitaire en
réaction à cette présence s’est cristallisé autour de la religion. Or, le mouvement Jeunes Algériens réalise une
synthèse moderne en exprimant à la fois leur attachement à l’identité arabo-islamique tout en exigeant
l’assimilation et l’octroi de la citoyenneté française ;ils encouragent par exemple l’enrôlement des Algériens
lors de la 1ère GM car ils espèrent pouvoir bénéficier de la reconnaissance de la métropole française à l’issue
du conflit.
Qui sont ces Jeunes Algériens ? Ce sont des Algériens qui ont reçu une formation baignée de « francité » et
qui s’inspirent du mouvement Jeunes Turcs. Leur démarche est à l’origine plus civique que politique ; ils
croient au progrès et à la science ce qui explique pourquoi ils veulent utiliser la civilisation pour émanciper le
peuple algérien. Les membres de ce mouvement proviennent de l’élite intellectuelle issue des classes
moyennes, ils n’hésitent pas à faire appel à la France démocratique et libérale des droits de l’homme pour
mettre fin à la situation injuste qu’ils vivent puisque les Français d’Algérie leur refusent l’accès à des postes
dont ils mériteraient l’attribution car ils sont les produits de méritocratie républicaine française.
2) Objectif de la IIIème République : la francisation
Il n’est plus question de quitter l’Algérie, l’objectif affiché est de franciser la population algérienne. Or, un
décalage profond s’observe entre les attentes de la population algérienne et les mesures prises par la France.
Cf loi de naturalisation de 1865 qui accorde la nationalité française aux Algériens qui décident d’abandonner
leur statut islamique, de rompre avec la loi coranique et les mœurs familiales. Très peu d’Algériens se portent
candidats à la naturalisation et cette mesure révèle en fait les difficultés de la France en matière de politique
coloniale puisqu’elle alimente les méfiances de la population en lui demandant de sacrifier sa civilisation
arabo-islamique et de renoncer à son identité propre.
3) Les conséquences de la 1ère Guerre Mondiale
- Situation avant la guerre : des élections municipales sont organisées au sein desquelles les autochtones ont
le droit de vote mais ces élections sont systématiquement sabotées par les Français d’Algérie qui veulent être
les seuls intervenants dans la politique du pays et les seuls intermédiaires avec la métropole. Dans le cadre du
parlementarisme le parti colonial est un lobby très puissant qui freine toute tentative en faveur les colonisés.
- Durant les combats : les Algériens se sont comportés avec loyauté et bravoure lors du conflit, ils figurent
parmi les unités les plus décorées. Ces combattants d’élite ont découvert une autre France qui les a
globalement bien accueillis (cf rôle des marraines de guerre), ils perçoivent ainsi le décalage entre les
perspectives entrevues en métropole et le modèle infantilisant et coercitif de l’administration civile coloniale
en Algérie.
Le regard porté sur l’Algérien change également ; le soldat français ne voit plus en lui l’indigène mais le
frère d’arme qui a payé le même prix du sang que lui. De ce fait, la 1ère Guerre Mondiale devient en quelque
sorte un moteur de l’histoire qui accélère les évolutions et modifient les perceptions et les rapports entre
colon/métropolitain/colonisé.
CCL : L’éveil du nationalisme et de l’idéologie indépendantiste s’explique par l’immobilisme de la politique
française qui exacerbe la frustration des Algériens. La métropole ne parvient pas à agir véritablement face au
lobby colonial qui bloque toute tentative d’évolution comme le révèlera l’échec du projet Blum-Violette au
Sénat (projet qui devait accorder la citoyenneté à 21 000 maghrébins).
Pourtant la théorie française est bien celle de l’assimilation mais dans les faits elle ne sera jamais
appliquée. Or, cette démarche paradoxale qui prône l’assimilation tout en la repoussant sans cesse à plus tard
est scandaleuse après la Première Guerre Mondiale et comme l’explique Camus, « C’est une vérité en
politique algérienne qu’une promesse non tenue fait plus de ravage qu’un refus définitif ».
Ainsi, alors qu’à l’origine les revendications algériennes ne portaient que sur l’assimilation et la
reconnaissance des droits pour bénéficier de l’égalité (cf. position de Ferhat Abbas qui explique qu’il ne
moura pas pour l’Algérie car cette patrie n’existe pas), le non-respect par le colonisateur de ses propres
principes stimula l’aspiration du peuple algérien colonisé à construire sa propre souveraineté.
Le contexte international au sortir de la guerre avec les 14 points du Président Wilson (énonciation
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) et la politique communiste qui vise à affaiblir les puissances en
favorisant la désagrégation de leurs empires coloniaux, encourage fortement les Algériens à s’opposer de
manière directe à la France.
Le nationalisme se forme donc au moment où le colonisé retourne contre la métropole son propre
outillage intellectuel mais c’est surtout à force « d’avoir toquer en vain à la porte de la citoyenneté française
que les Algériens prendront conscience de leur irréductible algériannité. » (D.Rivet)
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